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Dossier : 2004-1906(EI)

ENTRE :

BENOÎT LEQUIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

ALUMINIUM KNOWLTON INC.,

intervenante.

Appel entendu le 25 novembre 2004 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :

Me Agathe Cavanagh

Représentante de l'intervenante :

Diane Racicot

JUGEMENT

          L'appel est admis et la décision rendue par le Ministre est modifiée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 21e jour de décembre 2004.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


Référence : 2004CCI817

Date : 20041221

Dossier : 2004-1906(EI)

ENTRE :

BENOÎT LEQUIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

ALUMINIUM KNOWLTON INC.,

intervenante.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Savoie

[1]      Cet appel a été entendu à Montréal (Québec) le 25 novembre 2004.

[2]      Il s'agit d'un appel portant sur l'assurabilité de l'emploi de l'appelant lorsqu'au service d'Aluminium Knowlton Inc., le payeur, du 1er octobre 2001 au 3 mai 2003 (la période en litige).

[3]      Le 28 janvier 2004, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a informé l'appelant de sa décision selon laquelle celui-ci n'occupait pas un emploi assurable pendant la période en litige.

[4]      Toutefois, dans sa Réponse à l'avis d'appel, le Ministre a reconnu que l'appelant occupait un emploi assurable pendant la période du 1er octobre 2001 au 8 mars 2003, mais que son emploi pour la période du 9 mars au 3 mai 2003 n'était pas assurable. Donc la seule période maintenant en litige est celle du 9 mars au 3 mai 2003.

[5]      Pour ce qui concerne cette période en litige réduite, le Ministre soutient que l'emploi de l'appelant n'était pas assurable selon l'alinéa 5(2)i) et le paragraphe 5(3) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ), parce qu'il était convaincu qu'il n'était pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, que l'appelant et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[6]      En rendant sa décision, le Ministre s'est fondé sur les présomptions de fait suivantes :

a)          Le payeur est un entrepreneur général; (admis)

b)          Il exploite une entreprise de vente et de pose de fenêtres, de portes et de revêtement d'aluminium; (admis)

c)          L'entreprise est exploitée à l'année longue mais il y a plus d'activités du printemps à l'automne; (admis)

d)          Pour les exercices financiers se terminant les 31 mai 2002 et 2003, les ventes du payeur étaient respectivement d'environ 1,4 et 1,9 million de dollars; (admis)

e)          Le payeur avait une trentaine d'employés différents à chaque année; (nié)

f)          Durant la période en litige, l'appelant a travaillé pour le payeur en tant que vendeur; (nié)

g)          L'appelant rencontrait les clients, recueillait les spécifications des travaux à faire, en faisait l'estimation des coûts et préparait les soumissions; (nié)

h)          Il travaillait sur la route et au bureau du payeur; (admis)

i)           Il travaillait de 48 à 50 heures par semaine; (admis)

j)           L'appelant utilisait son automobile pour ses déplacements; (admis)

k)          Le payeur lui versait une indemnité de déplacement de 41 ¢ du kilomètre les premiers 5,000 kilomètres et par la suite de 35 ¢ [sic]; (nié)

l)           L'appelant recevait une rémunération fixe par semaine; (nié)

m)         Du 1er octobre 2001 au 30 novembre 2002, l'appelant recevait 465,00 $ par semaine; (admis)

n)          Du 1er décembre 2002 au 8 mars 2003, l'appelant recevait 515,00 $ par semaine; (admis)

o)          Du 9 mars au 19 avril 2003, l'appelant recevait 900,00 $ par semaine; (admis)

p)          La semaine du 20 au 26 avril 2003, l'appelant a reçu 950,00 $; (admis)

q)          La semaine du 27 avril au 3 mai 2003, l'appelant a reçu 900,00 $; (admis)

r)           Il n'était rémunéré que pour 44 heures de travail par semaine; (admis)

s)          Les heures travaillées dans une semaine qui excédaient 44 heures étaient mises en banque; (admis)

t)           L'appelant utilisait sa banque d'heures pour prendre des vacances payées. (admis)

[7]      Dans son témoignage à l'audition, l'appelant a tenu à préciser qu'il était représentant du payeur au lieu de simple vendeur et qu'en plus des tâches reconnues par le Ministre il faisait la planification des travaux, plaçait les commandes de marchandise, préparait les plans d'équipes, assurait le suivi des travaux, se chargeait de la facturation et de la vérification des travaux. Il a établi que son indemnité de déplacement était de 41 ¢ du kilomètre pour les premiers 3,500 kilomètres, et 35 ¢ pour l'excédant.

[8]      Il a précisé, par ailleurs, que le traitement hebdomadaire qu'il recevait ne représentait qu'une petite avance sur son revenu véritable qui serait ajusté plus tard selon son entente initiale avec le payeur qui prévoyait qu'il recevrait des versements selon un partage de profits tel que convenu. Or, cette entente n'a pas été produite à l'audience, sauf par les témoignages de l'appelant et de Diane Racicot, vice-présidente du payeur et la pièce A-1 intitulée « Calcul des bonus » . Faut-il en conclure que ces montants additionnels versés à l'appelant pendant la période en litige qui a immédiatement précédé son départ, ne représentent pas le salaire de l'appelant, mais son revenu basé sur son partage de profits selon les états financiers du payeur qui établissent le profit réalisé par les opérations de ce dernier en date du 31 mai 2003.

[9]      Les états financiers du payeur n'ont pas été produits. Ils auraient pu éclairer cette Cour sur le fondement de l'arrangement entre l'appelant et le payeur, la période visée par le calcul des bonus, l'explication du pourcentage du calcul des profits, le rôle de l'appelant dans la société du payeur, autant de questions qui demeurent sans réponse.

[10]     La preuve orale a suggéré que les montants additionnels versés à l'appelant représentaient des commissions gagnées, mais la pièce A-1 démontre plutôt un boni ou un partage de profits. Il devient difficile de réconcilier la demande de l'appelant avec les faits présentés qui expriment, quant aux montants versés à l'appelant, parfois un salaire, parfois des commissions ou encore un boni ou un partage de profits.

[11]     Pour rendre sa décision, le Ministre s'est appuyé sur les alinéas 5(1)a) et 5(2)i) et les paragraphes 5(3) et 93(3) de la Loi.

[12]     Le paragraphe 5(1) de la Loi se lit en partie comme suit :

Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

[13]     Les paragraphes 5(2) et (3) de la Loi sont libellés en partie comme suit :

(2) N'est pas un emploi assurable :

[...]

i) l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

[...]

(3)         Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

a)          la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu;

b)          l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[14]     La Cour d'appel fédérale a énoncé les principes d'application pour la solution du problème présenté à cette Cour dans l'arrêt Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878 dont voici un extrait :

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

Rémunération

[15]     À partir de mars 2003, soit quelques mois avant sa mise à pied, le salaire de l'appelant a presque doublé, passant de 550 $ par semaine à 900 $. Les explications fournies par l'appelant, par Diane Racicot et par la pièce A-1 n'ont pas aidé à expliquer exactement ce qui se passait entre l'appelant et le payeur, pour les raisons exprimées ci-haut. Pour sa part, le Ministre a choisi d'ignorer ces explications ambiguës et contradictoires et a conclu qu'un étranger n'aurait certainement jamais obtenu un tel traitement, soit de voir son salaire doublé à quelques mois de sa mise à pied.

Modalités d'emploi

[16]     L'appelant a admis que ses heures travaillées dans une semaine qui excédaient 44 heures étaient mises en banque et qu'il utilisait sa banque d'heures pour prendre des vacances payées. Voilà sûrement une autre explication à la décision prise par le Ministre.

Durée du travail

[17]     L'appelant a admis que l'entreprise du payeur était exploitée à l'année longue mais qu'il y avait plus d'activités du printemps à l'automne. Cela explique mal pourquoi l'appelant a été embauché le 1er octobre 2001, alors que commençait la période creuse des activités de l'entreprise et qu'il a été mis à pieds au début mai, alors que logiquement commence la saison forte de l'entreprise.

Nature et importance du travail

[18]     Il faut admettre que l'emploi de l'appelant était nécessaire et important pour l'entreprise du payeur et pleinement intégré aux opérations de ce dernier.

[19]     L'appelant avait le fardeau de prouver la fausseté des présomptions du Ministre. Dans cette poursuite, ses tentatives ont échoué.

[20]     Après analyse de la preuve présentée, à la lumière de la jurisprudence, en particulier dans l'arrêt Légaré, précité, cette Cour se voit contrainte de déterminer que la conclusion du Ministre paraît toujours raisonnable puisque les faits qu'il a retenus sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus.

[21]     En conséquence, je conclus que l'emploi de l'appelant pendant la période du 9 mars au 3 mai 2003 n'est pas assurable, parce qu'il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, que l'appelant et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[22]     L'appel est admis et la décision rendue par le Ministre est modifiée puisque ce dernier a reconnu dans sa réponse à l'avis d'appel que l'appelant occupait un emploi assurable du 1er octobre 2001 au 8 mars 2003.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 21e jour de décembre 2004.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


RÉFÉRENCE :

2004CCI817

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2004-1906(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Benoît Lequin c. M.R.N. et Aluminium Knowlton Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 25 novembre 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge suppléant S.J. Savoie

DATE DU JUGEMENT :

le 21 décembre 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Pour l'intimé :

Me Agathe Cavanagh

Pour l'intervenante :

Diane Racicot (représentante)

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Étude :

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

Pour l'intervenante :

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