Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2001-1954(GST)G

ENTRE :

ROBERT ALAN MORIYAMA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu à Toronto (Ontario), les 5 et 6 avril 2004.

Devant : L'honorable Michael J. Bonner

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me David D. Robertson

Avocate de l'intimée :

Me Andrea Jackett

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est rejeté avec dépens.

Signé à Toronto (Ontario), ce 17e jour de septembre 2004.

« Michael J. Bonner »

Juge Bonner

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de mars 2005.

Jacques Deschênes, traducteur


Référence : 2004CCI311

Date : 20040917

Dossier : 2001-1954(GST)G

ENTRE :

ROBERT ALAN MORIYAMA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bonner

[1]      Il s'agit d'un appel d'une cotisation établie en vertu de l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ). La cotisation a été établie par suite de l'omission de Jetcom Communications Inc. ( « Jetcom » ) de verser la taxe nette comme l'exige le paragraphe 228(2) de la Loi pour les périodes énumérées à l'annexe A de l'avis de cotisation :

Période ayant pris fin le

Taxe nette

Intérêts

Pénalité

Solde

31 octobre 1997

44 553,11 $

2 105,43 $

3 066,69 $

49 725,23 $

30 novembre 1997

42 008,68

1 697,75

          2 443,84

46 150,27

31 décembre 1997

12 616,58

464,03

             659,44

13 740,05

31 janvier 1998

25 040,34

844,30

          1 184,36

27 069,00

28 février 1998

33 160,17

1 013,77

          1 398,98

35 572,92

31 juillet 1998

18 498,02

232,42

             292,91

19 023,35

31 août 1998

24 200,92

207,13

             261,04

24 669,09

31 octobre 1998

31 517,40

16,45

               20,73

31 554,58

30 novembre 1998

28 773,45

0,00

                 0,00

28 773,45

Total

260 368,67 $

6 581,28 $

9 327,99 $

276 277,94 $

[2]      Pendant la période pertinente, l'appelant était l'unique administrateur de Jetcom. Le paragraphe 323(1) de la Loi impose aux administrateurs une responsabilité de fait d'autrui en cas de défaut de la personne morale d'effectuer des versements. Cette disposition prévoit ce qui suit :

Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l'exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

Le paragraphe 323(3) limite les circonstances dans lesquelles le paragraphe (1) peut s'appliquer :

L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[3]      Il y a plusieurs questions à trancher. Premièrement, on a présenté au nom de l'appelant une demande préliminaire en vue de faire annuler la cotisation pour le motif que la personne qui l'a établie n'était pas autorisée à le faire. Deuxièmement, l'appelant soulève le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable en vertu du paragraphe 323(3). Il s'agit enfin de savoir si la demande relative au montant de l'obligation de Jetcom a été établie dans le délai de six mois prévu à l'alinéa 323(2)c) de la Loi.

[4]      J'examinerai d'abord la question préliminaire. L'avis de cotisation visé par le présent appel n'a pas été signé, mais il était établi au nom du sous-ministre du Revenu national. Il a en fait été préparé et délivré par Christopher Ball, agent de recouvrement de la Division du recouvrement, Bureau de services fiscaux de Toronto-Nord, Agence des douanes et du revenu du Canada (l' « ADRC » ). Après avoir décidé d'établir une cotisation à l'égard de l'appelant, M. Ball a informé celui-ci de sa décision. Il a préparé une note de service à l'intention de Michelle Douglas, son chef d'équipe, qui a approuvé sa décision.

[5]      La question de savoir si l'appelant doit faire l'objet d'une cotisation n'a jamais été examinée par un fonctionnaire occupant, au sein de l'ADRC, un poste supérieur à celui de M. Ball et de Mme Douglas.

[6]      En décidant d'établir une cotisation et en préparant sa note de service à l'intention de son chef d'équipe, Mme Douglas, M. Ball a mis l'accent sur la question de savoir si l'appelant était un administrateur de Jetcom et si, dans le cas où une cotisation était établie, l'appelant avait la capacité de payer ou possédait les actifs nécessaires à cette fin. M. Ball avait une expérience restreinte et avait reçu fort peu de directives lorsqu'il s'agissait d'examiner et de trancher la question de savoir dans quels cas un administrateur devait faire l'objet d'une cotisation en vertu des paragraphes 323(4) et 296(1) de la Loi.

[7]      L'avocat de l'appelant a affirmé que le pouvoir « discrétionnaire » [1] d'établir une cotisation qui est conféré au ministre du Revenu national au paragraphe 323(4) n'a pas été exercé par le ministre, par le commissaire des douanes et du revenu, ou par un fonctionnaire ou mandataire désigné ou encore par une catégorie de fonctionnaires ou de mandataires autorisée par le ministre. Il a affirmé que la cotisation et l'avis de cotisation n'avaient donc aucune force et aucun effet. L'appelant s'est fondé sur les articles 275 et 323 de la Loi.

[8]      L'article 275 de la Loi est en partie ainsi rédigé :

275.(1) Le ministre assure l'application et l'exécution de la présente partie. Le commissaire peut exercer tous les pouvoirs et remplir toutes les fonctions dévolues au ministre en vertu de la présente partie.

(2) Sont nommés ou employés de la manière autorisée par la loi les fonctionnaires, mandataires et préposés nécessaires à l'application et à l'exécution de la présente partie.

(3) Le ministre peut autoriser un fonctionnaire ou un mandataire désigné ou une catégorie de fonctionnaires ou de mandataires à exercer ses pouvoirs et à remplir ses fonctions prévus par la présente partie.

L'avocat de l'appelant a fait remarquer que, le 27 septembre 1999, le ministre du Revenu national de l'époque a signé un document intitulé Délégation de pouvoirs et fonctions du ministre du Revenu national - Loi sur la taxe d'accise (l' « instrument de délégation » ). L'instrument de délégation autorise les personnes qui occupent le poste de sous-ministre délégué et de sous-ministre adjoint du Revenu national à exercer tous les pouvoirs dévolus au ministre en vertu de la Loi. Il autorise en outre d'autres fonctionnaires à exercer les pouvoirs qui leur sont expressément attribués. Aucune disposition de l'instrument ne traite expressément du pouvoir d'établir une cotisation qui est conféré au ministre au paragraphe 323(4) ou n'attribue ce pouvoir aux [traduction] « agents des cas de perception complexes » , soit le titre du poste occupé par M. Ball au moment pertinent.

[9]      L'avocat a poursuivi son argument comme suit :

a) La Loi et l'instrument de délégation énoncent un mécanisme explicite de délégation des pouvoirs conférés au ministre en vertu de la Loi. L'instrument de délégation démontre clairement que le ministre a expressément tenu compte de chacun des pouvoirs qui lui étaient accordés par la Loi. En ce qui concerne chaque pouvoir qu'il a décidé de déléguer, le ministre a expressément désigné la catégorie de fonctionnaires qui auraient la capacité et l'expérience nécessaires pour l'exercer;

          b)       Étant donné que ni le paragraphe 323(4) ni le paragraphe 296(1) ne figurent dans l'annexe accompagnant l'instrument de délégation, il est évident que le ministre a décidé de ne pas déléguer les pouvoirs discrétionnaires qui sont prévus dans ces dispositions;

          c)        Les seules personnes qui ont le droit d'exercer le pouvoir discrétionnaire que possède le ministre d'établir une cotisation en vertu de la Loi sont (collectivement désignées ci-après comme étant les « fondés de pouvoir » ) :

                   Le ministre du Revenu national

                             - Paragraphe 275(1) de la Loi

                   Le commissaire des douanes et du revenu du Canada

                             - Paragraphe 275(1) de la Loi

                   Le sous-ministre du Revenu national

                             - Alinéa 24(2)c) de la Loi d'interprétation

                   Le sous-ministre adjoint du Revenu national

                             - Instrument de délégation, paragraphe 2

                   Le sous-ministre délégué du Revenu national

                             - Instrument de délégation, paragraphe 2.

[10]     La nature de la mesure qui consiste à établir une cotisation est décrite comme suit par le président Thorson dans la décision Pure Spring Ltd. v. M.N.R.[2] :

[...] La cotisation est à mes yeux la somme de tous les facteurs qui représentent l'obligation fiscale, déterminés de façon diverse et permettant d'arriver à un total une fois que tous les calculs nécessaires ont été faits.

[11]     À mon avis, il n'y a rien dans le texte de la loi ou dans la nature du pouvoir exercé, lorsqu'une cotisation doit être établie en vertu de l'article 323, qui donne à entendre que le législateur voulait que le ministre exerce personnellement le pouvoir ou que le pouvoir soit exercé uniquement par les fondés de pouvoir susmentionnés. L'établissement d'une telle cotisation est une simple fonction administrative faisant partie de l'application et de l'exécution quotidiennes ordinaires de la Loi. Le fait que le ministre a exercé le pouvoir qui lui est conféré au paragraphe 275(3) en signant l'instrument de délégation ne permet pas d'inférer que les « fonctionnaires, mandataires et préposés » employés en vertu du paragraphe 275(2), comme l'était de toute évidence M. Ball, doivent se faire expressément attribuer le pouvoir ministériel précis d'accomplir les actes administratifs courants. Même si le pouvoir exercé lorsqu'une cotisation est établie en vertu de l'article 323 pouvait être considéré comme étant de nature discrétionnaire, la loi doit être interprétée compte tenu du principe du bon sens mentionné dans l'arrêt R. c. Harrison[3] :

[...] Bien qu'il existe une règle générale d'interprétation de la loi selon laquelle une personne doit exercer personnellement le pouvoir discrétionnaire dont elle est investie (delegatus non potest delegare), elle peut être modifiée par les termes, la portée ou le but d'un programme administratif donné.

[...] Le pouvoir de délégation est souvent implicite dans un programme qui donne au ministre le pouvoir d'agir. Comme le remarque le professeur Willis dans « Delegatus Non Potest Delegare » , (1943), 21 Can. Bar Rev. 257 à la p. 264 :

[...] dans leur application du principe delegatus non potest delegare aux organismes du gouvernement, les tribunaux ont préféré le plus souvent s'éloigner de l'interprétation étroite du texte de loi qui les obligerait à y voir le mot « personnellement » , et adopter l'interprétation qui convient le mieux aux rouages modernes du gouvernement qui, étant théoriquement le fait des représentants élus mais, en pratique, celui des fonctionnaires ou des agents locaux, leur commandent sans aucun doute d'y voir l'expression « ou toute personne autorisée par lui » .

Voir aussi S.A. DeSmith, Judicial Review of Administrative Action, 3e éd., à la p. 271. Lorsque l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire est confié à un ministre du gouvernement, on peut alors supposer que les mesures nécessaires seront prises par les fonctionnaires responsables du ministère et non par le ministre lui-même : CarltonaLtd. v. Commissioners of Works [[1943] 2 All E.R. 560 (C.A.)]. De nos jours, les fonctions d'un ministre du gouvernement sont si nombreuses et variées qu'il serait exagéré de s'attendre à ce qu'il les remplisse personnellement. On doit présumer que le ministre nommera des sous-ministres et des fonctionnaires expérimentés et compétents et que ceux-ci, le ministre étant responsable de leurs actes devant la législature, s'acquitteront en son nom de fonctions ministérielles dans les limites des pouvoirs qui leur sont délégués. Toute autre solution n'aboutirait qu'au chaos administratif et à l'incurie. [...]

[12]     La preuve ne permet aucunement de conclure que l'établissement de la cotisation ne relevait pas du type même de fonction qui incombait à M. Ball. Il ne s'agit pas d'un cas dans lequel une cotisation est établie, par exemple, par une personne embauchée pour nettoyer les vitres. L'affaire est régie par les paragraphes 275(2) et (3) de la Loi. À mon avis, M. Ball était autorisé à établir la cotisation.

[13]     J'examinerai maintenant le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable. L'intimée a pris la position selon laquelle l'appelant :

[traduction]

[...] n'avait pas agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir l'omission de Jetcom de verser au receveur général la taxe nette, les intérêts et les pénalités susmentionnés [...], que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

L'intimée a plaidé ce prétendu « fait » en tant qu'hypothèse émise au moment de l'établissement de la cotisation. L'intimée a également plaidé, en tant qu'hypothèses émises au moment de l'établissement de la cotisation, un certain nombre de faits précis qui, s'ils étaient exacts, justifieraient la cotisation.

[14]     Normalement, il incombe à l'appelant d'établir, s'il le peut, l'existence d'une erreur dans les conclusions ou hypothèses de fait du ministre[4]. Dans ce cas-ci, le témoignage de M. Ball montrait clairement qu'il n'a pas tenu compte de faits pertinents lorsqu'il s'agit de déterminer si une cotisation est peut-être injustifiée eu égard au paragraphe 323(3). Avant d'établir la cotisation, M. Ball s'est plutôt uniquement demandé si l'appelant avait présenté des observations sur ce point. Eu égard aux circonstances, la charge de réfuter les hypothèses qui ont été plaidées au sujet du paragraphe 323(3) n'est pas passée à l'appelant.

[15]     M. Moriyama a témoigné à l'audition de l'appel. À mon avis, il était un témoin crédible. Il avait effectué trois années d'études post-secondaires, mais il n'avait aucune formation régulière en administration ou en droit. Il est maintenant âgé de 49 ans. Jetcom a été constituée en personne morale en 1985. Pendant un certain nombre d'années au cours de la période qui a précédé les années 1997 et 1998, Jetcom exploitait une entreprise d'envergure rentable, qui s'occupait de vendre de grosses antennes paraboliques et du matériel accessoire utilisés pour la réception de signaux de télévision par satellite. Jetcom a créé un réseau de marchands qui revendaient son matériel à des clients.

[16]     En 1995, le contexte juridique régissant la distribution des services de diffusion par satellite a changé. Il est devenu évident que les perspectives d'avenir de l'entreprise de Jetcom étaient incertaines. En réponse, Jetcom a cherché à s'aligner à des titulaires de permis d'exploitation de service de radiodiffusion directe par satellite (SRD) qui, dans le nouveau contexte, étaient autorisés à diffuser des signaux dans le grand public. Le projet comportait l'utilisation du réseau de distribution de Jetcom pour la vente au public de matériel de réception de signaux par satellite.

[17]     En 1995 et en 1996, lorsque l'on était en train de signer les ententes avec les titulaires de permis de SRD, il a été reconnu que Jetcom avait besoin d'autres ressources financières. Jetcom a donc cherché à se procurer l'argent au moyen de l'émission publique de titres.

[18]     Au début de l'année 1997, Jetcom et les conseillers financiers responsables de la mise sur pied du financement se sont brouillés. À ce moment-là, le chiffre d'affaires mensuel de Jetcom s'élevait à 100 000 $ pour l'ancien genre de matériel, mais les ventes ont baissé et les recettes ne couvraient pas les dépenses. Dans l'intervalle, les titulaires de permis de SRD avec qui Jetcom espérait traiter ont accusé certains retards lorsqu'il s'est agi de mettre sur pied leurs services. Un titulaire de permis a fait faillite.

[19]     À coup sûr, à compter du début de l'année 1997, la situation financière de Jetcom était précaire. Pendant toute l'année, Jetcom a exploité son entreprise à l'aide d'une ligne de crédit qu'elle avait obtenue d'une banque. Pendant la seconde moitié de l'année, la banque a commencé à contrôler les paiements et à sortir des fonds du compte de Jetcom.

[20]     La haute direction chez Jetcom était composée de Justin Mason, directeur financier, de Susan Coles, contrôleur, et de l'appelant. Du mois de janvier au mois de décembre 1997, presque toutes les déclarations relatives à la TPS de Jetcom ont été produites en retard et aucun versement n'a été effectué. Au mois d'août 1997, l'appelant a pour la première fois été mis au courant des problèmes liés au défaut de versement de la TPS. L'appelant a témoigné qu'il avait clairement fait savoir à Mme Coles et à M. Mason que le versement de la TPS devait venir en priorité. Au mois d'octobre 1997, une série de chèques ont été émis aux fins du paiement des arriérés. Toutefois, il n'est pas soutenu que l'appelant soit personnellement intervenu pour veiller à ce que les versements soient dans l'avenir effectués à temps.

[21]     La situation financière de Jetcom a continué à se détériorer. Au mois de décembre 1997, la banque a désigné un conseiller chargé de préparer un rapport sur le rendement et les opérations de Jetcom. Les conditions de nomination, que l'appelant a acceptées avec réticence, enlevaient à celui-ci toute responsabilité en matière de gestion ainsi que le contrôle sur les opérations de l'entreprise. La banque a pris des mesures en vue de recouvrer les créances de Jetcom et en vue de les imputer à la réduction de la dette de l'entreprise. Il n'est pas soutenu que l'appelant ait demandé au nouveau directeur, de qui relevaient M. Mason et Mme Coles, de se conformer aux exigences relatives à la production des déclarations et au versement de la taxe.

[22]     Le 23 décembre 1997, la banque a demandé le remboursement de son prêt. Des négociations en vue du règlement de la dette ont eu lieu. L'appelant et la société ont emprunté de l'argent et l'ont remis à la banque pour régler les demandes. À ce moment-là, au mois de février 1998, l'appelant envisageait de faire en sorte que Jetcom diversifie son entreprise et élabore un nouveau plan d'entreprise.

[23]     Il importe de noter que, du mois d'octobre 1997 au mois de février 1998, Jetcom a omis d'effectuer les versements.

[24]     Au printemps de 1998, l'appelant est entré en pourparlers avec un fonctionnaire de Revenu Canada. Il a expliqué les difficultés auxquelles Jetcom faisait face et s'est engagé à ce que Jetcom effectue les versements à temps et à ce qu'elle paie les arriérés. Des chèques postdatés ont été émis. Les versements des mois de juin et de juillet 1998 ont été effectués à temps et certains paiements ont été effectués à valoir sur les arriérés. L'appelant a témoigné que, pendant cette période, il [traduction] « surveillait » la production des déclarations relatives à la TPS et le versement de la TPS.

[25]     La déclaration pour la période qui a pris fin le 31 juillet 1998 a été produite deux mois et demi en retard, mais les paiements ont été faits.

[26]     À l'automne 1998, les affaires de Jetcom allaient encore mal. D'autres pourparlers ont eu lieu avec Revenu Canada; on s'est entendu pour réduire les versements à effectuer au titre des arriérés. Jetcom a remis à Revenu Canada une liste de ses créances afin de faciliter les procédures de saisie-arrêt.

[27]     Le 4 décembre 1998, Jetcom a fait faillite.

[28]     Il importe de noter que toutes les omissions d'effectuer les versements qui ont donné lieu à l'établissement de la cotisation ici en cause ont eu lieu bien après qu'il fut devenu évident que Jetcom faisait face à des déboires financiers et, en outre, deux mois après que l'appelant eut découvert que les dirigeants sur lesquels il comptait avaient omis d'observer le paragraphe 228(2).

[29]     Dans l'arrêt Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124, la Cour d'appel fédérale a analysé la portée du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, une disposition analogue au paragraphe 323(3) de la Loi. À la page 155, le juge Robertson, qui parlait au nom de la majorité, a dit ce qui suit :

40.        Le moment convient bien pour résumer mes conclusions au sujet du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).

41.        La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la « compétence » et l'idée de « circonstances comparables » . Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme « objective subjective » .

[30]     À la page 156, le juge Robertson a examiné la situation des administrateurs internes. Il a dit ce qui suit :

44.        Je tiens tout d'abord à souligner qu'en adoptant cette démarche analytique, je ne donne pas à entendre que la responsabilité est simplement fonction du fait qu'une personne est considérée comme un administrateur interne par opposition à un administrateur externe. Cette qualification constitue plutôt simplement le point de départ de mon analyse. Mais cependant, il est difficile de nier que les administrateurs internes, c'est-à-dire ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable. Pour ces personnes, ce sera une opération ardue de soutenir avec conviction que, malgré leur participation quotidienne à la gestion de l'entreprise, elles n'avaient aucun sens des affaires, au point que ce facteur devrait l'emporter sur la présomption qu'elles étaient au courant des exigences de versement et d'un problème à cet égard, ou auraient dû l'être. Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l'élément subjectif de la norme de prudence devrait primer l'aspect objectif de la norme.

[31]     Enfin, à la page 157, le juge a qualifié de « négligent » un administrateur interne qui, après avoir appris que sa société devait des arriérés à Revenu Canada, s'était contenté de se fonder sur les promesses des administrateurs internes responsables des finances de l'entreprise. Le juge a dit ce qui suit :

46.        De même, le contribuable dans l'affaire Fraser (Syndic de faillite de) c. M.R.N., 87 DTC 250 (C.C.I.), constitue un bon exemple d'un administrateur interne négligent qui a légitimement été tenu responsable. Ce contribuable était un administrateur, un actionnaire minoritaire et le vice-président des opérations de fabrication d'une société. À un moment donné, il a découvert que la société était en retard dans ses paiements à Revenu Canada. Malgré cela, le contribuable n'a rien fait d'autre pour régler ce problème que de se fier aux promesses des administrateurs internes responsables du volet financier de l'entreprise, selon lesquels il n'y avait pas lieu de s'inquiéter. Comme le contribuable n'avait pas essayé de prévenir d'autres manquements, il a été tenu personnellement responsable des sommes que la société aurait dû verser à l'État.

[32]     À mon avis, l'appelant ne manquait certes pas de compétences, de l'expérience et de connaissances nécessaires pour veiller à l'exécution de l'obligation qui incombait à Jetcom de verser la TPS en temps opportun. Comme l'avocat l'a signalé, il est vrai que les études post-secondaires de l'appelant n'avaient rien à voir avec le domaine en cause, mais l'expérience que l'appelant a acquise en surveillant pendant de nombreuses années l'exploitation de Jetcom compense amplement son manque de formation régulière.

[33]     En outre, l'appelant appartenait clairement à la catégorie des « administrateurs internes » telle qu'elle est appelée dans la jurisprudence. Il était l'unique administrateur de Jetcom et aucune circonstance ne l'empêchait de découvrir et d'éliminer les omissions constantes d'effectuer les versements.

[34]     Avant la période qui a pris fin le 31 octobre 1997, il était évident que Jetcom faisait face à des déboires financiers. Le chiffre d'affaires de Jetcom était à la baisse et les recettes provenant des ventes ne couvraient pas les dépenses. La société exerçait ses activités à l'aide d'une ligne de crédit et le créancier, la banque, avait désigné un agent spécial de prêts, ce qui indiquait clairement son inquiétude. Au mois d'août 1997, l'appelant a découvert que M. Mason et Mme Coles, les cadres supérieurs sur qui il comptait pour produire les déclarations et verser la taxe, avaient omis d'effectuer les versements. La déclaration pour le mois d'octobre 1997, qui devait être produite au plus tard le 30 novembre 1997, n'a été produite qu'au mois d'avril 1998. L'appelant a admis qu'il ne s'était pas renseigné auprès de M. Mason et de Mme Coles parce que, à ce moment-là, il [traduction] « savai[t] que les affaires allaient mal » . À mon avis, dans ces conditions, l'omission de s'assurer chaque mois que les versements étaient effectués à temps ne satisfait pas à la norme de soin prévue par la loi.

[35]     La preuve indique qu'entre la fin du mois d'août 1997 et le 18 novembre 1998, le montant total qui était dû au titre de la TPS n'avait augmenté que légèrement de 211 240 $ à 215 949 $. Il semble que, par suite des dispositions qui avaient été prises entre l'appelant et les représentants de Revenu Canada, certains paiements du moins aient été effectués et aient été imputés aux arriérés. Dans l'intervalle, l'obligation d'effectuer les versements courants n'a pas été respectée. Cela dénote un effort sincère pour payer les arriérés mais, selon moi, cela ne montre pas que l'on a tenté de prévenir l'omission d'effectuer les versements pendant la période. À mon avis, la conduite de l'appelant, même si celui-ci était sincère, ne satisfaisait pas à la norme énoncée dans l'arrêt Ruffo v. Canada, [2000] 4 C.T.C. 39, où le juge Létourneau a dit ce qui suit à la page 42 :

L'obligation de l'appelant en tant qu'administrateur était de prévenir et d'empêcher l'omission de payer les sommes dues et non de la commettre ou de la perpétuer comme il l'a fait à compter de mars 1992 dans l'espoir qu'en fin de compte l'entreprise renouerait avec la rentabilité ou qu'il y aurait assez d'argent, même en cas de liquidation, pour payer tous les créanciers.

Le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable est donc rejeté.

[36]     Enfin, l'appelant a soutenu que le ministre n'avait pas satisfait à l'alinéa 323(2)c), qui prévoit ce qui suit :

(2) L'administrateur n'encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

[...]

c) la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de séquestre a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l'ordonnance.

[37]     Le 4 décembre 1998, Jetcom a fait une cession. Le 23 décembre 1998, Revenu Canada a déposé auprès du syndic une preuve de réclamation au montant de 233 288,70 $ au titre de la TPS. La preuve de réclamation se rapportait aux périodes de déclaration allant du mois d'août 1997 au mois d'août 1998. Elle n'incluait pas la somme pour laquelle Jetcom était responsable au titre de l'impôt, des intérêts et des pénalités pour les périodes qui avaient pris fin le 31 octobre 1998 et le 30 novembre 1998, parce qu'au 23 décembre 1998, Jetcom n'avait pas produit ses déclarations relatives à la TPS pour ces périodes; le 11 janvier 2000, le ministre a soumis au syndic de faillite une preuve de réclamation modifiée d'un montant de 276 277,94 $ en vue d'inclure la somme dont Jetcom était redevable pour les périodes allant du 31 octobre au 30 novembre 1998.

[38]     Selon la position prise par l'intimée, la preuve de réclamation modifiée satisfaisait aux dispositions de l'alinéa 323(2)c), lesquelles étaient de nature directrice seulement. L'avocate a soutenu que la cotisation visée par l'appel est protégée par le paragraphe 299(5) de la Loi, qui est rédigé comme suit :

(5) L'appel d'une cotisation ne peut être accueilli pour cause seulement d'irrégularité, de vice de forme, d'omission ou d'erreur de la part d'une personne dans le respect d'une disposition directrice de la présente partie.

[39]     Dans l'arrêt Kyte v. The Queen 97 DTC 5022, la Cour d'appel fédérale était saisie d'une affaire de responsabilité des administrateurs en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dans laquelle un contribuable avait cherché à invoquer l'alinéa 227.1(2)a) de cette loi. Le paragraphe 227.1(2) est rédigé comme suit :

(2) Un administrateur n'encourt la responsabilité prévue au paragraphe (1) que dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la société est responsable selon ce paragraphe a été enregistré à la Cour fédérale en application de l'article 223 et il y a eu défaut d'exécution totale ou partielle à l'égard de cette somme;

b) la société a engagé des procédures de liquidation ou de dissolution ou elle a fait l'objet d'une dissolution et l'existence de la créance à l'égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant le premier en date du jour où les procédures ont été engagées et du jour de la dissolution;

c) la société a fait une cession ou une ordonnance de séquestre a été rendue contre elle en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et l'existence de la créance à l'égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant la date de la cession ou de l'ordonnance de séquestre.

Dans l'affaire Kyte, le ministre avait fait enregistrer un certificat de 500 000 $ à l'encontre d'une société, mais il avait établi, en vertu du paragraphe 227.1(1), une cotisation d'un montant moins élevé en raison d'un remboursement qui avait pour effet de réduire l'obligation de la société. Le contribuable avait soutenu que l'omission d'enregistrer un certificat au bon montant était fatale. Cet argument avait été rejeté pour le motif que l'alinéa 227.1(2)a) était de nature directrice et que la cotisation établie à l'égard du contribuable était protégée par l'article 166, une disposition qui est presque identique au paragraphe 299(5). Dans l'arrêt Kyte, précité, le juge Robertson a dit ce qui suit à la page 5024 :

Il nous faut donc examiner si l'erreur commise en l'espèce concernait une disposition directrice de la Loi, c'est-à-dire la référence à l'indication du montant de l'obligation fiscale de la société dans le certificat. Dans la mesure où la décision de savoir si une disposition de la Loi est impérative ou directrice exige le recours à un critère de pondération, comme celui énoncé dans l'arrêt Ginsberg c. La Reine 96 D.T.C. 6372 (C.A.F.), nous sommes d'avis que ce critère a été respecté. Comme le montant dû dans bon nombre de cas peut être fluide (c'est particulièrement vrai dans les cas portant sur la détermination d'un remboursement) et dans les cas comme celui en l'espèce où l'erreur dans le certificat ne causera aucun préjudice à un contribuable, il nous semble que la conclusion du juge de première instance, c'est-à-dire que l'exigence selon laquelle il faut indiquer le montant de l'obligation fiscale de la société dans le certificat est une exigence directrice plutôt qu'impérative, est conforme au droit. [Je souligne.]

L'alinéa 323(2)c) de la Loi est du même genre. Le dépôt tardif de la preuve de réclamation modifiée n'est donc pas fatal.

[40]     L'appel sera donc rejeté avec dépens.

Signé à Toronto (Ontario), ce 17e jour de septembre 2004.

« Michael J. Bonner »

Juge Bonner

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de mars 2005

Jacques Deschênes, traducteur


RÉFÉRENCE :

2004CCI311

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-1954(GST)G

INTITULÉ :

Robert Alan Moriyama et

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Les 5 et 6 avril 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable Michael J. Bonner

DATE DU JUGEMENT :

Le 17 septembre 2004

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me David D. Robertson

Avocate de l'intimée :

Me Andrea Jackett

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

David D. Robertson

Cabinet :

Fasken, Martineau, DuMoulin

Toronto (Ontario)

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           Il s'agit de la description effectuée par l'avocat. L'établissement d'une cotisation est une mesure de nature administrative. Pure Spring Co. v. M.N.R. 1946 C.T.C. 169, à la page 197.

[2]           Précitée, à la page 198.

[3]           [1977] 1 R.C.S. 238.

[4]           M.N.R. v. Pillsbury Holdings Ltd., 64 DTC 5184.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.