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Dossier : 98-758(UI)

ENTRE :

TIBÉRIO MASSIGNANI,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Francine Provost (98-763(UI)) les 15, 16 et 17 octobre 2003 et le 7 novembre 2003 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Pierre Archambault

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Charles A. Ashton

Avocate de l'intimé :

Me Anne Poirier

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le ministre du Revenu national est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mars, 2004.

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


Dossier : 98-763(UI)

ENTRE :

FRANCINE PROVOST,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Tibério Massignani (98-758(UI)) les 15, 16 et 17 octobre 2003

et le 7 novembre 2003 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Pierre Archambault

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Charles A. Ashton

Avocate de l'intimé :

Me Anne Poirier

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le ministre du Revenu national est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mars, 2004.

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


Référence : 2004CCI75

Date : 20040309

Dossier : 98-758(UI)

ENTRE :

TIBÉRIO MASSIGNANI,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

ET

Dossier : 98-763(UI)

ENTRE :

FRANCINE PROVOST,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Archambault

[1]      Monsieur Tibério Massignani (Tibério) et madame Francine Provost interjettent appel de décisions rendues par le ministre du Revenu national (ministre) relativement à l'assurabilité de leur emploi chez Les Confections Tiva Inc. (Tiva). Les périodes d'emploi (périodes pertinentes) visées par les décisions du ministre sont les suivantes dans le cas de Tibério :

i)

du 5 mars 1990 au 31 août 1990;

ii)

du 11 novembre 1991 au 24 juillet 1992;

iii)

du 7 mars 1994 au 29 juillet 1994.

Dans le cas de madame Provost, les périodes pertinentes sont celles-ci :

i)

du 12 janvier 1991 au 20 février 1992;

ii)

du 1er août 1994 au 9 décembre 1994;

iii)

du 10 juillet 1995 au 14 juillet 1995.

[2]      Il s'agit d'appels entendus pour une deuxième fois par suite de l'arrêt Massignani c. Canada, 2003 CAF 172, [2003] A.C.F. no 542 (Q.L.), de la Cour d'appel fédérale, qui, saisie d'une demande de contrôle judiciaire, a ordonné que les appels soient entendus par un autre juge. Les motifs des décisions du ministre sont les mêmes à l'égard de toutes les périodes pertinentes, à savoir que les appelants n'occupaient pas un emploi véritable chez Tiva et que, par conséquent, il ne s'agissait pas d'un emploi assurable. Et même si les appelants occupaient un emploi véritable, cet emploi était exclu des emplois assurables, car il existait un lien de dépendance entre Tiva et eux. Essentiellement, le ministre a conclu que les appelants avaient plutôt participé à un stratagème visant à frustrer le gouvernement du Canada (Emploi et Immigration Canada et Développement des ressources humaines Canada (DRH)) d'une somme d'argent dépassant 5 000 $, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 380 du Code criminel. Le stratagème permettait à des employés de Tiva de travailler tout en touchant des prestations d'assurance-chômage.

[3]      Un mandat d'arrêt contre Tibério a été signé par un juge de paix le 5 avril 1997 et Tibério a plaidé coupable relativement à l'infraction susmentionnée le 30 juin 1998. Le stratagème a été exécuté durant la période du 1er janvier 1991 au 12 juillet 1996. Dans le cas d'une poursuite similaire à l'égard de la période du 9 septembre 1990 au 4 mars 1995 et relativement à des prestations d'assurance-emploi que Tibério aurait lui-même touchées tout en travaillant pour Tiva, on trouve dans le dossier judiciaire de Tibério la mention « sursis conditionnel » . Même si des mandats d'arrêt avaient été décernés contre madame Provost, aucune accusation n'a finalement été déposée contre elle.

Faits

[4]      Tiva est une société par actions qui a été constituée le 20 janvier 1982 pour faire l'acquisition d'une entreprise de confection de vêtements pour hommes et pour femmes[1]. Elle a exploité cette entreprise jusqu'en mars 1996[2]. Durant les périodes pertinentes, cette entreprise était située sur la rue Richelieu à St-Hubert (Québec). Jusqu'à son décès, survenu en octobre 1995, madame Lina Massignani, la mère de Tibério, détenait toutes les actions ordinaires de Tiva. Par la suite, c'est Vladimiro, frère de Tibério, qui est devenu le seul détenteur des actions ordinaires. Tibério détenait par contre des actions privilégiées de Tiva. Selon Tibério, les fonds recueillis par Tiva pour les actions privilégiées ont servi à financer l'achat d'un bâtiment. Madame Massignani était une personne d'origine italienne qui parlait peu le français et l'anglais. Elle aurait commencé à travailler comme contremaîtresse dans une entreprise de confection appartenant à un monsieur Marcoux et sa femme. Lorsque les Marcoux se sont trouvés en difficultés financières, madame Massignani a décidé de faire l'acquisition de cette entreprise. Selon madame Diane H. (Diane), qui s'était jointe à l'entreprise peu après l'engagement de madame Massignani, ce sont les fils de cette dernière, Tibério et Vladimiro, qui en ont négocié l'achat.

[5]      De prime abord, il faut souligner le caractère familial de l'entreprise de Tiva. Non seulement les deux frères Massignani ont négocié l'achat, mais, toujours selon les dires de Diane, ce sont eux qui ont exploité l'entreprise dès le début. Ces deux frères et leur mère étaient autorisés à signer les chèques au nom de Tiva, deux signatures étant requises. Diane, qui a été secrétaire chez Tiva de 1981 à mars 1993, était l'épouse de Vladimiro jusqu'en 1987. Elle s'est remariée en 1988. Quant à Vladimiro, il est devenu le conjoint de fait d'une des contremaîtresses de Tiva, qui a été engagée en 1992 ou 1993. Madame Francine Provost est la conjointe de fait de Tibério depuis 1986. Elle a commencé à travailler pour Tiva dans la finition, et par la suite, elle a été promue à des tâches de secrétariat.

Le stratagème

[6]      Selon Diane, le stratagème existait depuis de nombreuses années, au moins depuis 1985, et il était toujours en place lorsqu'elle a quitté Tiva en mars 1993. Selon elle, Tibério faisait venir chacun des employés de l'entreprise dans son bureau et, après leur avoir expliqué les difficultés financières de l'entreprise, leur demandait de réclamer des prestations d'assurance-chômage, même s'ils devaient continuer à travailler pour Tiva. Selon le témoignage de madame Elizabeth B. (Elizabeth), c'est madame Provost qui lui avait demandé de participer au stratagème[3]. Selon les dires de Diane, la plupart des employés qui ont ainsi accepté de demander des prestations d'assurance-chômage pour certaines périodes sont revenus travailler à plein temps pour Tiva durant ces périodes mais pour un salaire horaire moindre. Selon elle, Tiva économisait alors environ deux ou trois dollars sur le salaire horaire. Par contre, ces employés étaient traités durant ces périodes comme des travailleurs autonomes et leur rémunération était versée soit par Tiva, lorsque l'employé pouvait fournir un autre nom ou un autre numéro d'assurance sociale, ou par une société à numéro dans le cas contraire. Diane a aussi mentionné que le T4A établi pour indiquer la rémunération versée à des travailleurs autonomes était dans bien des cas erroné en ce qui a trait soit au nom du travailleur, soit à son numéro d'assurance sociale ou à son adresse. L'agente des appels a corroboré ce fait. Elle a indiqué que 23 des 60 T4A établis pour 1993 contenaient des erreurs.

[7]      Plusieurs témoins ont confirmé avoir participé au stratagème. Diane a reconnu y avoir participé elle-même, à la suite des pressions de Tibério, en raison des difficultés financières de Tiva. Elle a reconnu avoir reçu des prestations d'assurance-chômage tout en travaillant et avoir été tenue de rembourser à DRH une somme de 12 300 $. Lorsqu'elle a fait faillite, elle devait toujours une somme de 9 300 $. Elizabeth a aussi reconnu avoir participé au stratagème et avoir reçu au nom de Lise B. de la rémunération payable pour ses services. Elle a dit avoir remboursé une somme de 12 000 $ à DRH. L'agente des appels a confirmé que le numéro d'assurance sociale figurant sur le T4A établi au nom de Lise B. était non valide. Madame Ida H. (Ida) a reconnu avoir reçu, dans le cadre du stratagème, de la rémunération versée par Tiva, par une société à numéro et par Herman Sports Wear.

[8]      Selon Diane, Tibério a également participé au stratagème et, aux fins du paiement de sa rémunération, il se serait servi d'un nom d'emprunt qui comprenait le prénom François. L'agente des appels a confirmé que le T4A remis à Tibério pour l'année 1993 contenait un numéro d'assurance sociale non valide. Selon les dires de madame Nicole M. (Nicole) et de Diane, Vladimiro a aussi participé au stratagème. Selon Diane, le nom utilisé par madame Provost dans le cadre du stratagème était soit celui de sa fille Nancy, ou le nom de Lussier, soit celui de son ancien conjoint. Lors de son témoignage, madame Provost n'a pas nié ce témoignage de Diane. Elle a même reconnu qu'il lui arrivait d'utiliser le nom de son ancien mari. Un T4 a été établi au nom de Prévost pour l'année 1994 et le numéro d'assurance sociale y figurant est lui aussi non valide.

[9]      Selon Diane, des sociétés à numéro appartenant à Tibério, à Vladimiro et à madame Provost ont été utilisées pour effectuer des paiements au noir. De façon générale, ces sociétés ne faisaient aucune retenue à la source et n'établissaient pas de T4. De plus, elles ne produisaient pas de déclarations de TPS ou de TVQ. On utilisait ces sociétés pour une période de moins d'un an pour ne pas attirer l'attention des autorités fiscales sur la non-production de ces déclarations. Selon les vérifications effectuées par l'agente des appels, trois de ces sociétés à numéro avaient comme président Vladimiro. Aucune déclaration de revenus (T2) n'a été produite par elles. Ces sociétés n'avaient pas non plus de numéro de déduction à la source (DAS). Nicole a reconnu avoir reçu sa rémunération par l'intermédiaire d'une de ces sociétés et avoir participé au stratagème de janvier à mars 1994. La rémunération aurait été versée au nom de son conjoint et le numéro d'assurance sociale indiqué était non valide.

[10]     Lors de son témoignage, Tibério a dit n'avoir été propriétaire d'aucune société à numéro de 1990 à 1995, si ce n'est Gestion Massie, qu'il aurait cédée à son frère. Madame Provost reconnaît avoir été propriétaire de deux sociétés à numéro, la première, 2733-7278 Québec Inc. (2733), aurait été constituée en janvier 1990 et n'aurait été utilisée que jusqu'en décembre 1990. Elle en était la seule actionnaire. Elle a expliqué qu'elle avait tenté d'exploiter sa propre entreprise et que 2733 avait loué des locaux de Tiva de 1 200 mètres carrés et de l'équipement. Elle a reconnu que 75 % des travailleurs auxquels elle avait recours étaient des travailleurs autonomes et qu'elle avait cinq ou six employés. La société 2733 n'avait que trois ou quatre clients. Madame Provost a indiqué qu'elle travaillait, à cette époque, 25 heures par semaine pour 2733. Selon l'agente des appels, cette société n'avait pas de numéro de DAS, mais elle a produit deux déclarations de revenus. L'autre société à numéro, 9033-9011 Québec Inc. (9033), a été constituée en avril 1996. Cette société a produit une déclaration de revenus en 1997 et possédait un numéro de DAS. Par contre, elle ne possédait pas de numéro de société.

Travail de Tibério

[11]     Tibério a indiqué qu'il avait commencé à travailler pour Tiva en 1984 ou 1985, ce qui a été contredit par Diane, selon qui il a travaillé pour Tiva dès le tout début, donc à compter de 1982. Tibério a décrit ses fonctions au sein de Tiva pour la période de 1990 à 1996 comme comprenant trois tâches importantes. Quarante pour cent de son temps était consacré à l'entretien, à la réparation et à la préparation de la machinerie utilisée par les opératrices et les couturières de Tiva. De 30 à 40 % était consacré au contrôle de la productivité de ces couturières et opératrices. Finalement, le reste de son temps était consacré à la livraison et au ramassage des vêtements à la résidence des travailleurs autonomes.

[12]     Dans cette description, on ne trouve aucune mention de tâches de gestionnaire. La fonction qui s'y rapproche le plus est le contrôle de la productivité. Cette fonction consiste à mesurer le temps que prend chacune des travailleuses pour l'exécution de sa tâche. Elle ne correspond pas, évidemment, à celle fournie par Diane et certaines des anciennes travailleuses qui ont témoigné à l'audience. Diane a décrit les responsabilités de Tibério comme celles d'un directeur de la production. Quant à Vladimiro, il traitait avec les clients et s'occupait du transport des morceaux assemblés. Diane a indiqué que Tibério avait un caractère colérique, ce qui ne facilitait pas ses relations avec les clients de l'entreprise. Toutefois, Tibério et Vladimiro étaient les personnes qui rencontraient les comptables et les banquiers. D'ailleurs, Diane a affirmé que Lina Massignani n'occupait aucun bureau dans la section administrative de l'atelier de Tiva. Elle travaillait plutôt avec les autres travailleuses comme contremaîtresse. Elizabeth a indiqué que Tibério était toujours dans le bureau. C'était soit Tibério, soit Vladimiro ou madame Provost qui annonçait les mises à pied pour manque de travail. Il faut ajouter que la description des tâches donnée par Diane correspond davantage aux titres qu'a utilisés Tibério lui-même dans ses demandes de prestations d'assurance-chômage, où il décrit son poste comme étant celui de « gérant de production "vêtement" » , ou de « responsable de la production » ou de « directeur de production » .

[13]     Dans son témoignage, Tibério a voulu faire la preuve de son lien de subordination en indiquant qu'il recevait ses directives de sa mère, qui était, selon lui, la personne qui prenait toutes les décisions importantes. Tibério a indiqué que, lorsqu'il travaillait dans l'atelier, il recevait ses directives des contremaîtresses.

[14]     Selon Tibério, en ce qui concerne les conditions de son emploi, il ne jouissait pas d'un traitement de faveur en raison de son lien de parenté avec sa mère. Il a dit que cette dernière était sévère avec lui, notamment quant à sa présence à l'atelier. S'il n'y avait pas suffisamment de travail, Tibério était mis à pied, tout comme les autres employés. À l'égard de la période de 1990 à 1994, il a estimé, lors de son interrogatoire, que sa rémunération hebdomadaire a varié entre 550 $ et 650 $. Lors de son contre-interrogatoire, il l'a estimée à entre 650 $ et 850 $. Il était payé à la semaine pour des semaines de 40 heures minimum, la moyenne s'établissant plutôt à 45 heures. Ses demandes de prestations d'assurance-chômage indiquent des revenus correspondant à sa deuxième version. Sur sa demande de septembre 1990, son salaire hebdomadaire est indiqué comme étant de 744 $ pour de 40 à 50 heures par semaine. Sur celle du mois d'août 1992, le salaire inscrit est de 850 $ pour une semaine de 55 à 60 heures par semaine. Sur cette même demande de prestations, on indique que le nombre d'heures fournies dans la dernière semaine s'élèvait à 50 heures. Finalement, selon la demande du mois d'août 1994, sa rémunération hebdomadaire s'élevait à 750 $ pour 40 heures par semaine.

[15]     Tibério a indiqué que sa rémunération horaire allait de 14 $ à 18 $ et que cette rémunération se comparait fort bien au salaire versé à des travailleurs de génie industriel, dont le taux horaire allait de 20 $ à 24 $ l'heure. Il a indiqué aussi que le salaire des contremaîtresses allait de 10 $ à 12 $ l'heure. Pareillement, il a estimé que le salaire d'un mécanicien se chiffrait à entre 15 $ et 20 $ l'heure. Toutefois, aucune corroboration de ces données n'a été fournie par quelque témoin que ce soit. La rémunération de 744 $ pour une semaine moyenne de 45 heures[4] représente un taux horaire de 16,53 $. Celle de 850 $ pour 55 heures en moyenne représente un taux horaire de 15,45 $. Et le salaire de 750 $ pour une semaine moyenne de 40 heures représente 18,75 $ l'heure. Aucun livre de paie n'a été produit pour corroborer ces chiffres, en particulier le nombre d'heures de travail. Il est important d'ajouter que le seul document produit comme pièce par les appelants à l'appui de leurs assertions est un rapport médical concernant madame Provost. Pour expliquer l'absence de documents, on a allégué que les documents saisis par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) n'ont pas tous été rendus.

Périodes de chômage de Tibério

[16]     Tibério affirme ne pas avoir eu, entre 1990 et 1995, d'autre source de revenu que son emploi chez Tiva et des prestations d'assurance-chômage[5]. Il n'a donc pas travaillé pour d'autres employeurs. Ses tentatives de trouver un autre emploi sont demeurées infructueuses en raison, selon lui, des conditions économiques existant à l'époque. Par conséquent, on doit comprendre que, durant les périodes non visées par son appel, Tibério était sans emploi et aurait donc obtenu, pendant au moins une partie de ces périodes de chômage, des prestations d'assurance-chômage. La période entre le 31 août 1990 et le 11 novembre 1991 représente 14 mois et demi et celle entre le 24 juillet 1992 et le 7 mars 1994 représente 19 mois et demi (périodes de chômage de Tibério).

[17]     Tibério affirme ne pas avoir fourni de services à Tiva durant ces périodes de chômage, que ce soit avec ou sans rémunération. Tout ce qu'il reconnaît avoir fait c'est des petites commissions pour sa mère, notamment pour faire des dépôts bancaires. Contre-interrogé sur ce qu'avait fait Tiva pour assurer l'entretien et la réparation de la machinerie durant ses périodes de chômage, Tibério a indiqué qu'elle avait engagé des sous-traitants. Il faut mentionner qu'à cette époque, Tiva possédait environ 25 machines et comptait 35 employés, et, selon le témoignage d'Elizabeth, une machine brisait au moins une fois à toutes les deux semaines. Tibério a indiqué que la préparation de la machinerie pour tenir compte des besoins des différentes productions était faite par Nicole. Or, Nicole n'a été présente durant les années 1990 que du mois d'août 1993 à mars 1994.

[18]     Comme motif de sa mise à pied, Tibério a indiqué le manque de travail chez Tiva. Lors de son témoignage, il a fait un long exposé décrivant l'impact de l'Accord de libre-échange sur l'industrie textile. Selon lui, le nombre de travailleurs dans cette industrie est passé de 100 000 dans les années 80 à 60 000 ou 65 000 dans les années 90. Alors qu'avant 1990 les employés pouvaient travailler à temps complet, sauf pendant des courtes périodes pour les changements de saison, il y avait des arrêts de travail plus prolongés durant les années 90. Il a insisté pour dire que cela se passait surtout à l'automne, mais aussi au printemps. Par contre, il ne s'agissait jamais de la même période. Il a dit que cela dépendait des contrats et que les périodes sans travail pouvaient durer de deux semaines à deux mois. Le nombre d'employés de Tiva serait passé de 40 ou 50 durant les années 80 à de 25 à 35 durant les années 90. Madame Provost a reconnu que le nombre pouvait même avoir atteint 40 employés pendant ces années.

[19]     Cette description de Tibério a été contredite par la version donnée par Diane. Selon elle, il y a toujours eu du travail et, s'il y a eu des mises à pied, cela faisait partie du stratagème. La plupart des travailleurs mis à pied continuaient à travailler quand même. D'après Diane, Tibério a toujours continué à travailler pour Tiva. Je rappelle que Diane a été employée de Tiva jusqu'en mars 1993. Ida, qui a été elle-même employée de Tiva jusqu'au 11 décembre 1992, a confirmé que Tibério était là et qu'il ne s'est pas absenté pour des périodes prolongées. Quant à Élizabeth, qui a commencé à travailler chez Tiva au début de 1992 et qui y est restée jusqu'à 1996, elle a confirmé que Tibério était toujours dans le bureau et qu'il était rarement dans l'atelier. Elle a ajouté qu'elle n'a pas été une semaine sans le voir durant sa période chez Tiva.

[20]     Nicole, qui a travaillé pour la seconde fois chez Tiva entre le mois d'août 1993 et mars 1994, a confirmé que Tibério s'occupait de l'administration et des réparations et qu'il a été là tout le temps, sauf pendant une période d'un mois en raison d'un voyage en Europe au mois d'août 1993.

Travail de Francine Provost

[21]     Madame Provost a affirmé avoir travaillé depuis l'âge de 16 ans et a dit avoir comme spécialité de faire fonctionner des machines « spéciales » de finition, à savoir les machines pour les boutons et les poches et la machine à collet. Elle a commencé son emploi chez Tiva en septembre 1984 et a toujours été rémunérée sur une base horaire. Son salaire horaire était de 9 $ en 1990, et de 10,50 $ en 1994 lorsqu'elle travaillait comme secrétaire. Elle devait pointer à chaque jour comme tous les autres employés de Tiva (à l'exception des Massignani), même lorsqu'elle exécutait les tâches de secrétariat. Elle aurait commencé le travail de bureau en 1986 ou 1987, de façon graduelle. Cette période correspond à l'époque où elle a commencé à cohabiter avec Tibério. Comme tâches administratives, elle se serait occupée des payes et des comptes débiteurs et créditeurs. Elle dit que Tiva a acquis un ordinateur en 1990, ce qui aurait grandement augmenté la productivité en ce qui concerne le travail administratif. Ce qui prenait trois jours pouvait désormais ser faire en trois heures. Par conséquent, les secrétaires devaient travailler aussi dans l'atelier. Elle a affirmé avoir fait deux demi-journées de secrétariat par semaine et avoir passé le reste du temps dans l'atelier.

[22]     Selon Diane, l'ordinateur a été acquis plutôt en 1986 ou 1987. Toutefois, en raison du stratagème mis en place durant cette période, il fallait maintenir deux ensembles de registres, dont l'un pour les versements au noir. Dans ce dernier cas, les registres étaient tenus à la main. Il y avait donc assez de travail pour occuper deux secrétaires à temps plein. Elle dit avoir elle-même consacré 90 % de son temps au travail de secrétariat au cours des années 90. Selon Elizabeth[6], madame Provost était toujours dans le bureau. Elle a indiqué que madame Provost aidait sur les machines spéciales peut-être deux fois par mois, quand il y avait un surplus de travail. Selon Nicole, lorsqu'elle était employée par Tiva, soit d'août 1993 à mars 1994, madame Provost ne travaillait pas dans la section administrative de l'atelier mais s'occupait plutôt du contrôle de la productivité.

[23]     Selon madame Provost, Nicole gagnait un salaire horaire de 10,50 $ en 1994. Nicole, par contre, a affirmé n'avoir reçu qu'un salaire d'environ 9 $ l'heure. Selon un décret énonçant les conditions relatives à la rémunération des travailleurs du textile, particulièrement dans le domaine de la confection pour dames, le salaire d'une opératrice de machine ordinaire s'élèvait à 8,95 $ l'heure en 1990 et à 9,63 $ l'heure en 1993.

Périodes de chômage de madame Provost

[24]     On peut constater l'existence de deux périodes non comprises dans les périodes pertinentes de travail de madame Provost; la première, entre le 20 février 1992 et le 1er août 1994, représente 29 mois, et l'autre, celle entre le 9 décembre 1994 et le 10 juillet 1995, représente une période de sept mois[7]. À l'égard de la période de 29 mois, madame Provost a fourni les explications suivantes. Tout d'abord, elle a vécu une dépression sévère à la fin de février 1992, ce qui l'a obligée à être hospitalisée pour une période de deux mois. Lors de son entrevue avec l'agente des appels, elle aurait parlé d'une hospitalisation de quatre mois. Or, une lecture de son dossier médical révèle que son séjour à l'hôpital a duré 44 jours à compter du 4 mars 1992. Madame Provost a indiqué avoir vécu par la suite une convalescence d'une durée d'un an. Mais, la lecture de son dossier médical fait voir qu'au 30 avril 1992 tout allait très bien et qu'au 28 mai 1992, elle faisait des projets de lancement d'un nouveau magasin. Par contre, elle a eu une rechute au mois d'octobre 1992, ce qui l'a obligée à être hospitalisée pendant quatre jours. On a alors diagnostiqué une autre pathologie et on a dû prescrire le médicament approprié. Un suivi régulier s'est effectué tout au long de l'automne.

[25]     Dans son témoignage, madame Provost a indiqué qu'elle avait commencé un retour graduel au travail au mois de mars 1993 et qu'elle avait travaillé à temps plein au cours des mois de juillet, août et septembre 1993. En fait, elle a indiqué qu'elle avait pu reprendre l'ensemble de ses fonctions sur une période de six mois. Cela l'aurait amenée au mois de septembre. Par contre, elle a dit ne pas être certaine si elle avait travaillé après le mois de juillet 1993.

[26]     Dans le rapport médical, on indique, au 11 mars 1993, qu'elle se réinvestit dans son travail. Une note du 15 juillet 1993 indique qu'elle est de retour au travail à temps plein. En mai 1995, dit le rapport médical, elle doit recommencer à prendre le médicament qu'elle avait cessé de prendre en juillet 1993, ce qui a amené une rechute. Au cours du mois d'août, on constate que tout va bien et qu'elle va partir pour cinq semaines de vacances. Il est intéressant de noter que ce voyage a eu lieu quelques semaines après qu'elle eut travaillé sa 20e semaine, celle qui lui manquait pour être admissible aux prestations d'assurance-chômage, soit la semaine du 10 juillet 1995.

[27]     Dans leur témoignage, Diane, Elizabeth et Nicole ont confirmé que dame Provost travaillait à l'atelier de Tiva durant les périodes où elles étaient employées de cette société. Diane et Elizabeth ont reconnu que madame Provost avait été absente en raison de sa santé. En particulier, Elizabeth a reconnu qu'il y avait eu une absence d'un mois. Diane situait cette absence à une époque, soit aux alentours du mois de septembre ou d'octobre 1991, qui précédait d'environ un an et demi son propre départ. Quant à Nicole, son travail a commencé à peu près au moment où madame Provost recommençait à travailler à temps plein.

[28]     Pour expliquer sa période de chômage de sept mois de décembre 1994 à juillet 1995, madame Provost a indiqué qu'il y avait eu un manque de travail chez Tiva. Il ne s'agissait donc pas d'un problème de santé. Elle a indiqué qu'elle n'a pu recevoir de prestations d'assurance-chômage à cette époque puisqu'il lui manquait une semaine pour être admissible, semaine qu'elle a travaillée au cours du mois de juillet 1995. Elle a affirmé ne pas avoir travaillé durant cette période de sept mois de chômage et a dit qu'elle allait très rarement chez Tiva. Elle n'a donc rendu aucun service à Tiva au cours de cette période. Pourtant, Elizabeth a indiqué que, durant cette même période, madame Provost était toujours dans le bureau. Madame Provost a reconnu par contre avoir travaillé de janvier 1996 à mai 1996[8], moment où la perquisition a été effectuée par la GRC.

[29]     Dans son témoignage, l'agente des appels a indiqué qu'en plus des dossiers des appelants, elle avait traité celui de Vladimiro pour les périodes suivantes : du 20 mai 1990 au 19 octobre 1990, du 7 septembre 1992 au 12 février 1993 et du 9 mai 1994 au 12 décembre 1994. Un peu avant l'audition des appels de Tibério et de madame Provost, Vladimiro a informé la Cour qu'il se désistait de son appel, qui devait être entendu en même temps que les appels de ceux-là. L'agente des appels a relevé le fait que ni madame Provost, ni Tibério ni Vladimiro n'a été employé par Tiva à quelque moment que ce soit pendant toute l'année 1993, à l'exception du mois de janvier et de deux semaines en février pour Vladimiro. Pourtant, cette année-là, Tiva avait un chiffre d'affaires de 637 000 $. Le chiffre d'affaires avait été de 1 013 000 $ pour l'année 1992 et de 656 000 $ en 1994. Selon l'agente des appels, le contrat de travail des appelants ne constituait pas un contrat d'emploi véritable en raison de leur participation au stratagème. Lorsque je lui ai demandé quelle analyse des modalités du contrat de travail des appelants elle avait faite aux fins de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage (Loi), elle s'est contentée de réitérer qu'il n'y avait pas de contrat de travail véritable. Elle a reconnu qu'elle n'avait pas fait d'analyse détaillée de ces modalités, quoiqu'il soit fait mention de cet alinéa dans la décision elle-même.

Position des parties

[30]     Le procureur des appelants soutient que les témoins indépendants entendus à l'audience, tout comme l'agente des appels dans ce dossier, ont été indûment influencés par le stratagème qui a été mis en place par Tiva. Ces témoins, qui ont participé au stratagème, n'ont-ils pas rendu des services en vertu d'un contrat de louage de services? Il ne comprend pas pourquoi on conclurait qu'il faut en arriver à une conclusion différente dans le cas des appelants. En ce qui a trait aux modalités de la rémunération de ces derniers, il soutient qu'elles n'étaient pas différentes de celles des autres employés ou de gens travaillant dans des conditions similaires dans d'autres entreprises. Par conséquent, les conditions d'emploi auraient été les mêmes, même s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre les appelants et Tiva. Il reconnaît par contre que, si j'en venais à la conclusion que les appelants avaient travaillé sans rémunération ou pour une rémunération moindre durant leur période de chômage, il faudrait conclure qu'il ne s'agit pas de conditions raisonnables que des tiers auraient acceptées.

[31]     Le procureur soutient que madame Provost n'a pas travaillé sans rémunération pour Tiva durant ses périodes de chômage. Il rappelle qu'elle a d'abord cessé d'occuper son emploi à la fin de février 1992 en raison de son état de santé. De plus, il prétend que madame Provost a travaillé pour sa propre société à numéro durant les autres périodes, en particulier celle de janvier 1994 à mars 1994, bien que Nicole ait déclaré dans son témoignage que madame Provost était là tout le temps qu'elle travaillait elle-même chez Tiva.

[32]     La procureure de l'intimée soutient que les contrats de travail liant les appelants à Tiva ne constituaient pas des contrats véritables de travail. Elle s'est fondée sur plusieurs décisions jurisprudentielles et notamment sur les extraits suivants tirés de la décision du juge Tardif dans l'affaire Thibeault c. Canada, [1998] A.C.I. no 690 (Q.L.) :

20         Pour bénéficier de l'assurance-chômage maintenant appelée assurance-emploi, le travail exécuté doit l'être dans le cadre d'un véritable contrat de louage de services. Pour qualifier un contrat de travail, la jurisprudence a identifié les critères suivants : lien de subordination donnant au payeur un pouvoir de contrôle sur le travail exécuté par le salarié, chance de profits et risque de pertes, propriété des outils et intégration.

21         L'application de ces critères aux faits disponibles facilite évidemment l'exercice de qualification. Par contre, il est tout aussi important qu'il s'agisse d'un véritable travail faute de quoi l'exercice visant à appliquer les critères est tout à fait inutile.

22         Un véritable emploi est un emploi rémunéré selon les conditions du marché et qui contribue de façon réelle et positive à l'avancement et au développement de l'entreprise qui assume le salaire payé en contrepartie du travail exécuté. Il s'agit là d'éléments essentiellement économiques laissant peu ou pas de place à la générosité, à la compassion.

[...]

29         Certes, il n'est ni illégal, ni répréhensible d'organiser ses affaires pour profiter de la mesure sociale qu'est le régime de l'assurance-chômage, à la condition expresse que rien ne soit maquillé, déguisé ou organisé et que la venue des bénéfices surviennent [sic] à la suite d'événements sur lesquels le bénéficiaire n'a pas le contrôle. Lorsque l'importance du salaire ne correspond pas à la valeur économique des services rendus, lorsque les débuts et les fins des périodes s'avèrent coïncider avec la fin de la période de paiement et la durée de la période de travail coïncidant à son tour, avec le nombre de semaines requises pour se qualifier à nouveau, cela a pour effet de soulever des doutes très sérieux sur la vraisemblance du contrat de travail. Lorsque les hasards sont nombreux et exagérés, cela risque de créer une présomption à l'effet que les parties ont convenu d'un arrangement artificiel pour permettre aux parties de profiter des bénéfices.

30         En l'espèce, non seulement les coïncidences sont importantes et très nombreuses, l'importance du salaire n'a jamais été justifiée de façon convenable et raisonnable.

[33]     La procureure fait remarquer que cette décision avait été confirmée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Coopérative forestière de Girardville c. M.R.N., dossier A-587-98, le 15 juin 2000. Dans une décision de deux paragraphes, madame la juge Desjardins indique que le juge s'était correctement interrogé sur la question de savoir s'il existait un emploi véritable entre le prestataire et la Coopérative. Elle conclut que la décision faisant l'objet des demandes de contrôle judiciaire ne révélait aucun caractère déraisonnable. La Cour d'appel fédérale a donc rejeté les demandes de contrôle judiciaire.

[34]     Finalement, la procureure de l'intimé invoque la décision rendue par mon collègue le juge Dussault dans l'affaire Carpentier c. Canada, [1995] A.C.I. no 279 (Q.L.), décision dans laquelle il s'est référé à l'approche adoptée par notre collègue la juge Lamarre Proulx dans l'affaire Gauthier c. Canada., [1993] A.C.I. no 109 (Q.L.)[9]. Je cite en particulier le paragraphe 9 des motifs du juge Dussault :

Dans l'affaire Gauthier, le juge Lamarre Proulx de cette cour affirmait qu' « il est de l'essence de la Loi qu'elle assure des emplois véritables » . À cet égard, il convient d'examiner l'ensemble des circonstances, notamment le travail effectué et la rémunération convenue, pour déterminer si un véritable contrat de louage de services existe entre les parties ou si le contrat d'emploi soumis représente véritablement les relations qu'elles ont décidé d'avoir entre elles. Je tiens également à souligner qu'il est clairement établi qu'il revient à un appelant ou à une appelante de démontrer, par prépondérance des probabilités, qu'un tel contrat existe lorsqu'il est contesté par l'intimé.

[Je souligne.]

[35]     Finalement, la procureure soutient que l'un des éléments nécessaires à la validité d'un contrat de travail n'était pas présent, puisqu'il y avait une cause ou une considération illicite. Elle se fonde en particulier sur l'article 984 du Code civil du Bas-Canada (C.c.B.-C.). De plus, en vertu de l'article 990 C.c.B.-C., la considération est illégale quand elle est prohibée par la loi ou contraire aux bonnes moeurs ou à l'ordre publique. Dans le nouveau Code civil du Québec (C.c.Q.) (en vigueur depuis le 1er janvier 1994), il y a l'article 1411 qui édicte qu'est nul le contrat dont la cause est prohibée par la loi ou contraire à l'ordre publique. À l'article 1417 C.c.Q., on indique que la nullité d'un contrat est absolue lorsque la condition de formation qu'elle sanctionne s'impose pour la protection de l'intérêt général. Aux termes de l'article 1418 C.c.Q., « la nullité absolue d'un contrat peut être invoquée par toute personne qui y a un intérêt né et actuel; le tribunal la soulève d'office . Le contrat frappé de nullité absolue n'est pas susceptible de confirmation. »

[36]     La procureure de l'intimée cite aussi à l'appui de sa position la décision Isidore c. Canada, [1997] A.C.I. no 463 (Q.L.), que j'ai rendue le 23 mai 1997. Dans cette affaire, il s'agissait d'un contrat de travail entre une entreprise canadienne et deux citoyens d'un pays étranger. Les autorités canadiennes avaient refusé au premier le statut de réfugié. Quant au deuxième, il était dans l'attente d'une décision du service de l'immigration sur son cas. J'ai conclu aussi que, en raison de la présence d'une cause illicite, ces personnes n'avaient pas rendu des services en vertu d'un contrat validement constitué. J'ai conclu aussi que travailler au Canada sans le permis de travail qu'exige l'article 18 du Règlement sur l'immigration de 1978, pris en vertu de la Loi sur l'immigration, constituait un objet prohibé par la loi et contraire à l'ordre publique. Par conséquent, les contrats en question étaient nuls et sans effet.

[37]     La procureure de l'intimée cite en dernier lieu la décision de la Cour supérieure du Québec rendue dans l'affaire Office de la construction du Québec c. Corporation municipale de Paspébiac, [1980] C.S. 70. Pour comprendre la décision, il est important de résumer brièvement les faits les plus pertinents :

Les travaux ayant été suspendus par manque de fonds, le comité de l'Aréna a conçu le projet de faire travailler les nombreux ouvriers de la construction de la localité en chômage, en payant les timbres d'assurance-chômage pour leur permettre de retirer ultérieurement des prestations.

Il faut dire que ce projet n'a jamais été entériné officiellement par le conseil municipal, mais le maire et les membres du conseil individuellement étaient au courant du procédé, de même que le secrétaire de la municipalité.

Effectivement, une liste de paye a été préparée suivant les normes requises avec les déductions normales, sauf l'impôt provincial et fédéral. Des timbres d'assurance-chômage furent apposés dans les livres des ouvriers.

Un chèque était émis au nom de chacun des employés pour chaque semaine de travail et chaque employé l'endossait et le remettait à la municipalité.

[38]     Je commenterai ici cette décision. À bon droit, je crois, la Cour supérieure a conclu qu'il n'y avait pas de véritable contrat de travail, mais qu'il s'agissait plutôt de la prestation d'un service à titre bénévole. La Cour supérieure en est venue à la conclusion que le travail bénévole n'était pas assujetti au décret québécois relatif à la construction. De façon subsidiaire, la Cour a indiqué que, si ce n'était pas un travail bénévole, il s'agissait d'un contrat radicalement nul et n'ayant aucune existence juridique. De l'avis du juge, c'était un contrat fondé sur une considération illégale visé à l'article 989 C.c.B.-C. Selon l'article 13 C.c.B.-C., on ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public ou les bonnes moeurs. Vu la conclusion qu'il n'y avait pas eu de rémunération versée en vertu de l'entente entre les ouvriers et la municipalité, il s'agissait d'un arrangement qui violait les dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage. À la page 72, le juge écrit :

En effet, l'emploi qu'ils ont occupé n'est pas un emploi assurable au sens de l'article 25 de la Loi sur l'assurance-chômage. En effet, pour qu'il y ait emploi assurable, il faut qu'une rémunération soit payée par l'employeur ou quelqu'un d'autre.

[39]     À mon avis, il est clair que, dans cette affaire-là, les parties n'avaient jamais conclu de contrat de travail. En effet, il n'avait jamais été question qu'il y ait versement véritable d'une rémunération. Par conséquent, le contrat qu'on avait mis en place n'était qu'un simulacre. Comme il ne s'agissait pas d'un contrat de travail, on ne pouvait bénéficier de l'application du décret relatif à l'industrie de la construction dans la province de Québec pour réglementer ce contrat qui n'était pas un contrat de travail. Le seul but du simulacre était de rendre illicitement les travailleurs admissibles à des prestations d'assurance-chômage.

Analyse

Existence du contrat de travail

[40]     Selon une jurisprudence bien établie, les appelants ont le fardeau de démontrer qu'ils occupaient un emploi assurable durant les périodes pertinentes. L'alinéa 3(1)a) de la Loi dispose qu'un emploi assurable est un emploi exercé en vertu d'un contrat de louage de services (contrat de travail). Comme la Loi ne définit pas ce type de contrat, il faut se reporter à la loi du Québec, la province où est intervenu le contrat entre les appelants et Tiva. Pour la période de 1990 à 1993, il faut se référer au Code civil du Bas-Canada et, en particulier, à l'article 1665a), où se trouve une définition qui vise à la fois le contrat de travail et le contrat de service. Il faut donc se tourner vers la doctrine et la jurisprudence pour établir la distinction entre ces deux types de contrats.

[41]      Dans Droit du Travail[10], Robert P. Gagnon propose cette notion du contrat de travail :

Le contrat de travail est donc celui par lequel une personne (l'employé) s'engage à travailler pour un certain temps pour une autre (l'employeur), sous sa direction et moyennant rémunération. Le contrat n'est assujetti à aucune forme particulière. Il peut être aussi bien verbal qu'attesté par un écrit plus ou moins élaboré, qu'il s'agisse d'un aménagement détaillé des obligations réciproques des parties ou de la signature d'une simple formule d'embauchage.

[42]      Il n'est pas toujours facile de distinguer le contrat de travail du contrat de service. Il existe plusieurs similitudes entre les deux. Dans les deux cas, une personne peut s'engager à fournir un service en contrepartie d'une rémunération pour une période indéterminée. Qu'est-ce qui distingue fondamentalement ces deux contrats? Monsieur le juge Rinfret de la Cour suprême du Canada nous fournit la réponse dans Quebec Asbestos Corp. v. Couture[11] :

Le contrat que nous avons à interpréter ne réservait pas à Quebec Asbestos Corporation le droit de donner à Couture des ordres et des instructions sur la manière de remplir les fonctions qu'il avait acceptées. C'est ce droit qui fonde l'autorité et la subordination sans laquelle il n'existe pas de véritable commettant [...]

[Je souligne.]

[43]      Monsieur le juge Pigeon adopte la même approche dans l'affaire Hôpital Notre-Dame et Théoret c. Laurent[12]. Dans Gallant c. M.R.N.[13], le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale abonde dans le même sens tout en apportant une précision importante :

[...] Ce qui est la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions.

[Je souligne.]

[44]         Pour les périodes pertinentes postérieures au 31 décembre 1993, il faut se reporter au nouveau Code civil du Québec qui, aux articles 2085 à 2097, établit le régime de droit commun en matière d'emploi. L'article 2085 C.c.Q. donne la définition suivante du contrat de travail :

Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

                                                          [Je souligne.]

[45]         Comme on peut le noter, les éléments essentiels à l'existence d'un contrat de travail sont identiques à ceux qu'avaient reconnus la doctrine et la jurisprudence dans le passé, à savoir : i) la prestation d'un service, ii) le paiement d'une rémunération et iii) l'existence d'un lien de subordination.

[46]      Par ailleurs, ce n'est pas parce que les parties ont qualifié leur entente de contrat de travail ou qu'ils ont effectué des retenues à la source qu'il faut conclure qu'il s'agit nécessairement d'un contrat de travail. Pour déterminer la véritable nature d'une relation contractuelle entre les parties, il faut se fonder sur l'ensemble des faits[14].

[47]      Comme c'est souvent le cas dans ce genre d'appel, les prestataires d'assurance-chômage ont planifié leurs affaires de manière à être admissibles aux prestations prévues par la Loi. Mais comme l'a reconnu la Cour d'appel fédérale, ce fait n'empêche pas nécessairement que des emplois soient assurables; toutefois, notre Cour a le devoir de s'assurer que les conditions établies par la Loi sont réunies. C'est ce qu'a affirmé Monsieur le juge Hugessen dans Canada (Procureur général) c. Rousselle, [1990] A.C.F. no 990 (Q.L.), à la page 2 du jugement :

Ce n'est pas d'exagérer je crois, à la lumière de ces faits, que de dire que si les intimés ont exercé un emploi, il s'agissait bien d'un emploi "de convenance" dont l'unique but était de leur permettre de se qualifier pour des prestations d'assurance-chômage. Certes, ces circonstances n'empêchent pas nécessairement que les emplois soient assurables mais elles imposaient à la Cour canadienne de l'impôt l'obligation de scruter avec un soin particulier les contrats en cause; [...]

[Je souligne.]

[48]      De plus, dans l'affaire Navennec c. Canada (M.R.N.), [1992] A.C.F. no 1005 (Q.L.), Madame la juge Desjardins a affirmé, au nom de la Cour d'appel fédérale, que les critères établis par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, s'appliquaient en matière d'assurance-chômage :

Dans Stubart, la question, il est vrai, était de savoir si dans le but avoué de réduire ses impôts, une société pouvait conclure une entente par laquelle ses profits futurs étaient passés à une filiale-soeur dans le but de se prévaloir du report des pertes de cette dernière. Mais les principes demeurent applicables en l'espèce alors qu'il s'agit de déterminer si le requérant n'a pas, somme toute, arrangé ses affaires de façon à pouvoir percevoir des prestations d'assurance-chômage.

[Je souligne.]

[49]      Il faut se rappeler que, dans Stubart, à la page 575, la Cour suprême a rejeté « la proposition selon laquelle il est possible d'écarter une opération du point de vue fiscal uniquement parce que le contribuable l'a faite sans but commercial distinct ou véritable » . Voici comment Madame la juge Desjardins a appliqué les critères de Stubart dans l'affaire Navennec :

Les parties en l'espèce sont liées. Mais ce qui importe est d'établir si, par leurs conventions, elles ont fait ce qu'elles ont dit vouloir faire. Le requérant entendait-il effectivement faire de la société une entreprise familiale ou s'est-il gardé le contrôle? Sa conjointe et ses enfants avaient-ils effectivement l'intention d'acquitter leurs billets promissoires par les profits qu'ils tireraient de l'entreprise ou par d'autres revenus? Ou n'ont-ils jamais eu cette intention? S'est-il agi d'obligations juridiques claires et exécutoires? Ou s'agit-il d'un trompe-l'oeil?

[50]     Je retiens de ces deux décisions de la Cour d'appel fédérale qu'un emploi qui n'est pas un trompe-l'oeil et qui remplit toutes les conditions énoncées au Code civil du Québec constitue un contrat de travail véritable aux fins de la Loi, et ce, même si ce contrat de travail visait à rendre une personne admissible à des prestations d'assurance-chômage. Toutefois, cette Cour a l'obligation de scruter avec soin l'entente existant entre les parties - ici les appelants et Tiva - pour s'assurer qu'un véritable contrat de travail existe. J'ajoute que c'est à la lumière de ces principes qu'il faut interpréter la portée des motifs de mes collègues Tardif et Dussault.

[51]     La première question qu'il faut résoudre ici est donc de savoir si le contrat liant les appelants à Tiva constituait véritablement un contrat de travail. Tel qu'il est mentionné plus haut, les trois éléments essentiels à l'existence du contrat de travail sont : la prestation d'un service, le paiement d'une rémunération et l'existence d'un lien de subordination. Ici, il n'a jamais été mis en doute que les appelants, lorsqu'ils travaillaient durant les périodes pertinentes, fournissaient à Tiva une prestation de services. Il n'a jamais été allégué que les appelants ne recevaient pas de rémunération pour les services qu'ils fournissaient. Plusieurs témoins ont confirmé que Tibério était le directeur de la production chez Tiva et que madame Provost faisait généralement du travail de secrétariat et pouvait à l'occasion fournir des services d'opératrice de machines spéciales. L'intimé a produit les relevés d'emploi et les demandes de prestations d'assurance-chômage indiquant la rémunération que les appelants ont reçue durant les périodes pertinentes. Dans son témoignage, l'agente des appels n'a jamais indiqué qu'elle ne croyait pas que cette rémunération avait été versée aux appelants.

[52]     Finalement, compte tenu des tâches exécutées par chacun des appelants et des circonstances dans lesquelles elles l'ont été, je n'ai aucune hésitation à conclure qu'il existait un lien de subordination. Je ne crois pas que Tibério recevait, comme il le prétend, des directives des contremaîtresses pour le travail qu'il effectuait dans les ateliers. Je crois plutôt que Tiva, par l'intermédiaire de madame Massignani, la détentrice de toutes les actions ordinaires de Tiva et, selon toute probabilité, l'administratrice de cette société, avait le pouvoir d'exercer, si elle le désirait, un contrôle sur les activités de Tibério[15]. Même s'il avait été établi, ce qui n'est pas le cas, que Tibério a agi comme président de Tiva et qu'il en était administrateur, je n'aurais aucune hésitation non plus à conclure qu'il pouvait être à la fois un administrateur et un employé de la société. (Voir en particulier la décision rendue par la Chambre des Lords dans Catherine Lee v. Lee's Air Farming Ltd., [1961] A.C. 12 (P.C.)). En ce qui a trait à madame Provost également, je n'ai aucun doute que les services qu'elle rendait ont été rendus sous la direction et le contrôle de Tiva, exercés par l'intermédiaire soit de madame Massignani, soit de Tibério en sa qualité de directeur de la production.

[53]     Ici, les trois éléments essentiels à l'existence d'un contrat de travail sont réunis : il y a eu une prestation de services par les appelants en faveur de Tiva; cela s'es fait sous la direction de Tiva, et un salaire a été versé par Tiva pour leurs services.

[54]     Reste à déterminer si les conditions essentielles applicables à tous les contrats ont également été remplies, c'est-à-dire qu'il faut déterminer notamment si les parties avaient la capacité légale de contracter, si le consentement a été donné légalement, si le contrat avait un objet et s'il y avait une cause ou une considération licite. Ici, la procureure de l'intimé soutient que seule la dernière condition n'a pas été remplie, car il y avait dans le cas des contrats de travail des appelants une cause ou une considération illicite. À mon avis, il n'y avait pas de telle considération dans ces contrats de travail. Contrairement à ce que croit la procureure de l'intimé, la cause ou la considération des contrats n'était pas l'obtention illégale des prestations d'assurance-emploi. La considération était ici, pour Tiva, la prestation de services, et, pour les appelants, le salaire. Le but que les parties ont voulu atteindre, à savoir participer à l'exploitation d'une entreprise et gagner de l'argent pour subvenir à leurs besoins, était tout à fait légitime et licite.

[55]     Pour utiliser les mots qu'a employés mon collègue le juge Tardif dans Thibeault, il existe ici un contrat véritable puisqu'il y a eu une contribution « réelle et positive à l'avancement et au développement de l'entreprise » . Si on avait versé un salaire à quelqu'un qui n'avait rien à faire pour l'entreprise[16] ou à qui on demandait de faire un travail qui n'avait aucune utilité pour l'entreprise, dans le seul but de lui permettre de recevoir des prestations d'assurance-chômage, dans un tel cas il faudrait conclure à l'inexistence d'un contrat de travail véritable. Le fait de fournir une prestation de services utile à une entreprise sans aucune rémunération, comme cela s'est fait dans l'affaire Municipalité de Paspébiac, empêche la formation d'un contrat véritable de travail, puisqu'il manque alors un des éléments essentiels à l'existence d'un tel contrat, à savoir une rémunération. Le travail bénévole ne peut faire l'objet d'un contrat de travail, puisque, par définition, un contrat de travail requiert un travail rémunéré. Ici, je le répète, il n'a jamais été mis en doute que Tiva a bénéficié de services ayant contribué au développement de son entreprise et que les appelants ont reçu un salaire pour leurs services durant les périodes pertinentes.

[56]     Il est vrai que Tiva s'était embarquée dans un stratagème illicite visant à se faire subventionner par le biais de prestations d'assurance-chômage pour une partie de la rémunération qu'elle devait à ses employés. Or, comme le rappelait la Cour suprême du Canada dans Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada) c. Gagnon, [1988] 2 R.C.S. 29, à la page 37, le but premier et essentiel de la Loi est de fournir aux personnes qui se trouve involontairement sans emploi un moyen de subsistance jusqu'à ce qu'elles réintègrent le marché du travail. Par conséquent, il est clair que le but de la Loi n'est pas d'accorder une subvention destinée à couvrir une partie du salaire versé pour des services rendus.

[57]     Le but poursuivi par Tiva était évidemment illicite, mais il n'était ni la cause ni la considération du contrat de travail intervenu entre elle et les appelants. Ce n'est pas parce que Tiva aurait dévalisé une banque pour verser le salaire à ses employés qu'il faudrait conclure que ces derniers n'étaient pas liés par un contrat de travail. Un tribunal ne pourrait, à mon avis, refuser à ces employés le droit de recouvrer leur salaire si l'employeur ne l'avait pas versé. Bien évidemment, la situation serait tout autre si la prestation de services de ces employés avait consisté à participer au vol de banque. Ici, le travail des employés de Tiva était la confection de vêtements et non l'obtention illicite de prestations d'assurance-chômage de DRH. Tous les témoins indépendants ont reconnu qu'ils n'avaient pas remis à Tiva l'argent obtenu de DRH. Le stratagème se trouve donc en dehors du régime contractuel du contrat de travail, il constitue un arrangement tout à fait indépendant du contrat de travail. Par conséquent, les contrats entre les appelants et Tiva constituent de véritables contrats de travail.

[58]     Par contre, même s'il s'agit de contrats de travail véritables, cela ne signifie pas nécessairement que les emplois sont assurables au sens de la Loi. En effet, le paragraphe 3(2) de la Loi prévoit des exclusions. Voici ce que prévoit l'alinéa 3(2)c) :

(2)         Les emplois exclus sont les suivants :

c)          sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i)          la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii)         l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputées ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

                                                                   [Je souligne.]

[59]     Il s'agit là du deuxième motif invoqué par l'intimé dans sa Réponse à l'avis d'appel. Tel que l'édicte l'alinéa 3(2)c) de la Loi, il faut se référer à la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi de l'impôt) pour déterminer s'il existait entre les appelants et Tiva un lien de dépendance. C'est le paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt qui est pertinent. Ce paragraphe est ainsi conçu :

251(1) Lien de dépendance - Pour l'application de la présente loi :

a)          des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

b)          la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

[Je souligne.]

[60]     Pour déterminer qui sont des personnes liées, on doit se référer au paragraphe 251(2) de la Loi de l'impôt, qui édicte :

251(2) Définition de « personnes liées » - Pour l'application de la présente loi, sont des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles :

a)          des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption;

b)          une société et :

(i)          une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne,

[...]

[Je souligne.]

[61]     Finalement, il faut mentionner qu'en vertu du paragraphe 252(4) de la Loi de l'impôt, tel qu'il existait durant les périodes pertinentes postérieures à 1992, un conjoint de fait était assimilé à un conjoint marié. Le paragraphe 252(4) était ainsi conçu[17] :

252(4) Dans la présente loi :

a)          les mots se rapportant au conjoint d'un contribuable à un moment donné visent également la personne de sexe opposé qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et a vécu ainsi durant une période de douze mois se terminant avant ce moment ou qui, [...]

b)          la mention du mariage vaut mention d'une union conjugale entre deux particuliers dont l'un est le conjoint de l'autre par l'effet de l'alinéa a);

c)          les dispositions applicables à une personne mariée s'appliquent à la personne qui est le conjoint d'un contribuable par l'effet de l'alinéa a);

d)          les dispositions applicables à une personne non mariée ne s'appliquent pas à la personne qui est le conjoint d'un contribuable par l'effet de l'alinéa a).

[Je souligne.]

[62]     En vertu des dispositions précitées de la Loi de l'impôt, il est donc clair que Tibério, étant le fils de la personne qui contrôlait Tiva, était lié à Tiva et que, par conséquent, il existait un lien de dépendance entre lui et cette société durant ses périodes pertinentes. Dans le cas de madame Provost, cette conclusion ne s'applique qu'à partir du 1er janvier 1993, puisque c'est à cette date que cette dernière, quoiqu'étant la conjointe de fait de Tibério depuis 1986, est devenue une personne liée au sens de la Loi de l'impôt. Pour la période antérieure à 1993, elle n'était pas une personne liée, puisqu'elle n'était pas liée à Tibério par les liens du mariage. Il faut plutôt s'interroger, à l'égard de cette période, s'il existait alors un lien de dépendance de fait entre madame Provost et Tiva.

[63]     Aux fins de l'application de l'alinéa 3(2)c) de la Loi à madame Provost, il faut donc distinguer selon qu'il s'agit de la période avant 1993 et la période postérieure à 1992. Pour la période postérieure à 1992, madame Provost était une personne liée à Tibério et à madame Massignani et, par conséquent, à Tiva. Tout comme l'emploi de son conjoint de fait pour cette période, celui de madame Provost est donc un emploi exclu en raison du lien de dépendance qui existait entre elle et Tiva. Or, dans le cas de personnes liées entre elles, comme les appelants et Tiva, le sous-alinéa 3(2)c)(ii) donnait au ministre le pouvoir de les considérer comme n'ayant aucun lien de dépendance entre elles, s'il était convaincu qu'il était raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[64]     Toutefois, notre Cour a le devoir de s'assurer que la décision du ministre a résulté d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. La Cour d'appel fédérale a eu l'occasion de préciser à plusieurs reprises ce rôle, notamment dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Jencan Ltd., [1998] 1 C.F. 187, [1997] A.C.F. 876 (Q.L.). Au paragraphe 31, le juge en chef Isaac (c'était alors son titre) écrit :

L'arrêt que notre Cour a prononcé dans l'affaire Tignish, précitée, exige que, lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l'impôt procède à une analyse à deux étapes. À la première étape, la Cour de l'impôt doit limiter son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n'est que lorsqu'elle conclut que l'un des motifs d'intervention est établi que la Cour de l'impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre.

[Je souligne.]

[65]     Le même juge décrit plus loin, au paragraphe 37 de la décision, les motifs spécifiques justifiant l'intervention de notre Cour :

[...] La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) - en examinant le bien-fondé de cette dernière - lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre: (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[66]      Dans Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878 (Q.L.), la Cour d'appel fédérale a senti le besoin de préciser à nouveau sa pensée sur l'approche à suivre dans l'application de l'alinéa 3(2)c) :

3    Les principes applicables pour la solution de ces problèmes ont été abondamment discutés, encore qu'apparemment, à en juger par le nombre de litiges soulevés et les opinions exprimées, leur exposé n'ait pas toujours été pleinement compris. Pour les fins des demandes qui sont devant nous, nous voulons reprendre, en des termes qui pourront peut-être rendre plus compréhensibles nos conclusions, les principales données que ces multiples décisions passées permettent de dégager.

4    La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.   

[Je souligne.]

[67]     Selon le témoignage de l'agente des appels - et contrairement à ce qui est indiqué dans la décision du ministre -, il est évident que le ministre n'a pas exercé ici le pouvoir discrétionnaire que lui attribuait le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi. Il s'est vraiment contenté de conclure à l'inexistence d'un contrat véritable d'emploi. Par conséquent, comme il n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée, il revient à la Cour de déterminer si les conditions d'emploi auraient été les mêmes n'eût été le lien de dépendance qui existait entre les appelants et Tiva.

[68]     Il est approprié à ce stade de commenter les conditions de rémunération de Tibério et de madame Provost. De façon générale, la rémunération qu'a reçue Tibério peut être considérée comme raisonnable, puisqu'il n'est pas inhabituel de rémunérer un gestionnaire sur une base hebdomadaire et qu'un taux horaire variant entre 14 $ et 18 $ ne me paraît pas disproportionné dans les circonstances. Il n'y a pas de preuve pour contredire l'assertion que Tibério travaillait entre 40 et 60 heures par semaine, quand il travaillait. Si les tâches de Tibério avaient été uniquement celles qu'il a lui-même décrites, à savoir s'occuper de l'entretien et de la réparation de la machinerie, faire la livraison du matériel et des tissus, ainsi que voir au contrôle de la productivité, je n'aurais pas été nécessairement enclin à en venir à la même conclusion. J'aurais été plutôt enclin à croire qu'un employeur aurait voulu rémunérer de tels services en tenant compte des heures réellement travaillées pour l'entreprise, c'est-à-dire sur une base horaire. Ici, un employé ayant de telles tâches et n'ayant aucun lien de dépendance avec Tiva aurait eu à pointer comme le faisaient tous les autres salariés de Tiva. Mais, ayant conclu que le travail de Tibério consistait essentiellement dans la gestion de la production et qu'il est habituel de rémunérer un tel travail sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle, j'en viens à la conclusion que les conditions de rémunération étaient raisonnables, dans la mesure, évidemment, où durant ses périodes de chômage, Tibério ne travaillait pas sans rémunération ou pour une rémunération moindre.

[69]     Tel qu'il a déjà été mentionné, son procureur convient que, si j'en venais à la conclusion que Tibério a travaillé durant ses périodes de chômage sans aucune rémunération ou pour une rémunération moindre, il faudrait conclure que les conditions requises par le sous-alinéa 3(2)c)(ii) ne sont pas réunies ici.

[70]     Avant de traiter cette question, j'aimerais commenter la rémunération reçue par madame Provost. La preuve a révélé que madame Provost était rémunérée à l'heure et, contrairement à son conjoint de fait, devait de justifier ses heures en pointant à son arrivée et à son départ, comme devaient le faire d'ailleurs tous les autres employés de Tiva, à l'exception des Massignani. De plus, le tarif horaire qu'elle affirme avoir reçu ne m'apparaît pas disproportionné par rapport au salaire versé par l'entreprise à ses autres travailleuses durant la période pertinente. Par conséquent, dans la mesure où madame Provost n'a pas travaillé pour Tiva pour un salaire moindre ou sans salaire durant ses périodes de chômage, je devrais conclure que ses conditions de rémunération étaient semblables à celles d'une personne n'ayant aucun lien de dépendance avec l'employeur.

[71]     Essentiellement, l'issue des appels des appelants dépend de la détermination si ces derniers ont effectivement travaillé sans rémunération ou pour une faible rémunération durant leurs périodes de chômage.

Emploi de Tibério

[72]     Traitons d'abord du cas de Tibério. À mon avis, l'ensemble de la preuve de l'intimée contredit clairement celle que Tibério a présentée à l'audience. Contrairement à ses affirmations qu'il n'a pas travaillé durant ses périodes de chômage, quatre témoins indépendants ont confirmé que Tibério était toujours présent, sans période d'absence prolongée, à l'époque où ils étaient employés par Tiva. Nicole a bien reconnu que Tibério avait été absent pendant un mois en 1993, mais a dit que le reste du temps, il était là. Les témoignages de Diane, d'Ida et d'Elizabeth vont dans le même sens.

[73]     Le procureur des appelants a bien tenté de mettre en doute la valeur probante du témoignage de Diane en lui faisant reconnaître qu'elle avait participé au stratagème et qu'elle s'est approprié de façon illégale des sommes d'argent appartenant à l'employeur pour lequel elle a travaillé après avoir quitté Tiva en mars 1993. Par contre, j'ai trouvé qu'elle a répondu avec franchise à toutes les questions que lui a posées ce procureur. De plus, ce n'est pas parce qu'une personne a volé son employeur qu'il faut nécessairement conclure qu'elle a menti en tant que témoin. Il faut évidemment que la Cour examine avec plus de prudence le témoignage d'une telle personne.

[74]     En ce qui me concerne, je n'ai aucune raison de douter de la crédibilité de ce qu'a relaté Diane au sujet du stratagème mis sur pied par Tiva et ses cadres supérieurs. L'existence de ce stratagème est d'ailleurs confirmée par Tibério, qui a reconnu lui-même avoir plaidé coupable d'y avoir participé pour ce qui est de la rémunération versée aux employés de Tiva. De plus, le témoignage de Diane est corroboré par celui des trois autres témoins indépendants.

[75]     Vient également appuyer ma conclusion le fait que Tibério a été, selon ses dires, en chômage pendant de très longues périodes, la première de 14 mois et demi et la deuxième de 19 mois et demi, durant lesquelles il aurait été absent des locaux de Tiva et n'aurait pas rendu de services à celle-ci. Or, pendant ces périodes, Tiva avait un chiffre d'affaires tout à fait respectable. Il serait fort surprenant que Tibério, ayant convaincu les autres employés de Tiva de participer au stratagème, ne l'ait pas fait lui-même. Tibério était le directeur de production de l'entreprise, qui, à cette époque, comptait entre 25 et peut-être 40 employés. C'est lui qui prétend avoir été responsable de la réparation des machines utilisées par le personnel, machines qui, selon Ida, tombaient en panne au moins une fois toutes les deux semaines.

[76]     La version fournie par Tibério ne m'apparaît pas crédible. À plusieurs reprises, elle a été contredite par celles des autres témoins. C'est le cas notamment de son affirmation que, durant les années 90, l'entreprise devait faire des arrêts de travail plus longs, surtout à l'automne, mais aussi au printemps. Comment se fait-il d'ailleurs que Tibério n'était pas employé par Tiva pendant des périodes de 14 mois et demi et de 19 mois et demi, alors que, selon son propre témoignage, l'entreprise n'a pas eu des arrêts de travail aussi longs? Les arrêts qu'il y a eu allaient de deux semaines à deux mois. De toute façon, le témoignage de Diane est clair à cet égard : les employés participant au stratagème (y compris Tibério) revenaient travailler pour l'entreprise et étaient rémunérés au noir soit par Tiva ou par une société à numéro.

[77]     De plus, la crédibilité de Tibério a été affaiblie à plusieurs reprises au cours de son témoignage, notamment lorsqu'il a décrit ses fonctions en sous-estimant le rôle administratif qu'il jouait dans la gestion de la production. Il s'est attaché à présenter son rôle comme limité à celui du contrôle de la productivité alors qu'il était beaucoup plus important que cela. Il a aussi dit avoir suivi des cours de formation au Collège Lasalle et au cégep. Pourtant, lorsqu'il a rempli ses demandes de prestations d'assurance-chômage, il a indiqué dans un cas (pièce I-4) qu'il avait arrêté ses études au secondaire et, dans un autre (pièce I-5), qu'il n'avait pas fait d'études inachevées dans un collège ou un institut technique. Finalement, rappelons son explication invraisemblable selon laquelle il recevait des directives de contremaîtresses dans l'exercice de ses fonctions dans l'atelier!

[78]     Ajoutons que ni Tibério ni Vladimiro, soit les deux gestionnaires les plus importants de Tiva, n'aurait été présent pendant les périodes allant d'octobre 1990 à novembre 1991 et du mois février 1993 au mois de mars 1994. Or, je n'ai aucune hésitation à conclure, selon la prépondérance des probabilités, que Tibério a travaillé durant ses périodes de chômage, contrairement à ce qu'il affirme, et que soit qu'il n'ait reçu aucune rémunération pour ses services, ou que sa rémunération ait été faible. À titre illustratif, mentionnons que pour 1993, l'année durant laquelle il aurait été en chômage toute l'année, et cela sans recevoir aucune rémunération, il a déclaré des prestations d'assurance-chômage de 13 206 $ et, selon toute vraisemblance, des revenus de travailleur autonome, qui se seraient chiffrés à 5 285 $ selon le T4A établi par Tiva.

[79]     Aucun étranger travaillant dans le cadre d'un contrat de travail véritable et n'étant impliqué dans aucun stratagème visant à frauder le régime d'assurance-chômage n'aurait accepté de travailler de façon bénévole (ou pour une faible rémunération) pour une entreprise de confection de vêtements comme celle de Tiva. Par conséquent, l'emploi de monsieur Tibério Massignani était exclu des emplois assurables pour chacune de ses périodes pertinentes.

Emploi de madame Provost

Emploi avant 1993

[80]     Avant 1993, madame Provost n'était pas liée à Tiva et, par conséquent, il n'existe pas de présomption légale de lien de dépendance entre elle et Tiva, comme c'est le cas après 1992. Cela étant, il faut déterminer si, dans les faits, un tel lien de dépendance existait. La notion de lien de dépendance a fait l'objet de nombreux commentaires dans la jurisprudence. Mon collègue le juge Bonner a eu à se pencher sur cette notion dans l'affaire McNichol c. Canada, [1997] A.C.I. No 5, para. 16 [97 DTC 111, aux pages 117 et 118] :

On utilise communément trois critères pour déterminer si les parties à une opération ont entre elles un lien de dépendance. Il s'agit des critères suivants :

a) l'existence d'une même personne qui dirige les négociations de deux parties à une transaction,

b) les parties à une transaction agissent de concert et n'ont pas d'intérêts distincts, et

c) le contrôle « de facto » (réel).

Le critère relatif à l'existence d'une même personne résulte de deux jugements, notamment en premier lieu le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans l'affaire M.N.R. v. Sheldon's Engineering Ltd. Aux pages 1113-1114, le juge Locke, qui parlait au nom de la Cour, a dit ceci :

[TRADUCTION]

Lorsqu'une même personne contrôle des compagnies directement ou indirectement, que cette personne soit un individu ou une compagnie, des compagnies contrôlées sont, aux termes de cet article, censées ne pas traiter entre elles à distance. Les dispositions de cet article mises à part, dans le cas d'une vente d'éléments d'actif dépréciables par un contribuable à une entité qu'il contrôle ou par une compagnie contrôlée par le contribuable à une autre compagnie également contrôlée par lui, le contribuable dictant à titre d'actionnaire majoritaire les conditions de la transaction, on ne peut à mon avis prétendre sérieusement que les parties traitaient entre elles à distance et que l'article 20(2) ne s'appliquait pas.

En second lieu, la décision que le juge Cattanach a rendue dans l'affaire M.N.R. v. T R Merritt Estate est également utile. Aux pages 5165-5166, voici ce que le juge a dit :

[TRADUCTION]

Selon moi, le principe fondamental sur lequel se fonde la présente analyse est le suivant : lorsque les négociations menées au nom de chacune des deux parties au contrat sont en fait dirigées par le même « cerveau » , on ne peut dire que les parties traitent à distance. En d'autres termes, lorsque la preuve révèle que la même personne « dictait » les « conditions de la transaction » au nom de chacune des deux parties, on ne peut dire que les parties traitaient à distance.

Le critère voulant que les parties agissent de concert montre jusqu'à quel point il est important que la négociation ait lieu entre des parties distinctes, qui cherchent chacune à protéger leurs propres intérêts. Ce critère est énoncé dans la décision que la Cour de l'Échiquier a rendue dans l'affaire Swiss Bank Corporation v. M.N.R. À la page 5241, le juge Thurlow (tel était alors son titre) a dit ceci :

J'ajouterais que lorsque plusieurs parties, qu'elles soient des personnes physiques, des compagnies ou une combinaison des deux, agissent de concert et dans le même intérêt pour diriger ou dicter la conduite d'une autre, le « cerveau » directeur peut à mon avis être celui de l'ensemble des parties agissant de concert ou celui d'une seule d'entre elles qui remplit un rôle ou des fonctions particulières qu'il faut accomplir pour atteindre l'objectif commun. De plus, à mon sens, il n'y a lieu de faire aucune distinction à ce titre entre des personnes qui agissent à leur propre compte pour en contrôler d'autres et celles qui, quelque nombreuses qu'elles soient, se font représenter par une autre. D'autre part, si l'une des parties à une transaction agit dans un intérêt différent de celui des autres ou le représente, le fait que le but commun soit de diriger les actes d'une autre partie de façon à obtenir un résultat bien précis ne suffira pas en soi à enlever à la transaction son caractère de transaction entre personnes traitant à distance. Selon moi, l'affaire Sheldon's Engineering [précitée] en est un exemple.

Enfin, il est à noter que l'existence d'une relation sans lien de dépendance est exclue si l'une des parties à l'opération en cause exerce un contrôle de fait sur l'autre. À cet égard, on peut mentionner la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Robson Leather Company Ltd. v. M.N.R., 77 DTC 5106.

[Je souligne.]

[81]     Pour déterminer s'il existe effectivement un lien de dépendance, les tribunaux analysent l'ensemble des faits. Parmi ceux qui peuvent être indicateurs d'un lien de dépendance, il y a le fait que les modalités de l'acquisition d'un bien ne correspondent pas à une opération commerciale ordinaire. Dans l'affaire Petro-Canada v. The Queen, 2003 DTC 94, le juge Bowie concluait ainsi au paragraphe 82 :

[...] The evidence leaves me in no doubt that these transactions did not reflect ordinary commercial dealings between the vendors and the purchasers acting in their own interests and so were not at arm's length. [...]

[82]     Il y a aussi le commentaire du juge Rip dans l'affaire Freedman Holdings Inc. v. The Queen, 96 DTC 1447, qui indiquait à la page 1453 que les lignes directrices apparaissant dans le Bulletin d'interprétation IT-419R lui semblaient être une application raisonnable de la jurisprudence. Parmi ces lignes directrices, il y a le paragraphe 19 que je reproduis ici :

19.        Une transaction non réalisée à la juste valeur marchande peut indiquer une transaction entre parties ayant un lien de dépendance. Toutefois, cette situation n'est pas concluante et, inversement, une transaction réalisée à la juste valeur marchande entre personnes non liées n'indique pas nécessairement une absence de lien de dépendance. Le principal facteur à prendre en considération est la question de savoir s'il existe des intérêts économiques distincts qui indiquent une transaction commerciale courante entre parties ayant des intérêts distincts.

[83]     À mon avis, cela ne constitue qu'un des éléments dont les tribunaux doivent tenir compte pour déterminer s'il existe un lien de dépendance dans des cas où se présentent les indices d'une opération négociée alors qu'en réalité une des parties exerce sur l'autre une influence telle que cette dernière n'est pas libre de participer à l'opération de façon indépendante. En effet, quoique le juge Bonner (comme bien d'autres) énonce trois critères distincts pour cerner la notion de lien de dépendance, il s'agit essentiellement d'un seul et même critère que l'on peut résumer succinctement ainsi : y a-t-il un contrôle ou une influence importante exercée par une partie sur l'autre? Ce que les trois critères visent à déterminer c'est l'existence d'une relation entre des personnes qui sont parties à une opération quelconque alors qu'une d'elles exerce sur l'autre une influence telle que cette dernière n'est plus libre d'y participer de façon indépendante.

[84]     Les éléments factuels qui peuvent être indicateurs d'un lien de dépendance durant la période antérieure à 1993 sont le fait que madame Provost était la conjointe de fait du fils de la personne qui contrôlait Tiva et le fait qu'elle avait des conditions d'emploi moins avantageuses que celles que des tiers auraient obtenues pour leurs services. Comme cela a été mentionné plus haut, la plupart des conditions de rémunération de madame Provost durant cette période étaient à peu près les mêmes que celles accordées aux autres employés de l'entreprise. Reste la question à savoir si madame Provost a travaillé durant ses périodes de chômage pour une rémunération nulle ou nettement inférieure à sa rémunération normale. La réponse à cette question dépend en très grande partie de la réponse à la question suivante : madame Provost a-t-elle participé, comme les frères Massignani et de nombreux autres employés de Tiva, au stratagème permettant à des travailleurs de Tiva de recevoir des prestations d'assurance-chômage tout en travaillant pour Tiva à un salaire moindre? Dans de telles circonstances, madame Provost aurait reçu un salaire inférieur, ce qu'un tiers sans lien de dépendance et ne participant à aucun stratagème n'aurait pas accepté en contrepartie de sa prestation de services.

[85]     Ici, comme dans le cas de Tibério, je suis confronté à deux versions contradictoires. Le cas de madame Provost est plus difficile à trancher que celui de son conjoint parce que certaines des affirmations importantes de madame Provost se sont avérées assez justes, notamment son explication - congé de maladie - de sa première période de chômage. En effet, c'est à partir du 4 mars 1992 que madame Provost a été hospitalisée en raison de sa dépression, et non, comme le croyait Diane, en 1990 ou 1991. Par contre, son hospitalisation a duré non pas quatre mois, comme elle l'aurait indiqué au vérificateur, ou deux mois, comme elle l'avait d'abord indiqué dans son témoignage à l'audience, mais 44 jours. De plus, je suis prêt à admettre que sa convalescence a probablement duré tout près d'un an, quoique son rapport médical indique au 28 mai 1992 que tout va bien et qu'elle pense à lancer un nouveau magasin.

[86]     Toutefois, là où la crédibilité de madame Provost en prend un coup, c'est relativement à sa version des faits pour la période entre juillet 1993 et août 1994. Lors de son contre-interrogatoire, elle a affirmé ne pas savoir si elle a travaillé après juillet 1993. Par contre, elle a inscrit elle-même sur son relevé d'emploi du 16 décembre 1994 que son premier jour de travail, au cours des 52 semaines précédant la date du relevé était le 1er août 1994. Elle indique donc par là qu'elle n'a pas travaillé chez Tiva entre le 16 décembre 1993 et le 1er août 1994.Or, Nicole affirme que madame Provost a travaillé avec elle pour cette société entre le mois d'août 1993 et le mois de mars 1994. Le procureur de madame Provost a bien tenté, en mentionnant que madame Provost avait travaillé pour sa propre société à numéro, de fournir une explication plausible pour concilier ces deux versions. Mais, selon son propre témoignage, madame Provost n'a exploité 2733 que pendant une année, en 1990, alors que l'autre société à numéro qu'elle a possédée, 9033, n'a été constituée qu'en avril 1996. Donc cette explication est sans fondement.

[87]     À mon avis, le témoignage de Nicole, selon lequel madame Provost a travaillé entre août 1993 et le mois de mars 1994, a plus de crédibilité que celui de madame Provost. Au témoignage de Nicole, il faut ajouter celui d'Elizabeth, qui a affirmé que madame Provost était toujours au bureau, sauf pendant une période d'un mois où elle était maldade. Elizabeth a été employée de Tiva de janvier 1992 à 1996.

[88]     La version donnée par madame Provost relativement à son travail effectué en 1990 pour 2733 n'était pas non plus convaincante. Même si madame Provost soutient avoir travaillé pour cette société afin d'exploiter de façon véritable sa propre entreprise, force est de constater que cette dernière n'avait pas de numéro de DAS, que 75 % de ses travailleurs étaient des travailleurs autonomes, et qu'elle n'a été exploitée que pendant douze mois. Cette façon de faire correspond ainsi à celle des autres sociétés à numéro, celles de Tibério et de Vladimiro, qui ont servi à verser de la rémunération au noir aux personnes participant au stratagème. Or, selon Diane, madame Provost a participé au stratagème. Elle aurait reçu sa rémunération au noir au nom de sa fille Nancy et à son ancien nom de femme mariée, Lussier. Comme Diane a indiqué que le stratagème était en place depuis 1985, il est raisonnable de croire que madame Provost y a participé en 1990.

[89]     Un autre élément soulève un doute quant à la version de madame Provost relative à son travail pour 2733. Selon l'agente des appels, un relevé d'emploi de Tiva en date du 6 septembre 1990, concernant madame Provost, indique comme motif de sa mise à pied le manque d'emploi. Or, cela est difficilement conciliable avec le témoignage de madame Provost, qui a affirmé avoir travaillé de janvier 1990 à décembre 1990 pour 2733.

[90]     Les éléments suivants soulèvent également un doute quant à la crédibilité de madame Provost. La version de madame Provost, selon laquelle elle consacrait deux demi-journées de travail par semaine au secrétariat et passait le reste du temps en atelier, a été contredite non seulement par Diane et Elizabeth mais aussi par Nicole. De plus, l'explication de Diane que le stratagème exigeait la tenue de deux ensembles de livres, ce qui requérait les services de deux secrétaires à plein temps, m'apparaît plus plausible que la version de madame Provost.

[91]     Un autre indice de la participation de madame Provost au stratagème est le fait que sur son relevé d'emploi du 16 décembre 1994, elle indique « Francine Provost » comme son nom dans la partie réservée à l'inscription du nom et de l'adresse de l'employé, et son ancien nom de femme mariée, « Mme Lussier » , pour désigner la personne-ressource à qui DRH pouvait demander des renseignements. La même démarche a été suivie relativement au relevé d'emploi du 21 juillet 1995. Le nom « Francine Provost » est dactylographié dans la partie où est nommé l'employé et le nom de « Mme Lussier » apparaît dans la case où est indiqué la personne-ressource. Pourquoi madame Provost a-t-elle utilisé son ancien nom alors qu'elle était divorcée depuis 1983, surtout lorsqu'elle s'identifie elle-même comme « Francine Provost » dans la partie « nom et adresse de l'employé(e) » ? D'ailleurs, elle n'indique pas de prénom avec le nom Lussier. De plus, lorsqu'elle a rempli les relevés d'emploi de Tibério, madame Provost a utilisé son propre nom, « Provost » , plutôt que celui de son ancien mari, « Lussier » (voir les pièces I-3 et I-5). Finalement, pourquoi avoir indiqué son nom si elle était censée ne plus être employée de Tiva? Cela laisse penser qu'elle continuait à travailler au lieu d'affaires de Tiva. L'ensemble de ces faits me porte à croire que les relevés d'emploi ont été maquillés pour induire en erreur DRH et qu'ils confirment la participation de madame Provost au stratagème.

[92]     Par conséquent, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que madame Provost a travaillé comme les autres employés de Tiva pendant ses prétendus périodes de chômage - sauf durant son congé de maladie en 1992 et 1993 - et qu'elle l'a fait pour, à tout le moins, une rémunération nettement inférieure à ce qu'elle recevait normalement. Les conditions d'emploi, tant pour la période avant 1993 que pour les périodes après 1992, ne sont donc pas de celles qu'une personne n'ayant aucun lien de dépendance avec l'employeur aurait acceptées. Il existait entre elle et Tiva un lien de dépendance factuel pour la période avant 1993 et un lien de dépendance légal après 1992 et son emploi était exclu durant toutes ses périodes pertinentes.

[93]     Pour tous ces motifs les appels de monsieur Tibério Massignani et de madame Francine Provost sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de mars 2004.

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


RÉFÉRENCE :

2004CCI75

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

98-758(UI et 98-763(UI)

INTITULÉS DES CAUSES :

Tibério Massignani et M.R.N.

et Francine Provost et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

les 15, 16, 17 octobre

et le 7 novembre 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'hon. juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :

le 9 mars 2004

COMPARUTIONS :

Pour les appelants :

Me Charles A. Ashton

Pour l'intimé :

Me Anne Poirier

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour les appelants :

Nom :

Me Charles A. Ashton

Étude :

Ashton, Martin

Longueuil (Québec)

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           Le procureur de Tibério avait admis l'allégation de fait figurant à l'alinéa 6a) de la Réponse à l'avis d'appel et selon laquelle Tiva avait été constituée en société en 1988.

[2]           Selon l'admission faite par l'avocat des appelants.

[3]           Selon le témoignage de madame Provost, c'est lors de rencontres en groupe dans la cafétéria qu'on demandait aux employés de participer au stratagème.

[4]           Je tiens pour acquis, sans en être certain, qu'il a travaillé véritablement durant toutes ces heures.

[5]           Ses prestations d'assurance-chômage s'élèvaient à 14 208 $ (1991), à 7 769 $ (1992), à 13 206 $ (1993), à 7 434 $ (1994) et à 4 130 $ (1995).

[6]           Elizabeth, rappelons le, était employée par Tiva de 1992 à 1996.

[7]           Ses prestations d'assurance-chômage s'élèvaient à 7 320 $ (1992), à 1 830 $ (1993), à 4 011 $ (1995) et à 955 $ (1996).

[8]           Pourtant, son procureur avait admis que l'entreprise de Tiva avait continué à être exploitée jusqu'en mars 1996.

[9]           La procureure de l'intimée s'est aussi fondée sur la décision Canada c. Rousselle, [1990] A.C.F. no 990 (Q.L.). Je citerai le passage pertinent dans le cadre de mon analyse.

[10]              Passage cité à (1992-1993) 3 C.F.P.B.Q., p. 31; cité aussi dans Le congédiement en droit québécois, en matière de contrat individuel de travail, 3e éd., 1991, Éditions Yvon Blais Inc., aux pages 1 et 2.

[11]              [1929] R.C.S. 166, à la page 170.

[12]              [1978] 1 R.C.S. 605, à la page 613.

[13]              [1986] A.C.F. no 330 (Q.L.). Cette décision est d'ailleurs citée avec approbation dans D & J Driveway Inc. c. Canada (M.R.N.), 2003 CAF 453, [2003] A.C.F. no 1784 au par. 12.

[14]          Voir D & J Driveway Inc. (précité) par. 2 et Le Livreur Plus Inc. c. M.R.N. et Laganière, 2004 CAF 68, par. 17 et 18 (Q.L.).

[15]          Voir les propos du juge Pratte dans Gallant plus haut.

[16]          Je m'empresse d'ajouter que ce n'est pas parce qu'un travailleur lié par un contrat véritable d'emploi reçoit une rémunération alors qu'il ne fournit pas de prestation de services qu'il faut conclure à l'inexistence d'un contrat de travail. Durant ses vacances annuelles, un travailleur continue à recevoir un salaire, même s'il ne fournit aucun service. Il en est de même lorsqu'un travailleur est en congé de maladie ou suspendu et qu'il continue à recevoir son salaire. Dans tous ces cas, le contrat de travail subsiste parce qu'il existe depuis le tout début un véritable contrat de travail réunissant au départ tous les éléments essentiels à l'existence d'un tel contrat.

[17]          Le paragraphe 252(4) a été ajouté par 1993, ch. 24, par. 140(3), applicable après 1992.

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