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Dossier : 2005-3160(IT)I

ENTRE :

PRAIMLALL MISIR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 26 avril 2006 à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge E.A. Bowie

Comparutions :

Représentant de l'appelant :

Harry Kopyto

Avocate de l'intimée :

Me Stacey Sloan

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre de nouvelles cotisations d'impôt sur le revenu établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour les années d'imposition 2001 et 2002 sont rejetés.

L'appel interjeté à l'encontre de la nouvelle cotisation d'impôt sur le revenu établie en vertu de la Loi pour l'année d'imposition 2003 est accueilli, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour qu'il procède à un nouvel examen et à une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a le droit de déduire, dans le calcul de son revenu pour l'année en cause, une perte de 1 248,52 $ qui résulte du bien situé sur l'avenue Frizzell.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mai 2006.

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de juillet 2006.

Jean David Robert, traducteur


Référence : 2006CCI273

Date : 20060505

Dossier : 2005-3160(IT)I

ENTRE :

PRAIMLALL MISIR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bowie

[1]      Lorsqu'il a produit ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 2001, 2002 et 2003, M. Misir a déduit de ses autres revenus les pertes très importantes qu'il prétend avoir subies dans le cadre de l'exploitation d'un bien locatif pendant les années en cause. En établissant une nouvelle cotisation à son égard, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé les pertes en question, jugeant que le bien locatif en question ne devait pas être considéré comme une source de revenu au sens de l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu[1] (la « Loi » ). Il en est venu à cette conclusion en tenant compte du fait que M. Misir avait déclaré, pour les années d'imposition 1987 à 2000, les montants suivants à titre de pertes locatives nettes qui résultaient du bien en cause :

Année d'imposition

Revenu de location brut

Frais de location

Pertes locatives nettes

1987

        8 342 $

        11 738 $

      (3 396 $)

1988

9 600

14 542

(4 942)

1989

9 000

14 145

(5 145)

1990

9 400

17 629

(7 229)

1991

8 280

15 511

(7 231)

1992

7 200

15 468

(8 268)

1993

7 800

16 602

(8 802)

1994

7 600

17 647

(10 047)

1995

7 750

18 132

(10 382)

1996

7 950

18 157

(10 207)

1997

8 350

17 912

(9 562)

1998

8 600

20 413

(11 813)

1999

4 300

17 100

(12 800)

2000

10 300

24 840

(14 540)

Pour les années visées par le présent appel, l'appelant a déclaré les revenus et les dépenses suivants relativement au bien :

Année d'imposition

2001

2002

      2003

Loyer brut

     10 750 $

     11 300 $

    11 600 $

Dépenses totales

25 405

26 165

27 985

Revenu net (perte)

(14 655)

(14 865)

(16 385)

L'argument subsidiaire du ministre est que les montants déduits à titre de dépenses relatives au bien ne correspondent pas à des dépenses réellement engagées ou, le cas échéant, que les dépenses en question n'avaient pas été engagées en vue de gagner un revenu, mais pour l'avantage personnel de l'appelant.

[2]      Le bien en question est une maison jumelée située au 57, avenue Frizzell, à Toronto. Elle a été achetée à l'origine par l'appelant en 1974, et celui-ci l'a habitée avec sa mère ainsi que ses frères et ses soeurs jusqu'en 1981. Cette année-là, l'appelant a déménagé, mais d'autres membres de sa famille ont habité la maison jusqu'en 1994, année où la maison est devenue un bien locatif dans lequel aucun des membres de sa famille ne vivait. Selon l'appelant, la maison a environ 100 ans et elle n'est pas en bon état. Il a décrit beaucoup de travaux qui avaient été faits pour réparer et améliorer le système électrique, la plomberie, le porche arrière, les tuyaux d'écoulement et le toit. Il a remplacé le revêtement extérieur dans les années 1990. Il a affirmé que la plupart des travaux effectués sur la maison devaient être accomplis par des entrepreneurs parce qu'il vivait trop loin et qu'il n'avait pas le temps de faire la navette pour accomplir des réparations majeures. Il fallait aussi faire des réparations lorsque les locataires déménageaient parce qu'il n'était pas rare qu'ils endommagent les lieux.

[3]      La maison a deux étages, un grenier et un sous-sol. Elle est subdivisée en deux appartements que l'appelant donne à bail. L'appartement supérieur comprend deux chambres, une cuisine et une salle de bains; celui qui est en dessous comprend une chambre, un salon, une cuisine et une salle de bains. En 2001, l'appelant a exigé un loyer de 500 $ à 550 $ par mois pour chaque appartement. L'appelant a déclaré que, étant donné que le bâtiment était quelque peu délabré, les locataires avaient tendance à ne pas y rester très longtemps et il arrivait souvent qu'ils partent sans avoir payé tout le loyer dû.

[4]      L'appelant soutient que le bien en cause est une exploitation purement commerciale, bien qu'elle soit sans succès à la lumière des états des résultats pour la période de 17 ans à l'égard de laquelle il y a des éléments de preuve. Je soupçonne que la valeur du bien a considérablement augmenté au cours de cette période, mais je ne dispose d'aucune preuve à cet égard. En ce qui concerne l'application en l'espèce de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Stewart v. Canada[2], l'avocat de l'intimée a fait valoir que le fait que l'appelant avait habité cette maison pendant sept ans, et que d'autres membres de sa famille y avaient vécu pendant 13 ans ensuite donnait à sa propriété du bien un élément d'usage personnel. Je ne partage pas ce point de vue. Rien dans la preuve ne laisse croire qu'il y a un attachement sentimental à la maison. Il n'y a pas non plus de preuve que l'appelant pourrait se servir du bien pour un usage non commercial à un moment donné dans l'avenir. Rien dans les faits de la présente affaire ne la distingue de l'affaire Stewart. Il n'y a aucun doute que, pour l'application de l'article 3 de la Loi, le bien situé sur l'avenue Frizzell est une source de revenu pour l'appelant.

[5]      Je me penche maintenant sur l'argument subsidiaire de l'intimée. Sans exagérer, on peut dire que la preuve de l'appelant à l'appui des dépenses déduites, qui totalisent plus de 78 000 $ pour les trois années en cause, est loin d'être solide. Les pièces A-1, A-2, A-3 et A-4 comprennent des estimations des loyers perçus par l'appelant ainsi que certaines factures relatives aux services publics et à d'autres dépenses. Celles-ci m'ont été soumises sans que le représentant ou qui que ce soit d'autre prenne la peine d'établir un tableau des montants facturés, à l'exception d'un relevé des montants facturés pour l'achat d'essence pour chaque mois, lequel fait partie de la pièce A-4.

[6]      Malheureusement, le vérificateur du ministre semble également avoir consacré peu d'efforts à l'établissement des nouvelles cotisations en cause. Convaincu, semble-t-il, que l'affaire pouvait être distinguée de l'affaire Stewart, il n'a pas pris la peine de vérifier l'exactitude des dépenses déduites, et a tout simplement permis à l'appelant de déduire suffisamment de dépenses pour compenser le revenu déclaré qui résultait du bien.

[7]      Un examen attentif des pièces A-1, A-2, A-3 et A-4 permet de constater que, pour chacune des trois années en cause, les montants qui figurent sur les reçus produits par l'appelant à l'appui des dépenses qu'il a déduites totalisent moins de la moitié des montants déduits. Un tel examen révèle également que, dans certaines catégories, par exemple l'impôt foncier, les dépenses déduites et les montants indiqués sur les reçus sont semblables mais non identiques, tandis que, dans d'autres catégories, il n'y a absolument aucune similarité. Par exemple, l'appelant a déduit, pour chacune des années en cause, plus de 9 000 $ à titre de dépenses afférentes aux services publics, mais le total des montants qui figurent sur ses reçus des sommes payées pour l'achat de mazout, de gaz, d'électricité et d'eau pour ces trois années s'élève à 3 030,57 $, à 2 947,26 $ et à 3 573,11 $ respectivement. Il a déduit un total de 4 700 $ à titre de frais de déplacement au sujet desquels il n'a pu fournir aucune précision, à l'exception de la distance entre sa maison située à Etobicoke et l'avenue Frizzell. Il a déduit des montants considérables à titre de frais de gestion et d'administration, ainsi que de frais d'avocat et de comptabilité, d'autres honoraires et de salaires et traitements. L'appelant n'a documenté aucune des déductions en question, et, compte tenu du fait que la maison ne comprend que deux appartements, il semble fort peu probable que les montants déduits correspondaient à de réelles dépenses. Une lettre de la société d'assurances de l'appelant fait état des primes que celui-ci a payées au cours des trois années en cause pour trois polices d'assurances différentes sans donner de précisions. Il est impossible de déterminer le montant des paiements qu'il a effectués, si c'est le cas, pour assurer la maison de l'avenue Frizzell. Eu égard au relevé des loyers estimés qui fait partie de la pièce A-3, il est clair que l'appelant, à cause d'une erreur de calcul, a déclaré des loyers totalisant 11 600 $ pour l'année 2003, tandis que, selon sa propre estimation, il aurait perçu 12 236 $.

[8]      Les montants des dépenses pour lesquelles des reçus ont été fournis et les estimations faites par l'appelant de ses revenus, lesquelles sont indiquées dans les pièces en question, sont présentés sous forme de tableau ci-dessous :

2001

2002

2003

Revenus

10 750,00 $

11 295,00 $

12 236,00 $

Dépenses

Services publics

3 030,57

2 947,26

3 573,11

Entretien et réparations

4 574,19

5 718,09

7 452,35

Impôt foncier

2 447,00

2 616,03

2 459,06

10 051,76

11 281,38

13 484,52

Profit (perte)

698,24 $

13,62 $

(1 248,52 $)

[9]      Bien sûr, l'absence de reçu n'exclut pas en soi la possibilité qu'une dépense déduite soit admise. Dans l'arrêt Njenga c. Canada[3], le juge McDonald a affirmé ce qui suit :

[3] Le système fiscal est fondé sur l'autocontrôle. Il est d'intérêt public que la charge de prouver le fondement des déductions et des réclamations repose sur le contribuable. Le juge de la Cour de l'impôt a statué que les personnes comme la requérante doivent être en mesure de produire toutes les informations et justifications permettant d'appuyer les réclamations qu'elles font. Nous sommes d'accord avec cette conclusion. Mme Njenga, à titre de contribuable, a la responsabilité de justifier ses affaires personnelles d'une manière raisonnable. Des reçus écrits par elle-même et des allégations sans preuve ne sont pas suffisants.

[4] Le problème du manque de justification est encore aggravé par le fait que le juge du procès, à qui il revient d'apprécier la crédibilité, a conclu que la requérante ne répondait pas aux exigences sur ce point.

La mesure dans laquelle un contribuable devra appuyer ses déductions de dépenses au moyen de reçus dépend dans une large mesure de l'appréciation que fait le juge de sa crédibilité. Le juge Evans a affirmé, dans l'arrêt Bullas v. Canada[4], ce qui suit :

[...] les contribuables sont légalement tenus de conserver des pièces justifiant les déductions qu'ils réclament et ils se placent dans une situation très difficile lorsqu'ils ne respectent pas cette obligation. Néanmoins, la Cour de l'impôt peut accepter d'autres éléments que des preuves documentaires. Néanmoins, c'est au juge de la Cour de l'impôt, en qualité de juge des faits, d'examiner l'ensemble des éléments de preuve présentés et d'en apprécier la force probante en vue de déterminer si le contribuable a démontré que le ministre avait commis une erreur lorsqu'il a refusé les déductions demandées.

Le problème auquel fait face M. Misir en l'espèce est que ni les états de son revenu de location qui sont inclus dans ses déclarations de revenus pour les années visées par le présent appel, ni son témoignage n'inspirent confiance en l'exactitude des dépenses déduites. Étant donné que les montants des dépenses déduites dans chacune des 13 catégories pour les trois années en cause sont des chiffres ronds qui finissent par un 0 ou un 5, il se peut que les chiffres soient, dans le meilleur des cas, des estimations. En contre-interrogatoire, l'appelant a reconnu que ses déductions de frais afférents à un véhicule à moteur engagés pour se déplacer entre sa maison et l'avenue Frizzell n'étaient que des estimations. Il ne disposait pas de registres récents des loyers qu'il percevait ni des dépenses qu'il avait déclaré avoir engagées, à l'exception des reçus que j'ai déjà mentionnés. Le sommaire des loyers perçus qu'il a présenté en preuve correspondait, selon ses dires, à des reconstitutions établies après coup fondées sur sa mémoire et celle de d'autres membres de sa famille. Il y a un écart considérable entre les déductions demandées et les montants qui figurent sur les reçus. Rien de tout cela ne m'inspire confiance en la preuve de l'appelant selon laquelle les dépenses en question qu'il aurait engagées correspondraient aux montants déclarés.

[10]     Le représentant de l'appelant a affirmé au cours du procès qu'il pouvait obtenir des reçus à l'appui des sommes qui avaient servi à payer les « frais d'avocat et de comptabilité [et] d'autres honoraires » déduits, et il a demandé l'autorisation, pour reprendre ses propres termes, de les déposer plus tard. Il a aussi dit qu'une partie, au moins, des montants déclarés représentait des frais qui lui avaient été payés probablement pour des services parajuridiques. Le fait de permettre au représentant de l'appelant de déposer de nouveaux éléments de preuve devant la Cour à un moment ultérieur aurait nécessité un ajournement d'une durée indéterminée. Le représentant de l'appelant n'a pas expliqué pourquoi certains reçus n'avaient pas été présentés à la Cour ce jour-là. L'appelant et son représentant ont été prévenus de la date de l'audience quelque six semaines à l'avance. L'avis d'audience qui leur a été envoyé indique en gros caractères gras ce qui suit :

          [traduction]

VEUILLEZ NOTERque tous les documents pertinents à l'appui de cet appel doivent être produits à l'audition de l'appel. Si les parties ne s'entendent pas sur les faits relatifs à l'appel, ils doivent être établis par des dépositions faites sous serment ou affirmation solennelle. Tous les témoins peuvent être contre-interrogés.

Dans ces circonstances, j'ai refusé la demande d'ajournement du procès, laquelle visait à obtenir des éléments de preuve qui auraient dû être disponibles à l'audience, s'ils existaient.

[11]     Il est bien possible que l'appelant ait engagé des dépenses qu'il n'a pas établies au moyen de reçus ou de registres, mais je ne crois pas qu'il soit approprié en l'espèce d'admettre la déduction de dépenses compte tenu du fait que les dépenses en question n'ont pas été documentées. Les divergences que j'ai mentionnées ne m'inspirent nullement confiance en l'exactitude des déclarations de revenus et du témoignage de l'appelant.

[12]     Les appels visant les années d'imposition 2001 et 2002 sont rejetés. L'appel visant l'année d'imposition 2003 est accueilli, et la cotisation est déférée au ministre pour qu'il procède à un nouvel examen et à une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a le droit de déduire, dans le calcul de son revenu pour l'année en cause, une perte de 1 248,52 $ qui résulte du bien situé sur l'avenue Frizzell. La Cour ne rend aucune décision quant aux dépens.

       Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mai 2006.

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de juillet 2006.

Jean David Robert, traducteur


RÉFÉRENCE :

2006CCI273

N º DU DOSSIER DE LA COUR :

2005-3160(IT)I

INTITULÉ :

Praimlall Misir et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 26 avril 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge E.A. Bowie

DATE DU JUGEMENT :

Le 5 mai 2006

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelant :

Harry Kopyto

Avocate de l'intimée :

Me Stacey Sloan

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

s.o.

Cabinet :

s.o.

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), modifiée.

[2]           [2002] 2 R.C.S. 645.

[3]           [1996] A.C.F. n º 1218 (C.A.F.).

[4]           [2002] 3 C.T.C. 467.

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