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Dossier : 2003-2107(IT)I

ENTRE :

ALINE MORASSE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 12 décembre 2003.

Devant : L'honorable Campbell J. Miller

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

M. Wayne Bluett

Avocat de l'intimée :

Me Gavin Laird

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel d'une cotisation fiscale établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2001 est admis sans qu'aucuns dépens ne soient adjugés, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que le montant de 12 342 $ n'est pas un revenu assujetti à l'article 3 de la Loi.


Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de mars 2004.

                  « Campbell J. Miller »                

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mars 2005.

Jacques Deschênes, traducteur


Référence : 2004CCI239

Date : 20040323

Dossier : 2003-2107(IT)I

ENTRE :

ALINE MORASSE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Miller

[1]      Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l'égard de l'année d'imposition 2001 de Mme Morasse en vue d'inclure un montant de 12 342 $ au titre d'un revenu additionnel tiré d'un placement compte tenu de la valeur d'une distribution de 400 actions au moyen de certificats représentatifs d'actions étrangères de la série L d'América Móvil, S.A. de C.V. (les titres d' « América Móvil » ). Mme Morasse interjette appel sous le régime de la procédure informelle en alléguant, en premier lieu, que la réception des titres d'América Móvil se rapportait à une distribution admissible régie par l'article 86.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu et qu'elle n'était donc pas imposable et, en second lieu, que si l'article 86.1 ne s'applique pas, la réception des titres d'América Móvil ne se rapportait pas à un dividende en actions imputable au revenu, mais à une somme reçue au titre d'un capital non imposable. Je conclus que la distribution des titres d'América Móvil n'est pas admissible en vertu de l'article 86.1, mais je conclus également que la réception des titres d'América Móvil par Mme Morasse ne constituait pas un revenu.

[2]      En 2001, Mme Morasse possédait 400 CRAEA de la catégorie L de Téléfonos de México, S.A. de C.V. Le sigle CRAEA renvoie aux certificats représentatifs d'actions étrangères américains. Ces titres étaient négociés à la bourse de New York ( « NYSE » ), alors que les actions sous-jacentes de la société mexicaine qu'ils représentaient étaient négociées à la bourse mexicaine. Je désignerai cette société mexicaine simplement sous le nom de Telmex.

[3]      Dans un bulletin d'information daté du 15 septembre 2000[1], Telmex a décrit une réorganisation avec dérivation qui devait être approuvée au plus tard le 25 septembre 2000, la date d'approbation. Le bulletin indiquait qu'à la date d'approbation, chaque propriétaire d'actions de Telmex deviendrait propriétaire d'un nombre égal d'actions d'América Móvil, S.A. de C.V. ( « América Móvil » ) et qu'à compter de ce moment-là jusqu'à la date de distribution, les actions des deux sociétés pourraient uniquement être possédées et transférées ensemble. Dans le bulletin d'information, on ajoutait ce qui suit[2] :

[TRADUCTION]

Description de la réorganisation avec dérivation

            La réorganisation avec dérivation sera mise en oeuvre à l'aide d'une procédure existant en vertu du droit mexicain des sociétés, appelée escisión ou « scission » . Dans une escisión, une société existante est divisée, et l'on crée une nouvelle société à laquelle des actifs et passifs précis sont attribués. Cette procédure diffère de la procédure par laquelle une réorganisation avec dérivation est habituellement effectuée aux États-Unis, où une société mère distribue à ses actionnaires les actions d'une filiale. L'escisión sera approuvée à la date d'approbation par une seule action des actionnaires, à l'assemblée extraordinaire au cours de laquelle América Móvil sera constituée, certains actifs et passifs de Telmex étant alors attribués à América Móvil. Avant la date d'approbation, Telmex réorganisera certaines sociétés de portefeuille intermédiaires par l'entremise desquelles elle possède divers actifs ainsi que des filiales, de façon à faciliter la mise en oeuvre de la réorganisation avec dérivation.

            Dès la date d'approbation :

·         América Móvil sera constituée à titre de société distincte, ayant une personnalité juridique complètement indépendante et ayant pleine capacité pour posséder ses actifs et en disposer. Le conseil d'administration initial sera élu à l'assemblée extraordinaire au cours de laquelle la réorganisation avec dérivationsera approuvée.

·         Des actifs précis de Telmex, y compris les actions de filiales désignées, seront transférés à América Móvil. Toutes les entreprises qui doivent être transférées à América Móvil sont exploitées par des sociétés distinctes, et la réorganisation avec dérivation ne changera rien à la continuité de l'existence de ces sociétés.

·         Toutes les actions d'América Móvilseront possédées par les actionnaires qui deviendront des actions de Telmex à la date d'approbation.

·         Certaines ententes conclues entre Telmex et América Móvil prendront effet.

Aussitôt que possible après la date d'approbation, la résolution adoptée par les actionnaires à l'assemblée extraordinaire sera authentifiée, enregistrée au bureau mexicain d'enregistrement des entreprises et publiée dans le Diario Official (la Gazette officielle). Selon le droit mexicain, un délai de 45 jours est prévu, après l'enregistrement et la publication de la résolution, pour permettre à certains intéressés de contester la réorganisation avec dérivation de la façon ci-dessous décrite. Les actions d'América Móvil ne seront pas livrées ou possédées indépendamment des actions de Telmex avant la fin de ce délai.

            À la date d'approbation, la réorganisation avec dérivation emportera les conséquences suivantes pour les actionnaires de Telmex :

·         Chaque propriétaire d'actions de la catégorie L de Telmex deviendra propriétaire du même nombre d'actions de la catégorie L d'América Móvil.

·         Chaque propriétaire d'actions de la catégorie A de Telmex deviendra propriétaire du même nombre d'actions de la catégorie A d'América Móvil.

·         Chaque propriétaire d'actions de la catégorie AA de Telmex deviendra propriétaire du même nombre d'actions de la catégorie AA d'América Móvil.

·         Chaque actionnaire de Telmex continuera à posséder le même nombre d'actions de Telmex.

Toutefois, avant la date de distribution des actions, il n'y aura pas de certificats distincts pour les actions d'América Móvil, et le droit de recevoir des actions d'América Móvil sera transféré avec les actions de Telmex. Les investisseurs ne pourront pas acheter, acquérir, vendre, transférer ou livrer des actions de Telmex ou des actions d'América Móvil séparément.

[4]      L'opération est allée de l'avant, comme il en a ci-dessus été fait mention, ce que montrent les extraits suivants du rapport annuel de Telmex déposé auprès de la Securities and Exchange Commission américaine le 23 août 2001[3] :

            [TRADUCTION]

La réorganisation avec dérivation

Généralités

            Lors d'une assemblée extraordinaire des actionnaires qui a été tenue le 25 septembre 2000, nos actionnaires ont approuvé le transfert, dans le cadre d'une réorganisation avec dérivation, de notre entreprise de télécommunications sans fil mexicaine et de la plupart de nos opérations internationales en faveur d'América Móvil, une sociedad anónima de capital variable constituée en vertu de la législation mexicaine. La réorganisation avec dérivation a été effectuée au moyen de la procédure appelée escisión ou « scission » existant en vertu du droit mexicain des sociétés, selon laquelle une société existante est divisée, de sorte qu'est créée une nouvelle société à laquelle sont attribués des actifs et passifs précis. Cette procédure diffère de la procédure par laquelle une réorganisation avec dérivation est habituellement effectuée aux États-Unis, selon laquelle une société mère distribue à ses actionnaires les actions d'une filiale.

            La réorganisation avec dérivation visait à améliorer notre capacité et celle d'América Móvil de répondre aux défis distincts et aux différentes possibilités qui se présentent. Le secteur mexicain des télécommunications sans fil et les investissements connexes à l'extérieur du Mexique, lesquels ont été transférés à América Móvil, font face à des environnements commerciaux et réglementaires fort différents de celui dans lequel est exploité le secteur des télécommunications par ligne fixe mexicain, y compris l'Internet et le secteur de transmission de données. Les différences se manifestaient dans les structures de société et de gestion distinctes, les immobilisations, les opérations, la commercialisation et la facturation qui existaient avant la réorganisation. Nous croyons que la constitution de deux sociétés publiques distinctes au moyen de la réorganisation avec dérivation nous sera profitable ainsi qu'à América Móvil. En particulier, la réorganisation avec dérivation nous permettra de poursuivre des objectifs adaptés au secteur de télécommunications par ligne fixe et d'avoir plus facilement accès au financement.

            Avant la réorganisation avec dérivation, nous avons procédé à une réorganisation interne. À la suite de la réorganisation interne, l'une de nos quatre filiales appelée Sercotel, S.A. de C.V. possédait directement ou indirectement les actions de Radio Móvil Dipsa, S.A. de C.V. (ou Telcel, notre filiale exploitant une entreprise de télécommunications sans fil avant la réorganisation avec dérivation) et les filiales qui exploitent les entreprises internationales d'América Móvil et qui détiennent les investissements internationaux d'América Móvil. De plus, par suite de la réorganisation interne, les filiales de Telcel détenaient des effets de commerce d'une valeur de 17,6 milliards de pesos et des actifs liquides d'une valeur de 11,9 milliards de pesos destinés à permettre à América Móvil de satisfaire à ses besoins en capitaux.

            Lors de la réorganisation avec dérivation, América Móvil a été constituée en société distincte avec un conseil d'administration distinct; les actions de Sercotel ont été transférées à América Móvil; et chaque propriétaire d'actions de Telmex a reçu un nombre égal d'actions de la catégorie correspondante d'América Móvil. La réorganisation avec dérivation a été effectuée le 7 février 2001, lorsque les actions et les ADS d'América Móvil ont commencé à être négociées indépendamment de nos actions et de nos ADS à la bourse mexicaine, à la bourse de New York et au NASDAQ.

[5]      Dans cet avis, il était fait mention d'une date d'achèvement, à savoir le 7 février 2001, et c'est à cette date que le compte de Mme Morasse chez TD Waterhouse a été crédité de ce que TD Waterhouse a appelé un « dividende en actions » de 12 342 $. TD Waterhouse a également remis à Mme Morasse un formulaire T5 indiquant un revenu de placements étrangers qui comprenait le montant de 12 342 $. Ce montant représente la valeur des titres d'América Móvil.

[6]      Mme Morasse a produit une déclaration pour l'année 2001 et a inclus ce montant dans son revenu, mais elle a par la suite produit une déclaration modifiée dans laquelle elle choisissait de se prévaloir de l'article 86.1 et reportait l'impôt sur la distribution des titres de Móvil conformément à cette disposition.

[7]      La distribution des actions d'América Móvil n'était pas visée par règlement au Canada.

[8]      En examinant la première question relative à l'applicabilité de l'article 86.1, il est utile de citer certaines parties pertinentes de cette disposition :

86.1(1) Malgré les autres dispositions de la présente partie :

a)          le montant d'une distribution admissible qu'un contribuable reçoit n'est pas inclus dans le calcul de son revenu;

b)          le paragraphe 52(2) ne s'applique pas à la distribution admissible reçue par le contribuable.

   (2)      Pour l'application du présent article et de la partie XI, une distribution effectuée par une société donnée à un contribuable est une distribution admissible si les conditions suivantes sont réunies :

a)          la distribution porte sur l'ensemble des actions ordinaires du capital-actions de la société donnée qui appartiennent au contribuable (appelées « actions initiales » au présent article);

b)          la distribution consiste uniquement en actions ordinaires du capital-actions d'une autre société qui appartenaient à la société donnée immédiatement avant leur distribution au contribuable (appelées « actions de distribution » au présent article);

c)          dans le cas d'une distribution qui n'est pas visée par règlement :

(i)          au moment de la distribution, les deux sociétés résident aux États-Unis et n'ont jamais résidé au Canada,

(ii)         au moment de la distribution, les actions de la catégorie qui comprend les actions initiales sont largement réparties et activement transigées sur une bourse de valeurs visée par règlement située aux États-Unis,

(iii)        selon les dispositions du United States Internal Revenue Code qui s'appliquent à la distribution, les actionnaires de la société donnée qui résident aux États-Unis ne sont pas imposables pour ce qui est de la distribution.

d)          dans le cas d'une distribution qui est visée par règlement :

(i)          au moment de la distribution, les deux sociétés résident dans le même pays (sauf les États-Unis) avec lequel le Canada a conclu un traité fiscal (appelé « pays étranger » au présent article) et n'ont jamais résidé au Canada,

(ii)         au moment de la distribution, les actions de la catégorie qui comprend les actions initiales sont largement réparties et activement transigées sur une bourse de valeurs visée par règlement,

(iii)        selon les lois du pays étranger, les actionnaires de la société donnée qui résident dans ce pays ne sont pas imposables pour ce qui est de la distribution,

(iv)        la distribution est visée par règlement sous réserve de conditions jugées applicables dans les circonstances;

e)          avant la fin du sixième mois suivant le jour où la société donnée transfère pour la première fois une action de distribution dans le cadre de la distribution, la société donnée fournit au ministre des renseignements, que celui-ci estime acceptables, [...]

f)           sauf si la partie XI s'applique au contribuable, celui-ci fait, dans sa déclaration de revenu pour l'année d'imposition de la distribution (ou, dans le cas d'une distribution reçue avant le 18 octobre 2000, par avis écrit présenté au ministre avant juillet 2001), un choix afin que le présent article s'applique à la distribution, et fournit au ministre des renseignements, que celui-ci estime acceptables [...]

(3)         Lorsqu'une société distribue une action de distribution à un contribuable, au titre d'une action initiale de celui-ci, dans le cadre d'une distribution admissible, les règles suivantes s'appliquent :

a)          le montant obtenu par la formule ci-après est déduit dans le calcul du coût indiqué de l'action initiale pour le contribuable à un moment donné :

                  A × (B/C)

où :

A          représente le coût indiqué, déterminé compte non tenu du présent article, de l'action initiale pour le contribuable immédiatement avant la distribution ou, si le contribuable a disposé de cette action avant la distribution, immédiatement avant la disposition,

B           la juste valeur marchande de l'action de distribution immédiatement après sa distribution au contribuable,

C          la somme des montants suivants :

(i)          la juste valeur marchande de l'action initiale immédiatement après la distribution de l'action de distribution au contribuable,

(ii)         la juste valeur marchande de l'action de distribution immédiatement après sa distribution au contribuable;

b)          le coût de l'action de distribution pour le contribuable correspondant au montant appliqué en réduction, par l'effet de l'alinéa a), du coût indiqué de son action initiale.

[9]      À coup sûr, l'article 86.1 envisage deux catégories de réorganisations d'une société étrangère avec dérivation, celles qui mettent en cause des sociétés américaines et celles qui mettent en cause toutes les autres sociétés étrangères. Pour que les avantages prévus à l'article 86.1 s'appliquent à cette dernière catégorie, la distribution, selon le sous-alinéa 86.1(2)d)(iv), doit être visée par règlement. L'expression « visé par règlement » comprend, en plus de ce qui est visé par règlement, ce qui est déterminé conformément à des règles prévues par règlement. Selon la preuve, la distribution des actions d'América Móvil n'était pas visée par règlement conformément aux exigences de la Loi. L'intimée a fait savoir qu'une telle opération ne serait jamais visée par règlement étant donné que les actions de la société ayant subi la réorganisation avec dérivation n'ont jamais été possédées par la société initiale. Il s'ensuit que Mme Morasse ne peut pas considérer que l'alinéa 86.1(2)d) s'applique à cette distribution mexicaine.

[10]     La chose n'a pas été directement débattue, mais le représentant de Mme Morasse a mentionné la particularité qui existe dans ce cas-ci, en ce sens que Mme Morasse ne possédait pas les actions de Telmex directement, et qu'elle ne recevait pas les actions d'América Móvil directement. Tout cela était fait au moyen de la détention des CRAEA, parfois appelés les ADS. L'alinéa 86.1(2)c), qui traite des sociétés résidant aux États-Unis, entre-t-il donc en ligne de compte? Je ne le crois pas. Cette disposition se rapporte aux sociétés, peu importe qu'elles résident aux États-Unis ou ailleurs. Or, les sociétés mexicaines étaient les seules sociétés en cause dans cette réorganisation avec dérivation particulière. L'utilisation des CRAEA visant à permettre de coter ces sociétés mexicaines à la bourse américaine n'a aucunement pour effet de créer une société américaine. Les seules sociétés ici en cause sont des sociétés mexicaines, et si la distribution des actions d'une société mexicaine ne constitue pas une distribution visée par règlement, le paragraphe 86.1(2) ne s'applique tout simplement pas.

[11]     Je puis certes comprendre comment Mme Morasse, par l'entremise de son représentant, croit que cette disposition visait ce type de situation et, sur le plan de la politique, il semble inéquitable qu'elle ne puisse pas se prévaloir des avantages qu'offre l'article 86.1. La Couronne a répondu en disant qu'étant donné que ce type de réorganisation avec dérivation ne se rapportait pas au capital-actions d'une filiale qui était distribué par une société mère, cette distribution ne serait jamais visée par règlement. Les réorganisations avec dérivation dans des ressorts étrangers peuvent prendre différentes formes. La législation fiscale canadienne a défini la forme qu'elle juge acceptable en vue de permettre un report d'impôt. Malheureusement, en ce qui concerne Mme Morasse, les structures prévues à l'article 86.1 ne s'appliquent pas à l'escisión mexicaine.

[12]     Selon l'argument de rechange invoqué par Mme Morasse, il est erroné de considérer la distribution des actions d'América Móvil comme donnant lieu à un dividende en actions; les actions ne représentent pas un revenu de placement.

[13]     Il s'agit d'un point intéressant. Étant donné que l'affaire qui nous occupe est régie par la procédure informelle, que l'appelante n'est pas représentée par un avocat et que des lois concernant la réorganisation de sociétés étrangères sont en cause, il n'est pas nécessaire de s'arrêter longuement à la notion de revenu, question qui n'a pas été débattue à fond. Toutefois, comment une société (Telmex) qui ne possède pas d'actions d'América Móvil, distribue-t-elle de telles actions en tant que dividende en actions? À coup sûr, il y a eu distribution du capital-actions, mais cette distribution résultait d'une restructuration générale de Telmex, d'une restructuration dans laquelle les actions d'América Móvil n'ont jamais en fait appartenu à Telmex. TD Waterhouse a affirmé qu'il s'agissait d'un dividende en actions et a enregistré la valeur du capital-actions en tant que revenu de placement, mais ce n'est certes pas déterminant. Toutefois, est-ce vraiment un revenu de placement sous la forme d'un dividende en actions?

[14]     La réponse se trouve au début de la Loi, où les règles générales de détermination du revenu sont énoncées à l'article 3, qui est en partie ainsi libellé :

3           Pour déterminer le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, pour l'application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer :

a)          le calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l'année (autre qu'un gain en capital imposable résultant de la disposition d'un bien) dont la source se situe au Canada ou à l'étranger, y compris, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien;

[15]     La distribution d'actions d'América Móvilconstitue-t-elle un revenu dont la source se situe à l'étranger, ou s'agit-il d'un gain en capital imposable résultant de la disposition d'un bien ou encore s'agit-il d'un montant qui n'appartient tout simplement pas à l'une ou l'autre de ces catégories et qui ne devrait donc pas être inclus dans le revenu?

[16]     Pour qu'il y ait gain en capital résultant de la disposition d'un bien, Mme Morasse doit avoir disposé d'un bien. Or, elle ne l'a pas fait. La restructuration mexicaine a fait passer la valeur des actions de Telmex aux actions d'América Móvil, mais Mme Morasse n'a pas disposé des actions de Telmex. Il n'y a rien dans la description de l'opération figurant dans les documents qui m'ont été fournis qui donne à entendre que Mme Morasse ait disposé de ses actions de Telmex et ait reçu en échange un nombre égal d'actions de Telmex et d'América Móvil. La chose aurait pour effet de donner à la substance juridique de la restructuration une portée qui ne correspond pas à la réalité. Les capitaux propres de Telmex auraient été réduits au moment de la réorganisation avec dérivation, avec une augmentation correspondante des capitaux propres d'América Móvil. Pareille opération n'avantageait peut-être pas Mme Morasse au point de vue financier, mais comme il a clairement été dit dans plusieurs décisions récentes, ce n'est pas la substance financière qui régit une opération aux fins de la détermination de l'obligation fiscale; c'est plutôt la relation juridique qui importe. Mme Morasse n'a pas disposé de ses actions de Telmex malgré leur valeur réduite : il n'y a pas eu de disposition, il n'y a pas eu de gain en capital et il n'y a pas eu de perte.

[17]     Quelle est donc la nature de la distribution? Je ne souscris pas à la prétention de l'intimée selon laquelle il s'agit d'un dividende en actions. Il ne s'agit pas d'un dividende en actions selon la définition figurant dans la Loi étant donné qu'un dividende en actions doit se rapporter à une action de la société qui a versé le dividende. Telmex n'a pas émis ses propres actions en faveur des actionnaires. C'est América Móvil qui l'a fait, mais comment une action qui est émise en faveur de quelqu'un qui n'est pas un actionnaire peut-elle être considérée comme donnant lieu à un dividende tant que l'action n'est pas émise? Voici le problème : les actions d'América Móvil ont été émises dans le cadre de l'escisión, un mécanisme qui ne permet pas de considérer la distribution comme imputable à un dividende.

[18]     S'il ne s'agit pas d'un dividende, est-ce néanmoins un revenu dont la source est située à l'étranger? Les actions d'América Móvil ont été émises dans le cadre d'une réorganisation : elles n'auraient pas été émises si ce n'avait été de la décision de Telmex de procéder à la réorganisation avec dérivation. En d'autres termes, Telmex a demandé à América Móvil d'émettre des actions en faveur des actionnaires. Toutefois, il ne s'agit pas d'un avantage conféré à un actionnaire, étant donné que l'alinéa 15(1)a) interdit expressément tout avantage résultant de la réorganisation. Il s'agit de la réception des actions d'une société qui découle uniquement de la possession d'actions d'une autre société, dans le cadre d'une réorganisation.

[19]     Il est certain que la participation de Mme Morasse dans Telmex constituait un placement : il y avait une source de revenu à l'étranger. Cette source a été à l'origine des actions possédées dans América Móvil. Cependant, les titres d'América Móvil représentent-ils des bénéfices sous-jacents de Telmex? Qu'est-ce que le montant de 12 432 $ représente? Y a-t-il eu baisse correspondante de la valeur des actions de Telmex, compensant la « valeur » reçue par Mme Morasse sous la forme d'actions d'América Móvil? Selon un rapport annuel que Telmex a déposé auprès de la Securities and Exchange Commission américaine le 23 août 2001[4], le cours des ADS de Telmex, aux mois de février et de mars 2001, avait baissé; il était passé d'un niveau record de 54 $ à environ 34 $ l'action. Il faut se rappeler que la réorganisation avec dérivation a eu lieu au mois de février 2001. Mme Morasse possédait 400 CRAEA de Telmex et elle a donc connu une baisse de la valeur de ses CRAEA d'environ 8 000 $ US à ce moment-là. À supposer un taux de change d'environ une fois et demie contre un, ce montant correspond à peu près à 12 000 $, soit un peu moins que la valeur que l'intimée a attribuée en tant que revenu tiré de la réception des actions d'América Móvil par Mme Morasse.

[20]     Dans la réponse, l'intimée désigne la distribution de 400 CRAEA comme étant une distribution du capital-actions, en évitant d'une façon fort appropriée l'expression « dividende en actions » , même si elle se fonde sur l'article 90 ainsi que sur l'alinéa 12(1)k) de la Loi. L'article 90 est rédigé comme suit :

90(1)     Dans le calcul du revenu, pour une année d'imposition, d'un contribuable résidant au Canada, il doit être inclus toute somme reçue par le contribuable au cours de l'année au titre ou en paiement intégral ou partiel des dividendes afférents à une action qui lui appartient dans le capital-actions d'une société ne résidant pas au Canada.

[21]     Comme il en a déjà été fait mention, les titres d'América Móvil que Mme Morasse a reçus n'ont pas été reçus à titre de dividendes en tant que tels, et ils n'ont pas été reçus en paiement des dividendes afférents aux actions de Telmex. Dans le cadre de la réorganisation, Telmex a veillé à ce que ses actionnaires reçoivent les actions d'América Móvil, non en tant que partie de la distribution de bénéfices, mais par suite de la transmission du capital de Telmex à América Móvil. Les documents produits à l'instruction confirment cette transmission d'une société à l'autre.

[22]     L'intimée a soutenu que Mme Morasse ne pouvait établir que la distribution du capital-actions ne constituait pas une source de revenu que si elle établissait qu'il s'agissait soit d'un remboursement de capital soit d'un prêt. Je suis d'accord avec l'avocat de l'intimée pour dire que rien ne donne à entendre qu'un prêt ait été consenti. Toutefois, je ne suis pas d'accord avec lui pour dire que, tout bien pesé, la baisse concomitante du cours des actions de Telmex milite en faveur d'un dividende plutôt que d'un remboursement de capital. L'intimée fait valoir qu'aucun élément de preuve ne montre que la distribution du capital-actions ne se rapporte pas à la distribution d'une partie des bénéfices de la société. Encore une fois, je ne suis pas d'accord. L'escisión est fondée sur l'idée selon laquelle une entreprise identifiable distincte d'une société est transférée à une autre société, soit dans ce cas-ci l'entreprise de télécommunications sans fil de Telmex. Selon le bulletin d'information daté du 15 février 2000, la chose est accomplie au moyen du transfert d'actifs désignés de Telmex, y compris les actions de filiales, en faveur d'América Móvil. Elle n'est pas accomplie au moyen de la transmission des bénéfices non répartis de la société à l'actionnaire. C'est ce que confirme l'énoncé suivant, figurant dans la note 2 jointe aux états financiers de Telmex en date du 31 décembre 2000, lesquels sont joints au formulaire 20-F/A, qui a été déposé auprès de la Securities and Exchange Commission le 23 août 2001[5] :

[TRADUCTION]

            Les actifs et passifs des entreprises qui ont cessé leurs activités ont été transférés à América Móvil à leur valeur comptable. Le montant des capitaux propres des actionnaires qui a été transféré à América Móvil dans le cadre de la réorganisation avec dérivation a été déterminé comme étant la différence entre les actifs et les passifs transférés et sera comptabilisé en tant que réduction des capitaux propres de Telmex au moment de la réorganisation.

Il semble qu'entre Telmex et América Móvil, les capitaux propres des actionnaires soient demeurés les mêmes; en effet, il n'y a pas eu distribution des bénéfices en faveur des actionnaires dans le cadre de cette réorganisation mexicaine.

[23]     L'intimée a offert deux possibilités pour que la distribution soit jugée non imposable : un prêt ou un remboursement de capital. Pourtant, ce n'est pas ce qui s'est passé. L'opération est davantage assimilable à un fractionnement d'actions qu'à un dividende en actions et, en l'absence d'une preuve d'expert contraire portant sur le droit mexicain, je suis prêt à la considérer sous cet angle.

[24]     En résumé, la distribution, dans cette réorganisation, ne donnait pas lieu à un dividende en actions. Je suis convaincu que les capitaux propres sous-jacents de Telmex et d'América Móvil après l'escisión correspondaient aux capitaux propres de Telmex avant l'escisión. L'actionnaire, Mme Morasse, n'a tout simplement pas reçu d'une source située à l'étranger un revenu qui est assujetti à l'article 3 de la Loi : au mieux, elle a reçu des actions dans le cadre d'une réorganisation, et la chose est presque analogue à un genre de fractionnement des actions. Les auteurs se sont longuement arrêtés à la notion de revenu. Dans cette procédure informelle, où l'appelante n'est pas représentée, je ne suis pas prêt à me lancer dans un autre long exposé à ce sujet. Les pièces produites à l'instruction m'ont convaincu que cette distribution ne crée pas un revenu. L'appel est admis et l'affaire est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que le montant de 12 342 $ ne constitue pas un revenu assujetti à l'article 3 de la Loi.

Signé à Ottawa, Ontario, ce 23e jour de mars 2004.

                  « Campbell J. Miller »                

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mars 2005.

Jacques Deschênes, traducteur



[1]           Pièce R-3.

[2]           Précité, page 9.

[3]           Pièce R-4, page 31.

[4]           Pièce R-4.

[5]           Pièce R-4, page F-12.

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