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Référence : 2006CCI279

Date : 20060512

Dossiers : 2005‑1558(EI), 2005‑1560(EI)

2005‑1563(EI), 2005‑1564(EI)

ENTRE :

TERRA REMOTE SENSING INC.,

JAMES VOSBURGH, HARRY OLYNYK et FREDERICK QUINN,

appelants,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Représentant des appelants : Terrence Walter Greene

Avocat de l’intimé : Me John Gibb‑Carsley

____________________________________________________________________

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Rendus oralement à l’audience à

Victoria (Colombie‑Britannique), le 30 mars 2006.)

 

Le juge Miller

 

[1]     Les quatre appels interjetés sous le régime de la procédure informelle par la société Terra Remote Sensing Inc. (ci‑après « Terra »), James Vosburgh, Harry Olynyk et Frederick Quinn ont été instruits ensemble sur preuve commune. Les appels portent tous sur la question de savoir si les particuliers appelants avaient ou non un lien de dépendance avec la société appelante pendant la période du 1er août 2000 au 20 novembre 2003. Si un tel lien de dépendance existait, alors, en application de l’alinéa 5(2)i) de la Loi sur l’assurance‑emploi, les emplois que les particuliers appelants exerçaient ne sont pas assurables.

 

[2]     Aucun des appelants n’a comparu à l’instruction pour témoigner. En effet, leur représentant, M. Greene, qui était aussi leur comptable, a reconnu qu’il était plus désireux de poursuivre la présente affaire que ne l’étaient les appelants eux‑mêmes. Il a été le seul à témoigner au cours du procès. C’est dommage puisque je n’ai pas eu l’occasion d’entendre comment les particuliers appelants eux‑mêmes décrivaient les relations que chacun d’eux avait avec la société.

 

[3]     Au vu des hypothèses de l’intimé et du témoignage de M. Greene, j’ai conclu ce qui suit. En date du 1er août 2000, 24,58 % des actions de Terra appartenaient à une société contrôlée par M. Vosburgh, 18,29 % à une société contrôlée par M. Olynyk, 24,85 % à une société contrôlée par M. Quinn et un peu plus de 30 % à 10 autres employés. Les particuliers appelants ne sont pas liés entre eux. Chacun d’eux était un administrateur de la société. Ils bénéficiaient tous d’un régime d’avantages sociaux complet qui comprenait une assurance médicale, une assurance dentaire, une assurance‑invalidité, une assurance‑vie et une paie de vacances. Ils recevaient un salaire mensuel régulier. Leurs salaires différaient, selon M. Greene, parce que les employés qui devaient se déplacer étaient mieux rémunérés que les autres, et que M. Vosburgh devait se déplacer plus souvent que les autres.

 

[4]     M. Greene a témoigné que les particuliers appelants avaient cautionné Terra pour les emprunts bancaires qu’elle avait contractés, et qu’ils avaient cédé au créancier bancaire la police d’assurance personne‑clé qui avait été souscrite sur leurs têtes. M. Greene a aussi affirmé que, dans une demande de crédit d’impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental (la « RS&DE ») présentée auprès de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’« ADRC »), il avait désigné les trois particuliers appelants comme des employés déterminés, c’est‑à‑dire des personnes qui sont des actionnaires déterminés de la société ou qui ont un lien de dépendance avec celle‑ci. M. Greene a aussi présenté des éléments de preuve selon lesquels une action avait été intentée contre les trois particuliers appelants par un ancien employé de la société, qui les a notamment accusés de complot. Le litige avait été réglé à l’amiable. M. Greene a aussi produit une copie du régime de retraite des employés désignés de la société, et il a affirmé que les particuliers appelants avaient renoncé à leur droit d’exiger que la société contribue au régime en 2003 et en 2004. Ils voulaient faire en sorte que tout le monde touche à peu près les mêmes prestations au titre du régime.

 

[5]     Compte tenu de ce témoignage, M. Greene souhaite que je conclue que chacun des particuliers appelants avait un lien de dépendance avec la société appelante. Les dispositions législatives applicables en l’espèce sont, entre autres, l’alinéa 5(2)i) de la Loi sur l’assurance‑emploi, qui est ainsi rédigé :

 

5(2)   N’est pas un emploi assurable :

 

[…]

 

        i)           l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

L’alinéa 5(3)a), qui est ainsi libellé, s’applique également en l’espèce :

 

5(3)   Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

 

        a)          la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu […]

 

Quant à la Loi de l’impôt sur le revenu, le paragraphe 251(1) prévoit que :

 

251(1)  Pour l'application de la présente loi :

 

            […]

 

           c)          […] la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'ont aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

 

Il s’agit des dispositions législatives en cause.

 

[6]     Dans l’arrêt Peter Cundill & Associates Ltd. v. Canada[1], la Cour d’appel fédérale a adopté, sur cette question, la position de l’ADRC qui a été exposée dans le bulletin d’interprétation 419R. Il est indiqué dans ce dernier que les critères suivants permettent de déterminer si une transaction a été réalisée par des personnes n’ayant pas de lien de dépendance entre elles : premièrement, un seul cerveau dirige les négociations pour les deux parties à la transaction; deuxièmement, les parties à la transaction agissent de concert sans intérêts distincts; troisièmement, il y a exercice effectif (de fait) du contrôle. Il est important de souligner que ces critères doivent être appliqués aux transactions que les particuliers appelants ont conclues avec la société appelante en tant que ses employés, et non en tant que ses actionnaires.

 

[7]     Il ne fait aucun doute que les particuliers appelants étaient des employés de la société appelante. La question qu’il faut se poser est de savoir s’ils avaient, à titre d’employés, un lien de dépendance avec la société. Il est clair qu’ils n’exerçaient pas de contrôle de fait sur celle‑ci. Aucun appelant n’avait à lui seul sur la société appelante un contrôle qui lui aurait permis d’influencer la position de négociation de celle‑ci lors de l’établissement du contrat de travail. De plus, je n’ai aucune difficulté à conclure qu’il n’existait pas de cerveau dirigeant les négociations pour les deux parties. Il n’y a absolument aucune preuve en ce sens.

 

[8]     Non, le seul critère dont l’examen doit, selon moi, être approfondi est la question de savoir si les parties agissaient de concert sans intérêts distincts. Contrairement au juge qui a rendu la décision dans la cause Crawford & Co. v. M.N.R.[2], qui a été invoquée par M. Greene, je ne dispose d’aucun élément de preuve émanant des particuliers appelants sur les modalités d’établissement de leur salaire. Dans l’affaire Crawford, l’employé a établi son propre salaire. De plus, contrairement au juge saisi de l’affaire Crawford, je ne dispose d’aucun élément de preuve me permettant de savoir si les salaires des particuliers appelants étaient inférieurs aux salaires en vigueur sur le marché. La preuve révèle cependant que quelqu’un a décidé, d’une certaine façon (aucune preuve n’a été présentée à l’égard de l’identité de cette personne et des circonstances entourant cette décision), que les employés qui se déplaçaient de leur domicile devaient toucher une rémunération supplémentaire. La preuve portée à ma connaissance indiquait aussi que les particuliers appelants recevaient un éventail normal d’avantages sociaux. Ces considérations m’ont porté à conclure que, tout compte fait, la société et les employés n’agissaient pas sans intérêts distincts, tout au contraire. Les contrats de travail démontrent qu’ils avaient adopté des positions de négociation adverses qui sont normalement adoptées par un employeur et ses employés.

 

[9]     M. Greene a fait valoir que l’existence d’un régime de retraite et de cautions prouvaient que les particuliers appelants et la société appelante agissaient de concert. Cela prouve peut‑être que les particuliers appelants agissaient conjointement, mais on ne s’attendrait à rien de moins de la part de trois actionnaires détenant deux tiers de la société. Il ne s’ensuit pas nécessairement qu’ils ont agi de concert avec la société à l’égard des contrats de travail. Je ne suis pas convaincu que les particuliers appelants eux‑mêmes agissaient de concert. M. Greene a dit qu’il en avait toujours été ainsi. Mais la convention d’actionnaires, par laquelle, selon ses dires, ils étaient liés, prévoyait des modalités leur permettant d’agir individuellement. Par exemple, aucun des trois particuliers appelants ne pouvait s’opposer à l’adoption d’une résolution soutenue par tous les autres actionnaires de la société.

 

[10]    M. Greene a également soutenu que la demande de crédit d’impôt de RS&DE prouvait que les particuliers appelants eux‑mêmes considéraient qu’ils avaient un lien de dépendance avec la société, et, pourtant, cette demande cadre tout aussi bien avec la thèse selon laquelle ils étaient simplement des actionnaires déterminés.

 

[11]    M. Greene, vous avez couru un risque en poursuivant la présente affaire sans que vos clients témoignent. Ils auraient peut‑être réussi à me convaincre en décrivant de façon plus détaillée quelles étaient les modalités de leurs emplois, comment elles avaient été établies, qui prenait les décisions et lesquelles, et en portant à ma connaissance une myriade d’autres faits relatifs aux rapports qui existaient entre les particuliers appelants et la société. Mais la seule chose sur laquelle je pouvais réellement me fonder c’est votre témoignage selon lequel dans les relations qu’ils entretenaient avec la société en tant que ses employés, les particuliers appelants agissaient de concert avec celle‑ci. C’était tout simplement insuffisant pour me permettre de conclure qu’ils exerçaient un emploi exclu des emplois assurables. Je rejette donc les présents appels.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de mai 2006.

 

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juillet 2007.

 

 

 

Jean David Robert, traducteur


 

RÉFÉRENCE :

2006CCI279

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2005‑1558(EI), 2005‑1560(EI), 2005‑1563(EI) et 2005‑1564(EI)

 

INTITULÉ :

Terra Remote Sensing Inc., James Vosburgh, Harry Olynyk et Frederick Quinn et Le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Victoria (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 mars 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 5 avril 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant des appelants :

Terrence Walter Greene

 

Avocat de l’intimé :

Me John Gibb‑Carsley

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour les appelants :

 

Nom :

s.o.

 

Cabinet :

s.o.

 

Pour l’intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]           91 DTC 5543.

[2]           1999 CarswellNat 3185.

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