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Dossier : 2003-2539(GST)I

ENTRE :

CHRISTIANE HAMEL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

___________________________________________________________________

Appel entendu le 10 février 2004 à Québec (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :

Me Nathalie Simard

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 31 juillet 2002, portant le numéro 021330007229G0001, relativement à la taxe sur les produits et services, pour la période du 1er juillet 2001, est accueilli, sans frais, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour qu'il procède à une nouvelle analyse et à de nouveaux calculs des divers montants devant faire l'objet de remboursements auxquels l'appelante a droit selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d'avril 2004.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2004CCI315

Date : 20040430

Dossier : 2003-2539(GST)I

ENTRE :

CHRISTIANE HAMEL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      Il s'agit de l'appel d'une décision de l'intimée de refuser la demande de remboursement de la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) soumise le 6 mai 2003 à la suite de la construction d'une habitation familiale personnelle.

[2]      La demande de remboursement était fondée sur le paragraphe 256(2) de la Loi sur la taxe d'accise ( « LTA » ). Même s'il existe une équivoque quant à la date de la fin des travaux, à savoir si c'est en juin 2001 ou le 1er septembre de la même année, la demande de remboursement a été produite à l'intérieur du délai de deux ans prévu par le paragraphe 256(3) de la Loi qui se lit comme suit :

Demande de remboursement - Les remboursements prévus au présent article ne sont versés que si le particulier en fait la demande dans les deux ans suivant le premier en date des jours suivants :

a) le jour qui tombe deux ans après le jour où l'immeuble est occupé pour la première fois de la manière prévue au sous-alinéa 2d)(i);

a.1) le jour du transfert de la propriété visé au sous-alinéa (2)d)(ii);

b) le jour où la construction ou les rénovations majeures de l'immeuble sont achevées en grande partie.

[3]      Pour établir la cotisation, le ministre du Revenu national ( « Ministre » ) a tenu pour acquis les faits suivants au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel ( « Réponse » ) :

a)      les faits ci-dessus connus;

b)      au cours de l'année 2001, l'appelante s'est construite une résidence située au 123, rue des Grenadiers, à Boischâtel;

c)      monsieur Alain Crépeault et l'appelante sont copropriétaires en indivision de cette résidence;

d)      la valeur de cette résidence serait de 195 000 $;

e)      le ou vers le 6 mai 2002, l'appelante, à titre d'auto-constructeur, a produit une demande de remboursement de « TPS » au montant de 4 637,40 $ pour le compte des copropriétaires;

f)       la demande fut refusée par l'intimée en raison des faits suivants;

g)      le ou vers le 25 juillet 2002, l'appelante a fait part au vérificateur que seulement un des copropriétaires, soit elle-même se sert de la résidence comme résidence habituelle depuis que l'immeuble est habitable;

h)      monsieur Crépeault habite le 1630, de Niverville, à Québec au moment de la demande de remboursement;

i)       dans le cours de la discussion, l'appelante qualifie ses liens avec monsieur Crépeault comme étant d'amitiés seulement;

j)       au bout d'un moment, toujours au cours de cette conversation, l'appelante admet que monsieur Crépeault est son ami de coeur mais qu'ils n'habitent pas ensemble, afin de ne pas perdre d'avantages fiscaux reliés au statut de mère monoparental ainsi qu'en ce qui a trait à l'importance de la pension alimentaire qu'elle reçoit;

k)      dans sa lettre du 10 septembre 2002, l'appelante mentionne que l'acte notarié est fait au nom des deux copropriétaires pour compenser le fait que monsieur Crépeault ait bâti la résidence sans rémunération;

l)       l'appelante ajoute dans sa lettre être la seule à effectuer les paiements hypothécaires;

m)     l'acte d'hypothèque immobilière est au nom des deux copropriétaires;

n)      le nom de monsieur Crépeault figure aussi sur le contrat d'achat du terrain, sur le contrat d'assurance de l'immeuble et sur les registres de la municipalité;

o)      plusieurs factures d'achat de matériaux sont faites au nom de monsieur Crépeault;

p)      d'autres factures d'achat de matériaux sont faites au nom de tierces personnes ou sont réclamées en double;

q)      le guide VD-366.G (2000-10) mentionne à la page 6 dans la section renseignements généraux que s'il y a plusieurs acheteurs, un seul peut présenter une demande de remboursement, mais tous doivent satisfaire aux conditions d'admissibilité;

[4]      La question en litige consiste à déterminer si l'appelante a droit au remboursement de la TPS qu'elle a payée dans le cadre du projet d'auto-construction de la résidence.

[5]      L'appelante est la mère monoparentale de deux enfants mineurs; elle s'est liée d'amitié avec un certain Alain Crépeault. Ensemble, ils ont élaboré un projet de construction d'une résidence familiale. La résidence a effectivement été construite et l'appelante y est emménagée avec ses enfants. Elle a soumis par la suite une demande de remboursement de la TPS.

[6]      Comme l'appelante partageait le titre de propriété de la résidence en question avec son ami Alain Crépeault, lequel avait agi comme maître d'oeuvre et entrepreneur, l'intimée a fait une première vérification dans le but de connaître l'adresse résidentielle des deux co-propriétaires de l'immeuble faisant l'objet d'une demande de remboursement.

[7]      L'enquête a révélé que l'appelante demeurait bel et bien dans la nouvelle résidence mais que le co-propriétaire, Crépeault, résidait au 1630 de la rue Niverville à Québec.

[8]      L'intimée a alors effectué d'autres vérifications pour corroborer le premier constat, à savoir que monsieur Crépeault ne résidait pas avec l'appelante dans la nouvelle résidence. Ces démarches, effectuées notamment auprès de la Société de l'Assurance Automobile du Québec, ont confirmé que le co-propriétaire ne résidait pas à la nouvelle adresse.

[9]      L'appelante n'a jamais nié ou contesté les constats de l'intimée quant à l'adresse résidentielle de Crépeault; elle n'a d'ailleurs rien fait pour cacher cette réalité. Elle a expliqué qu'il s'agissait là d'un ami qu'elle fréquentait sur une base régulière. Tous deux divorcés, ils envisageaient éventuellement de former une famille reconstituée.

[10]     Dans le cadre de ce projet de vie commune, ils ont décidé ensemble de construire la résidence en question, le tout étant largement facilité par la grande expertise de monsieur Crépeault en matière de construction.

[11]     La vraisemblance du projet de vie n'est d'ailleurs pas une invention ou une explication intéressée de l'appelante pour devenir admissible au remboursement; elle repose sur des assises documentées, solides et incontournables. En effet, Crépeault est co-propriétaire du terrain, co-emprunteur du montant garanti par hypothèque, etc.; ces faits étaient d'ailleurs connus de l'intimée qui les a allégués aux alinéas m, n, et o du paragraphe 5 de la Réponse.

[12]     L'appelante a expliqué que le projet de cohabitation avait été retardé à cause de difficultés d'intégration qu'éprouvaient ses enfants. Pour aplanir les difficultés, elle a expliqué avoir consulté des professionnels. Elle et son ami ont également suivi des cours. Elle a conclu cette facette de son témoignage en indiquant qu'elle cohabitait avec le co-propriétaire depuis le début de janvier 2004.

[13]     L'intimée a rejeté la demande de remboursement pour le motif que les deux co-propriétaires devaient remplir les conditions énumérées au paragraphe 256(2) de la LTA, ciblant ainsi tout spécifiquement le fait qu'Alain Crépeault n'habitait pas la nouvelle habitation au moment de la présentation de la demande.

[14]     La nouvelle habitation n'étant pas la résidence habituelle d'Alain Crépeault au sens du paragraphe 256(2) de la LTA, l'intimée a conclu que la demande devait être rejetée puisqu'il en était le co-propriétaire. En outre, il n'était pas un proche de l'appelante au sens du paragraphe 256(1) de la LTA.

[15]     Les dispositions applicables de la LTA se lisent comme suit :

256. (1) Définitions - Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

[...]

« proche » L'ex-époux ou ancien conjoint de fait d'un particulier ou un autre particulier lié à ce particulier.

(2) Remboursement - habitation construite par soi-même - Le ministre verse un remboursement à un particulier dans le cas ou, à la fois :

a) le particulier, lui-même ou par un intermédiaire, construit un immeuble d'habitation - immeuble d'habitation à logement unique ou logement en copropriété - ou y fait des rénovations majeures, pour qu'il lui serve de résidence habituelle ou serve ainsi à son proche;

b) la juste valeur marchande de l'immeuble, au moment où les travaux sont achevés en grande partie, est inférieure à 450 000 $;

c) le particulier a payé la taxe prévue à la section II relativement à la fourniture par vente, effectuée à son profit, du fonds qui fait partie de l'immeuble ou d'un droit sur ce fonds, ou relativement à la fourniture effectuée à son profit, ou à l'importation par lui, d'améliorations à ce fonds ou, dans le cas d'une maison mobile ou d'une maison flottante, de l'immeuble (le total de cette taxe prévue au paragraphe 165(1) et aux articles 212 et 218 étant appelé « total de la taxe payée par le particulier » au présent paragraphe);

d) selon le cas :

(i) le premier particulier à occuper l'immeuble après le début des travaux est le particulier ou son proche,

(ii) le particulier effectue par vente une fourniture exonérée de l'immeuble, et la propriété de celui-ci est transférée à l'acquéreur avant que l'immeuble ne soit occupé à titre résidentiel ou d'hébergement.

Le montant remboursable est égal au montant suivant :

e) si la juste valeur marchande visée à l'alinéa b) est d'au plus 350 000 $, 8 750 $ ou, s'il est inférieur, le montant représentant 36 % du total de la taxe payée par le particulier avant l'envoi de la demande de remboursement au ministre;

f) sinon, le résultat du calcul suivant :

A x (450 000 $ - B)

100 000 $

où :

A        représente 8 750 $ ou, s'il est inférieur, le montant représentant 36 % du total de la taxe payée par le particulier avant l'envoi de la demande de remboursement au ministre,

B        la juste valeur marchande de l'immeuble visée à l'alinéa b).

262 (3) Lorsque la fourniture d'un immeuble d'habitation ou d'une part du capital social d'une coopérative d'habitation est effectuée au profit de plusieurs particuliers ou que plusieurs particuliers construisent ou font construire un immeuble d'habitation, ou y font ou font faire des rénovations majeures, la mention d'un particulier aux articles 254 à 256 vaut mention de l'ensemble de ces particuliers en tant que groupe. Toutefois seulement l'un d'entre eux peut demander le remboursement en application des articles 254, 254.1, 255 ou 256 relativement à l'immeuble ou à la part.

[16]     Souscrire à l'interprétation de l'intimée aurait pour effet de pénaliser l'appelante pour son attitude et son comportement responsables.

[17]     Tous les faits relatés par l'appelante sont cohérents et s'inscrivent dans une logique sans faille, d'autant plus qu'il était normal que la présence de jeunes enfants ait un impact sur un projet semblable.

[18]     L'appelante et son ami, monsieur Crépeault, tous deux co-propriétaires de la nouvelle habitation, n'ont tout simplement pas voulu brûler les étapes et risquer de traumatiser les enfants. Ils ont agi avec maturité et de manière responsable.

[20]     Au moment de la présentation de la demande en mai 2002, il n'y a aucun doute qu'Alain Crépeault n'utilisait pas la nouvelle habitation comme résidence habituelle; ce n'est qu'en janvier 2004 qu'il y a emménagé.

[21]     Au moment de la présentation de la demande, il était cependant possible, voire probable que Crépeault y emménage un jour. Cela s'inscrivait d'ailleurs dans la logique de tous ses faits et gestes. En effet, il avait acquis le terrain en co-propriété, il avait co-emprunté pour financer le projet, son nom apparaissait dans plusieurs registres à titre de co-propriétaire notamment ceux de la municipalité et des assureurs. En outre, il avait lui-même dirigé le chantier de construction.

[22]     À cet égard, le mémorandum sur la TPS no 19.3 relatif au remboursement pour immeubles est fort intéressant. Il se lit comme suit :

Si une personne a plus d'un lieu de résidence, on tient compte des facteurs suivants pour déterminer si la résidence peut être considérée comme lieu de résidence habituelle : l'intention du particulier d'utiliser l'habitation à titre de lieu de résidence habituelle, la durée pendant laquelle il habite le lieu, et l'adresse qui figure sur les documents personnels du particulier.

L'intention du particulier d'utiliser l'habitation à titre de lieu de résidence habituelle doit être manifeste au moment de l'acquisition, ou dès le début de la construction ou de la rénovation majeure de l'habitation. L'intention d'utiliser l'habitation à titre de lieu de résidence habituelle à une date plus éloignée, telle que la retraite, ne permet pas de considérer l'habitation comme lieu de résidence habituelle. Il faut souligner que le « lieu de résidence habituelle » ne correspond pas nécessairement à la « résidence principale » de la personne aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu.[1]

[23]     Cette question de l'intention a été analysée d'une manière très pertinente dans l'affaire Boucher c. Canada, [2002] A.C.I. no 359 (Q.L.).

[24]     Bien qu'il soit toujours difficile de prouver d'une manière prépondérante l'intention d'une personne à un certain moment dans le temps, je crois qu'en l'espèce cette preuve est sans équivoque.

[25]     En effet, tous les faits et gestes de Crépeault s'inscrivaient dans la logique d'une personne qui comptait éventuellement s'installer dans cette habitation. Il s'agit certes d'une preuve circonstancielle, mais la seule conclusion que je retiens est qu'il avait bel et bien l'intention de faire éventuellement de l'habitation en question sa résidence habituelle. Voici les faits qui tendent en ce sens :

·         au moment de la construction de ladite maison, M. Crépeault et l'appelante étaient dans une relation exclusive depuis près de trois ans et désiraient cohabiter;

·         M. Crépeault est celui qui a construit la maison et ce, sans rétribution;

·         le nom de M. Crépeault est inscrit, à titre de copropriétaire, dans tous les contrats et registres relatifs à la maison;

·         l'appelante, les enfants de l'appelante et M. Crépeault ont suivi des sessions de consultation pour familles reconstituées afin de faciliter l'arrivée de M. Crépeault dans la famille;

·         l'appelante, les enfants de l'appelante et M. Crépeault habitent ladite maison depuis janvier 2004.

[26]     Quant à l'autre motif de refuser le remboursement, à savoir qu'Alain Crépeault n'était pas un proche de l'appelante, je me bornerai à dire que j'aurais de la difficulté à décider si deux adultes constituent des proches ou non en me fondant uniquement sur la preuve relative à l'adresse. Le fait d'habiter la même résidence et de partager les coûts prouve-t-il que les personnes en question sont des conjoints? Je ne le crois pas. Inversement, il est possible pour deux personnes d'être conjoints sans pour autant habiter en permanence absolue la même résidence. Le fait d'être conjoint ou proche sous-entend-t-il une relation d'exclusivité? Ce sont là quelques questions démontrant à quel point il peut être difficile de trancher ce différend.

[27]     En l'espèce, la prépondérance de la preuve est à l'effet que l'appelante avait fait de la nouvelle habitation sa résidence habituelle au moment de la présentation de sa demande en mai 2002. Quant au co-propriétaire, Alain Crépeault, il a aussi été établi à la satisfaction du tribunal qu'il avait réellement l'intention de faire de cette nouvelle habitation sa résidence habituelle, ce qui s'est d'ailleurs produit à compter de janvier 2004. L'intention était présente au moment de la conception du projet, pendant son exécution et aussi au moment de la présentation de la demande.

[28]     L'appel est donc accueilli. Le dossier devra être retourné au Ministre et une nouvelle cotisation devra être établie en tenant pour acquis que l'appelante a droit à la demande de remboursement. La demande devra toutefois se limiter aux montants admissibles car la preuve a démontré que l'appelante avait inclus dans sa demande des montants non admissibles; ces montants devront donc être soustraits du montant auquel l'appelante aura éventuellement droit.

[29]     Le tout sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d'avril 2004.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :

2003CCI315

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-2539(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Christiane Hamel et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE de l'audience :

le 10 février 2004

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :

le 30 avril 2004

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :

L'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :

Me Nathalie Simard

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]      Acte d'hypothèque, contrat d'achat du terrain, contrat d'immeuble, registres municipaux, etc. aux paragraphes 11 et 12.

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