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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier: 2002-3322(IT)I

ENTRE :

F. R. QUINN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 16 juin 2003 à Toronto (Ontario)

Par : L'honorable juge J. M. Woods

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate et représentant de l'intimée :

Me Donna Dorosh

Dwayne Morgan, stagiaire

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JUGEMENT

L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1998, 1999 et 2000 est rejeté.


Signé à Toronto, Canada, ce 11e jour de septembre 2003.

« J. M. Woods »

Le juge J. M. Woods

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de mai 2005.

Sophie Debbané, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Référence: 2003CCI423

Date: 20030911

Dossier: 2002-3322(IT)I

ENTRE :

F. R. QUINN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Woods

[1]      M. F. R. Quinn fait appel des cotisations d'impôt sur le revenu pour les années d'impositions 1998, 1999 et 2000. Dans ces cotisations, la déduction demandée par M. Quinn des pertes locatives à l'égard d'un bien sur l'île Hilton Head en Caroline du Sud a été refusée.

[2]      La Cour a entendu l'appel conformément à la procédure informelle.

Les faits

[3]      M. Quinn était cadre chez Texaco Canada (ci-après « Texaco » ) et est à la retraite depuis plusieurs années. Chez Texaco, M. Quinn s'occupait de l'acquisition et de la location de biens immobiliers au Canada et il a eu affaire avec un bon nombre des principaux promoteurs immobiliers au Canada. C'est par l'intermédiaire de l'un de ces contacts qu'il a acheté le bien résidentiel à Hilton Head, une île de villégiature proche de la côte de la Caroline du Sud.

[4]      Le bien à Hilton Head appartient à quatre groupes de propriétaires, et chaque groupe en a l'usage pendant 13 semaines. Toutefois, il ne s'agit pas à proprement parler d'une « résidence en multipropriété » . La famille Quinn a acquis un quart du bien en 1992 ou 1993. D'après le contrat de vente, le bien appartient à M. Quinn ainsi qu'à trois autres membres de la famille. De cette façon, tous les membres de la famille pouvaient jouer au golf sur un terrain de golf adjacent. Les autres membres de la famille n'ont pas contribué aux coûts associés au bien.

[5]      M. Quinn a déclaré avoir acheté le bien en vue de générer un revenu de location et que la location du bien pendant huit ou neuf semaines sur les treize durant lesquelles il en avait l'usage aurait, d'après lui, généré un profit d'environ 15 pour cent. Il était conscient que cette activité ne générerait pas de profit durant les premières années, mais il estimait qu'il en serait autrement à compter de la sixième année environ.

[6]      La famille utilisait également le bien à des fins personnelles. Selon M. Quinn, quand le bien n'était pas loué, il était occupé par la famille ou il était vacant. Dans ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1999 et 2000, M. Quinn a déclaré que la famille avait occupé le bien 40 pour cent du temps au cours des 13 semaines pendant lesquelles elle en disposait. Aucun élément de preuve n'établit que le bien ait été utilisé à des fins personnelles durant l'année d'imposition 1998.

[7]      M. Quinn a confié à trois agents le mandat de louer le bien, mais il préférait louer par le processus du bouche-à-oreille. M. Quinn a aussi annoncé sur l'Internet que le bien était à louer. M. Quinn a tenté de louer le bien durant l'été, la saison forte, puisque la famille ne l'occupait pas durant cette saison.

[8]      Le bien n'a pas encore généré de profit, mais M. Quinn estime qu'il existe encore une possibilité qu'il produise un revenu. Plusieurs des facteurs à l'origine du cycle de pertes locatives étaient imprévus : un taux de change défavorable; un litige avec l'ancien propriétaire qui a forcé les propriétaires à prendre en charge l'administration du bien; des coûts d'entretien élevés; une grosse remise à neuf des lieux et l'absence de touristes après l'attentat du 11 septembre 2001 au World Trade Centre.[1]

[9]      Dans ses déclarations de revenus pour les années d'imposition pertinentes, M. Quinn a déclaré les pertes suivantes : [2]

1998

1999

2000

$ CA

$ US

$ US

Revenu locatif brut

3 620,00 $

2 368,00 $

4 700,00 $

Frais

Publicité

110,00 $

         -       $

Intérêt

2 846,22

2 730,05

Gestion & admin.

4 032,46

4 319,48

Entretien & réparations

325,71

Commissions & déplacements inutiles

2 905,00

Téléphone, timbres

40,00

50,00

Total des frais

7 354,39 $

10 004,53 $

- Moins la partie des frais liés à l'usage à des fins personnelles

2 161,32

3 323,04

- Frais nets

5 193,00 $

6 681,48 $

Perte locative nette

2 825,07 $

1 981,49 $

Déduction pour amortissement

1 390,06

1 397,00

Perte locative nette déclarée en $ US

4 215,13 $

3 378,49 $

Perte locative nette déclarée en $ CA

6 751,00 $

6 262,65 $

[10]     La partie des frais liés à l'usage à des fins personnelles déduite dans les déclarations de revenus a été établie en fonction des semaines durant lesquelles la famille a occupé le bien. M. Quinn a déclaré que, en ce qui concerne le bien, aucune des déductions effectuées n'était excessive ou inappropriée. Par exemple, il n'avait pas demandé de déduction pour les frais de déplacement engagés relativement à l'entretien du bien.

[11]     M. Quinn croit que le bien pourra éventuellement produire un revenu parce qu'il se fie au sentiment instinctif qu'il a à propos du bien et de son emplacement, lequel lui vient de ses nombreuses années d'expérience dans le domaine de l'immobilier. Il a acquis le bien lorsque les prix étaient bas et a estimé que la Floride allait devenir une destination touristique un peu moins alléchante que les régions plus rapprochées.

[12]     Lors de la vérification, on a demandé à M. Quinn de remplir un questionnaire sur l'activité de location. M. Quinn n'a pas répondu de façon détaillée aux questions qui lui étaient posées. Par exemple, celle sur les prévisions de revenus est rédigée de la façon suivante :

                    [TRADUCTION]

« Q.      Fournissez des prévisions détaillées sur la façon dont vous prévoyez développer votre activité de location en une entreprise rentable. Ces projections devraient comprendre un échéancier, les dépenses en capital requises, les plans de commercialisation, le revenu de location estimatif, les réductions dans les frais généraux, etc. Des données financières courantes devraient être fournies, si possible.

R.          AUGMENTATION DE LOYER C'EST-À-DIRE, NOMBRE DE SEMAINES. JE SOUHAITE VOIR UNE HAUSSE DE LA VALEUR DU DOLLAR CANADIEN. ENTRE 1998 ET 2000 LE REVENU DE LOCATION EST PASSÉ DE 2441 $ À 4700 $ - 2001 S'ANNONCE BIEN. »

M. Quinn a déclaré qu'il pensait avoir fourni certaines prévisions de revenus au vérificateur, mais il n'a pas été capable de les retracer pour les fins de l'audience. Il a indiqué, toutefois, qu'elles auraient été des prévisions approximatives.

[13]     Le ministre du Revenu national (ci-après le « ministre » ) a refusé les pertes locatives déclarées à l'égard du bien pour les années d'imposition 1998, 1999 et 2000.

La question en litige

[14]     La question à trancher est celle à savoir si les pertes locatives déclarées par M. Quinn pour les années d'imposition 1998, 1999 et 2000 sont déductibles aux fins de l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (ci-après la « Loi » ).

Représentations des parties

[15]     Selon la Couronne, les pertes devraient être refusées d'abord et avant tout parce qu'il n'y a pas de source de revenus. Les pertes devraient aussi être refusées en vertu de l'alinéa 18(1)a) et de l'article 67. La Couronne prétend, en outre, que la déduction pour amortissement devrait être diminuée en vertu de la Règle 1100(11) pour qu'elle n'excède pas le revenu locatif. Il est également prétendu que, si la Cour rejetait les éléments de preuve de M. Quinn selon lesquels la famille n'a pas contribué aux coûts du bien, celui-ci ne devrait avoir droit qu'à 25 pour cent des pertes locatives puisque, selon le contrat de vente, le bien appartient aussi à trois autres membres de la famille.

[16]     Le principal argument de la Couronne est celui selon lequel il n'y a pas de source de revenus et, en ce qui a trait à cet argument, elle s'appuie sur l'arrêt Stewart c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 645 (3 C.T.C. 439) et sur l'affaire Titus c. Canada, [2003] A.C.F. no 227 (2003 DTC 5158 (C.A.F.)).

[17]     Par contre, M. Quinn fait valoir qu'ayant à son actif 40 années d'expérience dans des opérations immobilières complexes, il n'aurait pas acheté le bien s'il avait estimé qu'il ne générerait pas de profit. Il a reconnu qu'il y avait un certain risque, mais que, d'après lui, il était plutôt minime.

Analyse

[18]     Pour que l'activité de location du bien à Hilton Head constitue une source de revenus, l'intention prédominante de M. Quinn doit être d'exercer l'activité de location en vue de réaliser un profit, et cette intention doit être étayée par des éléments de preuve objectifs. Dans l'arrêt Stewart, la Cour suprême a formulé le critère de la façon suivante :

[54]          Il y a également lieu de souligner que la détermination de l'existence d'une source de revenu n'est pas un processus purement subjectif. Outre le fait que, pour qu'une activité soit qualifiée de commerciale par nature, le contribuable doit avoir l'intention subjective de réaliser un profit, il faut aussi, tel que mentionné dans l'arrêt Moldovan, que cette détermination se fasse en fonction de divers facteurs objectifs. Ainsi, sous une forme plus élaborée, le premier volet du critère susmentionné peut être reformulé ainsi : « Le contribuable a-t-il l'intention d'exercer une activité en vue de réaliser un profit et existe-t-il des éléments de preuve étayant cette intention? » Cela oblige le contribuable à établir que son intention prédominante était de tirer profit de l'activité et que cette activité a été exercée conformément à des normes objectives de comportement d'homme d'affaires sérieux.

[55]       Les facteurs objectifs énumérés par le juge Dickson dans Moldowan, précité, p. 486, étaient (1) l'état des profits et pertes pour les années antérieures, (2) la formation du contribuable, (3) la voie sur laquelle il entend s'engager, et (4) la capacité de l'entreprise de réaliser un profit. Comme nous le concluons plus loin, il n'est pas nécessaire pour les besoins du présent pourvoi d'ajouter d'autres facteurs à cette liste; nous nous abstenons donc de le faire. Nous tenons cependant à réitérer la mise en garde du juge Dickson selon laquelle cette liste ne se veut pas exhaustive et les facteurs diffèrent selon la nature et l'importance de l'entreprise. Nous tenons également à souligner que, même si l'expectative raisonnable de profit constitue un facteur à prendre en considération à ce stade, elle n'est ni le seul facteur, ni un facteur déterminant. Il faut déterminer globalement si le contribuable exerce l'activité d'une manière commerciale. Cette détermination ne devrait toutefois pas servir à évaluer après coup le sens des affaires du contribuable. C'est la nature commerciale de son activité qui doit être évaluée, et non son sens des affaires.

[19]     M. Quinn a témoigné qu'il avait l'intention de réaliser un profit avec cette résidence de villégiature et que des facteurs imprévus lors de l'acquisition étaient à l'origine des pertes locatives importantes. À mon avis, cette intention n'est pas étayée par les éléments de preuve objectifs, et je conclus que l'intention prédominante de M. Quinn était d'utiliser le bien à des fins personnelles.

[20]     Le bien de Hilton Head a été très souvent utilisé à des fins personnelles. Dès le début, la famille avait l'intention de passer des vacances dans ce bien. Selon le contrat de vente, le bien appartient à quatre membres de la famille pour qu'ils puissent tous jouer au golf sur le terrain de golf adjacent. La famille s'est amplement servie des 13 semaines qu'elle avait achetées. Bien que M. Quinn ait témoigné que la famille occupait le bien lorsqu'il ne pouvait être loué, il importe de noter que la famille a utilisé le bien lorsque cela lui convenait. M. Quinn a tenté de louer le bien durant les mois d'été qui, selon lui, représentaient la saison forte. Par contre, il a aussi déclaré que la famille n'avait pas besoin de se servir du bien en été puisqu'il était alors possible de jouer au golf au Canada.

[21]     En ce qui a trait à l'activité de location, le bien appartient à l'appelant depuis près de dix ans, et il n'a jamais réalisé de profit. Il importe de noter que l'appelant a subi des pertes pendant les cinq années d'imposition antérieures à celles en question. En outre, dans les années d'imposition en question, l'appelant a subi des pertes locatives importantes et produit des revenus locatifs peu élevés en comparaison avec les coûts d'entretien du bien.

[22]     Malgré le piètre rendement du bien sur le plan des profits durant les cinq années antérieures aux années d'imposition en question, peu d'éléments de preuve démontrent chez M. Quinn l'intention sérieuse de générer un profit avec l'activité de location. Il a témoigné qu'il avait confié à trois agents le mandat de louer le bien et qu'il annonçait sur l'Internet que le bien était à louer. Il a aussi témoigné qu'il préférait louer par le bouche-à-oreille, étant donné que la location par l'entremise d'agents coûtait plus cher. À mon avis, lorsqu'on tient compte de l'important usage du bien à des fins personnelles par M. Quinn et la famille, il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve établissant une intention prédominante de réaliser un profit avec le bien. S'il y avait eu une intention prédominante de réaliser un profit, des efforts supplémentaires auraient dû être déployés pour mettre fin au cycle de pertes. L'activité de location a diminué les dépenses à l'égard de ce qui était principalement une résidence de villégiature pour la famille. Cette conclusion s'appuie également sur l'absence d'un plan d'affaires détaillé et les brèves réponses que M. Quinn a fournies au questionnaire de l'ADRC.

[23]     Considérant l'ensemble des éléments de preuve, M. Quinn n'a pas établi que l'activité de location concernant le bien à Hilton Head est une source de revenus. Par conséquent, l'appel est rejeté.


Signé à Toronto, Canada, ce 11e jour de septembre 2003.

« J. M. Woods »

Le juge J. M. Woods

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de mai 2005.

Sophie Debbané, réviseure



[1]           L'attentat au World Trade Centre a eu lieu après les années d'imposition en question.

[2]           Dans le tableau, la perte pour l'année d'imposition 2000 a été corrigée pour refléter une erreur de calcul dans la déclaration de revenus. Les parties ne contestent pas cette correction.

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