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Date: 20010824

Dossier: 2000-4536-IT-I

ENTRE :

JACQUES MAHEU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel logé selon la procédure informelle par lequel l'appelant conteste une cotisation établie par le ministre du Revenu national (" Ministre ") où l'on refuse à l'appelant le crédit pour déficience mentale ou physique pour l'année d'imposition 1999 aux termes des articles 118.3 et 118.4 de la Loi de l'impôt sur le revenu (" Loi ").

[2]            Pour établir cette cotisation, le Ministre a tenu pour acquis les faits suivants :

a) un formulaire T2201 F (99) intitulé " Certificat pour le crédit d'impôt pour personnes handicapées " fut rempli par un médecin autorisé, le docteur Pierre Labelle, en date du 11 janvier 2000, qui diagnostiquait chez son patient une dépression nerveuse et une névrose phobique chronique; mais il estimait que l'appelant ne prenait pas un temps démesuré pour exécuter certaines activités essentielles de la vie quotidienne telles que voir, marcher, parler, réfléchir, percevoir, se souvenir, entendre, se nourrir et s'habiller, éliminer (fonctions intestinales);

b) le ministre a déterminé que l'appelant ne se trouve pas limité de façon marquée dans ses activités courantes de la vie quotidienne;

c) au cours de l'année d'imposition 1999, l'appelant ne s'est pas trouvé manifestement limité dans ses activités de vie quotidienne en raison d'une déficience mentale ou physique, grave et prolongée.

[3]            Pour avoir le droit au crédit pour déficience mentale ou physique, certaines conditions sont requises aux termes des articles 118.3 et 118.4 de la Loi qui se lisent comme suit :

Article 118.3: Crédit d'impôt pour déficience mentale ou                                          physique.

(1)Le produit de la multiplication de 4 118 $ par le taux de base pour l'année est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition, si les conditions suivantes sont réunies:

a) le particulier a une déficience mentale ou physique grave       et prolongée;

a.1) les effets de la déficience sont tels que la capacité du           particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

a.2) l'une des personnes suivantes atteste, sur formulaire prescrit,            qu'il s'agit d'une déficience mentale ou physique grave et           prolongée dont les effets sont tels que la capacité du     particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée:

          (i) un médecin en titre,

        (ii) s'il s'agit d'une déficience visuelle, un médecin en           titre ou un optométriste,

        (iii) s'il s'agit d'une déficience auditive, un médecin en          titre ou un audiologiste;

        (iv) s'il s'agit d'une déficience quant à la capacité à               marcher ou à s'alimenter et à s'habiller, un médecin en titre ou un ergothérapeute,

        (v) s'il s'agit d'une déficience sur le plan de la         perception, de       la réflexion et de la mémoire, un médecin         en titre ou un         psychologue;

b) le particulier présente au ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pour une année d'imposition;

c) aucun montant représentant soit une rémunération versée à un préposé aux soins du particulier, soit des frais de séjour du particulier dans une maison de santé ou de repos, n'est inclus par le particulier ou par une autre personne dans le calcul d'une déduction en application de l'article 118.2 pour l'année (autrement que par application de l'alinéa 118.2(2)b.1)).

Article 118.4: Déficience grave et prolongée.

        (1) Pour l'application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe:

a) une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois     d'affilée ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure      au moins 12 mois d'affilée;

b)la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement     si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils    et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque              toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité      courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps          excessif;

c) sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un    particulier:

        (i) la perception, la réflexion et la mémoire,

(ii) le fait de s'alimenter et de s'habiller;

(iii) le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,

(iv) le fait d'entendre de façon à comprendre, dans un                                                 endroit calme, une personne de sa connaissance,

(v) les fonctions d'évacuation intestinale ou vésicale,

(vi) le fait de marcher;

d) il est entendu qu'aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n'est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne.

[4]            Bien que l'article 118.4 mentionne qu'aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, ne soit considérée comme une activité courante de la vie quotidienne, il a été reconnu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Johnston c. La Reine [1998] A.C.F. no 169 (Q.L.), que le fait d'accomplir une telle autre activité peut contribuer à établir que la capacité d'un individu d'accomplir les activités courantes de la vie quotidienne n'est pas limitée de façon marquée. Le juge Létourneau s'exprime ainsi aux paragraphes 21 et 22 de la version française :

¶ 21 L'article 118.4 mentionne clairement qu'il est entendu qu'aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n'est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne. Cela veut dire, d'une part, que le réclamant n'a pas droit au crédit d'impôt si la déficience dont il est atteint l'empêche d'avoir des rapports sociaux ou de s'adonner à des activités récréatives. Cependant cela signifie également, d'autre part, que le réclamant ne peut être pénalisé et privé du crédit s'il est capable d'établir des rapports sociaux ou de s'adonner à des activités récréatives.

¶ 22 Cependant, il peut ressortir de la nature des activités sociales ou récréatives du réclamant que sa capacité de marcher, de s'habiller ou de s'alimenter n'est pas limitée de façon marquée. À mon avis, ce n'est pas le mode de vie comme tel du réclamant qui est pertinent pour évaluer l'incapacité de ce dernier, mais plutôt la nature, la durée et la fréquence de toute autre activité à laquelle il s'adonne, étant donné que le fait d'accomplir une telle autre activité peut contribuer à établir que sa capacité d'accomplir les activités courantes de la vie quotidienne n'est pas limitée de façon marquée.

Vu sous un autre angle, je suis d'avis que l'impossibilité pour un individu d'accomplir une telle autre activité peut aider, sans toutefois être déterminante, à établir que la capacité de cet individu d'accomplir les activités courantes de la vie quotidienne peut être limitée de façon marquée.

[5]            Dans le cas présent, deux formulaires prescrits ont été remplis par le médecin traitant de l'appelant le docteur Pierre Labelle, l'un le 2 avril 1998 et l'autre le 11 janvier 2000. Dans ces deux formulaires, le docteur Labelle reconnaît que les facultés mentales de l'appelant sont limitées de façon permanente depuis 1993 en ce qu'il a diagnostiqué chez l'appelant une dépression majeure et une névrose phobique chronique.

[6]            Le docteur Labelle a reconnu à la question 4 de ces formulaires que l'appelant était capable de réfléchir, de percevoir et de se souvenir, à l'aide de médicaments ou d'une thérapie. À la question 9 de ces mêmes formulaires, il a reconnu que la déficience était suffisamment grave pour limiter, en tout temps ou presque, l'activité essentielle de la vie quotidienne de l'appelant même si celui-ci prend des médicaments ou suit une thérapie. Il était donc logique pour l'appelant de s'attendre à bénéficier du crédit d'impôt pour déficience mentale, sans autre preuve supplémentaire.

[7]            L'intimée soutient que l'appelant ne rencontre pas les critères de la Loi pour avoir droit au crédit. L'intimée ne reconnaît donc pas comme valable la réponse du docteur Labelle à la question 9 des formulaires prescrits qui reprend dans une certaine mesure les critères établis par la Loi. L'intimée n'a pas cru bon toutefois de faire témoigner le docteur Labelle pour contester sa réponse à la question 9. L'intimée s'est contentée de déposer, de consentement avec l'appelant (qui n'était pas représenté par avocat), un questionnaire complété par le docteur Labelle le 14 septembre 1998 à la demande de l'intimée. Dans ce questionnaire, le docteur Labelle répond que l'appelant est incapable de percevoir, réfléchir et se souvenir en tout temps ou presque malgré l'utilisation de médicament, de thérapie ou d'assistance. Il indique toutefois un peu plus loin qu'il n'y a pas de limitation sévère mais il ajoute que l'appelant souffre d'une névrose obsessive compulsive chronique.

[8]            Compte tenu de l'apparente contradiction soulevée par les réponses données dans ce questionnaire, je ne crois pas utile d'y donner une importance trop grande, en l'absence du docteur Labelle à l'audition. Je considère que l'appelant n'était pas en mesure d'apprécier l'envergure de ce document qui a été complété sur demande du Ministre et sans avis préalable à l'appelant.

[9]            Par ailleurs, j'ai entendu les témoignages de l'appelant et de son épouse, madame Micheline Pinsonneault. L'appelant a expliqué qu'il avait subi une sévère dépression et que son système nerveux avait été atteint au point où il ne pouvait plus fonctionner normalement comme avant. Il est devenu très lent pour accomplir toute tâche au travail et a dû quitter son emploi par suite de la recommandation de son médecin après qu'il ait perdu contrôle sur sa personne par un excès de violence. Depuis ce temps, il n'est plus apte à travailler, doit se coucher plusieurs heures par jour, ne peut plus s'occuper de ses affaires personnelles, n'est plus capable de lire. Il a été reconnu invalide par la Régie des rentes du Québec et par différentes compagnies d'assurances. Il vit maintenant de ses rentes d'invalidité.

[10]          Sa femme a expliqué que bien que les médicaments étaient prescrits pour combattre une dépression sévère, cela avait pour effet secondaire de réduire considérablement les capacités de l'appelant dans ses activités quotidiennes. Ainsi, conduire la voiture est devenu dangereux, en ce qu'il confond les feux rouges et les arrêts. Il se confond également lorsqu'il doit se déplacer d'un endroit à un autre. Il n'a plus la concentration, ni la capacité de s'occuper de ses affaires personnelles. En somme, il ne peut fonctionner normalement sans elle.

[11]          L'avocat de l'intimée s'est référé, entre autres, à la décision rendue dans l'affaire Radage c. Canada, [1996] A.C.I. no 730 (Q.L.), où le juge Bowman de cette cour fait l'analyse détaillée des activités courantes de la vie quotidienne qui sont décrites dans la Loi comme incluant " la perception, la réflexion et la mémoire ".

[12]          Dans le cadre de cette analyse, le juge Bowman établit que la cour doit interpréter les articles 118.3 et 118.4 de la Loi d'une manière libérale, humaine et compatissante et non pas d'une façon étroite et technique. Cette remarque a été reprise avec approbation par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Johnston, supra.

[13]          En ce qui concerne la déficience mentale, le juge Bowman dit ceci au paragraphe 46 de la version française de l'affaire Radage :

Enfin, il faut considérer - et c'est le principe le plus difficile à formuler - les critères à employer pour en arriver à déterminer si la déficience mentale est d'une telle gravité que la personne a droit au crédit, c'est-à-dire que la capacité de cette personne de percevoir, de penser et de se souvenir est limitée de façon marquée au sens de la Loi. Il n'est pas nécessaire que la personne soit complètement automate ou dans un état anoétique, mais la déficience doit être d'une gravité telle qu'elle imprègne et affecte la vie de la personne au point où cette dernière est incapable d'accomplir les activités mentales permettant de fonctionner d'une manière autonome et avec une compétence raisonnable dans la vie quotidienne.

[14]          Dans l'affaire Radage, il s'agissait d'un cas où le contribuable réclamait un crédit pour son fils qui avait été diagnostiqué un cas limite au niveau du quotient intellectuel. Cet enfant était plus lent et était différent des autres. À l'âge de 24 ans, il ne pouvait travailler sans supervision, était incapable de faire des calculs mentaux simples, avait une perception spatiale limitée, était incapable de gérer seul ses affaires, de nouer des amitiés et avait du mal à comprendre certains documents écrits. Il était inadapté sur le marché du travail et dans la société en général. Bien qu'il pouvait se nourrir et s'habiller seul, tout son comportement posait en fait de sérieux obstacles à une vie autonome, à l'emploi et au fonctionnement en société. Il ne pouvait fonctionner sans l'aide des membres de sa famille.

[15]          Ayant considéré tout ceci, le juge Bowman en vient à la conclusion que les limites intellectuelles du fils du contribuable étaient suffisamment graves pour le rendre incapable d'accomplir les tâches mentales qui lui permettaient de fonctionner d'une manière autonome et avec une compétence raisonnable dans la vie quotidienne.

[16]          Je considère que bien que le cas de l'appelant ne soit pas identique à celui qui prévalait dans l'affaire Radage, il y a suffisamment de similitudes pour conclure dans le même sens. Il est clair selon les certificats médicaux déposés en preuve que l'appelant souffre d'une déficience mentale grave et prolongée. Ces mêmes certificats établissent que la déficience est suffisamment grave pour limiter l'appelant en tout temps ou presque, dans ses activités essentielles de la vie quotidienne. Je considère donc à la lumière de l'analyse faite dans l'affaire Radage, que l'appelant a établi que sa capacité d'accomplir les activités courantes de la vie quotidienne reliées à la perception, la pensée et la réflexion, est limitée de façon marquée.

[17]          Pour ces raisons, je suis d'avis d'accueillir l'appel en tenant pour acquis que l'appelant a droit au crédit pour déficience physique ou mentale aux termes des articles 118.3 et 118.4 de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d'août 2001.

" Lucie Lamarre " J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                        2000-4536(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 Jacques Maheu c. La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    le 9 août 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         l'honorable juge Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :                                      le 24 août 2001

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant(e) :                                               L'appelant lui-même

Avocate de l'intimé(e) :                                        Me Stéphane Arcelin

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant(e) :

                                Nom :                                      

                                Étude :                    

Pour l'intimé(e) :                                    Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2000-4536(IT)I

ENTRE :

JACQUES MAHEU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 9 août 2001 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions

Pour l'appelant :                                  L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                            Me Stéphane Arcelin

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (" Loi ")pour l'année d'imposition 1999 est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que l'appelant a droit au crédit pour déficience physique ou mentale aux termes des articles 118.3 et 118.4 de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d'août 2001.

" Lucie Lamarre "

J.C.C.I.


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