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Date : 20010906

Dossier : 2000-2841(IT)APP

ENTRE :

ROCHELLE MOSS,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Représentant de la requérante : Daniel Moss

Avocat de l'intimée :                  Me Jeff Pniowsky

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MOTIFS DE L'ORDONNANCE

(Révisés à partir de la transcription des motifs rendus oralement à l'audience

à Winnipeg (Manitoba) le 27 juillet 2001.)

Le juge Hershfield, C.C.I

[1]      Pour des fins procédurales, je tiens à préciser, pour mémoire, que la demande dont je suis saisi en l'espèce en vue d'annuler une ordonnance de la Cour rejetant une demande antérieure de la requérante pour défaut de poursuite (la demande initiale) a été considérée par la Cour elle-même comme une demande présentée en vertu de l'article 18.21 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt (la « LCCI » )[1].

[2]      Je ferai observer que, s'il en est ainsi, alors que la requérante n'a pas exercé de choix quant à la procédure applicable, c'est peut-être à cause des conditions à remplir sous le régime de la procédure générale ou parce qu'on a tenu pour acquis que l'article 18.29 de la LCCI s'appliquait[2].

[3]     En ce qui concerne les appels interjetés sous le régime de la procédure générale, il n'y a aucune disposition de la LCCI qui permet de rendre ou d'annuler une ordonnance en raison du défaut de comparaître, mais les règles de la procédure générale (les « règles de la P.G. » ) comprennent une telle disposition à l'article 140. En vertu de cet article, la Cour peut rejeter un appel lorsqu'une des parties omet de comparaître. Si une demande est faite dans les trente jours du prononcé du jugement, la Cour peut annuler l'ordonnance de rejet.

[4]      Bien qu'il soit question d'un appel dans cette disposition plutôt que d'une demande, je suis d'avis que la règle pourrait s'appliquer à une affaire qui n'est pas régie par la procédure informelle.

[5]      La date du prononcé du jugement est la date de la signature de l'ordonnance et, dans le cas de l'ordonnance de rejet qui nous occupe, il s'agit du 6 février 2001. La demande dont je suis saisi a été présentée le 5 avril, soit après l'expiration du délai de 30 jours prévu par les règles de la P.G. Il ne serait donc d'aucune utilité pour la requérante d'opter pour la procédure générale car le délai applicable est expiré depuis longtemps. Elle aurait dès lors tout avantage à ce que l'article 18.21 s'applique car la demande en cause en l'espèce a été présentée dans le délai imparti par cette disposition.

[6]      Je signale qu'il y a lieu de se demander en l'espèce s'il y a un délai particulier qui s'applique à une demande présentée en vertu soit du paragraphe 18.21(2) de la LCCI, soit de l'article 140 des règles de la P.G. au stade de l'opposition plutôt qu'à celui de l'appel étant donné que les délais (prévus autant par les règles de la P.G. que par les dispositions de la LCCI relatives à la procédure informelle) s'appliquent aux « appels » plutôt qu'aux impôts en litige. Cette question ne trouve pas de réponse à l'article 18.29 de la LCCI.

[7]      Dire qu'il n'y a pas de délai signifierait que la Cour n'est pas habilitée à annuler l'ordonnance initiale de rejet étant donné que le pouvoir de le faire, en vertu de l'article 18.21 à tout le moins, ne s'applique lui aussi qu'à un appel. Cette question ne trouve pas non plus de réponse à l'article 18.29. Quoi qu'il en soit, eu égard aux faits de la présente affaire, la question du délai ne se pose pas aux fins de l'application du paragraphe 18.21(2), et c'est sur cette base que l'affaire a en fait été entendue, bien que les parties soient demeurées muettes sur les raisons pour lesquelles nous en sommes arrivés là, si ce n'est pour admettre que la Cour elle-même a considéré que la demande était présentée en vertu du paragraphe 18.21(2).

[8]      Voilà donc la demande sur laquelle je suis appelé à me prononcer. Il s'agit d'une demande visant à annuler une ordonnance de la Cour rejetant la demande de la requérante présentée en vertu du paragraphe 166.2(1) en vue d'obtenir une prorogation du délai imparti pour signifier un avis d'opposition pour l'année d'imposition 1997 de la requérante. Nous avons procédé en tenant pour acquis que les paragraphes 18.21(2) et 18.21(3) nous fournissent à tout le moins des indications sur l'exercice de la compétence inhérente de la Cour. Le paragraphe 18.21(2) prévoit que l'ordonnance de rejet peut être annulée et le paragraphe 18.21(3) énumère les conditions qui doivent être remplies à cette fin. En vertu de cette disposition, l'ordonnance de rejet peut être annulée si les deux conditions prévues sont remplies, la première étant que, compte tenu de toutes les circonstances, il n'était pas raisonnable de s'attendre à ce que la requérante soit présente à l'audition, et la seconde, que la requérante ait présenté sa demande d'annulation dès que cela a été possible.

[9]      En ce qui concerne la première condition énoncée au paragraphe 18.21(3), soit qu'il n'était pas raisonnable de s'attendre, compte tenu de toutes les circonstances,à ce que la requérante soit présente à l'audition, le fait est qu'elle s'y est présentée mais qu'elle est partie avant que l'affaire soit appelée parce que son avocat, Me A. Stacey, du cabinet Thompson Dorfman à Winnipeg, avait rencontré l'avocat de l'intimée le matin de l'audience et que ce dernier l'aurait mis au courant d'éléments de preuve susceptibles de mettre en échec les moyens qu'il entendait faire valoir à l'appui de la demande initiale présentée en vertu de l'article 166.2.

[10]     La requérante aurait été informée par son avocat que la cause était perdue et que, s'ils poursuivaient, ils risquaient d'aggraver les choses et d'inciter l'intimée à mettre à exécution ses menaces d'engager des procédures en recours abusif et procédure vexatoire.

[11]     Quoi qu'il en soit, la requérante et son avocat sont partis avant que l'affaire soit appelée. L'avocat de l'intimée a cru comprendre que le rejet de l'affaire pour omission de comparaître qui en a résulté était voulu et que la décision de la requérante de suivre les conseils de son avocat et de ne pas se présenter à l'audience équivalait à un retrait de la demande présentée en vertu de l'article 166.2.

[12]     La requérante, qui est maintenant représentée par son époux, affirme maintenant ne pas avoir compris que l'audience allait se dérouler sans elle et qu'une ordonnance rejetant sa demande allait être rendue. M.Moss a affirmé qu'elle n'avait pas compris que c'était ce qui allait arriver, et la requérante a témoigné en ce sens.

[13]     En résumé, la requérante soutient qu'elle ne savait pas que l'affaire allait être entendue et qu'il ne serait donc pas raisonnable de s'attendre à ce qu'elle y soit présente.

[14]     L'avocat de l'intimée a mis en doute la crédibilité de la requérante eu égard à ce témoignage et à cette affirmation et a soutenu que les deux époux savaient que l'affaire était abandonnée et qu'elle serait dès lors rejetée à l'audience pour défaut de poursuite.

[15]     On a également fait valoir que la requérante était liée par l'action de son avocat. En quittant les lieux, il se trouvait à consentir au rejet de la demande. La requérante est liée en droit par l'action de son avocat[3].

[16]     On a également attiré l'attention sur le fait que j'ai demandé si l'avocat de la requérante, Me Stacey, pourrait être appelé à témoigner pour tirer cette question au clair et, bien que la requérante n'y était pas opposée, son avocat, avec lequel on a communiqué durant une suspension de l'audience, aurait refusé de venir témoigner à moins d'y être contraint par voie d'assignation. Il continue apparemment de représenter la requérante ou son époux, du moins relativement à d'autres affaires[4].

[17]     Exclusion faite des inférences que l'on pourrait tirer des faits que je viens d'exposer (et au sujet desquels je n'ai aucune preuve directe), il est peu probable, selon moi, que la requérante aurait quitté la salle d'audience avant l'audition prévue de la demande en vertu de l'article 166.2 sans savoir qu'elle abandonnait ainsi sa demande, ou sans comprendre que son avocat le faisait en son nom. Même si c'était le cas, elle était liée par l'action de son avocat, ainsi que je viens de le dire. Si elle ne voulait pas que son avocat agisse en son nom, elle aurait sans doute pu le faire savoir à ce moment-là. Même si cette conclusion de fait serait suffisante en elle-même pour que je rejette la demande, j'entends la mettre de côté pour l'instant afin de statuer sur le fond de la demande à d'autres égards.

[18]     En ce qui concerne la seconde condition à remplir pour faire annuler l'ordonnance de rejet, l'alinéa 18.21(3)b) de la LCCI indique que la demande doit être présentée dès que cela est possible, compte tenu des circonstances. L'ordonnance ayant été signée le 6 février 2001, la requérante en a été informée au début de février 2001. La demande d'annulation a été déposée le 5 avril 2001, soit bien avant l'expiration du délai imparti à l'article 18.21 de la LCCI.

[19]     L'avocat de l'intimée a fait valoir que le requérante ne s'était pas acquittée de la charge de la preuve qui lui incombait d'établir que la demande avait été présentée dès que cela a été possible. Je ne crois pas que le délai soit déraisonnable en l'espèce et il ne devrait pas constituer un obstacle à la demande d'annulation de l'ordonnance de rejet. Je constate cependant que le paragraphe 18.21(3) permet d'annuler l'ordonnance seulement si les conditions énoncées aux alinéas a) et b) sont remplies. Autrement dit, même si je suis d'avis que la condition énoncée à l'alinéa b) a été remplie, je ne suis pas certain, comme je l'ai déjà dit, que c'est le cas de celle qui est énoncée à l'alinéa a). Comme je l'ai indiqué toutefois, je ne suis pas satisfait d'en rester là sans poursuivre mon examen afin d'établir le bien-fondé d'une demande présentée en vertu de l'article 166.2 et de l'avis d'opposition lui-même.

[20]      Ainsi qu'il a été statué dans l'affaire Diem c. Canada[5], dans le cas d'une demande présentée en vertu du paragraphe 18.21(2), l'un des facteurs dont il faut tenir compte est le bien-fondé de l'appel. Comme cette affaire ne se rapportait pas à une demande de prorogation du délai imparti pour signifier un avis d'opposition, je considère que l'appel dont il était nécessaire d'établir le bien-fondé dans cette affaire devrait être considéré comme correspondant, en l'espèce, à la question fiscale de fond faisant l'objet de l'avis d'opposition. En fait, pour l'application du principe énoncé dans l'affaire Diem, je crois que l'un des facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer s'il y a lieu d'annuler l'ordonnance de rejet est le bien-fondé de la demande de prorogation du délai imparti pour signifier un avis d'opposition et de l'avis d'opposition à proprement dit. Sinon, le rejet d'une demande fondée sur l'article 18.21 ou l'article 166.2 peut être considéré comme une objection technique afin d'empêcher que la question de fond soit tranchée comme il se doit. S'il est manifeste qu'un contribuable a été assujetti à l'impôt de façon erronée, les objections techniques, bien qu'on ne puisse en faire abstraction, pourraient être appliquées avec plus de circonspection afin de prévenir une injustice économique, soit le prélèvement d'un impôt que le législateur lui-même n'entendait pas prélever[6].

[21]      La requérante affirme qu'elle est victime d'une injustice économique et supplie la Cour de se pencher sur le bien-fondé de sa cause. Outre le principe énoncé dans l'affaire Diem et la tendance récente de la Cour, dans les affaires de prorogation de délai, d'appliquer ces règles dans la mesure du possible afin que les demandes soient entendues sur le fond[7], il y a d'autres motifs en l'espèce qui m'incitent à poursuivre mon examen. En premier lieu, il y a la question de l'application de l'article 18.21. Il se peut que la compétence de la Cour de statuer sur la demande résulte de l'article 13 de la LCCI plutôt que de l'article 18.21; dans ce cas-là, bien que le paragraphe 18.21(3) nous fournisse des indications utiles, il devient indispensable de se pencher sur le bien-fondé de l'affaire. En deuxième lieu, et c'est quelque chose de particulier à l'affaire qui nous occupe, je suis d'avis que l'avocat de l'intimée, du fait de ses actions et de sa conduite, n'a pas été respectueux des droits de l'appelante. En fait, il l'a traitée de manière fort méprisante. Voici deux exemples pour illustrer mon propos; je m'en tiens à deux, mais je pourrais en donner davantage. Il n'a pas envoyé à l'appelante de copie de son opposition à la demande, qu'il a envoyée à la Cour. La requérante s'est présentée à l'audience sans avoir la moindre idée des questions découlant de la position de l'intimée. Le second exemple est que, après que l'avocat de l'intimée se soit opposé à ce que l'époux de la requérante essaie de présenter des éléments de preuve durant les plaidoiries, il a employé exactement la même tactique et a présenté comme des faits établis des affirmations qui avaient pour but de dénigrer la requérante. Les affirmations de fait malveillantes ont été retirées après que l'époux de la requérante en eut contesté l'exactitude.

[22]      Une telle conduite est indigne d'un procureur, d'un fonctionnaire judiciaire qui prétend fournir des renseignements durant l'audience. En outre, l'avocat de l'intimée a produit en preuve un certain nombre de pièces qui, outre qu'elles tendaient ou visaient à attaquer la crédibilité de la requérante, avaient autant pour objectif de l'étiqueter comme une vaurienne prête à tout pour se soustraire au fisc. Il était inutile, voire déplacé, de porter ainsi atteinte à la réputation de la plaignante[8].

[23]      L'avocat n'a rien à gagner à se laisser ainsi emporter par l'opinion qu'il s'est faite de la requérante au point d'en perdre son professionnalisme devant cette personne ainsi que devant la Cour. La présente affaire s'inscrit dans une série d'instances auxquelles il a pris part et qui l'ont laissé amer. Dans ces circonstances, on peut se demander si l'ordonnance de rejet n'est pas l'aboutissement de tactiques trop zélées semblables qui auraient été employées avant la tenue de l'audience initiale. Il faut dès lors que le processus judiciaire se déroule de manière non seulement que justice soit faite, mais aussi qu'il soit manifeste que justice est faite, en appliquant le droit tel qu'il existe. Autrement dit, dans l'affaire qui nous occupe, je suis enclin à poursuivre mon examen et à me pencher sur le bien-fondé de la demande initiale et de l'avis d'opposition à proprement dit.

[24]      Les parties ont admis durant l'audience que si je décidais de faire droit à la demande d'annulation de l'ordonnance de rejet, je devrais ensuite entendre la demande en vertu de l'article 166.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu. C'est en fait de cette manière que la Cour procède très souvent lorsque les parties sont prêtes à plaider une affaire et les deux parties ont affirmé qu'elles l'étaient en l'espèce. Elles s'accordaient toutes deux pour dire qu'il était particulièrement pertinent de procéder ainsi vu que j'entendais de toute manière me pencher sur le bien-fondé de la demande présentée en vertu de l'article 166.2.

[25] Concernant le bien-fondé de la demande présentée en vertu de l'article 166.2, examinons le paragraphe 166.2(5), qui prévoit ce qui suit :

Il n'est fait droit à la demande que si les conditions suivantes sont réunies :

a)          la demande a été présentée en application du paragraphe 166.1(1) dans l'année suivant l'expiration du délai par ailleurs imparti pour signifier un avis d'opposition ou présenter une requête;

b)          le contribuable démontre ce qui suit :

             (i)          dans le délai par ailleurs imparti pour signifier l'avis ou présenter la requête, il n'a pu ni agir ni charger quelqu'un d'agir en son nom, ou il avait véritablement l'intention de faire opposition à la cotisation ou de présenter la requête,

(ii)          compte tenu des raisons indiquées dans la demande et des circonstances de l'espèce, il est juste et équitable de faire droit à la demande,

(iii)        la demande a été présentée dès que les circonstances le permettaient.

Ce sont les conditions qui doivent être remplies pour faire droit à une demande de prorogation du délai imparti. La condition sur le délai prévue à l'alinéa a) n'est pas en litige[9].

[26]      Les questions sur lesquelles il convient dès lors de se pencher relativement à la demande présentée en vertu de l'article 166.2 sont celles qui sont énoncées à l'alinéa (5)b), qui fixe trois conditions, la première étant que, dans le délai imparti pour signifier l'avis d'opposition, la requérante n'ait pu agir ni charger quelqu'un d'agir en son nom ou qu'elle eut véritablement l'intention de faire opposition à la cotisation. La deuxième condition est qu'il soit juste et équitable de faire droit à la demande et la troisième, que la demande de prorogation fondée sur le paragraphe 166.1(1) soit présentée au ministre dès que les circonstances l'ont permis.

[27]      Je me pencherai en premier lieu sur la dernière condition. À cette fin, il est nécessaire de faire la chronologie des événements.

[28]      L'année d'imposition en cause, comme il a été précisé, est l'année 1997. Le délai accordé pour produire les déclarations de revenu prenait fin le 30 avril 1998. Le délai imparti pour la signification d'un avis d'opposition prenait fin un an plus tard, soit le 30 avril 1999[10]. La demande de prorogation du délai fondée sur l'article 166.1 se devait d'être présentée dans l'année qui suivait, soit le 30 avril 2000 au plus tard. Elle a en fait été présentée au cours du mois de mars 2000. Le ministre a rejeté la demande[11].

[29]      L'avocat de l'intimée a soutenu que le requérante n'avait pas démontré que les circonstances ne lui avaient pas permis de présenter plus tôt la demande fondée sur l'article 166.1. Autrement dit, la demande ayant été présentée 10 à 12 mois plus tard, les conditions énoncées au sous-alinéa 166.2(5)b)(iii) n'ont pas été remplies.

[30]      À cet égard, je note que, pour expliquer la présentation tardive de sa demande, la requérante a dit qu'elle croyait qu'elle était en faillite en janvier 1998 et qu'il ne lui était donc pas nécessaire de signifier un avis d'opposition. Or, la faillite a été annulée par la Cour du Banc de la Reine du Manitoba en juin 1999. Quelles sont les circonstances qui l'ont empêchée de présenter la demande fondée sur l'article 166.1 à ce moment-là? Il s'est écoulé au moins huit mois entre l'annulation de la faillite et la présentation de la demande.

[31]      Il se dégage de la preuve que la requérante était préoccupée par sa survie financière durant cette période. Par exemple, il y a eu plusieurs appels à l'encontre de l'annulation de la faillite durant la période de prolongation. Il y a aussi eu des appels à l'encontre d'ordonnances conservatoires durant cette période, ainsi qu'une demande formelle de paiement et une ordonnance de compensation en janvier 2000[12].

[32]      Notre cour a reconnu que des difficultés financières et la nécessité d'établir un ordre de priorité sont des motifs raisonnables pour présenter des demandes de ce genre tardivement[13]. En conséquence, je conclus que la présentation tardive de la demande fondée sur l'article 166.1 ne devrait pas porter un coup fatal à l'affaire dont je suis saisi.

[33]      Je constate que la jurisprudence relative aux motifs raisonnables pour présenter une demande tardivement mentionnée précédemment se rapporte uniquement, à ce que je sache du moins, à des affaires dans lesquelles il était question du sens à attribuer aux termes « aussitôt que les circonstances l'ont permis » , qui ne sont pas les termes employés au sous-alinéa 166.2(5)b)(i). Autrement dit, si l'on se reporte à la première condition énoncée à l'alinéa 166.2(5)b), soit que le contribuable n'a pu ni agir ni charger quelqu'un d'agir en son nom, on constate que son libellé est tout à fait différent. Il n'y a aucune preuve que la requérante en cause en l'espèce n'aurait pas pu agir dans le délai imparti au sous-alinéa 166.2(5)b)(i). Cela n'est pas fatal à sa demande, sauf si elle est incapable de démontrer qu'elle avait véritablement l'intention de faire opposition à la cotisation durant le délai imparti pour le faire.

[34]      En conséquence, la question suivante est celle de savoir s'il y avait une intention véritable de faire opposition à la cotisation durant la période initiale prévue à cette fin. Dans les faits, cette période a commencé le 29 juin 1998, soit le jour où la cotisation a été établie, la première date à laquelle une opposition pouvait être présentée, et a pris fin le 30 avril 1999. Durant cette période, le requérante croyait qu'elle était en faillite. Même si elle n'acceptait pas la cotisation qui avait été établie à son égard (c'est son témoignage), cela ne la touchait pas. Cette indifférence ne cadre pas avec une intention réelle de faire opposition à la cotisation durant cette période. Même une intention conditionnelle en attendant l'issue des procédures en annulation de la faillite n'est pas une intention véritable de faire opposition et les soucis que ces affaires causaient à la requérante ne constituent pas un motif valable de ne pas respecter les conditions énoncées au sous-alinéa 166.2(5)b)(i).

[35]      Les conditions du sous-alinéa 166.2(5)b)(i) n'étant pas remplies, la demande présentée en vertu de l'article 166.2 est vouée à l'échec. Je n'entends toutefois pas m'arrêter ici.

[36]      Je dois encore me pencher sur le critère énoncé au sous-alinéa 166.2(5)(b)(ii), à savoir qu'il est juste et équitable de faire droit à la demande, et sur le bien-fondé de la question sous-jacente de l'avis d'opposition. L'avocat de l'intimée a produit une profusion d'éléments de preuve pour établir que la cotisation en litige et la nécessité de présenter une demande de prorogation du délai imparti sont imputables aux actions peu judicieuses de la requérante. Une ordonnance conservatoire antérieure avait entraîné la saisie de ses biens, une déclaration de faillite, l'annulation de cette déclaration, un procès pour cession frauduleuse, une ordonnance de compensation et des litiges interminables relativement à ces affaires.

[37]      L'ordonnance conservatoire a entraîné la saisie de certains avoirs liés à l'assurance-vie (des polices), ce qui fait que la requérante a perdu le contrôle de ces biens. Cette perte de contrôle a eu des conséquences fiscales que la requérante souhaitait lorsqu'elle avait acquis les polices, mais qu'elle voulait changer.

[38]      La saisie a empêché la requérante de modifier les conséquences fiscales pour lesquelles elle avait initialement fait l'acquisition des polices d'assurance et a mené au revenu consigné sur le feuillet T5 en 1997, à l'inclusion duquel la requérante voulait s'opposer parce qu'elle n'avait pas reçu les fonds et que l'ordonnance conservatoire l'empêchait de modifier le traitement fiscal des polices comme elle voulait le faire. Le revenu consigné dans le feuillet T5 en 1997 a été déclaré en avril 1998 par le syndic de faillite. La cotisation à laquelle la requérante souhaite s'opposer a confirmé cette déclaration. La faillite a été annulée par la Cour du Banc de la Reine du Manitoba en juin 1999. Les appels interjetés à l'encontre de cette décision ont échoué. Cela signifie que la requérante n'a jamais été en faillite et la question à trancher est de savoir s'il est juste et équitable qu'elle ne puisse rien changer à une déclaration produite par un syndic dans le cadre d'une faillite qui a été annulée. Peut-être pas, mais c'est l'ordonnance conservatoire qui est à l'origine dans les faits du problème fiscal. C'est à cause de cette ordonnance que les fonds n'ont pas été versés et que la requérante s'est retrouvée dans l'incapacité de modifier son sort sur le plan fiscal. L'ordonnance a été rendue en vertu des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui indiquent que les biens de la requérante pourraient être dissipés si l'ordonnance n'était pas rendue[14].

[39]      L'ordonnance conservatoire a été maintenue en dépit des appels. Les saisies en application de l'ordonnance ont mis un terme aux possibilités de planification fiscale de la requérante en plus de lui bloquer l'accès à tout revenu provenant des biens saisis. Le débiteur qui se trouve dans une situation de ce genre est assujetti à l'impôt sur le revenu provenant des biens saisis, même s'il n'en a plus le contrôle. La situation de la requérante, du fait de l'annulation de la faillite, est similaire à celle de tout autre débiteur dont les biens saisis ne peuvent être réorganisés parce qu'il n'en a plus le contrôle ni la possession. Le revenu provenant des biens administrés par un syndic pour protéger les créanciers continue d'être inclus dans le calcul du revenu imposable du débiteur jusqu'à ce que les biens sous-jacents aient été remis aux créanciers à titre bénéficiaire. Autrement dit, l'avis d'opposition sous-jacent en cause dans l'affaire qui nous occupe semble être mal fondé. Quoi qu'il en soit, je partage le point de vue de l'avocat de l'intimée selon lequel les considérations d'équité ne devraient pas m'inciter à faire droit à la demande présentée en vertu de l'article 166.2.

[40]      En conséquence, après examen de l'application de l'article 166.2 comme tel, il semble peu probable que, si l'ordonnance de rejet était annulée et la demande présentée en vertu de l'article 166.2 entendue, le délai pour signifier un avis d'opposition serait prorogé, compte tenu du libellé de cette disposition et des faits de l'affaire.

[41]      Au surplus, même si l'ordonnance de rejet était annulée et la demande de prorogation du délai présentée en vertu de l'article 166.2 était accueillie, il est fort peu probable que l'opposition ou l'appel à l'encontre d'une cotisation ratifiée serait accueilli.

[42]      Cela me ramène à mon point de départ pour ce qui est des conclusions auxquelles j'en suis venu relativement à la demande.

[43]      Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que le requérante savait, lorsqu'elle a omis de comparaître à la dernière audience, qu'elle avait abandonné sa demande sur les conseils de son avocat.

[44]      En conséquence, la requérante ne remplit pas les conditions de l'article 18.21 pour que l'ordonnance de rejet soit annulée. Outre l'application de cette disposition, je ne trouve pas de motifs convaincants de ne pas considérer l'ordonnance de rejet comme une ordonnance définitive et exécutoire de la Cour. Pour en venir à cette conclusion, j'ai déterminé qu'une demande présentée en vertu de l'article 166.2 ou une opposition et un appel relativement à cette affaire étaient voués à l'échec de toute façon et j'en ai tenu compte dans la présente décision.

[45]      En dernier lieu, sans vouloir remuer le couteau dans la plaie de l'appelante, je ferai observer, pour mémoire, qu'il y avait des incohérences et des contradictions dans le témoignage de la requérante et de son époux qui sont ressorties durant le contre-interrogatoire de la requérante à tout le moins et qui m'ont incité à mettre sa crédibilité en doute.

[46]      Non seulement la requérante a modifié sa version des faits pour ce qui est du moment où elle était au courant des problèmes fiscaux que lui causait la saisie des polices d'assurance, mais son époux a témoigné qu'ils étaient au courant de ces problèmes avant la production des déclarations pour l'année 1997. La question de savoir quand ils en ont été informés ou ont commencé à s'en préoccuper a été manipulée dans tous les sens dans l'espoir de trouver un point de vue qui leur permettrait de faire annuler l'ordonnance visée par la demande dont je suis saisi en l'espèce ou d'obtenir la prorogation du délai imparti pour signifier un avis d'opposition. Cela ne me dispose pas à accorder un redressement qui se justifie uniquement par son caractère juste et équitable.

[47]      Je n'ai toutefois pas tenu compte de ces incohérences ni des conclusions auxquelles en sont venus d'autres juges concernant la crédibilité de la requérante pour en arriver à ma décision. Je ne me suis pas laissé influencer par ces questions. Comme je l'ai indiqué, ma décision de rejeter la demande en l'espèce est fondée sur l'examen des conditions énoncées au paragraphe 18.21(2) de la LCCI et du bien-fondé de la demande présentée en vertu de l'article 166.2 et, en dernier lieu, du bien-fondé de l'avis d'opposition et de l'appel possible. Pour les motifs que je viens d'exposer, la demande est rejetée.

Signé à Winnipeg, Canada, ce 6e jour de septembre 2001.

« J. E. Hershfield »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de décembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur



[1] La demande initiale concernait la prorogation du délai imparti pour signifier un avis d'opposition à une cotisation.

[2] Les motifs du jugement rendus à l'audience ne se rapportaient pas à la question de savoir si l'article 18.29 de la LCCI s'appliquait ni aux conséquences de la non-application de cette disposition. En résumé, cette disposition concerne les « demandes » et porte que les dispositions de la LCCI relatives aux « appels » qui y sont énumérées sont considérées comme s'appliquant aussi aux demandes. L'article 18.21 ne figure pas au nombre des dispositions qui sont mentionnées à l'article 18.29. Il faut en conclure qu'on ne peut pas considérer que l'article 18.21 s'applique aux demandes. Cela voudrait dire que l'ordonnance rejetant la demande initiale ne pouvait pas être rendue en vertu de l'article 18.21. En fait, elle ne se prétendait pas une ordonnance rendue en application de cette disposition. C'était simplement une ordonnance pour « défaut de poursuite » . Il serait absurde, selon moi, de croire que le juge Rip, en rendant l'ordonnance de rejet pour défaut de poursuite, n'avait pas compétence inhérente pour le faire. Si c'était le cas, les défauts de comparaître pourraient faire durer les litiges indéfiniment. Il serait dès lors difficile pour la Cour d'exercer sa compétence et c'est pour empêcher cela que l'article 13 de la LCCI lui confère les pouvoirs d'une cour supérieure d'archives. Autrement dit, si le pouvoir inhérent du juge Rip de rejeter la demande initiale pour défaut de poursuite suscite quelque interrogation, et je ne crois pas que ce soit le cas, l'article 13 lui accorde sûrement les pouvoirs voulus. Si l'avocat de l'intimée n'avait pas simplement accepté la directive de la Cour d'entendre la demande d'annulation de l'ordonnance initiale en vertu de l'article 18.21, il aurait peut-être pu faire valoir que, si cette ordonnance n'avait pas été rendue en vertu de l'article 18.21, la Cour n'était dès lors pas habilitée à l'infirmer puisque ce pouvoir appartient uniquement à la Cour fédérale en vertu de l'article 18.24 (même dans le cas de « demandes » puisque l'article 18.29 indique que l'article 18.24 est l'une des dispositions qui s'appliquent aux « demandes » ). Par ailleurs, si l'ordonnance initiale est rendue par la Cour en sa qualité de cour supérieure en vertu de l'article 13, il m'apparaît qu'elle n'outrepasse pas le pouvoir que lui accorde cette disposition de réexaminer une telle ordonnance. Après tout, l'article 166.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu et le paragraphe 12(4) de la LCCI accordent à la Cour compétence exclusive pour entendre la demande sous-jacente, ce qui implique les pouvoirs visés à l'article 18.29. Quoi qu'il en soit, aucune objection relative à la compétence n'a été soulevée, l'affaire a été entendue, une décision a été rendue, et une ordonnance rejetant la demande a été signée. En fin de compte, comme il est indiqué dans les présents motifs, le redressement demandé par la requérante, soit que la Cour se penche sur le bien-fondé de la demande présentée en vertu de l'article 166.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu, a été essentiellement accordé.

[3] Sourani c. La Reine, C.A.F., no A-177-97, 4 juin 2001, [2001] A.C.F. no 904.

[4] Ces faits n'ont pas été niés par la requérante, bien que, dans la demande en cause, qui a été déposée le 5 avril 2001, il est mentionné que l'avocat a été remercié de ses services. Aucune preuve n'a été produite indiquant que l'avocat avait été congédié quant il a quitté le tribunal en compagnie de sa cliente avant l'audition prévue de la demande initiale.

[5] C.C.I., no 97-3645(GST)I, 16 juin 1999, [1999] A.C.I. no 359.

[6] Je constate que, contrairement au paragraphe 167(5), le paragraphe 166.2(5) ne fait aucune mention de la nécessité d'établir que l'appel (l'opposition) est raisonnablement fondé. Autrement dit, s'il y avait à l'article 166.2 une disposition correspondant à celle que l'on retrouve à l'article 167(5), la Cour serait tenue, dans le cas d'une demande présentée en vertu de l'article 166.2, de déterminer s'il existe des motifs raisonnables de signifier un avis d'opposition. Or, ce n'est pas le cas. Cela pourrait vouloir dire que même les avis d'opposition susceptibles d'être considérés comme étant sans fondement pourraient être présentés tardivement, dans la mesure où les conditions énoncées au paragraphe 166.2(5) sont remplies, et ces conditions en elles-mêmes, comme je l'ai déjà dit, n'englobent pas expressément l'obligation d'établir le bien-fondé. Cependant, je poursuivrais mon examen sur le bien-fondé dans l'affaire qui nous occupe parce que la demande en cause est présentée en vertu de l'article 18.21 de la LCCI, et qu'il a été statué dans l'affaire Diem (à laquelle je souscris) qu'il convient d'examiner le bien-fondé. Qui plus est, dans l'affaire qui nous occupe, où la compétence de la Cour d'annuler l'ordonnance de rejet ne résulte peut-être que de sa compétence inhérente, je ne suis pas enclin à m'appuyer uniquement sur la conclusion que les conditions énoncées à l'alinéa 18.21(3)a) n'ont pas été remplies sans me pencher sur les questions de fond sous-jacentes.

[7] Seater c. La Reine, C.C.I., no APP-280-96-IT, 21 octobre 1996, [1997] 1 C.T.C. 2204.

[8] Je ne veux pas laisser entendre que les pièces, si elles avaient été pertinentes, n'auraient pas étayé les prétentions de l'avocat de l'intimée. En fait, les observations formulées par les juges dans le cadre d'autres affaires publiées mettant en case la requérante que l'avocat de l'intimée a citées à l'audience pourraient en elles-mêmes appuyer ses prétentions. Cependant, en insistant sur des affaires du passé, l'avocat a détourné considérablement notre attention des questions à trancher en l'espèce.

[9] Je note également que la condition sur le délai prévue à l'alinéa 166.2(1)b) n'a pas été contestée.

[10] Il y a eu une tentative pour signifier l'avis d'opposition lui-même le dernier jour de février 2000.

[11] Même en considérant le dernier jour de février 2000 comme étant la date à laquelle la demande a été présentée au ministre, on est quand même rendu au dixième mois de l'année de prolongation, laquelle a commencé en mai 1999 et a pris fin en avril 2000. En fait, la demande a été présentée en mars 2000 en vertu de l'article 166.2 plutôt qu'en vertu de l'article 166.1, mais l'intimée a convenu qu'elle considérait que c'était une demande de prorogation présentée au ministre en vertu de l'article 166.1.

[12]L'ADRC a obtenu une ordonnance conservatoire relativement à une autre affaire fiscale dont les tribunaux étaient saisis à ce moment-là.

[13] Thistle v. M.N.R., 83 D.T.C. 586 (C.C.I.) citée favorablement dans l'affaire Meer c. La Reine, C.C.I., no 2000-4338(IT)APP, 17 mai 2001. Voir également l'arrêt Pennington c. M.R.N., C.A.F., no A-253-86, 30 janvier 1987, 87 D.T.C. 5107.

[14]Article 225.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

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