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Dossier : 2003-147(IT)I

ENTRE :

BEVERLEY BAILEY,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 11 décembre 2003, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge J.E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

Avocats de l’intimée :

Me Arnold H. Bornstein

Me Nimanthika Kaneira

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2000 est rejeté pour les motifs énoncés dans les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28jour de janvier 2004.

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mars 2009.

 

D. Laberge, LL.L.


 

 

 

 

Référence : 2004CCI98

Date : 20040128

Dossier : 2003-147(IT)I

ENTRE :

BEVERLEY BAILEY,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hershfield

 

[1]     Il s’agit d’un appel de nouvelles cotisations concernant l’année d’imposition 2000 de l’appelante, incluant dans le revenu imposable un montant de 55 000 $ que celle‑ci avait reçu de son ex‑époux au cours de l’année, au titre de la pension alimentaire, par suite de l’échec de leur mariage quelques années auparavant. La pension alimentaire était versée au profit de l’appelante seulement. Aucune disposition n’avait été prise pour les enfants. Les versements étaient reçus conformément à une ordonnance rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « CSJ »). La question à examiner dans le présent appel se rapporte à l’assujettissement à l’impôt de ces versements.

 

[2]     L’ordonnance particulière portant sur la pension alimentaire versée au cours de l’année en cause était une ordonnance provisoire de la CSJ. L’ex‑époux de l’appelante avait interjeté appel, sans succès, de l’ordonnance provisoire.

 

[3]     L’appelante se reporte à l’ordonnance provisoire pour affirmer qu’elle établit un précédent, en ce sens que cette ordonnance annulait un accord de séparation qu’elle avait conclu avec son ex‑époux, et ce, même si l’accord prévoyait que les versements convenus ne seraient en aucun cas modifiés. L’accord comportait un engagement exprès de la part de l’appelante, selon lequel la période pendant laquelle les versements convenus devaient être effectués ne serait en aucun cas prolongée. L’appelante s’engageait par ailleurs à ne présenter aucune demande additionnelle en vertu de la Loi sur le droit de la famille ou de la Loi sur le divorce, et ce, indépendamment de tout changement de circonstances. Près de neuf ans après que les versements effectués au titre de la pension alimentaire eurent pris fin aux termes de l’accord, l’appelante a engagé la procédure qui a abouti à l’ordonnance provisoire. L’ordonnance provisoire annulait l’accord. L’octroi de la réparation additionnelle prévue par l’ordonnance pourrait bien, eu égard aux circonstances de l’affaire et aux décisions faisant autorité à ce moment‑là, être décrit comme établissant un précédent[1].

 

[4]     Il est reconnu, dans les motifs de l’ordonnance provisoire, que l’appelante n’avait pas réussi à devenir autonome depuis la rupture et que, par suite de l’échec du mariage, l’appelante avait des difficultés financières auxquelles la cour était tenue de remédier. Compte tenu du budget proposé par l’appelante, la CSJ a conclu qu’il était justifié d’accorder un montant mensuel de 5 000 $. En l’an 2000, onze versements ont été effectués au titre de la pension alimentaire, étant donné que l’ordonnance provisoire avait pris effet au mois de février 2000[2].

 

[5]     L’appelante me demande avec instance de reconnaître que la CSJ voulait qu’elle bénéficie pleinement de la pension alimentaire, compte tenu de son budget, sur la base après impôt. L’appelante a témoigné que l’obligation fiscale n’avait pas été prise en considération par la CSJ, et elle affirme que la cour ne pouvait pas en tenir compte en cherchant à atteindre l’objectif exprimé, qui était de lui permettre de devenir autonome puisque, s’il en était tenu compte, elle n’était pas autonome. Le budget proposé par l’appelante ne comprenait pas, semble‑t‑il, l’obligation fiscale à laquelle donne naissance la pension alimentaire. Quoi qu’il en soit, je reconnais que la CSJ n’a peut‑être pas pris en considération cette obligation fiscale. En effet, il n’est pas fait mention, dans les motifs de l’ordonnance, de considérations d’ordre fiscal.

 

[6]     L’intimée invoque l’alinéa 56(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») en vue d’inclure la pension alimentaire en question dans le revenu de l’appelante. Cette disposition prévoit que, pour être inclus dans le revenu de l’appelante, les versements doivent se rapporter à une « pension alimentaire » selon la définition figurant au paragraphe 56.1(4). Ces dispositions sont libellées comme suit :

 

56.       (1) Sans préjudice de la portée générale de l’article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :

 

[...]

 

            b)         le total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

 

                                                A  —  (B + C)

 

            où :

 

A         représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue après 1996 et avant la fin de l’année d’une personne donnée dont il vivait séparé au moment de la réception de la pension,

 

B          le total des montants représentant chacun une pension alimentaire pour enfants que la personne donnée était tenue de verser au contribuable aux termes d’un accord ou d’une ordonnance à la date d’exécution ou postérieurement et avant la fin de l’année relativement à une période ayant commencé à cette date ou postérieurement,

 

C         le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue de la personne donnée après 1996 et qu’il a incluse dans son revenu pour une année d’imposition antérieure;

 

[...]

 

56.1(4) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et à l’article 56.

 

[...]

 

« pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d’allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d’enfants de celui‑ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

 

a)         le bénéficiaire est l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex‑époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui‑ci pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit;

 

b)         le payeur est le père naturel ou la mère naturelle d’un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province.

 

[7]     Une fois qu’il est établi (ou reconnu comme c’est ici le cas) que la « pension alimentaire » reçue au cours de l’année n’est pas une « pension alimentaire pour enfants » selon la définition figurant au paragraphe 56.1(4), et que la pension alimentaire n’a pas été incluse dans le revenu au cours d’une année antérieure, l’alinéa 56(1)b) inclut cette pension alimentaire dans le revenu du bénéficiaire au cours de l’année de sa réception. Cela étant, il suffit de décider, indépendamment de la question qui a été soulevée en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés[3], si les versements en question constituent une « pension alimentaire ». Dans l’affirmative, les versements sont inclus dans le revenu imposable du bénéficiaire et sont déductibles du revenu imposable du payeur en vertu de l’alinéa 60b) de la Loi[4].

 

[8]     Selon la définition de l’expression « pension alimentaire », le montant doit être à recevoir à titre d’« allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, [...] si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion ». Or, la chose n’a pas été invoquée en l’espèce. En outre, selon l’alinéa a) de la définition de la « pension alimentaire », le bénéficiaire doit être l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex‑époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur et doit vivre séparé de celui‑ci pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait. Aucune question n’a été soulevée au sujet de ces exigences. La dernière exigence, qui est également énoncée à l’alinéa a) de la définition de la « pension alimentaire », est que « le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit ». Bien que les versements reçus en l’espèce aient été effectués conformément à l’ordonnance provisoire de la CSJ, l’appelante a soutenu, dans son avis d’appel, que l’obligation fiscale se rattachant aux versements effectués au titre de la pension alimentaire entraîne des conséquences financières qui ne correspondaient pas à celles que la CSJ avait ordonnées. Aux dires de l’appelante, la pension alimentaire qu’elle a reçue est donc autre chose que ce qui était prévu « aux termes de l’ordonnance » de la cour.

 

[9]     Je reconnais que l’ordonnance provisoire ne renfermait aucune disposition concernant l’obligation fiscale et que la CSJ a peut‑être bien omis d’en tenir compte dans son ordonnance, mais il est certain que les montants reçus étaient payables et à recevoir aux termes de l’ordonnance provisoire. C’est là tout ce qu’exige la Loi. La suffisance du montant après impôt n’est pas envisagée par la Loi. Il s’agit d’une question de droit de la famille qui doit être tranchée par le tribunal compétent, soit la CSJ dans ce cas‑ci. Il importe peu que, par suite de l’obligation fiscale, la pension alimentaire soit insuffisante lorsqu’il s’agit de donner effet aux objectifs visés par l’ordonnance. Il incombe à la partie qui demande la pension alimentaire de convaincre le tribunal du montant nécessaire pour donner effet aux objectifs de l’ordonnance. Si une obligation envers un créancier du bénéficiaire de la pension alimentaire est un facteur à prendre en compte lorsqu’il s’agit de décider du montant qu’il convient d’accorder au titre de la pension et que le tribunal omet d’en tenir compte, les versements effectués aux termes de l’ordonnance sont néanmoins effectués aux termes de l’ordonnance, même s’ils ne donnent pas effet à l’objectif explicite de l’ordonnance. L’ordonnance exige simplement la révision du montant, aux conditions que le tribunal estime appropriées, en vue de donner effet à l’objectif voulu selon les principes applicables en droit de la famille, de sorte que si l’obligation (de nature fiscale ou autre) contrecarre l’objectif visé par l’ordonnance, il faut s’adresser au tribunal qui a rendu l’ordonnance pour obtenir réparation[5].

 

[10]    Cela nous amène au principal argument avancé par l’appelante. Aux dires de l’appelante, l’alinéa 56(1)a) et le système inclusion‑déduction employé dans la Loi portent atteinte aux droits qui lui sont reconnus par la Charte canadienne des droits et libertés, en ce sens qu’ils sont discriminatoires. L’appelante se fonde sur l’article 15 de la Charte pour demander la suppression de la source d’une telle discrimination[6]. Elle invoque plus particulièrement le paragraphe 15(1) de la Charte, qui est rédigé comme suit :

 

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

[11]    Je tiens ici à faire remarquer que l’avocat de l’intimée et moi‑même avons eu de la difficulté à déterminer le fondement de la discrimination alléguée. L’appelante n’allègue pas une discrimination fondée sur le sexe. D’une façon générale, elle affirme qu’il y a discrimination à l’endroit des personnes pour lesquelles on subvient aux besoins qui sont défavorisées économiquement, qui ne sont pas autonomes, à la suite de l’échec d’une union (ou d’un mariage), ce qui a contribué à ce manque d’autonomie. Le droit de la famille reconnaît l’existence de ce groupe de personnes et exige que l’on remédie à cet état de dépendance. Compte tenu de ce groupe, j’ai ramené les principaux arguments invoqués par l’appelante en vertu de la Charte aux deux arguments ci‑après énoncés :

         

(1) les personnes pour lesquelles on subvient aux besoins n’ont pas droit au même bénéfice de la loi, selon le système inclusion‑déduction, comparativement aux personnes qui assurent le soutien;

 

(2) l’alinéa 56(1)a) établit une discrimination à l’endroit des personnes séparées qui sont défavorisées économiquement (c’est‑à‑dire qui ne sont pas autonomes) en raison de l’état de dépendance créé au cours du mariage.

 

[12]    Je donnerai des précisions au sujet de ces arguments, mais je note que l’avocat de l’intimée, en soutenant que l’alinéa 56(1)a) ne violait pas la Charte, s’est principalement fondé sur les décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans les affaires Thibaudeau v. The Queen[7], en 1995, et Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[8], en 1999. Le premier arrêt étaye le point de vue selon lequel la suffisance de la pension alimentaire, pour l’appelante, ne dépend pas du régime fiscal, mais qu’elle est plutôt régie par le droit de la famille, de sorte qu’on ne saurait dire que l’imposition de la pension alimentaire viole la Charte. Quant à l’arrêt Law, l’avocat de l’intimée signale que selon cet arrêt, je dois me poser les trois questions suivantes :

 

          [traduction]

(1)     L’alinéa 56(1)a) traite‑t‑il l’appelante différemment en raison de caractéristiques personnelles?

 

(2)     Dans l’affirmative, cette distinction est‑elle fondée sur un motif énuméré au paragraphe 15(1) de la Charte ou sur un motif analogue?

 

(3)     Dans l’affirmative, la différence de traitement est‑elle discriminatoire?

 

L’arrêt Law étaye le point de vue selon lequel une différence de traitement imposée par la Loi ne viole la Charte que si cette différence est fondée sur une caractéristique personnelle. L’intimée fait valoir que, dans la mesure où il existe une différence de traitement dans ce cas‑ci, elle n’est pas attribuable à une caractéristique personnelle de l’appelante, mais qu’elle est plutôt attribuable à sa situation financière et à son état civil, qui ne sont pas des caractéristiques personnelles.

 

[13]    Je note également qu’en se présentant devant la Cour, l’avocat de l’intimée était prêt à défendre le système inclusion‑déduction attaqué par l’appelante. L’avocat a cité un témoin du ministère des Finances pour parler de la politique et des questions fiscales découlant des questions qui sont ici soulevées en vertu de la Charte et il a déposé deux affidavits établis par ce témoin[9]. Le premier affidavit traite de la capacité de payer et des principes d’équité horizontale et d’équité verticale sous‑tendant l’application de la Loi. Le second affidavit traite des questions fiscales, dans le cas où la symétrie inclusion‑déduction ici en cause n’existe plus. Dans l’ensemble, les observations qui sont faites dans les deux affidavits se rapportent à la position subsidiaire que l’intimée a avancée au cas où je conclurais que l’alinéa 56(1)a) viole de fait l’article 15 de la Charte. Selon cette position subsidiaire, l’article premier de la Charte s’appliquerait afin de protéger les dispositions de l’alinéa 56(1)b) si je concluais à la violation de l’article 15[10]. L’article premier de la Charte prévoit ce qui suit :

 

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

 

[14]    J’examinerai maintenant les arguments précis fondés sur la Charte dont il a ci‑dessus été fait mention.

 

Selon le système inclusion‑déduction, les personnes pour lesquelles on subvient aux besoins n’ont pas droit au même bénéfice de la loi comparativement aux personnes qui subviennent à leurs besoins

 

[15]    Aux dires de l’appelante, le système inclusion‑déduction est fondé sur l’idée selon laquelle l’avantage fiscal conféré par la déduction (à la personne qui subvient aux besoins de l’autre personne) doit être partagé, pour le motif que la déduction accordée à la personne dont le taux d’imposition est plus élevé permet un transfert des économies d’impôt à la personne dont le taux d’imposition est moins élevé. Selon l’appelante, cet avantage n’est pas partagé en pratique, ce qui a un effet discriminatoire. L’appelante affirme que, en réalité, le système perpétue, et de fait accroît, entre les anciens époux ou conjoints le déséquilibre auquel une ordonnance alimentaire vise à remédier. Dans ce contexte, l’appelante compare son groupe de personnes défavorisées économiquement au groupe dont son ancien mari fait partie. L’appelante est une personne qui était autrefois mariée. Il en va de même pour son mari. En tant que payeur appartenant à ce groupe, le mari se trouve dans une meilleure situation, selon le régime fiscal actuel, que la personne du même groupe pour laquelle on subvient aux besoins. L’appelante n’a pas droit au même bénéfice de la loi.

 

[16]    L’avocat de l’intimée a fait valoir que l’idée sous‑tendant le système inclusion‑déduction est fondée sur la [traduction] « capacité de payer » du payeur et sur [traduction] l’« utilisation discrétionnaire » de la pension alimentaire par le bénéficiaire et non sur l’idée du partage de l’avantage fiscal conféré par la déduction (au payeur) ou par l’effet du [traduction] « partage du revenu » résultant du système inclusion‑déduction.

 

[17]    Je retiens la position adoptée par l’intimée, à savoir que le système inclusion‑déduction est fondé (pour ce qui est de la déduction) sur l’idée de la capacité de payer. Toutefois, comme il en a ci‑dessus été fait mention, je suis d’avis que cette position fait partie d’une analyse justificative qui n’est pas pertinente quant à l’examen de l’application du paragraphe 15(1) de la Charte et que, même si cette analyse était pertinente (par exemple, dans le cas de l’article premier de la Charte), la justification fondée sur la « capacité de payer » est de toute façon au mieux faible. L’octroi d’une déduction compte tenu de la capacité de payer est une mesure fort subjective, c’est‑à‑dire que cette idée (la capacité de payer) ne justifie aucunement, d’une façon objective, l’application du système inclusion‑déduction aux pensions alimentaires. De fait, il serait possible de rationaliser n’importe quel modèle fiscal pour ce qui est du traitement fiscal des pensions alimentaires. Avant le 1er mai 1997, la pension alimentaire pour enfants était déductible en vertu de la Loi. La capacité de payer l’impôt du père ou de la mère qui subvient aux besoins de l’enfant a‑t‑elle changé? Elle n’a certes pas changé. C’est la rationalisation subjective de la politique fiscale associée au traitement fiscal de ces types de paiements qui a changé. Il existe de nombreux autres cas dans lesquels les pensions alimentaires dont le paiement a été ordonné par les tribunaux ne sont pas déductibles pour l’impôt même si la capacité de payer l’impôt a diminué. Il serait possible d’ordonner à une personne de subvenir aux besoins d’un membre de la famille ou d’une personne qu’elle a blessée. Pareilles obligations imposées par un tribunal influent sur la capacité du payeur de payer l’impôt, mais le régime fiscal ne prévoit aucun accommodement. Quelles que soient les rationalisations pour différents types de pensions alimentaires, elles vont bien au‑delà d’idées aussi simplistes que la « capacité de payer ». C’est du législateur et non des tribunaux que relèvent de telles rationalisations subjectives.

 

[18]    De même, la justification de l’inclusion fondée sur l’idée de l’« utilisation discrétionnaire » est au mieux faible. Cette justification n’est pas objectivement fondée. Selon moi, l’hypothèse, en ce qui concerne les versements assimilables à une pension alimentaire, est qu’il s’agit de répartir ou de partager les gains et non de répartir ou de partager le capital, c’est‑à‑dire que selon l’hypothèse, la source des fonds versés n’est pas encore imposée lorsqu’une déduction est permise. Le montant en cause est imposé entre les mains du bénéficiaire, de façon qu’il soit imposé quelque part. Il ne s’agit pas d’une politique qui peut être objectivement justifiée par l’idée de l’« utilisation discrétionnaire ». Il s’agit encore une fois d’une politique subjective imposée par le législateur. Cette politique indique, dans une certaine mesure du moins, le degré de séparation des personnes en cause dans ces régimes de paiement de pensions alimentaires. Les personnes séparées sont considérées comme deux unités fiscales à l’égard d’une seule source de revenu, de façon à « permettre » le partage du revenu, mais elles ne sont pas considérées comme étant si indépendantes qu’il n’est pas nécessaire de rendre compte de cette source de revenu – entre ces deux personnes. Il s’agit d’une théorie fiscale raisonnable, mais elle est néanmoins subjective. Le fait que la Loi comporte maintes distinctions subjectives ne veut pas dire que ces distinctions sont discriminatoires.

 

[19]    Indépendamment de la justification, l’appelante a raison d’affirmer qu’elle ne partage pas l’avantage conféré à son ancien mari. Un avantage est accordé à l’ex‑époux qui verse la pension alimentaire et, comme l’avocat de l’intimée l’a fait valoir, il s’agit d’un avantage à l’égard duquel on n’entend pas nécessairement qu’il y ait partage. À l’appui de sa position, l’avocat de l’intimée a cité des extraits des Débats de la Chambre des communes de 1942[11] :

 

M. BENCE :

[...] Il me semble très injuste qu’un divorcé qui supporte sa première femme par ordre du tribunal ne puisse, aux fins de l’impôt sur le revenu, déduire la pension alimentaire qu’il lui verse. S’il le pouvait, on pourrait obliger la première femme à préparer sa déclaration d’impôt comme si elle était célibataire, -- elle l’est en réalité, -- et à inscrire sa pension au chapitre du revenu dans sa déclaration. Souvent le divorcé s’est remarié, et il lui faut acquitter un lourd impôt sur la pension mensuelle de $60, $70 ou $80 par mois qu’il verse à son ancienne épouse. Ce n’est pas la cause du mari que je plaide, bien qu’il soit en très mauvaise posture. Dans les cas portés à ma connaissance le mari n’a pu effectuer les versements et c’est la première femme qui en souffre. Je dis donc qu’elle mérite autant de considération que le mari[12].

 

L’appelante a soutenu que ce passage pourrait être interprété comme étayant sa position, à savoir que le bénéficiaire s’attendait à tirer parti du système inclusion‑déduction existant, mais l’avantage envisagé dans ce passage est au mieux indirect. En outre, certains députés semblent uniquement avoir songé au payeur en envisageant de modifier les dispositions de la Loi portant sur les pensions alimentaires, comme le montre le passage suivant des Débats de la Chambre des communes :

 

M. GREEN :

J’estime que nous sommes dans une situation impossible avec l’énorme majoration des impôts cette année. Après tout, nos lois admettent le divorce et, ayant obtenu le divorce, les parties intéressées peuvent se marier de nouveau. Dans certains cas qu’on a portés à ma connaissance, l’époux est remarié et sa deuxième épouse lui a donné des enfants; cependant, il doit payer l’impôt sur le revenu pour la pension alimentaire qu’il verse à sa première épouse. C’est absolument injuste, il me semble.

 

[20]    Le législateur a autorisé la déduction de la pension alimentaire. Il voulait accorder un avantage au payeur. Il n’est pas nécessaire d’élever, sur le plan intellectuel, ce compromis clair en soutenant que le système inclusion‑déduction confère un avantage général aux personnes qui vivent séparées pour cause d’échec de leur mariage. Il n’existe aucune unité collective qui serait réputée partager cet avantage. L’appelante a raison sur ce point. Dans notre système fiscal, l’« avantage » d’une inclusion (par la personne qui reçoit la pension alimentaire) et d’une déduction (par le payeur qui verse la pension alimentaire en vertu de l’alinéa 60b) de la Loi) ne consiste pas à permettre le partage du revenu, c’est‑à‑dire à conférer à un second contribuable l’avantage d’un taux d’imposition marginal moins élevé. Le fait qu’un taux d’imposition moins élevé s’applique peut‑être au bénéficiaire d’une pension alimentaire ne procure aucun avantage à ce dernier. Le bénéficiaire subit une conséquence fiscale sans obtenir un abattement du payeur, à moins que l’abattement ne soit de nouveau transmis en vertu des principes du droit de la famille, ce sur quoi le législateur et la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Thibaudeau, précité, ont reconnu que la question du « partage » (le cas échéant) de l’avantage se rattachant à la déduction (lequel est conféré au payeur) devrait être examinée. L’appréciation des circonstances dans leur ensemble et l’application des principes du droit de la famille à ces circonstances permettent au tribunal du droit de la famille d’agir comme il le juge bon sur une base individualisée[13].

 

[21]    Telle est essentiellement la conclusion à laquelle sont arrivés la majorité des juges dans l’arrêt Thibaudeau, précité, lorsqu’ils ont conclu que l’alinéa 56(1)a) de la Loi n’était pas discriminatoire. L’alinéa 56(1)a) a depuis lors été modifié pour ce qui est de l’inclusion de la pension alimentaire pour enfants dans le revenu et, bien que l’affaire Thibaudeau ait porté sur l’assujettissement à l’impôt d’une pension alimentaire pour enfants, par opposition à la pension alimentaire accordée à un époux ou à un conjoint, le fondement de la contestation de la disposition en cause dans cette affaire‑là s’applique sur tous les points à la présente espèce. Telle est également la conclusion qui a implicitement été tirée dans la décision Latsay c. Canada, [1997] A.C.I. no 3, dans laquelle il a été conclu, compte tenu de l’arrêt Thibaudeau, que l’inclusion dans le revenu, en vertu de l’alinéa 56(1)a), de la pension alimentaire accordée au conjoint n’allait pas à l’encontre de la Charte.

 

[22]    Dans l’affaire Thibaudeau, précitée, la contribuable alléguait être membre d’un groupe de personnes séparées ou divorcées qui, parce qu’elles étaient autonomes, ne recevaient personnellement aucune pension, mais recevaient plutôt, à titre de conjoints ayant la garde des enfants, une pension visant à subvenir aux besoins de ceux‑ci[14]. La Cour suprême du Canada a conclu que ce groupe ne faisait pas l’objet de discrimination par suite de l’application de l’alinéa 56(1)b). Les avis étaient sur certains points partagés, mais l’avis exprimé par la majorité des juges ne semble pas aller à l’encontre des conclusions tirées par les juges Cory et Iacobucci, pages 5274 à 5276, selon lesquels, lorsqu’il y a transfert de l’obligation fiscale entre les anciens conjoints :

 

[...], la responsabilité n’en incombe pas à la Loi de l’impôt sur le revenu, mais au régime du droit de la famille et aux procédures dont résultent les ordonnances alimentaires. Ce régime prévoit des moyens de réexaminer les ordonnances alimentaires qui, par erreur, n’ont pas tenu compte des conséquences fiscales des versements de pension. Étant donné l’interaction entre la Loi de l’impôt sur le revenu et les lois relatives au droit de la famille, on ne peut donc pas dire que l’al. 56(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu impose à l’intimée un fardeau au sens de la jurisprudence relative à l’art. 15.

 

Ce passage, si on l’applique au groupe de parents dont Mme Thibaudeau était membre, s’applique également, et peut‑être encore plus, au groupe dans lequel l’appelante se place, à savoir le groupe de personnes qui ne sont pas autonomes et à la dépendance desquelles le droit de la famille vise à remédier. Les personnes de ce groupe qui ont besoin d’aide peuvent s’adresser aux tribunaux de la famille pour faire valoir leur droit de recevoir cette aide.

 

[23]    Le juge Gonthier a exprimé un avis similaire dans l’arrêt Thibaudeau, précité, page 5289 :

 

Je note, pour clore ces observations, que l’insuffisance des pensions alimentaires est attribuable à de multiples facteurs que le droit familial régit et n’est pas le fait de ces dispositions de la LIR. Quant à la répartition des montants additionnels libérés par le régime, elle n’a pas, au sens de l’art. 15 de la Charte, à être faite de façon égale entre les membres du couple, étant justement régie par le droit familial selon le meilleur intérêt de l’enfant.

 

À mon avis, ce passage s’applique également aux principes du droit de la famille qui sont établis en fonction des intérêts et des besoins d’un époux ou d’un conjoint sans enfant qui n’est pas autonome. Le fait que les avantages du système ne sont pas également partagés ou répartis en vertu de la Loi ne constitue pas une violation des droits reconnus par la Charte.

 

[24]    En outre, si les critères énoncés dans l’arrêt Law, précité, sont appliqués, le premier argument que l’appelante a invoqué en se fondant sur le paragraphe 15(1) de la Charte serait également rejeté. En effet, cet argument souligne de fait que le payeur se trouve dans une meilleure situation selon le système inclusion‑déduction, mais il n’y a aucune discrimination fondée sur des caractéristiques personnelles. Le désavantage auquel l’appelante fait face est de nature financière et il ne s’agit pas d’une caractéristique personnelle immuable (ou considérée comme immuable). Le fait que l’ancien mari de l’appelante se voit accorder un avantage fiscal ne permet pas pour autant à cette dernière de bénéficier de cet avantage ou de le partager. En sa qualité de personne séparée qui a besoin d’un soutien, l’appelante est distincte de la personne qui lui verse une pension, mais le fondement de cette distinction n’est pas un motif énuméré au paragraphe 15(1) de la Charte ni un motif analogue. L’intimée cite le passage suivant de l’arrêt Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)[15] qui, pour les besoins du présent appel, fait suffisamment autorité à l’égard de ces conclusions :

 

Ce fait tend à indiquer que l’objet de l’identification de motifs analogues à la deuxième étape de l’analyse établie dans Law est découvrir des motifs fondés sur des caractéristiques qu’il nous est impossible de changer ou que le gouvernement ne peut légitimement s’attendre que nous changions pour avoir droit à l’égalité de traitement garantie par la loi. Autrement dit, l’art. 15 vise le déni du droit à l’égalité de traitement pour des motifs qui sont immuables dans les faits, par exemple la race, ou qui sont considérés immuables, par exemple la religion.

 


 

L’alinéa 56(1)a) établit une discrimination à l’endroit des personnes séparées qui sont défavorisées économiquement – en ce sens qu’elles ne sont pas autonomes – en raison de l’état de dépendance créé au cours du mariage

 

[25]    Aux dires de l’appelante, la disposition d’inclusion en question établit une discrimination à son endroit et à l’endroit d’autres personnes qui sont dans la même situation que la sienne du fait que cette disposition crée une obligation écrasante sur le plan financier à l’égard de montants qui ont été accordés en vue de remédier à des difficultés financières qui existaient déjà. Une politique sociale qui va à l’encontre d’une autre politique établit en fait une discrimination à l’endroit des personnes séparées qui sont défavorisées économiquement et qui ne sont pas autonomes en raison de l’état de dépendance créé au cours du mariage. L’alinéa 56(1)a) vise ce groupe. Or, viser ce groupe défavorisé en récupérant ce qui est accordé pour atténuer les difficultés éprouvées, c’est, du moins selon ce qui est soutenu, établir une discrimination à l’endroit de ce groupe. L’appelante affirme que le besoin (et le droit) qu’elle a d’être aidée constitue une caractéristique personnelle partagée par d’autres personnes de son groupe, ce groupe étant soumis, en vertu de la Loi, à un traitement discriminatoire par rapport au traitement dont bénéficient les personnes comme son ancien époux (et d’autres personnes appartenant au même groupe que celui‑ci) qui sont en mesure (et qui sont légalement tenues) de fournir l’aide nécessaire.

 

[26]    L’appelante fait également valoir que le mariage donne naissance au droit à un soutien, et que ce droit continue à exister à la suite de l’échec du mariage. Si le fondement de la responsabilité d’assurer un soutien découle du mariage, les mesures et les moyens donnant effet à cette responsabilité doivent être cohérents et comparables avant et après l’échec du mariage. Le traitement fiscal incohérent imposé à l’égard de dépenses découlant d’une responsabilité associée au mariage (que ce soit au cours du mariage ou après l’échec du mariage) a un effet discriminatoire pour les personnes qui sont devenues dépendantes en raison du mariage, mais qui vivent séparées par suite de la rupture.

 

[27]    Encore une fois, si les critères énoncés dans l’arrêt Law, précité, sont appliqués, le second argument que l’appelante a invoqué en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte doit être rejeté. Il n’y a pas de discrimination fondée sur des caractéristiques personnelles comme celles qui donnent lieu à la protection garantie par la Charte. Le fait d’être défavorisé économiquement ne constitue pas une caractéristique personnelle. Le revenu de l’appelante justifiait l’octroi d’une ordonnance alimentaire, mais le niveau du revenu d’une personne (sa situation financière) ne constitue pas une caractéristique personnelle énumérée à l’article 15 et n’est pas non plus une caractéristique analogue à celles qui y sont énumérées[16]. Même si, dans un domaine du droit, il pourrait être justifié d’accorder une ordonnance alimentaire, cela ne veut pas pour autant dire qu’il y a discrimination lorsque, dans un autre domaine, la pension est assujettie à l’impôt. Il s’agit de décisions de principe relevant du législateur. Ce qui est discriminatoire, selon l’appelante, n’est en réalité qu’une anomalie perçue, soit que la justification fondée sur la « capacité de payer » s’applique dans le cas du payeur, alors qu’elle ne s’applique pas dans le cas du bénéficiaire. Toutefois, comme il en a été fait mention, l’idée de la capacité de payer ne constitue pas, objectivement du moins, une rationalisation du traitement fiscal qui gêne l’appelante. Il s’agit d’une justification subjective à laquelle le législateur peut à bon droit avoir recours.

 

[28]    Il est vrai que le mariage crée certaines obligations alimentaires, et ce, tant au cours du mariage qu’après l’échec du mariage, mais l’échec du mariage est un événement qui cristallise le droit à une pension alimentaire. Il s’agit d’un événement qui crée une distinction importante dans l’état civil. Toutefois, un changement d’état civil ne constitue pas une caractéristique personnelle du genre de celles qui sont protégées par la Charte. De plus, dans le contexte de la Loi, il ne s’agit pas non plus d’une caractéristique analogue à celles qui sont protégées par la Charte.

 

[29]    Dans l’arrêt Thibaudeau[17], précité, le juge Gonthier fait remarquer qu’« [...] il ne faudrait [...] pas confondre le concept d’équité fiscale, qui vise la meilleure répartition du fardeau fiscal compte tenu des besoins du fisc, de la capacité de payer des contribuables et des politiques économiques et sociales de l’État avec la notion de droit à l’égalité [...] ». Dans ces remarques, le juge Gonthier semble reprendre l’avis exprimé en dissidence par le juge Létourneau dans la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans cette affaire‑là[18]. De fait, à la page 5279, le juge Gonthier mentionne d’une façon passablement détaillée les motifs que le juge Létourneau a exprimés en dissidence. Selon le juge Létourneau, on ne saurait tenir compte de l’état civil en décidant s’il y a eu discrimination dans le contexte d’une disposition de la Loi. La réalité sociale, politique, juridique et économique entraînera une différence de traitement entre les contribuables en vertu de la Loi. La Loi, par sa nature, crée des distinctions et impose des obligations différentes en fonction des différences existant quant à la situation financière et à l’état civil, ce qui n’est pas à première vue discriminatoire. En somme, le fait que le législateur a reconnu, dans la Loi, la nécessité de composer avec le payeur sans pour autant composer avec le bénéficiaire n’est pas à première vue discriminatoire. Dans le contexte de l’alinéa 56(1)a), la Cour suprême du Canada est allée encore plus loin, dans l’arrêt Thibaudeau, en concluant que cette disposition n’était pas discriminatoire (que ce soit à première vue ou autrement) à l’égard de faits qui ne sont pas vraiment différents de ceux de la présente espèce.

 

[30]    Pour les motifs susmentionnés, je conclus que l’alinéa 56(1)a) ne viole pas le paragraphe 15(1) de la Charte. Par conséquent, l’appel sera rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28jour de janvier 2004.

 

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mars 2009.

 

D. Laberge, LL.L.


 

RÉFÉRENCE :                                  2004CCI98

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2003-147(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Beverley Bailey

                                                          c.

                                                          Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 11 décembre 2003

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge J.E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 28 janvier 2004

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

 

Avocats de l’intimée :

Me Arnold H. Bornstein

Me Nimanthika Kaneira

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            Morris Rosenberg

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1] L’ordonnance provisoire est celle qui s’applique à la pension alimentaire reçue au cours de l’année visée par l’appel, mais je remarque qu’une décision définitive a été rendue en 2001. Cette ordonnance était en fait rendue conformément à une entente portant règlement (signée conformément aux procédures de la cour applicables aux règlements après le rejet de l’appel que l’ex‑époux de l’appelante avait interjeté de l’ordonnance provisoire). L’affaire a encore une fois été portée devant la cour par l’appelante, qui demandait l’annulation de l’entente portant règlement. Dans sa décision définitive, la CSJ a donné suite à l’entente, qui prévoyait une pension alimentaire mensuelle de 7 000 $. Rien ne montre que dans les pourparlers préalables au règlement, il ait été tenu compte de l’obligation fiscale de l’appelante à l’égard de la pension alimentaire. L’appelante était représentée par un avocat lorsque les offres de règlement étaient examinées et elle a alors signé l’entente.

[2] Je remarque que, dans l’instance initiale qui a donné lieu à l’ordonnance provisoire, la pension alimentaire demandée s’élevait au départ à 5 000 $ par mois, mais que le montant a par la suite été porté à 8 000 $ par mois. Dans ses motifs, la CSJ a accepté un plafond mensuel de 5 000 $, en se fondant sur le budget proposé par l’appelante.

[3] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11, (R.‑U.).

[4] Ces dispositions réciproques d’inclusion et de déduction constituent ensemble ce qu’on appelle souvent un système « inclusion‑déduction ».

[5] Je remarque que, lorsqu’on lui a demandé si elle avait sollicité la modification de l’ordonnance, de façon qu’il soit tenu compte de l’obligation fiscale, l’appelante a répondu par la négative. Elle a témoigné avoir cru qu’elle n’allait pas avoir gain de cause étant donné la brillante victoire remportée la première fois. Quant à l’étendue de cette victoire, je note que si la CSJ n’a pas tenu compte de l’obligation fiscale associée au montant accordé au titre de la pension alimentaire, c’est parce qu’il n’en était pas fait mention dans le budget proposé par l’appelante, sur lequel la cour s’est fondée lorsqu’elle a accordé le montant. Cela ne veut pas pour autant dire que l’appelante a été l’artisan de son malheur et qu’elle doit en subir les conséquences. Au contraire, s’il faut alléger le fardeau fiscal afin de donner effet aux objectifs voulus, il incombe à l’appelante de s’adresser à la cour qui a accordé l’ordonnance pour rectifier le problème.

[6] L’appelante a déposé un avis de question constitutionnelle qui a été signifié conformément aux exigences de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales.

[7] 95 DTC 5273.

[8] [1999] 1 R.C.S. 497, page 548, paragraphe 88.

[9] L’intimée a cherché à faire reconnaître ce témoin à titre d’expert. J’ai autorisé le témoin à témoigner sur les questions mentionnées dans ses affidavits, mais j’ai remis à plus tard toute décision concernant sa reconnaissance à titre d’expert. Je reconnais que les titres de compétence du témoin, qui est économiste, lui donnent qualité pour témoigner à titre d’expert sur les questions mentionnées dans son second affidavit, qui traite du coût fiscal de la radiation des dispositions de l’alinéa 56(1)b). Ce coût a été estimé compte tenu de l’hypothèse selon laquelle l’alinéa 60b) continuerait à s’appliquer. Je conclus que cette hypothèse est plutôt arbitraire, même si tel est le résultat immédiat dans le cas où l’appel de l’appelante serait accueilli. Néanmoins, je n’ai pas eu à tenir compte de cette preuve étant donné que l’appel est rejeté pour des motifs qui n’exigent pas l’examen des effets fiscaux découlant de l’octroi de l’appel. Quant à la qualité d’expert du témoin, lorsqu’il s’agit de témoigner sur la politique sous‑tendant la disposition en question, je ne reconnaîtrais pas les opinions exprimées par le témoin comme étant celles d’un expert et, en outre, je n’ai de toute façon pas à me fonder sur une preuve sous forme d’opinion concernant pareille politique, et ce, qu’il s’agisse d’une preuve d’expert ou d’un autre genre de preuve.

[10] Dans l’arrêt Thibaudeau (page 5274), les juges Cory et Iacobucci préconisent l’approche voulant que les questions de politique et les questions fiscales ne soient pertinentes qu’en ce qui concerne l’application de l’article premier de la Charte, c’est‑à‑dire qu’une analyse « fonctionnelle » (telle que celle que le témoin de l’intimée a offerte) donne lieu à une analyse justificative qui relève en fait de l’article premier de la Charte, par opposition à l’article 15.

[11] Débats de la Chambre des communes, vol. V, 3e sess. – 19e Lég., 1942.

[12] Les Débats de la Chambre des communes dont ces passages font partie se rapportaient à la modification du traitement fiscal des pensions alimentaires, mais la modification a pris effet en 1944 seulement. Avant que le régime actuel ait été établi en 1944, la pension alimentaire était incluse dans le revenu de l’époux séparé bénéficiaire et le payeur avait ensuite droit à un crédit correspondant au montant de l’impôt exigé du bénéficiaire par suite de l’inclusion de cette pension dans le revenu de celui‑ci.

[13] Dans le cas de l’appelante, il n’avait pas été question, devant la CSJ, du partage de l’avantage découlant de la déduction fiscale accordée à son ancien mari. La cause de l’appelante, devant la CSJ, portait sur les besoins de l’appelante, selon le budget qu’elle avait établi, et non sur le partage des revenus ou des avantages. Dans certains cas, il faudra établir un équilibre entre les ressources du payeur (ce qui comprendrait une analyse de l’effet après impôt) et les besoins du bénéficiaire (ce qui pourrait comprendre une analyse de l’effet après impôt). Dans d’autres cas, lorsque le payeur dispose de ressources abondantes par rapport aux besoins établis du bénéficiaire, il se peut que la question du partage d’un avantage fiscal ne se pose jamais. C’est ce qui semble être arrivé devant la CSJ dans le cas de l’appelante. Il n’était aucunement question de « partage » de l’avantage. Le problème était attribuable au fait que les besoins de l’appelante, selon le budget de celle‑ci (compte tenu de son obligation fiscale), n’avaient pas été présentés de la façon appropriée devant la CSJ.

[14] Page 5285.

[15] [1999] 2 R.C.S. 203.

[16] Voir Stanwick v. R., 1999 CarswellNat 21 (C.A.F.); Guillemette v. R., 1999 CarswellNat 624 (C.A.F.).

[17] Voir page 5280.

[18] 94 DTC 6230.

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