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Dossier : 2000-4873(IT)G

ENTRE :

ELLIS VISION INCORPORATED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 21 juillet 2003 à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge Gerald J. Rip

Comparutions

Avocats de l'appelante :

Me John C. Yuan et

Me Darryl Cruz

Avocat de l'intimée :

Me Franco Calabrese

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996 et 1997 sont accueillis, avec dépens, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de décembre 2003.

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

Traduction française officielle

ce 27e jour de février 2004.

Nancy Bouchard, traductrice


Référence : 2003CCI912

Date : 20031209

Dossier : 2000-4873(IT)G

ENTRE :

ELLIS VISION INCORPORATED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Rip

[1]      Ellis Vision Incorporated a interjeté appel à l'encontre de cotisations d'impôt sur le revenu établies à son égard pour les années d'imposition 1996 et 1997 aux termes desquelles le ministre du Revenu national a, entre autres choses, refusé les déductions d'une provision qu'a réclamées l'appelante en vertu de l'alinéa 20(1)m) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Le ministre a également établi une cotisation à l'égard de l'appelante pour l'année d'imposition 1997 réduisant ainsi son revenu dans la mesure où il avait additionné à ce revenu, pour l'année d'imposition 1997, le montant de la provision prévue à l'alinéa 20(1)m) que l'appelante avait réclamée dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1996. Le procureur général déclare qu'en réponse aux arguments présentés au nom de l'appelante, le ministre a établi de nouvelles cotisations à son égard pour les années d'imposition 1996 et 1997 sous réserve que le revenu, aux fins de l'impôt sur le revenu, soit comptabilisé selon la « méthode de comptabilisation des sommes facturées » et, par conséquent, qu'il a autorisé à l'appelante de déduire de son revenu des sommes non facturées à titre de comptes débiteurs non facturés inclus dans le revenu.

[2]      L'appelante exploite une entreprise qui consiste à produire des films et des séries documentaires portant notamment sur la faune et la nature et à octroyer des licences aux fins de télédiffusion. L'appelante tire un revenu de l'octroi de licences à des télédiffuseurs pour télédiffuser ces émissions et séries un peu partout dans le monde en vertu d'accords de concession de licence. L'appelante octroie des licences aux fins de diffusion d'émissions qui n'ont pas encore été produites (en vertu d'accords conclus « avant l'octroi d'une licence » ou « avant la production » d'une émission) ainsi que d'émissions qui ont été produites et qui peuvent avoir déjà été télédiffusées (en vertu d'accords conclus « après la production » ). À l'expiration d'une licence octroyée à un télédiffuseur initial aux fins de diffusion d'une émission « avant sa production » , l'appelante conserve celle-ci dans sa vidéothèque et génère d'autres revenus de l'octroi de licences à d'autres télédiffuseurs pour diffuser cette même émission.

[3]      Ces productions comprennent des émissions uniques ainsi que plusieurs émissions qui font partie d'une série. L'appelante octroie des licences à des télédiffuseurs et à des câblodistributeurs aux fins de diffusion de ces émissions et de ces séries. L'appelante peut également distribuer des émissions en octroyant des licences de vente de vidéos. Dans les présents motifs du jugement, ces émissions et séries seront ci-après appelées « productions » .

[4]      Dans le cadre de l'exploitation de son entreprise, Ellis Vision élabore le concept d'une émission ou d'une série puis entreprend des démarches auprès de télédiffuseurs potentiels en vue de conclure des engagements pour obtenir une licence en vue de diffuser les productions une fois qu'elles sont terminées. Ellis Vision détermine s'il y a lieu de produire une émission en fonction de ce que les télédiffuseurs sont disposés à payer pour obtenir une licence et en fonction du nombre de télédiffuseurs qui veulent s'engager à diffuser ladite émission. Aux dires de Stephen Ellis, le président de l'appelante, si selon la [Traduction] « propre discipline organisationnelle » de l'appelante, les engagements sont insuffisants, alors aucune émission ou série n'est produite.

[5]      Par contre, si les engagements sont suffisants, alors l'appelante fait appel aux services de cinématographes, d'auteurs, de concepteurs, de compositeurs de musique, d'éditeurs et d'autres personnes compétentes en vue de [Traduction] « produire une oeuvre originale » , pour employer l'expression de M. Ellis.

[6]      Les droits de licence que perçoit l'appelante découlent des accords conclus avant l'obtention d'une licence ou après la production d'une émission ou d'une série. En vertu d'un contrat de licence conclu avec Ellis Vision, le télédiffuseur s'engage à respecter diverses modalités, notamment le délai d'utilisation de l'émission, le nombre d'émissions qu'il est autorisé à diffuser et les droits de licence. En échange, le télédiffuseur obtient le droit exclusif de diffuser l'émission pendant la période de validité de la licence sur le marché de ce télédiffuseur, en fonction de l'emplacement géographique et du genre de télédiffusion, c'est-à-dire « à l'antenne » ou sur une chaîne de télévision par câble. M. Ellis a déclaré qu'en règle générale, les télédiffuseurs sont plus enclins à payer davantage de droits de licence pour une émission qui n'est pas encore produite plutôt que pour des émissions déjà produites. Ellis Vision tente d'octroyer le plus de licences possible à l'échelle internationale.

[7]      M. Ellis et Mme Trina McQueen, ancienne présidente de la chaîne de télévision Discovery Channel au Canada ainsi qu'ancienne directrice de l'exploitation du réseau de télévision canadienne (CTV), ont tous deux souligné l'importance d'assurer l'exclusivité d'une émission à un télédiffuseur pendant la période de validité de la licence. Mme McQueen a déclaré qu'il est important pour le télédiffuseur licencié que l'entreprise Ellis Vision lui assure que personne d'autre, dans son secteur d'activités, ne sera autorisé à diffuser l'émission pendant la période de validité de la licence. Mme McQueen a expliqué que ce droit exclusif constituait, pour un télédiffuseur, [Traduction] « la clé du succès » ; en effet, un télédiffuseur souhaite promouvoir un produit qui suscite l'intérêt du téléspectateur et auquel il peut s'associer. Un télédiffuseur se laissera également influencer par le coût et la période de validité de la licence lorsqu'il s'agira de décider s'il souhaite s'engager à diffuser une émission.

[8]      Mme McQueen a affirmé que, plus une licence accorde un droit exclusif au télédiffuseur, plus il est important pour ce dernier que le concédant de licence souscrive à une assurance à l'égard de l'émission. En particulier, en ce qui concerne l'entreprise Ellis Vision, le traitement et les prises de vue des animaux exigent que l'appelante soit assurée pour défendre l'émission contre, je suppose, des accusations de mauvais traitements à l'égard des animaux.

[9]      Selon Mme McQueen, le télédiffuseur n'achète pas mais loue des émissions, et, pendant la période de validité de la licence, il s'attend à ce que le concédant de licence lui fournisse du matériel promotionnel. Elle a témoigné qu'Ellis Vision est propriétaire de [Traduction] « chaque scène d'un film qu'elle tourne » et que cela constitue un bien de très grande valeur. [Traduction] « Les émissions documentaires sur les animaux ne se démodent pas » autant que d'autres genres d'émission et, conséquemment, elles conservent leur valeur.   

[10]     M. Ellis a expliqué que l'appelante et les télédiffuseurs négocient les licences avant la production comme si l'émission était déjà produite. Cependant, un accord conclu avant la production comportera des modalités additionnelles visant à rassurer le télédiffuseur que l'émission répondra à ses normes et à s'assurer que ce dernier acceptera l'émission lorsque celle-ci lui sera livrée.

[11]     M. Ellis a estimé que l'appelante tirait plus de la moitié de ses revenus de l'octroi de licences découlant d'accords conclus avant la production mais qu'elle octroyait davantage de licences pour la diffusion d'heures d'émissions déjà produites.

[12]     Selon M. Ellis, avant 1996, l'appelante a déclaré un revenu à des fins comptables en cumulant « simplement » les coûts pour chaque émission et un revenu a été comptabilisé pour l'année où les revenus étaient supérieurs aux coûts. Le traitement comptable des revenus en vigueur avant 1996 est décrit dans la note 1 des états financiers de l'appelante pour l'année 1995 :

[Traduction]

Tous les coûts de production, redevances versées à l'avance aux cinématographes et revenus (nets de toute retenue d'impôt étranger) liés à la production d'un film ou d'une série sont différés jusqu'à ce que tous les efforts de production aient été déployés et que les revenus soient supérieurs au coût, auquel temps le revenu reporté sera crédité à l'état de résultat à titre de revenu; les frais reportés seront imputés à l'état de résultat à titre de coûts de production, de redevances et de coûts de distribution, le cas échéant; enfin, les crédits d'impôt étrangers seront soustraits en regard de la disposition fiscale. Tout revenu qui excède les coûts de production est considéré comme un revenu tiré d'une revente.

[13]     À des fins fiscales, l'appelante a réclamé une provision aux termes de l'alinéa 20(1)m) de la Loi. Par exemple, dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1996, l'appelante a ajouté, à son revenu, le montant de la provision qu'elle avait réclamée pour l'année d'imposition 1995.

[14]     Arlene Cohen, comptable agréée, a été l'administratrice fiscale de McLean Hunter de 1977 à 1995. MacLean Hunter était le propriétaire de la société mère de la CFCN Communications Limited qui détenait 50 p. 100 des actions de l'appelante, connue à cette époque sous le nom de Keg Productions Limited. L'entreprise Ellis Entertainment Corporation, que contrôlait le père de M. Ellis, détenait également 50 p. 100 des actions de l'appelante. Elle a produit les déclarations de revenus de l'appelante jusqu'à la clôture de son exercice, le 31 décembre 1993. Lorsque Mme Cohen produisait les déclarations de revenus, elle examinait les contrats internes et les accords de concession de licence afin d'établir une base appropriée pour déterminer le revenu aux fins d'établissement de l'impôt. Elle examinait les modalités de chaque contrat et leur caractère exclusif et amortissait la valeur du revenu tiré de chaque contrat au cours de la période de validité de la licence. Elle préparait un barème qui reflétait le revenu approprié moyen pour chaque période de la durée du chaque contrat et établissait le revenu généré pendant l'année ainsi que le revenu prévu pour les années à venir. L'appelante a donc réclamé une provision aux termes de l'alinéa 20(1)m) en fonction du revenu qui, selon Mme Cohen, serait généré au cours des prochaines années.

[15]     Dans les états financiers de l'entreprise Ellis Vision pour l'année d'imposition 1996, le vérificateur de l'appelante, KPMG, a déclaré que l'appelante :

[Traduction]

a modifié ses règles et méthodes comptables relativement à la constatation des produits et à l'amortissement des coûts de production de manière à se conformer aux lignes directrices que prévoit la norme comptable no 53, du FASB intitulée « Financial Reporting by Producers and Distributors of motion picture films » ( « Rapports financiers des producteurs et distributeurs de films cinématographiques » ).   

[16]     Il semble que la norme comptable no 53 [ « norme comptable no 53 du FASB » ] soit une norme comptable que l'on a proposée de mettre en application aux États-Unis. M. Ellis a témoigné que l'appelante [Traduction] « l'avait adoptée parce qu'elle répondait aux objectifs de notre entreprise » ; toutefois, il a admis qu'il « n'existe aucune norme comptable en soi, au Canada, qui s'applique à notre secteur commercial particulier » . L'avocat a déclaré que les normes comptables américaines ne sont pas pertinentes aux fins des présents appels, tandis que les avocats de l'appelante ont, pour leur part, déclaré qu'elles nous donnent un aperçu de la façon dont l'appelante, à des fins comptables, a calculé ses revenus. On m'a informé par la suite, au cours du procès, que la norme comptable no 53 du FASB avait été ultérieurement annulée[4].

[17]     Les revenus de l'appelante tirés des droits de licence pour les années d'imposition 1996 et 1997 comprenaient les montants de 4 659 350 $ et de 11 560 443 $, respectivement. Ces montants ont été calculés conformément à la norme comptable no 53 du FASB. Dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1996, l'appelante a rajouté à son revenu la somme de 1 700 000 $ qu'elle avait réclamée à titre de provision pour l'année d'imposition 1995 aux termes de l'alinéa 20(1)m) et elle a réclamé une provision au montant de 1 975 060 $ pour l'année d'imposition 1996. Cependant, dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1997, il semble que l'appelante n'a pas ajouté à son revenu le montant de 1 975 060 $ qu'elle avait déduit pour l'année d'imposition 1996, mais elle a réclamé une provision de 3 975 060 $ aux termes de l'alinéa 20(1)m), montant qui représente la somme de 1 975 060 $ pour l'année d'imposition 1996 et de la somme additionnelle de 2 000 000 $ réclamée à titre de provision pour l'année d'imposition 1997.

[18]     En ce qui concerne les provisions pour les années d'imposition 1996 et 1997, M. Ellis a témoigné qu'elles représentaient les revenus déclarés pour l'année, conformément à la norme comptable no 53 du FASB, mais que lesdits revenus n'avaient pas été générés pendant l'année donnée[5]. Une provision a été réclamée aux termes de l'alinéa 20(1)m) aux fins d'établissement de l'impôt de manière à ce que les revenus [Traduction] « qui se rapportent aux prochaines années soient exclus du calcul » du revenu étant donné que « nous voulions être en bout de ligne imposée sur le revenu que nous avions généré pour la période faisant l'objet de notre déclaration » . Le ministre a refusé ces provisions.

[19]     Les avocats de l'appelante ont demandé à M. Ellis si les modalités d'un accord « avant la production » et « avant l'octroi d'une licence » faisaient référence à un accord précis mais type daté de 1995 conclu entre l'appelante et Discovery Channel, un réseau de câble américain (ci-après appelé « l'accord conclu avec Discovery » ). Les accords conclus avec d'autres télédiffuseurs contiennent des obligations semblables et, lors de l'interrogatoire de l'intimée, son représentant, Mr. Cray Ellis, a reconnu que les accords en question étaient assez semblables.

[20]     Avant que l'appelante ne conclue un accord de concession de licence, tel que celui conclu avec Discovery, ses directeurs déterminaient quels étaient les intérêts des télédiffuseurs à l'égard d'une production donnée et le nombre de titres dans le cadre d'une série que ces derniers étaient disposés à acquérir. En règle générale, l'appelante entretenait des relations continues avec d'éventuels titulaires de licence. Par exemple, Discovery avait par le passé accordé une licence à l'entreprise Ellis Vision.

[21]     En vertu de l'accord conclu avec Discovery, l'appelante a accordé une licence à ce réseau de câble en vue de diffuser quatre émissions (encore inexistantes à cette époque) qui devaient faire partie d'une sérié intitulée Profiles of Natures pour la période du 1er avril 1996 au 31 mars 1999. Les émissions en question étaient des oeuvres originales que devait produire l'entreprise Ellis Vision. Discovery pouvait, à sa discrétion, prolonger cette période pour une ou deux années supplémentaires. M. Ellis a expliqué que la période de validité des licences peut être prolongée jusqu'à sept années. Lorsque la période prévue à l'accord est plus brève, en règle générale, on y prévoit une période supplémentaire optionnelle. Les dates de livraison prévues à l'accord conclu avec Discovery étaient le 20 janvier 1996 pour les premiers montages3 et le 14 février 1996 pour tous les autres matériaux ou sujets d'émission. Comme M. Ellis l'a expliqué, parce qu'il s'agissait d'un accord conclu « avant la production » , le client, soit Discovery, s'était réservé le droit de visionner les émissions à une certaine étape avant la production finale.

[22]     Les quatre émissions ont finalement été produites puis diffusées à la télévision.

[23]     Conformément à l'accord conclu avec Discovery, l'appelante avait convenu que, pendant la période de validité de la licence (y compris la période de prorogation optionnelle de la licence) aucune des émissions, ni aucun élément ou version ne serait diffusé sur aucun autre réseau de télévision à l'intérieur du territoire de Discovery, sauf si ce dernier l'autorisait. M. Ellis a expliqué que cette exclusivité est [Traduction] « importante afin de s'assurer que la marque de services d'une chaîne diffusera à l'intention du public l'émission à laquelle ils s'attendent voir sur la chaîne en question » et non sur une autre chaîne de télévision.

[24]     Discovery a convenu de verser une somme à titre de droit de licence payable en quatre versements égaux, le premier versement étant dû dans les vingt jours suivant la signature de l'accord par les parties, le deuxième versement étant dû dans les vingt jours suivant [Traduction] « la livraison à et la consultation avec » Discovery relativement aux premiers montages, le troisième versement étant dû dans les trente jours suivant la livraison et l'acceptation de Discovery de tous les matériaux ou sujets d'émission et les cinq derniers paiements étant dus le 20 juillet 1996, le 20 octobre 1996, le 20 janvier 1997, le 20 avril 1997 et le 20 septembre 1997. De même, si Discovery décidait de prolonger la période de validité de la licence, l'accord prévoyait le versement d'autres paiements trimestriels.

[25]     L'accord conclu avec Discovery lui accordait également le droit de participer à la création et à la rédaction des émissions à toutes les étapes de préproduction, de production, de postproduction et d'édition finale. Il s'agissait du droit que se réservait Discovery de visionner les émissions avant qu'elles ne soient achevées, ce dont a fait mention M. Ellis précédemment. L'appelante a convenu de déployer tous les efforts nécessaires pour satisfaire aux exigences de Discovery. À l'expiration ou à la résiliation de l'accord, Discovery s'engageait à éliminer et à détruire toutes les copies des émissions qu'elle avait en sa possession.

[26]     La pièce A jointe à l'accord conclu avec Discovery décrit ses territoires et énonce les garanties de l'appelante. Celle-ci est tenue de protéger le droit d'auteur de chaque émission diffusée dans le territoire de Discovery pendant la période de validité de la licence et de souscrire à une assurance erreurs et omissions pour les douze derniers mois de l'accord à l'égard de la diffusion des émissions. M. Ellis a déclaré qu'en règle générale, le concédant est tenu d'être assuré pendant la période de validité de la licence. M. Ellis a également expliqué que pendant la période de validité de la licence, Ellis Vision est [Traduction] « tenue de respecter l'accord de concession de licence si [le télédiffuseur] a des besoins autres que les exigences relatives aux matériaux initiaux que lui a livrés » Ellis Vision, ce qui comprend le matériel promotionnel des émissions, les photos servant à la publicité ainsi que la participation à des conférences de presse et à des entrevues. Idéalement, l'appelante tente de s'acquitter de ses obligations à fournir le matériel et les services prévus à l'accord au début de la période de validité de la licence. En règle générale, l'appelante assume les coûts liés à ce matériel. M. Ellis ne se souvient pas que l'on ait demandé à un télédiffuseur de payer pour de tels services additionnels.

[27]     De même, pendant la période de validité de la licence, Ellis Vision s'engage à protéger tous les droits d'auteur à l'égard de chaque émission livrée au titulaire de licence contre toute violation et à prendre les mesures nécessaires pour empêcher toute utilisation non autorisée de l'émission, ce qui est très important pour un titulaire de licence, a insisté Mme McQueen. L'appelante est également tenue de souscrire à une assurance erreurs et omissions applicable à la diffusion de l'émission; en vertu de l'accord conclu avec Discovery, l'entreprise Ellis devait souscrire à cette police d'assurance pour les douze premiers mois de l'entente.

[28]     Selon l'appelante, contrairement à ce qu'a prétendu le ministre, celle-ci ne vend aucun droit de diffusion. Ces droits à l'égard des diverses émissions demeurent la propriété de l'appelante. Le télédiffuseur ne se prévaut que des droits de propriété intellectuelle pendant la période de validité de la licence et, à l'expiration de celui-ci, ces droits, selon l'appelante, lui reviennent, ce dont je conviens.    

[29]     Au cours du contre-interrogatoire, M. Ellis a confirmé que l'appelante n'émettait aucune restriction quant à la façon dont elle utilisait les frais perçus en vertu d'un accord de concession de licence. Toutefois, il a fait remarquer que l'appelante est tenue de livrer les émissions en vertu des modalités prévues à l'accord de concession de licence pendant la période de validité de la licence et qu'il peut arriver parfois qu'un titulaire de licence demande à l'appelante de prendre des mesures, notamment, pour protéger le droit d'auteur. Dans un tel cas, l'appelante doit alors engager des dépenses à cette fin. L'appelante doit composer avec certains risques financiers concernant la livraison d'une émission en temps opportun; dans un tel cas, il se peut qu'elle ait à rembourser les frais qui lui ont déjà été versés. Toutefois, l'appelante n'a jamais eu, par le passé, à composer avec une telle situation.

[30]     La question que je suis appelé à trancher consiste à savoir si l'appelante a le droit de réclamer une provision en vertu de l'alinéa 20(1)m) pour les années d'imposition 1996 et 1997 à l'égard de droits de licence perçus aux fins d'utilisation éventuelle d'une émission.

[31]     Les appels en l'espèce portent sur l'application du paragraphe 9(1) ainsi que sur les alinéas 12(1)a) et 20(1)m) de la Loi. Le paragraphe 9(1) stipule ceci :

Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.   

Subject to this Part, a taxpayer's income for a taxation year from a business or property is the taxpayer's profit from that business or property for the year.   

[32]     Les montants suivants doivent être inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition en vertu du sous-alinéa 12(1)a)(i) :

les sommes reçues au cours de l'année par le contribuable dans le cours des activités d'une entreprise soit qui sont au titre de services non rendus ou de marchandises non livrées avant la fin de l'année ou qui, pour toute autre raison, peuvent être considérées comme n'ayant pas été gagnées durant cette année ou une année antérieure, [...]

any amount received by the taxpayer in the year in the course of a business that is on account of services not rendered or goods not delivered before the end of the year or that, for any other reason, may be regarded as not having been earned in the year or a previous year, or ...

[33]     Les sous-alinéas 20(1)m)(ii) et (iii) stipulent que, nonobstant les alinéas 18(1)a), b) et h), un contribuable peut, dans le calcul de son revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition déduire les montants suivants :

[...] sous réserve du paragraphe (6), lorsque des sommes visées à l'alinéa 12(1)a) ont été incluses dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise, pour l'année ou une année antérieure, une somme raisonnable à titre de provision dans le cas : [...]

(ii) de services qui, selon ce qu'il est raisonnable de prévoir, devront être rendus après la fin de l'année,

(iii) de périodes pour lesquelles le loyer ou d'autres sommes relatives à la possession ou à l'usage d'un fonds de terre ou de biens meubles, ont été payées à l'avance,

... subject to subsection (6), where amounts described in paragraph 12(1)(a) have been included in computing the taxpayer's income from a business for the year or a previous year, a reasonable amount as a reserve in respect of ...

(ii) services that it is reasonably anticipated will have to be rendered after the end of the year,

(iii) periods for which rent or other amounts for the possession or use of land or chattels have been paid in advance, or

[34]     Ces dispositions doivent être analysées en s'appuyant sur le principe selon lequel, comme il est mentionné dans l'arrêt Vauban Productions c. La Reine4, le transfert d'un droit exclusif, pendant une période déterminée, de présenter certains films sur le réseau de télévision d'un télédiffuseur ne constitue pas une vente de ce droit, comme l'avait affirmé auparavant l'intimée, mais que l'on pouvait qualifier ce droit de bail ou de transfert au titulaire de licence du droit d'utiliser la production.

[35]     Selon l'intimée, les revenus qu'a comptabilisés l'appelante pour ses années d'imposition 1996 et 1997 ou qu'elle a tirés de l'octroi de licences ont acquis la [Traduction] « nature d'un revenu » pour ces années en question et, par conséquent, ces montants doivent être inclus dans le calcul des profits qu'a réalisés l'appelante pendant lesdites années, conformément au paragraphe 9(1); le revenu que l'appelante a tiré de son entreprise pour l'année est un bénéfice qu'elle en a tiré pour ladite année. Le bénéfice est déterminé en déduisant du revenu les dépenses engagées5. De même, les profits doivent être comptabilisés ou faire l'objet d'une cotisation dans l'année où leur montant a été établi[6].

[36]     Les sommes deviennent un revenu imposable dans l'année d'imposition où elles ont été reçues à condition qu'elles aient la nature et le caractère d'un revenu. Une somme acquiert « la nature d'un revenu » lorsque le droit d'un contribuable à ce montant est absolu et sans aucune restriction, contractuelle ou autre, quant à sa disposition, à son usage ou à sa jouissance[7]. L'avocat de l'intimée a allégué qu'une somme peut avoir « la nature d'un revenu » même si elle n'est pas effectivement reçue par le contribuable mais seulement « réalisée » conformément à la méthode de comptabilité d'exercice. Si les sommes reçues ou réalisées sont libres de conditions ou de restrictions assortissant leur utilisation, alors elles sont imposables dans l'année où elles sont réalisées, sous réserve de toute disposition de la Loi ou d'une autre règle de droit[8].

[37]     L'avocat de l'intimée a également fait valoir que l'appelante [Traduction] « n'est pas tenue d'inclure dans son revenu les sommes qu'elle n'est pas également autorisée à réclamer à titre de déductions [...] pour amortissement » . Une déduction pour amortissement a été réclamée à l'égard des anciennes émissions qui avaient déjà été produites et a été admise à ce titre (en totalité) à l'égard des nouvelles émissions avant l'octroi d'une licence en cours de production en 1996 et en 1997. Selon les calculs de l'intimée, l'appelante doit tenir compte des sommes attribuables à la production mais, en même temps, elle a le droit de déduire le coût en capital associé aux productions les plus récentes. Il en résulte, déclare l'avocat, que les calculs de l'intimée donnent un aperçu exact de la situation financière de l'appelante pour les années d'imposition 1996 et 1997. L'avocat s'appuie sur les observations du juge Iacobucci dans l'affaire Ikea[9], qui, dans les circonstances en l'espèce, se demandait comment le fait d'amortir des paiements d'incitation à la location pourrait donner une image plus fidèle du revenu que son inclusion immédiate.

[38]     En vertu des divers accords de concession de licence dont il est question dans les appels en l'espèce, Ellis Vision avait le droit de percevoir des droits ou de facturer des droits à l'octroi de la licence ou à la livraison de la production, ou immédiatement après, ou encore, conformément aux dates stipulées dans les accords. Dans un tel cas, a déclaré l'avocat de l'intimée, l'entreprise Ellis Vision a fait tout ce qu'elle était tenue de faire pour être autorisée à toucher les droits qu'elle a perçus ou à l'égard desquels elle était autorisée à facturer; les frais perçus ou comptabilisés dans chacune des circonstances ont été reçus ou réalisés par l'appelante sans conditions ou restrictions quant à leur usage et, par conséquent, ils sont imposables dans l'année où ils ont été réalisés ou comptabilisés.

[39]     De toute façon, l'intimée affirme que, dans la mesure où les télédiffuseurs exerçaient un recours contre l'entreprise Ellis Vision en vertu des accords de concession de licence, de telles responsabilités étaient éventuelles et n'avaient aucune incidence sur l'imposition des frais. En ce qui concerne ses obligations, le fait que l'appelante puisse être tenue de rembourser une somme quelconque perçue ne porte pas atteinte à son caractère de revenu au moment de sa réception[10].

[40]     Selon l'intimée, si la somme qu'a facturée ou reçue l'appelante pour l'année d'imposition 1996 ou 1997 constitue le revenu qui est inclus dans le calcul des bénéfices de l'appelante pour chacune des années en cause en vertu de l'article 9 de la Loi, alors l'alinéa 12(1)a) ne peut s'appliquer. L'alinéa 12(1)a) consiste à préciser les sommes additionnelles qui doivent être incluses dans le calcul du revenu, sauf dispositions contraires de l'article 9[11].

[41]     Quoi qu'il en soit, l'avocat ajoute que le libellé de l'alinéa 12(1)a) ne s'applique pas aux faits en l'espèce. En vertu des accords de concession de licence, dès que l'entreprise Ellis Vision avait le droit de facturer ou de percevoir des sommes prévues aux accords, elle n'était plus tenue de fournir des services ou des biens.

[42]     De même, selon l'avis de l'avocat de l'intimée, les sommes qu'a perçues ou facturées l'appelante ont été reçues dans l'année où elles ont été réalisées ou facturées et elles avaient la « nature d'un revenu » pour cette année, contrairement aux dispositions que prévoit le sous-alinéa 12(1)a)(i), qui s'appliquent dans des situations où les sommes « peuvent être considérées comme n'ayant pas été gagnées durant cette année » . L'appelante n'a tiré aucun revenu n'ayant pas été gagné durant les années qui font l'objet des présents appels. L'appelante a fait tout ce qu'elle était tenue de faire en vertu des accords de concession de licence lorsqu'elle a facturé ou perçu les droits de licence.

[43]     Les avocats de l'appelante ont fait valoir que les droits de licence que percevait l'entreprise Ellis Vision n'étaient pas tous, au moment de leur réception, des revenus gagnés; ces droits sont perçus au fur et à mesure que progressent les contrats et jusqu'à ce qu'ils soient exécutés. Par conséquent, les sommes reçues devraient être considérées comme un revenu imposable pendant la période de validité de la licence.

[44]     Enfin, l'intimée a fait valoir que l'appelante n'est pas admissible à une provision aux termes de l'alinéa 20(1)m) étant donné que le sous-alinéa (iii) fait référence à des sommes payées à l'avance à l'égard d'un loyer ou d'autres sommes relatives à l'usage de biens meubles et que l'octroi du droit relatif à l'usage d'une production n'est pas un bien meuble; il s'agit en fait d'un bien incorporel. Si le législateur avait eu l'intention que la provision prévue au sous-alinéa 20m)(iii) soit disponible dans de telles circonstances, alors il aurait employé le terme « bien » tel que le définit la Loi et non les termes « biens meubles » [12].

[45]     Même si les sommes que l'appelante a perçues pour ses années d'imposition 1996 et 1997 auprès des télédiffuseurs en vertu des accords de concession de licence ont pu être incluses dans le calcul des bénéfices de l'appelante pour ces années en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi, je ne vois aucune interdiction dans la Loi qui empêcherait l'appelante de se prévaloir des dispositions que prévoit l'alinéa 20(1)m) et de réclamer une provision.

[46]     Toutes les sommes reçues ou à recevoir par un contribuable pour une année d'imposition dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise doivent être incluses dans le revenu du contribuable pour cette année d'imposition. Toutefois, l'alinéa 20(1)m), parmi les autres dispositions de la Loi, reconnaît qu'un contribuable peut avoir été payé à l'avance une somme qui doit ou devait être incluse dans le calcul de son revenu pour cette année ou une année antérieure. Dans de telles circonstances, le bénéficiaire peut être admissible à la déduction d'une somme raisonnable à titre de provision.

[47]     Je ne suis pas d'accord avec la position de l'intimée selon laquelle si le revenu d'un contribuable tiré d'une entreprise constitue le bénéfice qu'il en tire aux termes du paragraphe 9(1), alors il est exclu des sommes qui peuvent être incluses dans le calcul du revenu et qui sont visés à l'alinéa 12(1)a). Les sommes incluses dans le revenu pour l'application du paragraphe 9(1) peuvent être visées à l'alinéa 12(1)a), notamment des sommes au titre de services non rendus ou de marchandises non livrées avant la fin de l'année ou encore, au titre de loyer ou d'autres sommes relatives à la possession ou à l'usage de biens meubles qui ont été payées à l'avance. Quant à l'alinéa 20(1)m), il prévoit une somme raisonnable à titre de provision lorsque les sommes « visées » à l'alinéa 12(1)a) ont été incluses dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise, pour cette année ou une année antérieure, et que des loyers ou d'autres sommes ont été payés à l'avance ou dans le cas de services qui, selon ce qu'il est raisonnable de prévoir, devront être rendus après la fin de l'année. Je suis d'accord avec les avocats de l'appelante : le terme « described » qu'emploie l'alinéa 20(1)m) de la version anglaise de la Loi dit bien ce qu'il dit. Le terme de la version française de la Loi est « visées » , ce qui, dans le contexte de l'alinéa 20(1)m), est l'équivalent des expressions anglaises « referred to » or « directed at » [13]. Les « sommes visées à l'alinéa 12(1)a) » ne désignent pas uniquement les sommes qui ont été incluses dans le revenu « en vertu de » l'alinéa 12(1)a); elles désignent également les sommes qui peuvent être incluses dans le revenu en vertu de l'alinéa 12(1)a) ainsi que les sommes qui peuvent être incluses dans un revenu au titre de bénéfice tiré d'une entreprise conformément au paragraphe 9(1).

[48]     Les parties conviennent que l'article 12 inclut, dans le revenu d'un contribuable, les sommes qui, autrement, n'auraient pas été incluses au titre d'un bénéfice en vertu du paragraphe 9(1). L'alinéa 12(1)a) inclut certaines sommes dans le revenu que le contribuable a tiré pendant l'année qui, soit feront l'objet d'une éventuelle obligation, soit sont « considérées comme n'ayant pas été gagnées durant cette année ou une année antérieure » . Dans l'affaire Blue Mountain Resorts Limited v. The Queen[14], un exploitant d'une station de ski a vendu, durant une année donnée, des cartes d'abonnement saisonnières incluant l'utilisation d'un remonte-pente pour l'année suivante. Aucune obligation ne prévoyait le remboursement des revenus tirés de la vente de laissez-passer de ski aux clients. Le contribuable a réclamé une provision prévue à l'alinéa 20(1)m) pour l'année pendant laquelle les ventes ont été réalisées au titre de services non rendus avant la fin de l'année. Le juge Beaubier, reprenant les termes de l'alinéa 12(1)a), a soutenu que les sommes reçues au cours de l'année par le contribuable dans le cours des activités d'une entreprise l'étaient au titre de services non rendus avant la fin de l'année. En conséquence, aux termes du sous-alinéa 20(1)m)(ii), le contribuable avait droit à une provision puisqu'une somme visée à l'alinéa 12(1)a) avait été incluse dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise pour les années en cause au titre de services qui, selon ce qu'il est raisonnable de prévoir, devront être rendus après la fin de l'année, ce qui est semblable aux appels en l'espèce.

[49]     L'appelante prétend qu'elle est tenue, en vertu des accords de concession de licence, de respecter des obligations pendant toute la période de validité de la licence. À son avis, les droits qu'elle perçoit dès l'entrée en vigueur de la licence, « peuvent être considérés comme n'ayant pas été gagnés durant cette année » ; il s'agit d'une somme « visée » à l'alinéa 12(1)a).

[50]     Les avocats de l'appelante ont fait valoir que les télédiffuseurs lui versent un « loyer » pour l'usage du bien au cours d'une période et que les droits de licence que l'appelante a imputés aux années suivantes représentaient des frais provenant de l'usage d'une propriété intellectuelle à l'égard de la production, pendant des périodes se situant au cours de telles années d'imposition subséquentes, ce dont je conviens. Dans l'affaire Sussex Square Apartments Ltd. c. La Reine[15], le juge Bowman, (tel était alors son titre) explique, au paragraphe 32, que les montants reçus au titre du sous-bail d'un bien sont des loyers et, le loyer qui est payé pour toute la période du sous-bail au début de cette période doit être inclus dans le revenu aux termes de l'alinéa 12(1)a).

[51]     Le juge Bowman reconnaît que l'alinéa 12(1)a) ne parle pas explicitement de loyer, mais croit que le loyer y est visé. Ainsi :

[...] je crois que le loyer y est visé et que les termes qui suivent « pour toute autre raison » ne doivent pas être interprétés ejusdem generis. C'est ce que j'infère de l'alinéa 20(1)m) [...][16]

et il conclut ceci :

Il est clair que le sous-alinéa 20(1)m)(iii) est fondé sur l'hypothèse selon laquelle l'alinéa 12(1)a) englobe le loyer pour les périodes qui suivent l'année où il a été reçu[17].

[52]     Une production à l'égard de laquelle l'entreprise Ellis Vision octroie une licence est un bien unique; il s'agit du résultat d'un processus intellectuel. Le titulaire de licence possède un droit exclusif à l'égard de la production pendant la période de validité de la licence. L'entreprise Ellis Vision ne peut octroyer une licence à d'autres personnes dans le territoire visé dans l'accord de concession de licence pour diffuser la production déjà visée par une licence pendant sa période de validité, et elle est tenue de protéger l'usage exclusif de ladite production dans ledit territoire pendant la période de validité de la licence. Il se peut que, dans les faits, l'entreprise Ellis Vision n'ait jamais eu à respecter ses obligations en vertu de la licence. Toutefois, elle était tenue de respecter des obligations éventuelles et absolues en vertu de la licence afin d'assurer au titulaire de licence, entre autres choses, l'exclusivité de la production, et il ne fait aucun doute qu'elle aurait eu, le cas échéant, à remplir ces obligations. Celles-ci n'étaient ni conditionnelles ni ne dépendaient de certaines circonstances.

[53]     Je suis également d'avis que le droit dont dispose un télédiffuseur à l'égard de la production sous licence est un bien meuble. La version française de l'alinéa 20(1)m)(iii) emploie le terme « de biens meubles » pour traduire le terme « chattels » de la version anglaise. Le Code civil du Québec divise les biens, qu'il s'agisse d'un bien corporel ou incorporel, c'est-à-dire que les « biens » (properties) sont divisés en biens « immeubles » (immoveables) et en biens « meubles » (moveables)[18]. Les biens meubles sont des choses qui se meuvent elles-mêmes ou qui nécessitent une force étrangère pour les déplacer. Les biens qui ne sont pas immeubles par une force de la nature, par destination ou par accession et que la loi ne qualifie pas sont des biens meubles.

[54]     Pour l'application de la Loi, le paragraphe 248(1) définit « property » et « biens » comme un bien de quelque nature que ce soit. Ainsi :

meubles ou immeubles, corporels ou incorporels [...]

whether real or personal or corporeal or incorporeal ...

et, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, comprend :

a) les droits de quelque nature qu'ils soient [...]

(a) a right of any kind whatever ...

Sont « chattels » en common law ce que sont « biens meubles » ou « moveable property » en droit civil. Un bien incorporel, y compris le droit d'utiliser une production, est un bien meuble pour l'application de l'alinéa 20(1)m).

[55]     L'entreprise Ellis Vision a le droit de déduire une somme au titre d'une provision conformément à l'alinéa 20(1)m). L'entreprise Ellis avait transféré, à un titulaire de licence, le droit d'utiliser une production dans un secteur défini pour une période déterminée. Dans la mesure où le titulaire de licence paie à l'avance pour jouir de ce droit, l'entreprise Ellis Vision est admissible à une somme raisonnable à titre de provision à l'égard de la somme qu'elle a ainsi reçue. Cette somme est visée à l'alinéa 12(1)a) : il s'agit soit d'une somme perçue au titre d'un service qui, essentiellement, n'a pas été rendu avant la fin de l'année ou qui n'a pas été gagnée durant l'année dans laquelle elle a été reçue ou durant une année antérieure dans le cours des activités de l'entreprise Ellis Vision, soit d'une autre somme relative à l'usage d'un bien meuble qui a été payée à l'avance[19].

[56]     Par conséquent, les appels seront accueillis, avec dépens, et les nouvelles cotisations seront déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations qui seront établies d'une manière qui soit cohérente avec les présents motifs.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de décembre 2003.

« Gerald J. Rip »

Juge Rip

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de février 2004.

Nancy Bouchard, traductrice




[4]           Aucune copie de la norme no 53 du FASB n'a été produite en preuve au cours du procès. Toutefois, une copie d'un document provisoire intitulé « Proposed Statement of Financial Accounting Standards: Rescission of FASB Statement No. 53 » a été déposée en preuve sous la cote R-1. Ce document provisoire a été produit par le Financial Accounting Standards Board (bureau chargé des normes de comptabilité) de la Financial Accounting Foundation pour observation du public et il est daté du 16 octobre 1998. Selon ce qu'a compris M. Ellis, la norme comptable no 53 du FASB exigeait que l'appelante traite la totalité des droits de licence en vertu d'un accord de concession de licence comme s'il s'agissait d'un revenu généré pendant l'année, sous réserve que les conditions suivantes aient été réunies :

            a)          un accord de concession de licence signé existait;

            b)          la production devait avoir été achevée et livrée au diffuseur;

            c)          la période de validité de la licence devait être entrée en vigueur;

d)          le revenu brut tiré de la production en vertu de l'accord de concession de licence devait avoir été fixé ou établi;

            e)          la perception de recettes devait avoir été raisonnablement assurée.

Ces cinq conditions sont également énoncées dans un résumé du document provisoire et au paragraphe 6, à la page 15 dudit document sous le titre « Conclusions, Revenue Recognition » (Conclusions et constatation des produits).

[5]           Dans la mesure où cela peut s'avérer pertinent, la méthode de comptabilisation des « sommes facturées » que le ministre a adoptée pour établir les cotisations ne semble pas être conforme à la norme comptable no 53 du FASB.

3           Généralement, le premier montage d'une émission est plus long que la durée finale de l'émission. (Par exemple, à cette étape, lorsqu'un compositeur de musique entreprend de créer la musique originale qui en bout de ligne sera synchronisée à la durée finale.) Cette option est offerte au client de manière à ce qu'il puisse être assuré que l'émission répondra à ses attentes.

4           C.A.F., no A-514-75, 7 mai 1979 (79 DTC 5186).

5           Canderel Limitée c. La Reine, [1998] 1 R.C.S. 147 ([1998] 2 C.T.C. 35), aux paragraphes 49 à 53 (C.S.C.).

[6]           Ikea Limited c. La Reine, [1998] 1 R.C.S. 196 ([1998] 2 C.T.C. 61) (C.S.C.), au paragraphe 34, et M.N.R. v. Benaby Realties Limited, [1967] C.T.C. 4l8 (C.S.C.), à la page 421.

[7]           Ikea Limited, précitée, aux paragraphes 35 et 36, Foothills Pipe Lines (Yukon) Ltd. c. Canada (C.A.F.), no A-306-90, 11 octobre 1990 ([1990] 2 C.T.C. 448), à la page 455) et Kenneth B. S. Robertson Ltd. v. M.N.R., [1944] C.T.C. 75 (C. de l'É.), aux pages 90 et 91.

[8]           Ikea Limited, précitée, au paragraphe 37.

[9]           Précitée, p. 77.

[10]          Foothills Pipe Lines (Yukon) Ltd., précitée, aux pages 458 et 459 et Commonwealth Construction Limited v. La Reine, C.A.F., no A-302-82, 18 mai 1984 (1984] C.T.C 338), à la page 342).

[11]          Voir, par exemple, l'affaire Maritime Telegraph and Telephone Company c. La Reine, C.A.F., nos A-1072-90, A-1098-90, 19 février 1992 ([1992] 1 C.T.C. 264), aux pages 176 et 177.

[12]          Voir ci-dessous.

[13]          Le Grand Robert de la langue française, 10e éd., tome IX, donne l'exemple suivant pour la définition du terme « visé, visée » : Les articles du Code visés dans un arrêt, un jugement ceux auxquels on se réfère.

[14]          2002 DTC 1886 (C.C.I. - Non officiel), 1889-1890.

[15]          C.C.I. no 97-620(IT)G, 18 décembre 1998 (99 DTC 443) conf. par C.A.F. no A-40-99, 14 septembre 2000 (2000 DTC 6548).

[16]          Précitée, par. 33.

[17]          Précitée, par. 34.

[18]          Articles 899 à 907.

[19]          Bien que, selon les accords de concession de licence, l'entreprise Ellis Vision ait été tenue de rendre des services après l'année durant laquelle elle a perçu un paiement pour lesdits services, si je m'appuie sur l'expérience antérieure d'Ellis Vision, je doute qu'elle ait pu raisonnablement prévoir qu'elle aurait à assumer quelque obligation que ce soit, par exemple, pour protéger le titulaire de licence contre l'utilisation non autorisée de la production pendant la période de validité de la licence ou pour prendre des mesures en vue d'empêcher une violation quelconque du droit d'auteur. Dans la mesure où, dans le calcul de la provision, ces obligations ont été prises en considération, le montant de la provision devrait être réduit.

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