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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-2298(GST)I

ENTRE :

RANDY ZIVKOVIC,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 24 février 2000, à London (Ontario), par

l'honorable juge M. A. Mogan

Comparutions

Pour l'appelant :                         l'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                 Me Michelle Farrell

JUGEMENT

          L'appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise (pour la taxe sur les produits et services), dont l'avis est daté du 31 mars 1999 et porte le numéro 08EP-116214347, pour la période du 22 mai 1997 au 31 décembre 1997, est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mars 2000.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d'octobre 2003.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20000324

Dossier: 1999-2298(GST)I

ENTRE :

RANDY ZIVKOVIC,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Mogan, C.C.I.

[1]      En 1997, l'appelant exploitait l'Annabella's Massage Salon, un salon de massage situé à Kitchener, en Ontario, dont il était également propriétaire. L'appelant a décrit les services offerts à son salon comme des massages non thérapeutiques. Dans le présent appel, la question que la Cour est appelée à trancher consiste à déterminer de quelle manière l'appelant est tenu de verser la taxe sur les produits et services (TPS) relativement à l'exploitation de l'Annabella's Massage Salon ( « Annabella » ) pour la période du 22 mai au 31 décembre 1997.

[2]      L'appelant a décrit comment il exploitait le salon Annabella ainsi : il a acheté Annabella en février 1997. La ville de Kitchener a exigé qu'il détienne un permis d'exploitation de commerce en vue d'exploiter le salon. Ce permis autorisait en fait l'exploitation d'un « lieu de divertissement pour adultes » . Les services de massage étaient offerts par des femmes adultes que l'appelant appelait [TRADUCTION] « les dames » . Pour pouvoir travailler au salon, chaque dame devait détenir un permis délivré par la ville de Kitchener les autorisant à travailler à titre d' « hôtesse offrant des services de divertissement pour adultes » . Pour obtenir un tel permis, les dames devaient fournir trois photographies ainsi qu'un certificat délivré par la police de la région. Les heures d'ouverture du salon sont de 11 h à minuit tous les jours de la semaine, sauf les week-ends, où il est fermé. L'appelant veille à ce qu'il y ait deux dames sur place durant les heures d'ouverture du salon, de manière à ce qu'un client puisse choisir la dame qui lui ferait un massage. L'entente qu'il avait conclue avec les dames stipulait qu'elles acceptaient de travailler pendant le quart de jour, soit de 11 h à 18 h, ou pendant le quart de soir, soit de 18 h à minuit. Il ne leur garantissait pas qu'il y aurait des clients pendant leur quart de travail particulier.

[3]      Les heures pendant lesquelles les dames doivent être présentes au salon sont établies selon une entente mutuelle entre celles-ci et l'appelant. En d'autres termes, certaines dames peuvent téléphoner au salon et indiquer qu'elles travailleront seulement durant le quart de l'après-midi ou le quart du soir ou encore durant quelques heures dans l'après-midi et quelques heures le soir, selon leur disponibilité. De même, si l'appelant constate une période d'inactivité pendant laquelle aucune dame n'est présente au salon ou une seule dame est présente, il peut alors téléphoner à une ou plusieurs de celles qui figurent sur sa liste pour leur demander si elles sont libres pendant une période particulière, de manière à ce qu'il puisse assurer la présence de deux dames pendant chaque quart de travail. Comme il l'a mentionné, sa politique consistait à assurer la présence de deux dames au salon en tout temps, soit de 11 h à minuit.

[4]      Le tarif applicable aux services de massage était le suivant : 40 $ pour un service régulier d'une demi-heure, 50 $ pour un service spécial d'une demi-heure et 80 $ pour un service d'une durée d'une heure. Le tarif le plus dispendieux correspond à un service spécial d'une demi-heure durant laquelle la dame donne un massage vêtue de lingerie fine. À la fin de chaque massage, le client payait la dame directement. Cette entreprise acceptait uniquement les paiements comptants; aucune carte de crédit n'était acceptée. La dame partageait les honoraires perçus avec l'appelant à parts égale. Elle gardait la moitié de l'argent et remettait l'autre moitié à l'appelant. Il n'était pas présent lorsque le client payait la dame, de sorte qu'il se fiait à son honnêteté lorsque celle-ci lui remettait sa part de l'argent reçu.

[5]      L'appelant considérait chaque dame comme entrepreneuse autonome. En ce qui le concernait, il ne leur fournissait qu'un lieu de travail où elles pouvaient offrir des services de massage, et il estimait que le contrat de base était conclu entre la dame et le client. Un vérificateur de la TPS à Revenu Canada a rendu visite à l'appelant et lui a demandé d'examiner les livres et registres du salon Annabella. L'appelant a expliqué qu'il y avait eu introduction par infraction et qu'un vol avait été commis, de sorte qu'il n'avait pas en sa possession la totalité des registres. Le vérificateur de la TPS a procédé à l'examen des registres disponibles, à la suite duquel il est parvenu à certaines conclusions en ce qui concerne le volume d'activités au salon au cours de la période du 22 mai au 31 décembre 1997. Les montants pertinents sont examinés ci-dessous.

[6]      L'appelant a déclaré qu'il avait perçu de la TPS pour un montant de 5 869 $ et qu'il avait réclamé un crédit de taxe sur les intrants d'un montant de 4 248 $, de sorte que le montant de taxe nette qu'il devait payer s'élevait à 1 621 $. L'intimée a établi une nouvelle cotisation pour les motifs suivants : i) l'appelant a fourni des fournitures taxables totalisant 126 345 $, montant à l'égard duquel il aurait dû percevoir 7 p. 100 au titre de la TPS, soit un montant de 8 844 $; ii) l'appelant n'a pas démontré qu'il avait droit à des crédits de taxe sur les intrants supérieurs à        1 422 $. Selon la cotisation, l'appelant devait verser un montant de 7 422 $ (soit     8 844 $ moins 1 422 $). Au cours de son témoignage, l'appelant n'a pas contesté le fait que, au cours de la période en cause, le montant brut des honoraires que les dames avaient perçus à son salon était de 126 345 $.

[7]      L'appelant reconnaît que la taxe sur les produits et services est payable sur les services de massage offerts au salon Annabella, mais il affirme que le contrat de base est conclu entre chaque dame à titre d'entrepreneuse indépendante et son client. Par conséquent, la dame devrait prélever la TPS sur le montant brut des honoraires qui lui sont versés. L'appelant admet que la TPS est payable sur le service qu'il offre et pour lequel il reçoit la moitié des honoraires. Selon l'appelant, il est important que chaque dame puisse travailler dans un lieu sûr, comme son salon, où il est présent, de manière à ce qu'elle puisse offrir des services de massage sans qu'elle n'ait à divulguer au client son adresse domiciliaire ou son numéro de téléphone personnel.

[8]      Si l'argument de l'appelant est bien fondé, chaque client conclut un contrat de base avec l'une des dames et devrait payer de la TPS sur les honoraires bruts. De la même façon, chaque dame bénéficie de certains services offerts par l'appelant et devrait payer la TPS de 7 p. 100 sur la somme qu'elle remet à l'appelant (soit la moitié des honoraires qu'elle perçoit) pour les services qu'il offre. Selon cet argument, l'appelant a contracté une dette fiscale de 4 422 $ (soit 7 p. 100 de 63 172 $) au titre de la TPS qu'il aurait dû percevoir sur sa moitié des honoraires calculés par le vérificateur de la TPS à Revenu Canada. L'appelant reconnaît cette obligation, sous réserve des crédits de taxe sur les intrants auxquels il a droit relativement à la période visée par la cotisation. En résumé, l'appelant prétend que les dames devraient collectivement percevoir la TPS sur les honoraires bruts s'élevant à 126 345 $ et qu'elles devraient collectivement réclamer des crédits de taxe sur les intrants d'un montant de 4 422 $ relativement à la TPS payable sur les services qu'il offre.

[9]      À mon avis, le résultat du présent appel dépend de la conclusion selon laquelle les dames étaient des employées travaillant pour le compte de l'appelant ou des entrepreneuses autonomes. Pour ce qui est de cette question, les faits permettent de tirer une conclusion dans les deux sens. En ce qui concerne la notion d'entrepreneuse autonome, chaque dame doit détenir un permis délivré par la ville de Kitchener l'autorisant à agir à titre d' « hôtesse offrant des services de divertissement pour adultes » . Chaque dame accepte d'être présente au salon de l'appelant pendant un quart de travail particulier tout en ignorant si elle aura ne serait ce qu'un seul client pendant ce quart. Si elle ne reçoit aucun client pendant ce quart de travail, elle ne sera rémunérée d'aucune façon que ce soit. Par contre, si elle reçoit un client, elle ne lui offre que le service qu'il demande et elle perçoit la totalité des frais auprès de ce client. Le choix des jours et des quarts de travail au cours d'une semaine donnée est laissé à l'entière discrétion de chacune d'elles. La principale raison est que l'appelant dispose d'installations ne pouvant accueillir que deux dames pendant un quart de travail particulier. Cependant, il exige que deux dames soient présentes pendant chaque quart de travail.

[10]     Selon l'appelant, les dames peuvent choisir l'endroit où elles veulent travailler et les quarts de travail pendant lesquelles elles veulent travailler. Par exemple, elles peuvent travailler à un autre salon de massage les jours où elles ne travaillent pas au salon Annabella. De même, elles peuvent porter les vêtements de leur choix lorsqu'elles sont au salon de l'appelant. Elles doivent payer les fournitures dont elles ont besoin, telles que des huiles et des talcs.

[11]     En ce qui a trait à la notion d'emploi, chaque dame détient un permis personnel délivré par la ville de Kitchener. Elles sont cependant tenues de fournir leurs services d' « hôtesse » dans un établissement agréé, tel que celui de l'appelant. Ce dernier fournit l'établissement commercial, le nom de l'entreprise ( « Annabella's Massage Salon » ), une pièce privée ainsi qu'une table de massage ou un matelas sur lequel un massage peut être donné. Je suppose qu'il fournissait également un numéro de téléphone commercial, bien que ce fait particulier n'ait pas été prouvé à l'audience. L'appelant assure un degré de protection à chaque dame en ce sens que celle-ci offre des services à l'établissement de l'appelant, où elle peut obtenir de l'aide au besoin. Si, comme l'appelant l'a affirmé, les dames souhaitaient conserver leur anonymat à l'égard du client en évitant de lui communiquer leur adresse domiciliaire et leur numéro de téléphone personnel, il me semble alors que la clientèle de l'entreprise s'est constituée uniquement grâce à son emplacement et au nom « Annabella » , puisque ce sont les seuls renseignements dont dispose un client relativement aux services de massage offerts par l'appelant.

[12]     L'appelant a affirmé que, lorsqu'une dame avait réservé un quart de travail particulier mais qu'elle ne pouvait se présenter, il s'attendait à ce qu'elle envoie une remplaçante. Cela reflète un esprit communautaire parmi les dames qui offraient des services au salon Annabella, en ce sens qu'elles communiquaient entre elles lorsque l'une d'elles avait besoin de se faire remplacer. L'appelant a également mentionné que, si une dame réservait un certain nombre de quarts de travail mais qu'elle ne se présentait pas sur les lieux, alors il ne lui attribuait aucun autre quart, ce qui indique qu'il exerçait un contrôle sur celles qui pouvaient travailler au salon Annabella.

[13]     De prime abord, je dirais que les dames sont des employées travaillant pour le compte de l'appelant et non des entrepreneuses autonomes. Dans son avis d'appel, ce dernier prétend qu'il est propriétaire du salon Annabella, qu'il exploite également, et cette allégation est admise. Il avait le dernier mot lorsqu'il s'agissait de décider quelles dames travailleraient pendant l'un ou l'autre des quarts de travail, parce qu'il avait besoin de deux dames sur les lieux pendant chaque quart de travail. Elles se rendent à son établissement pour travailler. Bien qu'elles doivent détenir un permis délivré par la ville de Kitchener les autorisant à travailler à titre d' « hôtesse offrant des services de divertissement pour adultes » , elles sont tenues d'offrir ces services d' « hôtesse » dans un lieu de travail agréé, tel que le salon Annabella. Elles ne sont pas dans la même situation qu'un plombier ou un coiffeur, qui peut exploiter son entreprise à l'extérieur du domicile. Le fait que chaque dame doive détenir un permis personnel peut être une échappatoire. De nombreuses personnes qui exercent un emploi dans des domaines particuliers, tels que les services bancaires d'investissement ou les courses de chevaux, peuvent être tenues de détenir un permis délivré par une commission des valeurs immobilières ou par une commission des courses de chevaux, mais, en même temps, elles sont des employées dans le cadre de l'exécution de leurs tâches respectives.

[14]     Aucune des dames n'a témoigné au cours du présent appel, mais je crois l'appelant lorsqu'il affirme qu'elles refusent en général de divulguer aux clients leur adresse domiciliaire ou leur numéro de téléphone personnel. Cela signifie qu'elles ne se constituent pas une clientèle personnelle à l'extérieur de l'établissement de l'appelant ni n'exercent leur activité sous un nom autre que le salon « Annabella » . L'achalandage de l'entreprise se rattache davantage à l'appelant qu'à l'une ou l'autre des dames qui travaillent pour son compte.

[15]     L'appelant a décrit certaines restrictions que lui a imposées la ville de Kitchener relativement à l'octroi d'un permis aux fins d'exploitation de son « lieu de divertissement pour adultes » . Il ne pouvait établir son entreprise à moins de 100 mètres d'une garderie, d'une école primaire ou d'un établissement religieux. De plus, il ne pouvait posséder une propriété résidentielle à proximité du lieu d'exploitation de son entreprise. Par ailleurs, les dames étaient assujetties aux mêmes restrictions que celles qui s'appliquaient à l'appelant, puisque ces dernières ne pouvaient offrir leurs services d' « hôtesse » que dans un établissement agréé, tel que le salon Annabella. D'un point de vue très réaliste, elles n'étaient pas entrepreneuses autonomes mais plutôt entrepreneuses dépendantes, puisqu'elles avaient besoin d'une personne telle que l'appelant qui possédait un établissement commercial agréé, comme le salon Annabella, pour offrir leurs services.

[16]     Selon la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025), les critères les plus communément utilisés pour distinguer un employé d'un entrepreneur autonome sont le contrôle, la propriété des instruments de travail et la possibilité de profit ou le risque de perte. À mon avis, l'appelant exerçait un certain contrôle sur les dames. Elles avaient besoin d'un établissement agréé, comme le salon Annabella, pour offrir des services de massage, et l'appelant leur fournissait ce lieu. Elles devaient se rendre à l'établissement de l'appelant pour offrir leurs services. Elles ne pouvaient exercer leur activité à la pige, si ce n'est en travaillant au salon Annabella ou à un autre établissement agréé semblable. L'appelant avait le dernier mot relativement aux heures de travail, étant donné qu'il avait besoin de deux dames pendant chaque quart de travail. Le critère du contrôle tend à démontrer qu'il s'agissait d'un emploi.

[17]     Les outils de base nécessaires à l'exploitation d'un salon de massage sont une pièce privée munie d'une table, d'un matelas ou d'un lit pliant recouvert de draps propres. L'appelant a sans aucun doute fourni les deux premiers outils de base de même que les draps, puisqu'il semble que les seules fournitures que devaient fournir les dames consistaient en des huiles et des talcs. Le critère de la propriété des instruments de travail tend à démontrer qu'il s'agissait d'un emploi.

[18]     L'appelant était propriétaire d'une entreprise. Il a démarré son entreprise en engageant certains frais généraux. Le permis délivré par la ville coûte environ     500 $ par an. Il a dû aménager son salon et payer les dépenses courantes telles que le loyer, le téléphone et la publicité. Par contre, les dames ne devaient payer que les droits de permis et engager des dépenses moindres, telles que l'achat d'huiles et de talcs. Aucun uniforme n'était fourni, et elles pouvaient porter les vêtements de leur choix. Chacune d'elles courait le risque de n'avoir aucun client pendant son quart de travail ou de ne pas être choisie pour donner un massage. Dans l'un ou l'autre cas, elle ne percevait pas d'honoraires. Aucune preuve n'a démontré que l'appelant versait des honoraires de « disponibilité » à une dame pour tout quart de travail où celle-ci ne recevait aucun client. Selon le témoignage de l'appelant, chaque quart de travail permettait en moyenne d'offrir de sept à huit massages; ainsi, je suppose qu'il était plutôt rare qu'une hôtesse n'ait aucun client pendant un quart de travail en particulier. Somme toute, je conclus que chaque dame courait le risque de ne recevoir aucune rémunération pendant un quart de travail en particulier, mais que l'appelant avait une plus grande possibilité de profit ou courait un risque plus élevé de perte.

[19]     Compte tenu de la preuve et du droit, je conclus que les dames exerçaient un emploi auprès de l'appelant et n'étaient donc pas des entrepreneuses autonomes. L'appelant était propriétaire du salon Annabella, qu'il exploitait également. Les clients qui fréquentaient l'établissement constituaient sa clientèle. Il était tenu de percevoir la TPS auprès de ses clients pour les services qu'il leur offrait à son salon. Il n'a pas démontré qu'il avait droit à un crédit de taxe sur les intrants supérieur à 1 422 $. Par conséquent, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mars 2000.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d'octobre 2003.

Philippe Ducharme, réviseur

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