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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Dossier : 2000-332(GST)G

ENTRE :

 

GARY BOIVIN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 8 octobre 2002 à Montréal (Québec) par

 

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

 

Comparutions

 

Avocat de l'appelant :                         Me Bruce Taub

 

Avocat de l'intimée :                           Me Gérald Danis

 

 

JUGEMENT

 

L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis porte le numéro PM-96-0262-2 et est daté du 18 décembre 1996, est rejeté et les dépens sont accordés à l'intimée, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de janvier 2003.

 

 

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date : 20030124

Dossier : 2000-332(GST)G

ENTRE :

 

GARY BOIVIN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

 

[1]     Il s'agit d'un appel d'une cotisation établie conformément à l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi »), qui porte sur la responsabilité des administrateurs.

 

[2]     La question en litige est de déterminer si la cotisation a été établie dans le délai prescrit par le paragraphe 323(5) de la Loi, et, le cas échéant, si l'appelant a agi avec diligence, conformément au paragraphe 323(3) de la Loi.

 

[3]     L'avocat de l'intimée a déposé un recueil de documents comportant 24 onglets sous la cote R‑1. L'appelant a produit trois pièces sous les cotes A‑1 à A‑3, la pièce A‑1 étant sa prétendue démission en date du 10 août 1994.

 

[4]     L'appelant a témoigné en son nom et Mme Sonia Roussy a témoigné pour l'intimée.

 

[5]     La société 2546‑4066 Québec Inc. (« 2546‑4066 ») a été constituée le 8 mars 1988 (pièce R‑1, onglet 10). Au début, les trois actionnaires étaient administrateurs de la société.

 

[6]     Selon le formulaire intitulé « Avis relatif à la composition du conseil d'administration » de 2546‑4066, l'appelant était le président, son frère Layne, le vice-président et son épouse Elizabeth Lee, la secrétaire. Cet avis était signé par l'appelant à titre de président. Il a été reçu par l'Inspecteur général des institutions financières le 3 avril 1989 (pièce R‑1, onglet 10).

 

[7]     Le 7 avril 1989, 2546‑4066 a commencé à exploiter un restaurant en franchisage sous la raison commerciale « Sbarro Rockland ». Une résolution du conseil d'administration du 27 mars 1989 autorisait 2546‑4066 à acheter l'entreprise d'une société exploitant un restaurant en franchisage sous la raison commerciale « Sbarro » (pièce R‑1, onglet 17).

 

[8]     Selon le rapport annuel de 2546‑4066 pour l'année 1991, l'appelant détenait alors 80 pour 100 des actions avec droit de vote (pièce R‑1, onglet 10).

 

[9]     On trouve à l'onglet 17 de la pièce R‑1 les lettres de démission des administrateurs. Celles de Layne Boivin et de Elizabeth Lee‑Boivin sont datées du 15 mai 1992, et celle de l'appelant, du 10 août 1994. Cette dernière a aussi été produite sous la cote A‑1.

 

[10]    Il y a eu deux cotisations visant l'appelant à titre d'administrateur de 2546‑4066. La première est datée du 26 septembre 1996 et l'autre est datée du 18 décembre 1996 (pièce R‑1, onglet 3). Elles portent sur dix périodes, la première étant celle du 31 mars 1992, et la dernière, celle du 30 juin 1994.

 

[11]    Les cotisations portent sur les mêmes périodes. Sauf pour les deux premières périodes, les montants de la taxe nette imposée sont identiques. Dans le cas des deux premières périodes, les montants de la taxe nette ont été modifiés dans la deuxième cotisation pour tenir compte du montant déclaré par l'appelant. Ainsi, les montants de la taxe nette qui sont dus pour toutes les périodes sont les montants déclarés par 2546‑4066 elle-même, comme on peut le constater à l'onglet 22 de la pièce R‑1. En effet, les montants de taxe payables ne sont pas contestés. Le total s'élève à 81 950,58 $.

 

[12]    L'appelant a déclaré qu'il était le gérant du restaurant en plus d'en être un administrateur. Il a expliqué que les affaires étaient médiocres presque du début. Il a essayé de renégocier le bail ou de vendre l'entreprise, sans succès.

 

[13]    Il a produit, sous la cote A‑2, un préavis d'exercice de recours hypothécaire de son frère Layne Boivin daté du 16 décembre 1994. Celui-ci avait prêté 100 000 $ à la société et il avait enregistré une hypothèque mobilière grevant l'équipement. Toutefois, une hypothèque semblable était aussi enregistrée au bénéfice du Centre commercial Rockland, le bailleur.

 

[14]    L'appelant a déclaré qu'en janvier 1995, une autre société, 9015‑1853 Québec Inc., a pris en charge l'exploitation du restaurant.

 

[15]    Il a produit, sous la cote A‑3, le « Certificat de constitution » de la société 9015‑1583 Québec Inc. en date du 26 janvier 1995. La « Déclaration initiale : Personne morale » jointe au certificat indique que le nom du seul actionnaire de 9015‑1583 était Robert Tabah et que la nature de l'entreprise était un restaurant. L'appelant a déclaré que 2546‑4066 avait cessé ses activités en décembre 1994 et que 9015‑1583 avait pris le relais. Aucune entente à cet effet n'a été produite.

 

[16]    À l'onglet 8 de la pièce R-1, on trouve un document intitulé « Memorandum of Agreement of Taking in Payment of Moveable Property Hypothecated (Articles 2781 to 2783 Civil Code of Québec) » [Entente de prise en paiement de biens meubles hypothéqués (articles 2781 à 2783 du Code civil du Québec)]. Les parties y sont décrites ainsi :

 

          [TRADUCTION]

 

PAR                             2546-4066 Québec Inc., personne morale dûment constituée, représentée ci-après par GARY BOIVIN, son président dûment autorisé par une résolution du conseil d'administration du 28 décembre 1994, dont une copie est jointe aux présentes;

 

(ci-après appelée l'« EMPRUNTEUSE »)

 

ET                               LAYNE BOIVIN de la ville de Brockville, province de l'Ontario;

 

(ci-après appelé le « PRÊTEUR »)

 

            [...]

 

 

[17]    Cette entente, en date du 6 janvier 1995, est signée au nom de 2546‑4066 par l'appelant. Les clauses 2, 3, 4, 5, 8 et 11 se lisent comme suit :

 

          [TRADUCTION]

 

2.         ATTENDU que l'EMPRUNTEUSE est en défaut des conditions de l'acte constitutif d'hypothèque sur les biens meubles, acte signé le 19 mai 1994 et inscrit le 20 juillet 1994 sous le numéro 94‑0084068‑001 au registre des droits personnels et réels mobiliers;

 

3.         ATTENDU que le PRÊTEUR a signifié le 7 décembre 1994 un préavis d'exercice d'un droit hypothécaire dans lequel il indiquait son intention d'exercer son droit de prise en paiement, préavis inscrit le 16 décembre 1994 sous le numéro 94‑0162582001 au registre des droits personnels et réels mobiliers;

 

4.         ATTENDU que le délai de vingt jours dont disposait l'emprunteuse pour remédier au défaut indiqué dans le préavis est expiré;

 

5.         ATTENDU que l'EMPRUNTEUSE consent au délaissement volontaire des biens et à la prise en paiement de ceux-ci par le PRÊTEUR, cette prise en paiement ayant pour effet d'éteindre les obligations garanties par l'hypothèque susmentionnée, le solde du capital et des intérêts s'élevant à 125 000 $ en date des présentes;

 

[...]

 

8.         ATTENDU que l'EMPRUNTEUSE garantit qu'elle est la seule et unique propriétaire des biens meubles visés par la présente entente et qu'ils ne font pas l'objet d'une convention de vente conditionnelle ou de vente à tempérament, de transfert de biens ni de gage ou autre garantie;

 

[...]

 

11.       ATTENDU que l'EMPRUNTEUSE s'engage à assurer les biens conformément aux dispositions de l'acte hypothécaire tant qu'elle en aura la garde et que le PRÊTEUR accepte par les présentes de payer un pourcentage des primes d'assurance correspondant au nombre de dates durant lesquelles l'EMPRUNTEUSE aura la garde des biens;

 

[...]

 

[18]    La pièce R‑1, onglet 13, est un règlement à l'amiable daté du 15 avril 1996 conclu par le Centre commercial Rockland Inc., demanderesse, 2546‑4066 Québec Inc. (Sbarro Rockland), défenderesse, et Layne Boivin, opposant. L'appelant l'a signé au nom de 2546‑4066.

 

[19]    À la fin de décembre 1995, le bailleur a fermé le restaurant.

 

[20]    À l'onglet 11 de la pièce R‑1, on trouve un « Acte de constat » fait à la demande du sous-ministre du Revenu du Québec le 2 octobre 1995. Au 2305, chemin Rockland, bureau 17, en présence du gérant, M. Gary Boivin, le huissier a constaté qu'il y avait six employés au travail et M. Gary Boivin lui un montré un bout de papier sur lequel était inscrit un numéro de TPS et un autre de TVQ au nom de 9015‑1853 Québec Inc.

 

[21]    À l'onglet 23, on trouve une lettre de la Banque Nationale de Grèce adressée à Revenu Québec dans laquelle il est indiqué que le compte en question a été fermé le 13 janvier 1995. La lettre renferme la résolution des administrateurs concernant les transactions bancaires et les sûretés, des cartes de signature des dirigeants autorisés et l'entente de tenue du compte. Ces documents avaient été signés en 1989 et n'avaient pas été modifiés.

 

[22]    Dans son témoignage visant à expliquer les soins pris pour payer le montant net de la taxe dû en vertu de la Loi, l'appelant a été taciturne et vague. Il a dit qu'il avait une société qui préparait la paie. Il remettait les documents pertinents une fois par année à des comptables. Il savait que des déclarations trimestrielles devaient être faites au ministre du Revenu national (le « ministre »). Il a reconnu qu'il n'avait en fait jamais remis le montant des taxes perçues au ministre.

 

Observations et conclusion

 

[23]    L'avocat de l'appelant a invoqué le paragraphe 323(5) de la Loi, qui se lit comme suit :

 

Prescription

 

323(5)  L'établissement d'une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu'il a cessé pour la dernière fois d'être administrateur.

 

[24]    L'avocat a souligné que les cotisations étaient datées du 26 septembre 1996 et du 18 décembre 1996 et que la démission de l'appelant comme administrateur était datée du 10 août 1994. Les cotisations avaient donc été établies plus de deux ans après qu'il eut cessé pour la dernière fois d'être administrateur de la société.

 

[25]    Dans la lettre qui accompagnait la décision relative à l'opposition aux cotisations, la période indiquée dans l'objet, soit du 1er janvier au 18 décembre 1996, était erronée (pièce R‑1, onglet 6). L'avocat a affirmé que l'effet de cette erreur devrait être de rendre les cotisations sans effet.

 

[26]    Je vais d'abord traiter de cette question. L'avocat de l'intimée a fait valoir que, selon l'article 299 de la Loi, les cotisations sont réputées valides et exécutoires sous réserve d'une annulation prononcée lors d'une opposition ou d'un appel fait selon la Loi.

 

[27]    La lettre d'accompagnement mentionnée par l'avocat de l'appelant indique que le document joint constitue la décision. Il n'y a rien d'erroné dans la décision et je dirais que l'erreur dans la lettre est minime. De toute façon, le paragraphe 299(4) de la Loi porte qu'une cotisation est réputée valide et exécutoire malgré les erreurs, vices de forme ou omissions dans la cotisation ou dans une procédure y afférent en vertu de la Loi. Les paragraphes 299(2), 299(3) et 299(5) mèneraient à la même conclusion.

 

[28]    En ce qui a trait à son premier argument relatif au délai imparti pour établir une cotisation, l'appelant a produit en preuve la pièce A‑1, soit sa démission à titre d'administrateur datée du 10 août 1994. La date sur ce document n'est en aucune façon corroborée par les faits présentés en preuve. Je doute donc qu'il y ait eu une démission à ce moment.

 

[29]    De toute façon, même si l'appelant avait cessé d'être administrateur de jure, il pouvait continuer à être administrateur de facto. L'article 323 de la Loi vise tout autant les administrateurs de facto que les administrateurs de jure, et la jurisprudence est constante à cet égard. Je ne citerai qu'une seule décision rendue récemment par la Cour d'appel fédérale qui confirme cette interprétation : McDougall c. Canada, C.C.I., no 2000‑346(IT)I, 15 novembre 2000, 2001 D.T.C. 1, [2000] A.C.I. no 790 (Q.L), conf. par C.A.F., no A‑808‑00, 18 novembre 2002, 2002 D.T.C. 7582, [2002] A.C.F. n1631 (Q.L.).

 

[30]    Un administrateur de facto est une personne qui agit comme administrateur. Je cite de l'ouvrage intitulé The Law and Practice of Canadian Business Corporations, 1999 Butterworths Canada Ltd., de l'auteur Kevin Patrick McGuinness, à la page 660 :

 

[TRADUCTION]

 

[...] En termes simples, un administrateur de facto n'est rien d'autre qu'une personne qui n'est pas (ou qui n'est plus) un administrateur, mais qui néanmoins prétend agir comme administrateur.

 

[31]    À mon avis, l'appelant a agi comme administrateur de 2546‑4066 au moins jusqu'au mois d'avril 1996. Il semblerait que le restaurant aurait pu être vendu à une autre société. Mais la vente a eu lieu à la fin de 1994, c'est-à-dire quatre mois après la prétendue démission de l'appelant. Après la vente, 2546‑4066 avaient toujours des choses à faire, c'est-à-dire des questions juridiques à régler, et c'est l'appelant qui s'en est occupé. L'appelant a signé l'entente mentionnée au paragraphe 16 des présents motifs à titre de président de 2546‑4066 le 6 janvier 1995. Un règlement à l'amiable a été signé le 15 avril 1996. L'appelant était donc un administrateur de facto au moins jusqu'à cette dernière date.

 

[32]    On a présenté très peu d'éléments de preuve établissant que l'appelant aurait agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. La jurisprudence a établi que cette diligence exige que l'on prenne des mesures concrètes pour prévenir le manquement : voir McDougall c. Canada, précité, et Canada c. Corsano et al., [1999] 3 C.F. 173, 99 D.T.C. 5658. Dans la présente affaire, la preuve indique plutôt que l'on n'a pris aucune mesure concrète et qu'aucun montant n'a été remis pendant une période de plus de deux ans.

 

[33]    Comme je l'ai mentionné dans l'arrêt Deschênes c. M.R.N., 90 D.T.C. 1339 à la page 1341, ces appels sont des cas tristes :

 

[...] À cet égard, je cite un passage de la cause américaine John P. Emshwiller, Jr. v. United States of America, 565 Federal Reporter, 2d series, 1041 qui décrit bien les sentiments de la personne qui a à décider dans une telle situation.

 

[TRADUCTION]

 

Nous ne sommes pas insensibles au dilemme auquel est confronté l'exploitant d'une société insolvable qui fait des efforts pour maintenir son entreprise à flot. S'il décide de retenir les salaires, il risque de perdre ses employés et l'entreprise en même temps; s'il choisit de les verser, il risque d'être incapable de payer les retenues à la source. Malgré ce choix difficile, rien ne justifie qu'une personne responsable choisisse d'agir d'une manière qui l'empêche de satisfaire à ses obligations fiscales en accordant la préférence à ceux qui réclament un salaire.

 

[34]    Conformément à l'article 323 de la Loi, l'appel est rejeté. Les dépens sont accordés à l'intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de janvier 2003.

 

 

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

 

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