Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

97-3164(IT)G

ENTRE :

G. ROYAL MacDONALD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu les 2 et 3 juin 1999, à Fredericton (Nouveau-Brunswick), par

l'honorable juge D. Hamlyn

Comparutions

Avocat de l'appelant :                Me Gerald W. O'Brien

Avocate de l'intimée :                 Me V. Lynn Gillis

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu des paragraphes 227(10) et 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis est daté du 19 juillet 1995 et porte le numéro 09581 est rejeté en conformité avec les motifs du jugement ci-joints.

          Les dépens sont accordés à l'intimée.


Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de juin 1999.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour d'avril 2000.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 19990615

Dossier: 97-3164(IT)G

ENTRE :

G. ROYAL MacDONALD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1]      Dans l'avis de cotisation portant le numéro 09581 et daté du 19 juillet 1995, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a demandé à l'appelant de payer l'impôt fédéral sur le revenu que la société Multi-Ventures Ltd. ( « Multi » ) avait retenu à la source mais qu'elle n'a pas remis au receveur général.

[2]      En établissant cette cotisation à l'égard de l'appelant, le ministre s'est appuyé sur les hypothèses suivantes :

[TRADUCTION]

7.          [...]

a)          en tout temps pertinent, l'appelant était un administrateur de la société;

b)          la société a omis de remettre au receveur général aux dates mentionnées ci-dessous l'impôt fédéral sur le revenu qu'elle avait retenu à la source sur les salaires versés à ses employés :

Dates des remises                  Impôt fédéral sur le revenu

non effectuées                         non remis

                                                           

               26 mars 1993                                        37 971,61 $

               20 mai 1993                                            3 144,60

               20 mai 1993                                            5 739,50

               27 mai 1993                                          10 176,61

               8 juin 1993                                              8 062,88

               16 juillet 1993                                        13 227,01

               20 juillet 1993                                        12 761,83

               30 juillet 1993                                        13 625,07

               17 août 1993                                         16 652,79

c)          la société n'a pas payé de pénalités ni d'intérêts sur l'impôt fédéral qu'elle a omis de remettre;

d)          le 23 août 1993, le tribunal a rendu une ordonnance de séquestre en vertu de la Loi sur la faillite contre la société, et une réclamation pour l'impôt fédéral sur le revenu, les pénalités et l'intérêt dont la société était responsable a été établie dans les six mois suivant la date de l'ordonnance de séquestre;

e)          l'appelant n'a pas agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement de la société à remettre les sommes ci-dessus qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

[3]      Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits partiel. Il est ainsi rédigé :

[TRADUCTION]

L'appelant, G. Royal MacDonald, et l'intimée, Sa Majesté la Reine, admettent les faits suivants par l'entremise de leurs procureurs sous réserve des conditions suivantes : 1) ces admissions ne sont faites que pour les fins du présent appel; et 2) les parties ont le droit de présenter une preuve additionnelle qui ne va pas à l'encontre des faits admis dans les présentes.

a)          L'appelant est G. Royal MacDonald et il demeure au 214, rue Willingdon, à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, E3B 3A5.

b)          La société, Multi-Ventures Limited (la « société » ) a été constituée en 1969 et a commencé à exercer ses activités en 1974.

c)          Durant la période pertinente, (c'est-à-dire en 1992 et 1993) l'appelant, Royal MacDonald et Kevin Phillips étaient les administrateurs de la société et détenaient chacun 50 p. 100 des actions.

d)          En tout temps pertinent, l'appelant a détenu le poste de président et il a été un administrateur actif de la société.

e)          En tout temps pertinent, l'appelant s'est activement occupé de l'administration des activités de la société.

f)           La cotisation datée du 19 juillet 1995 portant le numéro #09581 établie par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu couvre la période allant du 26 mars 1993 au 17 août 1993.

g)          Les sommes visées au paragraphe f) ci-dessus comprennent des retenues sur des salaires versés aux employés en 1992 et 1993.

h)          Au début de 1993, la société avait établi un plan de redressement de concert avec la Banque Royale du Canada. Revenu Canada était au courant du plan et avait accepté de coopérer à certaines conditions.

i)           La société avait accepté de verser régulièrement des sommes pour acquitter ses arriérés et de maintenir à jour ses remises courantes à Revenu Canada.

j)           La société n'a pas acquitté ses arriérés comme elle s'était engagée à le faire et elle n'a pas effectué toutes ses remises courantes. La société n'a pas respecté sa part de l'entente.

(k)                En août 1993, le plan de redressement visé au paragraphe h) a été rejeté quand Revenu Canada a demandé à la société de lui accorder une hypothèque immobilière pour garantir le paiement de sa créance et que la Banque Royale n'a pas acquiescé à cette demande.

l)           À ce moment-là, la Banque Royale a mis Multi-Ventures Limited en faillite.

m)         Le 23e jour du mois d'août 1993, le tribunal a rendu une ordonnance de séquestre en vertu de la Loi sur la faillite contre la société, et le 28e jour de septembre 1993, Revenu Canada a produit une preuve de réclamation à l'égard de sa créance non garantie et de sa créance garantie.

n)          Revenu Canada a reçu les sommes suivantes en paiement partiel des retenues à la source non remises :

                        28 septembre 1993                                     317 836,66 $

                        7 octobre 1993                                               2 174,51

                        2 novembre 1993                                        102 918.03

            La somme de 2 174,51 $ représentait un paiement de saisie-arrêt effectué par Warren Maritime Limited et les autres sommes des paiements de saisie-arrêt effectués par Fundy Contractors Limited, deux sociétés de qui Revenu Canada avait exigé des paiements.

o)          À l'exception des paiements visés au paragraphe n) ci-dessus, tous les autres paiements reçus ont été imputés sur le compte de la société à Revenu Canada selon les instructions ou avec le consentement de la société.

p)          La société a commencé à éprouver certaines difficultés financières en 1991. En 1992 et 1993, la société était encore en butte à des difficultés, et sa situation financière s'est aggravée.

q)          Une cotisation a été établie à l'égard de la société parce que, depuis au moins 1991 et en 1992 et 1993, elle n'avait pas remis les retenues à la source relativement à certaines périodes de paye.

r)           Pendant toute la période pertinente en l'espèce, l'appelant était au courant des difficultés financières de la société et de ses omissions de remettre les retenues.

s)          Toutes les créances perçues et tous les chèques libellés à l'ordre de la société étaient remis à la Banque Royale et déposés dans le compte bancaire général de la société.

t)           Tel que mentionné dans la cotisation, le 26e jour de mars 1993, le 20e jour de mai 1993, le 20e jour de mai 1993, le 27e jour de mai 1993, le 8e jour de juin 1993, le 16e jour de juillet 1993, le 20e jour de juillet 1993, le 30e jour de juillet 1993 et le 17e jour d'août 1993, la société a omis de remettre l'impôt fédéral sur le revenu qu'elle avait retenu sur les salaires versés à ses employés.

u)          La société n'a pas payé de pénalités ni d'intérêts sur l'impôt fédéral qu'elle a omis de remettre.

LA PREUVE

[4]      L'appelant, G. Royal MacDonald, est un ingénieur civil qui, durant la période pertinente en l'espèce, était un administrateur de Multi. Il était aussi le président de Multi. Avant sa faillite, la société exerçait ses activités dans le domaine de la construction de routes et celui de la machinerie lourde. Multi a été constituée en société en 1969 et a commencé à exploiter son entreprise en 1974. Pendant 17 ans, Multi a été rentable et s'est classée parmi les plus importantes sociétés dans ce secteur d'activités. En 1989, il y a eu un ralentissement des activités dans l'industrie de la construction, et Multi a été directement touchée par la concurrence acharnée, la chute des prix et la baisse de son volume d'affaires. C'est en 1991 que Multi a commencé à éprouver des difficultés à remettre les retenues à la source.

[5]      En 1992, confronté à la question des arriérés, l'appelant a fait en sorte que des chèques soient émis à l'ordre du receveur général. Plusieurs de ces chèques ont été retournés par la banque avec la mention : « fonds insuffisants » . C'est en partie pour résoudre le problème de remises que l'appelant a pris des mesures au nom de Multi pour que M. John Feeney soit embauché comme directeur financier. M. Feeney était comptable agréé et avait occupé un poste pendant de nombreuses années chez KPMG Canada, une firme d'experts-comptables. M. Feeney a d'abord occupé le poste de vice-président responsable des finances puis celui de contrôleur. Selon les termes de son contrat, M. Feeney devait être en poste du mois de mars 1992 au mois d'août 1993.

[6]      En avril 1992, M. Feeney avait comme rôle de restructurer ou de refinancer Multi en obtenant une plus importante marge de crédit de la Banque Royale du Canada (la « Banque Royale » ). Multi a offert d'accorder des garanties additionnelles à la banque sur son matériel. Multi tenait Revenu Canada au courant de la restructuration.

[7]      Au début de 1992, Multi, qui cherchait à percevoir ses créances, a embauché M. Alfred Lacey comme gestionnaire de projet. M. Lacey avait acquis une expérience considérable au cours des années précédentes d'abord à titre de directeur régional des ventes pour General Motors, puis comme représentant élu et membre du Cabinet du Nouveau-Brunswick. Il avait ensuite exercé un mandat comme président du conseil d'administration de la Société d'Énergie du Nouveau-Brunswick.

[8]      La situation financière de Multi a continué à se détériorer entre le début de 1992 et le mois de septembre 1992. La Banque Royale a alors demandé que M. Lacey assume un nouveau rôle, celui de directeur général de Multi. M. Lacey a cherché, entre autres choses, à négocier un nouveau financement additionnel avec la Banque Royale en proposant de lui accorder une garantie accessoire sur d'autres immeubles de Multi.

[9]      Multi a également tenu Revenu Canada au courant de cette restructuration.

[10]     Dans l'optique de MM. MacDonald, Feeney et Lacey, les restructurations et l'assistance de la banque allaient leur permettre de rembourser les arriérés et de maintenir les remises courantes à jour.

[11]     Au printemps de 1992, le découvert bancaire de Multi s'élevait à la somme de 800 000 $ environ et, à la date de la faillite (août 1993), à 1 800 000 $.

[12]     Aucune personne n'a été citée à témoigner pour la Banque Royale. Cependant, il ressort du témoignage de MM. MacDonald, Feeney et Lacey que la banque n'honorait que certains des chèques que Multi avait émis pour rembourser les arriérés et qu'elle contrôlait toutes les recettes. La banque a retourné certains des chèques de remboursement des arriérés avec la mention « fonds insuffisants » et elle n'autorisait pas le paiement des sommes de salaires bruts qui incluaient les retenues. La banque permettait seulement à Multi d'émettre à ses employés des chèques de salaire net.

[13]     Les problèmes que Multi a éprouvés vers la fin de 1992 et en 1993 se résument ainsi : la société n'a pas réussi à percevoir toutes ses créances, la banque n'a pas accepté que des sommes soient payées au receveur général et, vers la fin de 1993, Multi n'a pas pu accorder à la banque une garantie accessoire sur ses immeubles.

[14]     Il semble que MM. MacDonald, Lacey et Feeney se sont préoccupés des retenues à la source entre le mois de mars 1992 et le mois d'août 1993, mais il est évident qu'il en était tout autrement avec la banque qui n'a pas permis que Multi augmente son découvert bancaire ou utilise ses recettes pour remettre les retenues.

ANALYSE

[15]     Comme il a été mentionné dans de nombreuses décisions récentes, l'arrêt que la Cour d'appel fédérale a rendu dans l'affaire Soper v. The Queen, 97 DTC 5407[1] est considéré comme la décision de principe sur la question de la responsabilité fiscale des administrateurs aux termes de la Loi et de la Loi sur la taxe d'accise[2]. Dans l'arrêt Soper (précité), la Cour d'appel fédérale a établi les principes généraux suivants :

-         c'est la société et non l'administrateur qui est le fiduciaire des sommes qui doivent être remises au gouvernement;

-         la norme de prudence qui est appliquée pour déterminer la responsabilité fiscale d'un administrateur est en partie objective et en partie subjective;

-         l'administrateur n'est pas obligé de consacrer une attention constante aux activités de la société mais il est obligé d'être au courant des états financiers et des livres de la société;

-         en l'absence de circonstances dont il aurait dû se méfier, l'administrateur peut déléguer à quelqu'un d'autre la responsabilité de voir à la remise des retenues à la source;

-         du moment qu'un administrateur sait ou aurait dû savoir que les remises posent problème, il ou elle a un devoir positif d'agir;

-         l'administrateur interne est tenu de respecter une norme de prudence plus élevée que l'administrateur externe.

[16]     Dans l'arrêt Soper (précité), le juge Robertson a statué à la page 5416 :

            Le moment convient pour résumer mes conclusions au sujet du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (par ex. les gens d'affaires chevronnés).

            La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la « compétence » et l'idée de « circonstances comparables » . Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme « objective subjective » .

[17]     La norme comprend donc en même temps des critères traditionnels, objectifs et raisonnables et des critères subjectifs comme l'intelligence, l'expérience et le degré de maturité de l'administrateur.

[18]     Dans Wheeliker c. Canada, [1999] A.C.F. no 401 (Q.L) (C.A.F.), le juge Létourneau pousse un peu plus loin l'examen de l'obligation d'un administrateur. Il a dit au paragraphe 49 :

Cela veut dire que dès que les [administrateurs] ont pris connaissance des difficultés financières de la Corporation ou de l'omission de remettre les sommes dues, il était de leur devoir de prévenir l'omission de payer les sommes dues et à venir et non seulement de réparer le manquement après coup.

[19]     Au paragraphe 57, il a ajouté :

Les administrateurs ont l'obligation d'empêcher les omissions et non de les avaliser systématiquement, comme l'ont fait les intimés, dans l'espoir qu'en fin de compte il y aura assez d'argent pour payer tous les créanciers.

[20]     Il ressort de certaines autres décisions que les administrateurs ne devraient pas être tenus responsables du défaut de remettre les retenues dans les cas où ils n'exercent aucun contrôle sur les affaires financières de la société.

[21]     Dans l'affaire Fancy v. M.N.R., 88 DTC 1641 (C.C.I.), décision du juge Couture, la banque de la société en l'espèce avait commencé à exercer un contrôle sur tous les chèques émis par la société et elle n'autorisait que certains paiements. La banque avait refusé d'approuver les remises de retenues à Revenu Canada, et les appelants, qui étaient les administrateurs de la société, avaient mis Revenu Canada au courant de la situation. Le juge a statué que les administrateurs avaient été victimes de circonstances sur lesquelles ils n'avaient aucun contrôle et qu'ils ne pouvaient encourir de responsabilité aux termes des dispositions qui édictent qu'ils doivent agir avec prudence.

[22]     Dans l'affaire Champeval et al. v. M.N.R., 90 DTC 1291 (C.C.I.), décision rendue par le juge Couture, et dans l'affaire Worrell et al. v. The Queen, 98 DTC 1783 (C.C.I.), décision rendue par le juge McArthur, la présente Cour a statué que, dans certaines situations de faits particulières, c'est-à-dire lorsque c'est la banque et non les administrateurs qui en fin de compte décide quels chèques sont honorés, les administrateurs ne disposent d'aucune liberté de choix et ils ne peuvent être tenus responsables de l'omission de la société de remettre les retenues.

[23]     Diverses options s'offrent aux administrateurs des sociétés qui exercent leurs activités dans le secteur de la construction et qui éprouvent des difficultés à remettre les retenues à la source, comme le juge Dussault de cette cour l'a mentionné dans l'affaire Bazinet et al. v. The Queen, 97 DTC 364. Il a dit à la page 373 :

            Je reconnais que l'industrie de la construction est un secteur extrêmement difficile; les personnes qui y oeuvrent cependant ne sont pas pour autant soustraites à l'application des lois.

[24]     Il a également dit à la page 373 :

Si on ne peut soi-même individuellement mettre fin aux opérations d'une entreprise dans de telles circonstances, on doit au moins s'en dissocier complètement en quittant et remettant sa démission.

[25]     Dans Charkowy et al. v. M.N.R., 91 DTC 284, à la page 287, le juge Mogan de la Cour a également formulé des observations sur le fait que Revenu Canada finançait sans le vouloir la société qui omettait de remettre les retenues à la source :

            Lorsqu'une société en arrive au point où elle préfère ne pas émettre un chèque de peur qu'il ne soit pas honoré, il est temps de fermer boutique et de cesser ses activités. Si elle ne le fait pas, le receveur général devient le banquier involontaire des activités défaillantes de la société. La prudence qui consiste à savoir quand il faut mettre fin à une entreprise au lieu de prolonger son agonie en utilisant des fonds de façon illégale, fonds visés par la présomption de fiducie au paragraphe 227(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu, fait partie du soin, de la diligence et de l'habileté dont devraient faire preuve les administrateurs.

[...]

Le fait d'avoir continué à faire fonctionner cette société grâce au financement involontaire du receveur général, par le biais des déductions à la source non remises, constitue de la négligence et non une preuve de soin ou de diligence.

L'OMISSION DE REMETTRE LES RETENUES

ET LES MESURES PRISES PAR L'APPELANT

[26]     En 1991, la société a omis de remettre régulièrement les retenues à la source. Vers la fin de 1991, à la demande de l'appelant, la société a versé des sommes substantielles, et le montant d'arriérés a été alors ramené à moins de 13 000 $.

[27]     Au printemps 1992, la société était toujours en butte à des difficultés financières et, encore une fois, elle omis de remettre les retenues à la source.

[28]     À l'automne, à la demande de la banque, M. Lacey a été nommé directeur général et il est devenu directement responsable de toutes les discussions avec la banque ainsi que de celles avec Revenu Canada sur la question des arriérés et des remises. Un plan prévoyant le paiement des arriérés et le versement des remises courantes a été établi. Le plan n'a jamais été suivi, et la société n'a jamais atteint ses objectifs.

[29]     En janvier 1993, la société a tenté encore une fois de résoudre la question des arriérés et des remises courantes avec la coopération d'un de ses principaux fournisseurs, de la Banque Royale et de Revenu Canada. La société n'a pas respecté ses engagements, elle n'a pas réussi à résoudre ses difficultés et, en fin de compte, elle a été mise en faillite.

[30]     Tout au long du processus, Revenu Canada a été informé, avisé et consulté. La société se trouvait dans une situation très difficile puisqu'elle ne pouvait utiliser à sa guise les créances qu'elle avait perçues et qu'elle n'exerçait aucun contrôle sur sa marge de crédit. Pendant toute la période pertinente, la société a emprunté plus qu'il ne lui était permis de le faire aux termes de sa marge de crédit et c'est grâce à la tolérance de la Banque Royale qu'elle a pu continuer à exercer ses activités.

[31]     La Banque Royale fixait unilatéralement l'encaisse d'exploitation dont disposait la société pour exercer ses activités. La banque détenait une cession enregistrée des créances de la société. La société ne pouvait utiliser les créances qu'elle avait perçues, tels que les paiements contractuels, comme elle le voulait et il lui fallait obtenir la coopération de la Banque Royale.

[32]     Dès que la société a commencé à éprouver des difficultés financières, la Banque Royale lui a clairement indiqué qu'elle pouvait utiliser la marge de crédit pour payer les salaires nets mais non les remises courantes de retenues à la source. La Banque Royale décidait chaque jour quels chèques pouvaient être émis et quels comptes pouvaient être payés.

[33]     Malgré l'attitude adoptée par la banque, MM. MacDonald, Lacey et Feeney ont continué à formuler des plans pour être en mesure de payer les arriérés et de verser les remises courantes.

CONCLUSION

[34]     La banque a financé les activités de la société durant la période en l'espèce jusqu'à ce qu'elle soit déclarée en faillite.

[35]     L'appelant a fait en sorte que la société embauche un comptable agréé d'expérience et, comme la banque l'avait demandé, qu'elle retienne les services d'un directeur général en qui la banque avait confiance.

[36]     Revenu Canada a toujours coopéré à la réussite des diverses tentatives de résoudre les problèmes, mais a demandé que les remises courantes soient effectuées et que les arriérés soient payés.

[37]     La société a établi des plans pour payer les arriérés et a pris des engagements à l'égard des remises courantes mais, en définitive, aucun plan n'a réussi. La société n'a pas honoré ses engagements.

[38]     Je retiens de la preuve que l'appelant, le contrôleur et le directeur général ont tenté d'apaiser Revenu Canada en s'engageant à payer les arriérés et à verser les remises courantes. Les décisions et les mesures prises par la Banque Royale démontrent clairement qu'elle ne désirait pas coopérer. Comme la crise économique ne se résorbait pas, l'intention commune de MM. MacDonald, Lacey et Feeney était de continuer à exploiter l'entreprise, de ne pas effectuer les remises courantes et d'espérer être en mesure un jour de résoudre les difficultés financières de Multi grâce aux contrats obtenus et aux créances perçues à l'avenir.

[39]     Les omissions de remettre les retenues ne sont pas survenues qu'à quelques reprises. Elles se sont produites pendant une longue période. La société n'a pu être constamment en défaut sans que les administrateurs l'aient décidé tout en sachant, même s'ils avaient établi des plans à l'effet contraire, qu'ils ne seraient pas en mesure de payer les arriérés ni de verser les remises courantes.

[40]     L'appelant, quand il agissait comme administrateur de Multi, était un ingénieur civil très instruit qui disposait d'une vaste pratique des affaires et d'une grande expérience de la gestion dans l'industrie de la construction. Quand la société a éprouvé pour une seconde fois en 1992 et 1993 des difficultés à remettre les retenues à la source, il n'a pas demandé d'analyse indépendante pour déterminer si Multi était une entreprise viable. Il s'est fié à MM. Feeney et Lacey pour résoudre le problème, ces derniers préférant poursuivre les négociations avec Revenu Canada au lieu de prendre des mesures positives visant à payer les arriérés et à effectuer les remises courantes. Ces négociations ont été entreprises alors que l'appelant savait que la Banque Royale ne permettrait pas à la société d'utiliser sa marge de crédit pour remettre les retenues. En outre, parce qu'il était au courant de la position de la banque, l'appelant n'a jamais demandé d'aucune manière à la banque ou au contrôleur de Multi de tenter de remettre les retenues à la source à Revenu Canada. Ainsi, en adoptant cette ligne de conduite, l'appelant a, en quelque sorte, décidé que la société serait continuellement et systématiquement en défaut de remettre les retenues.

[41]     En permettant à Multi d'agir de cette manière à long terme, l'appelant n'a rien fait de concret pour prévenir les omissions à remettre les retenues à la source. Comme administrateur, il savait que la banque ne permettrait pas à Multi de se servir de sa marge de crédit déjà utilisée au-delà de la limite pour remettre les retenues à la source, et le fait de négocier avec Revenu Canada et de présenter des plans qui n'ont jamais abouti n'a pas allégé son devoir positif de prévenir les manquements à effectuer les remises courantes et à venir.

[42]     En conclusion, l'appelant n'a pas agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir les manquements à effectuer les remises qu'un administrateur raisonnablement prudent et aussi compétent que lui aurait exercé dans des circonstances comparables.

DÉCISION

[43]     L'appel est rejeté.

[44]     Les dépens sont accordés à l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de juin 1999.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour d'avril 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           Dans l'arrêt Soper (précité), le juge Linden souscrit aux motifs du juge Robertson. Dans ses motifs distincts, le juge Marceau souscrit aux motifs du juge Robertson.

[2]           Dans l'arrêt Drover v. The Queen, 98 DTC 6378 (C.A.F.), le juge Robertson formule l'observation suivante à propos de l'arrêt Soper (précité) à la page 6379 : « [s]ont exposés dans cet arrêt les principes applicables en matière de responsabilité des administrateurs et de défense fondée sur la diligence raisonnable » .

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.