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Dossier : 2002‑4017(IT)I

 

ENTRE :

PAUL STAFFORD MOSHER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 24 juillet 2003 à Calgary (Alberta)

 

Devant : L’honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

MThomas G. McCartney

 

Avocate de l’intimée :

Me Brooke Sittler

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1997 est accueilli, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour d’octobre 2003.

 

 

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 4jour de mai 2004.

 

 

 

 

Ingrid B. Miranda, traductrice


 

 

 

Référence : 2003CCI678

Date : 20031020

Dossier : 2002-4017(IT)I

 

ENTRE :

PAUL STAFFORD MOSHER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

 

[1]     Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’une nouvelle cotisation établie pour l’année d’imposition 1997 de l’appelant, dans laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre ») a considéré les profits réalisés lors de la vente d'un bien immeuble à Brooks, en Alberta, légalement décrit comme « plan 6827FP bloc 2 lot 1 » (le « bien »), comme des revenus. Le ministre a aussi décidé que l’épouse de l’appelant n’était pas l’associée de l’appelant lors de l’achat et de la vente du bien et, par conséquent, il a ajouté la partie des profits déclarée par l’épouse au revenu de l’appelant.

 

[2]     Les deux questions en litige dans le présent appel consistent à savoir :

 

(1)     si l’achat et la vente du bien constituent une affaire de caractère commercial;

 

(2)     si l’épouse de l’appelant était son associée lors de l’achat et de la vente du bien.

 

[3]     L’appelant et son épouse ont été les seuls témoins à l’audience.

 

[4]     L’appelant a témoigné que le bien avait été acheté dans le but d’y installer une franchise de la chaîne alimentaire Tim Hortons. Il a dit que lui‑même et son épouse se sont intéressés à l’exploitation d’une franchise de Tim Hortons en 1993, après s’être liés d’amitié avec un couple qui possédait une franchise à Red Deer, en Alberta. L’appelant devait prendre sa retraite quelques années plus tard et voulait se lancer en affaires. À ce moment, l’appelant était membre de la GRC à Forestberg, en Alberta, où il vivait avec sa famille. L’appelant avait aussi un ami de travail qui avait une franchise à Vernon, en Colombie‑Britannique. 

 

[5]     En raison de son intérêt pour une franchise de Tim Hortons, l’appelant a déclaré avoir rencontré Ron Joyce, propriétaire de la chaîne, ainsi que M. Lundgren de TDL Group Limited (« TDL ») qui administrait Tim Hortons. Il a aussi déclaré avoir reçu par la poste des renseignements sur la franchise (pièces A‑1 et A‑2). Il a dit qu’il s’était lié d’amitié avec les gens qui administraient TDL à Calgary; cependant, l’affaire ne s’est concrétisée que lorsqu’il a renvoyé le questionnaire de la franchise (pièce A‑3) à TDL.

 

[6]     À cette époque environ, l’appelant et son épouse ont décidé qu’ils viseraient la région de Brooks, en Alberta, pour établir leur franchise potentielle. En 1995, l’appelant et son épouse ont vendu leur résidence à Forestberg et acheté une autre à Brooks. L’épouse de l’appelant et leurs enfants ont déménagé à Brooks, alors que l’appelant est resté à Forestberg et faisait la navette à Brooks jusqu’en 1996, année où il y a été transféré.

 

[7]     L’appelant a déclaré que vers la fin de l’année 1994 et en 1995, lui‑même et le gestionnaire immobilier de TDL, John Barber, ont visité plusieurs emplacements possibles pour établir une franchise de Tim Hortons à Brooks, mais aucun endroit ne paraissait convenable aux yeux de TDL. Une carte où figurent un de ces emplacements a été déposée sous la cote A‑7. En 1996, il a dit ne pas avoir communiqué beaucoup avec TDL parce que tous les emplacements possibles pour la franchise de Brooks avaient été examinés. 

 

[8]     En janvier 1997, l’appelant a été approché par une secrétaire, collègue de travail, qui lui a dit que le bien de ses grands‑parents était à vendre. L’appelant a déclaré que la parcelle de deux acres et demi constituait un emplacement parfait pour une franchise de Tim Hortons. Le cours de vente du bien était de 250 000 $, bien que le vendeur lui ait dit qu’elle avait été évaluée à 220 000 $.

 

 

[9]     Il semble, d’après la preuve, que l’appelant ait fait des démarches rapides pour acheter le bien. Le vendeur lui avait dit que, s’il n’en voulait pas, il (le vendeur) pourrait « le vendre en une minute », à ce prix. L’appelant a déclaré qu’il avait besoin d’aide pour effectuer l’achat. Alors il a approché un promoteur immobilier de la ville, Herb Wettiskind, qui a accepté d’acheter la moitié du bien. La rencontre avec M. Wettiskind a eu lieu le même jour où le bien a été mis en vente. L’appelant a déclaré qu’il savait qu’il n’avait pas les moyens d’acheter le bien et a pris un risque en le faisant. Lors de son contre‑interrogatoire, il a accepté avoir gelé rapidement la vente du bien, sinon quelqu’un d’autre l’aurait achetée. L’appelant a fait une offre initiale de 229 000 $ pour le bien, mais ce montant a été augmenté à 250 000 $ et le vendeur a accepté l’offre le même jour, le 27 janvier 1997.

 

[10]    L’appelant a dit qu’il s’est précipité à Calgary après avoir acheté le bien pour se rendre à TDL. Mais on lui a dit que TDL ne permettait pas aux franchisés d’être propriétaires des terrains sur lesquels des franchises de Tim Hortons étaient établies. TDL n’était pas, non plus, intéressée à acheter le bien de l’appelant. Plus tard, il a reçu une lettre de TDL disant qu’on avait décidé que la population de Brooks n’était pas suffisamment nombreuse pour rentabiliser une franchise de Tim Hortons.

 

[11]    Environ deux semaines après l’achat du bien, l’appelant s’est blessé au dos alors qu’il était au travail. Pour cette raison, il a, éventuellement, été relevé de ses fonctions auprès de la GRC.

 

[12]    En raison de toutes ces circonstances, l’appelant et M. Wettiskind ont décidé de vendre le bien. M. Wettiskind a trouvé un acheteur, et le bien a été vendu le 7 août 1997 au prix de 350 000 $.

 

Analyse

 

[13]    La question en litige de savoir si le profit réalisé par l’appelant, après la disposition du bien, constitue du revenu ou du capital, dépend de son intention au moment où le bien a été acheté. Si la possibilité de le revendre pour réaliser un profit a été un facteur qui l’a motivé à l’acheter, alors le profit constitue un revenu d’entreprise.

 

[14]    En général, l’intention du contribuable peut être déterminée d’après l’ensemble de son comportement, ainsi que des circonstances pertinentes et des inférences en découlant.

 

[15]    En me fondant sur l’ensemble de la preuve qui se trouve devant moi, je suis convaincu que la possibilité de revendre à profit a été, pour l’appelant, une raison pour acheter le bien. En dépit de ses affirmations selon lesquelles le bien a uniquement été acheté pour y établir une franchise de Tim Hortons, l’examen des circonstances de l’espèce me porte à conclure autrement.  

 

[16]    L’intention alléguée par l’appelant est incompatible avec le fait, dont il avait connaissance au moment de la vente, que TDL est chargée de tous les achats ainsi que de l’aménagement de tous les terrains de franchise de Tim Hortons. L’explication invoquée par l’appelant à cet égard est qu’il avait pensé que TDL ferait une exception dans son cas, par rapport au titre de propriété du terrain de la franchise, ou sinon qu’il pourrait vendre le bien à TDL. Si la seule intention de l’appelant, à l’égard du bien, était d’y établir une franchise de Tim Hortons, il est plutôt improbable qu’il n’ait pas communiqué avec TDL avant de se compromettre à l’acheter, d’abord, pour savoir si le bien recevrait l’approbation de TDL, puis pour voir si TDL ferait une exception à l’encontre de sa politique en matière de propriété du terrain des franchises ou si TDL voudrait lui‑même effectuer l’achat. Puisque TDL avait rejeté tous les autres biens disponibles à Brooks et puisque l’appelant n’avait communiqué que très peu avec TDL pendant l’année précédente, cela manquait de sens qu’il ait effectué l’achat sans en parler avec TDL. Le comportement de l’appelant est plus compatible avec l’existence d’un autre motif d’acquisition du bien, notamment la revente à profit. 

 

[17]    Il semble aussi que l’appelant n’aurait pas eu les ressources financières pour acheter à la fois le bien et une franchise de Tim Hortons. En 1997, le coût d’une franchise était d’environ 350 000 $. L’appelant a aussi déclaré qu’il s’attendait à d’autres dépenses supplémentaires, ce qui élèverait le coût de la franchise à environ 400 000 $. Si l’on y ajoute la moitié du prix du bien, l’appelant devait s’attendre à engager un capital d’environ 525 000 $. En 1997, il a admis que la valeur nette de son actif et celle de l’actif de son épouse s’élevaient conjointement à environ 279 000 $, y compris leur résidence; il a aussi admis qu’il comptait sur un prêt de 100 000 $ du frère de sa femme. L’appelant a affirmé que le déficit devait être financé par TDL. Cependant, la pièce A‑2 montre que le financement aurait provenu d’une banque à charte, s’il lui avait été possible de l’obtenir. De toutes façons, il n’y a pas de preuves démontrant que l’appelant avait pris des mesures à l’égard de ce financement, ni pour s’enquérir s’il serait disponible. 

 

[18]    En tenant compte de tous ces facteurs, je n’accepte pas la preuve de l’appelant selon laquelle au moment où il a acheté le bien, il n’ait pas considéré la possibilité de revente à profit. Je trouve que la possibilité de réaliser un profit au moment de la revente a été l’un des motifs pour lequel l’appelant a acheté le bien. Par conséquent, l’achat et la vente de ce bien constituent une affaire de caractère commercial. 

 

[19]    J’examine maintenant la question de savoir si, au moment de l’achat du bien, l’épouse de l’appelant était son associée et, si tel est le cas, si l’achat et la vente du bien faisaient partie des activités de la société de personnes. 

 

[20]    Dans la loi sur les sociétés en nom collectif de l’Alberta, la Partnership Act de l’Alberta (R.S.A. 2000 ch. P‑3), une société de personnes est définie comme [traduction] « une relation qui existe entre deux personnes qui exploitent une entreprise ensemble dans le but de réaliser des profits ». L’appelant et son épouse ont témoigné qu’ils avaient l’intention d’exploiter une franchise de Tim Hortons ensemble, en tant qu’entreprise familiale et que chacun d’eux y engagerait des capitaux considérables. Bien qu’il n’y ait pas d’entente écrite convenue entre eux, je suis convaincu qu’ils avaient une entente orale à cet égard. Cependant, pour les motifs ci‑joints, je ne suis pas convaincu que l’appelant et son épouse avaient commencé à exercer une activité commerciale au moment de l’achat et de la vente du bien.

 

[21]    Dans la décision Samson et Frères Ltée c. La Reine, C.C.I., no 92‑607(IT)G, 1er novembre 1995 (97 DTC 642), le juge Dussault (tel était alors son titre) de la Cour a examiné la question de savoir quand un contribuable a commencé une activité commerciale. À la page 645, il a déclaré ceci :

 

[…] pour qu’une entreprise existe et ait débuté, on doit avoir dépassé le simple stade de l’intention de la débuter. Un projet, même articulé, de le faire n’est, à mon avis, que l’expression de cette intention et doit être poussé plus loin. Les éléments essentiels se rattachant à la structure même de l’entreprise, soit le financement, les actifs et la main-d’œuvre nécessaires doivent avoir été recherchés et réunis avant que l’on puisse affirmer que l’entreprise existe et qu’elle a débuté. J’ajouterai que la décision de débuter l’entreprise telle qu’on peut la déceler par des mesures « importantes » ou « essentielles » prises par le contribuable en vue de l’exploitation même constitue un indice important que l’entreprise a débuté. […] Il est en effet assez difficile de concevoir qu’une entreprise ait débuté avant même qu’une décision ferme à cet égard n’ait été prise et que les éléments essentiels se rattachant à la structure même d’une telle entreprise n’aient été réunis.

 

[22]    La preuve en l’espèce démontre que l’appelant et son épouse avaient pris des mesures pour démarrer une franchise de Tim Hortons, mais qu’il s’agissait de mesures préliminaires et d’exploration, ne comportant pas d’obligations de leur part, ni de la part de TDL. Alors que l’appelant a allégué que TDL lui avait octroyé la franchise de Tim Hortons à Brooks, il n’y a pas eu signature de contrat à cet effet, ni de versement en espèces effectué pour protéger ce privilège.  

 

[23]    Lorsqu’une franchise de Tim Hortons a finalement été ouverte à Brooks, l’appelant et son épouse n’y ont pas participé.   

 

[24]    En outre, il n’y a pas d’éléments de preuve démontrant que l’appelant et son épouse aient fait tous les arrangements de financement nécessaires pour acheter la franchise et commencer les opérations, ni qu’ils aient pris des dispositions ou conclu des ententes avec des tiers, autres que ceux afférents à l’achat du bien. On ne peut pas dire en l’espèce que les éléments essentiels se rattachant à la structure même de l’entreprise aient été réunis, ni que l’entreprise ait débuté.

 

[25]    Il s’ensuit que l’appelant et son épouse n’ont pas agi en qualité d’associés lors de l’achat et de la vente du bien.

 

[26]    Cependant, cela ne met point fin à l’affaire. L’épouse de l’appelant a participé financièrement à l’achat du bien, en qualité de cosignataire, dans le cadre d’une hypothèque supplémentaire sur leur résidence familiale. Il n’y a pas de preuve en l’espèce qu’elle ait voulu offrir cet argent à l’appelant en cadeau, ni qu’il s’agisse d’un prêt qu’elle lui aurait fait. Je reçois comme élément de preuve le fait de cosigner l’hypothèque qui démontre son intention de participer à l’achat. À la fois l’appelant et son épouse ont témoigné qu’ils partagent toutes leurs propriétés en parts égales et qu’ils se considéraient associés à parts égales dans le cadre de toutes leurs affaires, et je suis convaincu qu’ils avaient l’intention commune de partager le titre de propriété à parts égales.

 

[27]    Par conséquent, bien que le nom de l’épouse de l’appelant n’apparaisse jamais sur le titre, il faut présumer que, selon la doctrine de la fiducie par déduction, elle détenait un intérêt bénéficiaire de moitié dans le bien. J’aimerais faire référence aux observations du juge Sarchuk de la Cour, dans Karavos c. La Reine, C.C.I., no 93‑1034(IT)G, 5 septembre 1995 (96 DTC 1001) à la page 1004 :

 

Dans l’arrêt Rathwell c. Rathwell, la Cour suprême du Canada a confirmé qu’une fiducie par déduction peut survenir lorsque les parties ont une « intention commune » selon laquelle l’intérêt bénéficiaire ne devrait pas appartenir seulement à la personne qui détient le titre de propriété, mais qu’il doit être partagé entre ces personnes. Il est possible de s’assurer de l’existence de cette intention commune en déterminant s’il existe une preuve de déclaration expresse d’intention commune selon laquelle la partie non titulaire du droit de propriété devait avoir un intérêt bénéficiaire dans le bien. La Cour suprême a également fait remarquer qu’il est de mise pour une cour de déterminer si une « intention commune » existait après avoir examiné les faits et les circonstances de l’acquisition du bien. Si la personne non titulaire du droit de propriété a contribué à l’acquisition ou à l’amélioration du bien, la théorie de la fiducie par déduction peut être retenue.

 

Résumé

 

[28]    Pour tous ces motifs, l’appel sera accueilli en partie, avec dépens, et la question est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations au motif que la moitié des profits découlant de l’achat et de la vente du bien doit être ajoutée au revenu de l’appelant pour son année d’imposition 1997, en tant que revenu d’entreprise.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour d’octobre 2003.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 4jour de mai 2004.

 

 

 

Ingrid B. Miranda, traductrice

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