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Dossier : 2003-910(GST)G

ENTRE :

CARL JEFFREY McGOWEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

Appel entendu le 11 mai 2005, à Vancouver (Colombie-Britannique).

Devant : L'honorable juge Campbell J. Miller

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me P. Daniel Le Dressay

Avocate de l'intimée :

Me Lynn M. Burch

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation de taxe établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 17 juillet 2002 et porte le numéro 69340, est rejeté, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mai 2005.

« Campbell J. Miller »

Le juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de mai 2006.

Yves Bellefeuille, réviseur


Référence : 2005CCI353

Date : 20050519

Dossier : 2003-910(GST)G

ENTRE :

CARL JEFFREY McGOWEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Miller

[1]      Monsieur McGowen interjette appel de la cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) en vertu de l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ) par laquelle le ministre réclamait à M. McGowen, à titre d'administrateur de la société Panda Marketing (1997) Ltd. (la « société Panda » ), un montant de 61 215,98 $ pour l'omission de la société Panda de verser un montant de taxe nette. Monsieur McGowen soutient qu'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence que l'exige le paragraphe 323(3) de la Loi pour ne pas encourir de responsabilité.

[2]      Monsieur McGowen est un homme d'affaires accompli depuis bien des années. Il m'a paru être un homme direct ayant un bon sens des affaires. J'accepte son témoignage selon lequel il n'a jamais eu de difficultés avec l'Agence du revenu du Canada (l' « ARC » ) en ce qui concerne ses entreprises avant que la situation dont je suis saisi ne survienne, où il a confié la gestion de son entreprise à un gérant peu habile. La question à déterminer est de savoir jusqu'où un administrateur doit aller pour veiller à ce que l'équipe de gestion de son entreprise, dont il sait qu'elle est incompétente, respecte les exigences de la Loi. Monsieur McGowen est-il allé assez loin pour respecter la norme à la fois objective et subjective établie par la jurisprudence? Bien que j'aie l'impression que M. McGowen est un homme d'affaires honnête et direct, je suis d'avis qu'il n'a pas respecté la norme requise.

Les faits

[3]      Monsieur McGowen et son frère ont monté une chaîne de dépanneurs connus sous le nom de Macs, qu'ils ont vendue au début des années 1970. Pendant les années 1980, ils ont lancé une autre chaîne de dépanneurs, celle-ci appelée Hasty Market. Monsieur McGowen a eu beaucoup de succès dans le secteur de la vente au détail.

[4]      En 1995, M. McGowen s'est allié à M. David Chong, qui avait déjà travaillé pour les dépanneurs Macs. Monsieur McGowen avait aidé M. Chong à ouvrir un dépanneur à Calgary en vertu d'un contrat de franchise. Monsieur McGowen était impressionné par les habiletés de M. Chong. En 1996, M. Chong s'est engagé dans le franchisage de boutiques de fleurs. Monsieur Chong voulait être indépendant de la société d'Edmonton, Growers Direct, avec laquelle il était associé. Il voulait que M. McGowen soit son associé dans le développement et le franchisage de boutiques de fleurs.

[5]      Monsieur McGowen trouvait que ce genre d'entreprise de fleurs coupées convenait très bien au franchisage. De toute évidence, il aimait bien M. Chong et était impressionné par ses capacités de mise en marché.

[6]      Monsieur McGowen a commencé à fournir une aide financière à M. Chong en pensant que les deux deviendraient associés. Les avocats ont dressé les documents nécessaires relatifs à l'entente, mais l'affaire n'a jamais été conclue. Tout au long de 1996, M. Chong a connu beaucoup de difficultés financières dans l'exploitation de son entreprise en Alberta, comme le confirment les communications entre M. McGowen à Vancouver et M. Chong à Calgary. Par exemple, en janvier 1996, M. Chong a écrit à M. McGowen pour lui dire qu'il avait un [TRADUCTION] « urgent besoin d'argent pour empêcher que les fournisseurs poursuivent en justice » . Monsieur Chong a même laissé entendre qu'il avait besoin de 120 000 $. Monsieur McGowen ne lui a pas envoyé 120 000 $ à ce moment-là, mais, en date de janvier 1997, il avait avancé environ 200 000 $ à M. Chong.

[7]      En octobre 1996, M. McGowen a envoyé une note[1] à M. Chong pour lui dire qu'il devait ouvrir un nouveau compte bancaire parce que [TRADUCTION] « le fédéral avait saisi » des fonds dans les comptes existants. Monsieur McGowen a demandé une liste des dettes d'exploitation, y compris les articles fournis. Monsieur McGowen a témoigné qu'il a demandé continuellement à M. Chong d'instaurer des systèmes adéquats.

[8]      En novembre 1996, M. Chong a fait savoir à l'appelant que les chèques de paie étaient toujours sans provision, que l'ARC avait pris entre 5 000 $ et 6 000 $, que le « service de la TPS » avait pris environ 9 600 $, que la banque avait pris 6 500 $ pour réduire le découvert bancaire, qu'il ne pouvait plus faire l'entretien de ses fourgonnettes de livraison et qu'il risquait d'être expulsé de ses locaux. Les choses semblaient effectivement aller très mal pour M. Chong. Monsieur McGowen a demandé à M. Chong de lui fournir les [TRADUCTION] « relevés de TPS et de revenus » .

[9]      Au début de 1997, M. McGowen a laissé entendre à M. Chong que la meilleure façon de procéder serait que M. Chong [TRADUCTION] « cède la société » à M. McGowen, mais que M. Chong continue à la gérer. Le 27 février 1997, les sociétés de M. Chong ont vendu à la société nouvellement constituée de M. McGowen, la société Panda, tous les éléments d'actif de leurs boutiques de fleurs en contrepartie de la remise de la dette de M. Chong, laquelle s'élevait à environ 203 000 $. Monsieur McGowen était le seul administrateur et le seul actionnaire de la société Panda.

[10]     Dans le cadre de ce nouveau régime, M. Chong a continué à exploiter l'entreprise en Alberta, et il est évident qu'il a continué à le faire d'une façon qui peut très bien être qualifiée d'irresponsable sur le plan financier. À titre de comptable indépendant, M. John W. Dicks a dit plus tard ce qui suit[2] :

[TRADUCTION]

[...] C'était très mal exploité.

Des registres manquaient; d'autres étaient incomplets et mal organisés. J'ai donc dû passer énormément de temps à refaire les registres et à demander des copies pour compléter les résumés financiers. [...]

Monsieur McGowen a convenu que cette remarque reflétait bien les compétences en gestion financière de M. Chong.

[11]     Monsieur Chong a embauché M. Doug Stone en 1997, mais on ne sait pas exactement quelles étaient les tâches de M. Stone. Il a travaillé pour la société pendant quelques mois seulement parce qu'il a été découvert qu'il volait des fonds à la société. Monsieur Chong a continué à avoir du mal à respecter les obligations financières de la société. Monsieur McGowen a expliqué qu'il a dû lui-même traiter avec les responsables de la ville de Calgary pour arriver à une entente concernant l'obligation de la société Panda relativement à la taxe d'affaires de la ville.

[12]     Au début de l'année 1998, M. McGowen savait que la société Panda continuait à avoir des difficultés avec l'ARC. Il a autorisé l'ARC à communiquer directement avec M. Chong ou avec M. Randy Bloy, un résident de la Colombie-Britannique à qui M. McGowen avait demandé d'aider M. Chong, bien que M. Bloy ait refusé de le faire. Monsieur McGowen a dit qu'il a envoyé sa propre commis comptable, Lottie Frewin, en Alberta trois ou quatre fois pour aider à rectifier la situation. Madame Frewin n'a pas témoigné, et aucun document ni aucune note indiquant quand elle est allée à Calgary ou ce qu'elle est allée faire à Calgary n'a été présenté en preuve. Monsieur McGowen a dit qu'il croyait avoir déclenché quelque chose dont il n'était plus maître, mais qu'il ne pensait pas pouvoir congédier M. Chong, car :

a)        M. Chong était en Alberta;

b)       M. McGowen ne voulait pas quitter la Colombie-Britannique et, plus précisément, il ne voulait pas gérer les boutiques de fleurs;

c)        M. Chong était un [TRADUCTION] « bon gars » ;

d)       M. McGowen croyait toujours que M. Chong rachèterait l'entreprise.

[13]     Monsieur McGowen était parfaitement au courant des difficultés financières de la société et en particulier des difficultés avec l'ARC, bien qu'il ait dit que l'ARC n'était qu'une partie parmi bien d'autres, y compris les fournisseurs, avec qui la société avait des difficultés.

[14]     Le 7 avril 1998, M. McGowen a reçu une lettre de l'ARC[3], dont voici un extrait :

[TRADUCTION]

Pour ce qui est du compte de TPS de la société, nous ne recevons pas les déclarations trimestrielles requises, et ce, depuis que la société a été enregistrée le 18 mars 1997. En ce moment, les déclarations pour les périodes se terminant les 31 mars 1997, 30 juin 1997, 30 septembre 1997 et 31 décembre 1997 sont très en retard, et nous envisageons d'établir des cotisations supplémentaires pour ces périodes si des mesures ne sont pas prises immédiatement en vue de la production de ces déclarations. Nos dossiers indiquent que nous avons reçu une déclaration de TPS prétendument pour la période allant du 24 février 1997 au 30 juin 1997 et dans laquelle un remboursement de TPS de 512,79 $ est demandé. Cependant, la déclaration en question n'est pas acceptable car la période qu'elle vise commence à une date antérieure à la date d'entrée en vigueur de l'enregistrement de la société et vise plus d'une période de déclaration.

Nous avons communiqué, ou nous communiquerons, avec M. Chong pour parler de ces problèmes de compte, mais nous jugions opportun d'informer la société et son seul administrateur de la situation. Comme nous l'avons déjà signalé, la situation créée par toutes ces sommes en retard et par les déclarations en retard dans le cas des deux comptes est inacceptable, et nous espérons qu'elle sera rectifiée très bientôt, faute de quoi nous devrons envisager de prendre des mesures visant à faire respecter la loi, ce qui pourrait comprendre une action en justice.

Après avoir reçu la lettre, M. McGowen a communiqué avec M. Chong pour [TRADUCTION] « essayer d'ouvrir le bal » . Toutefois, il semblerait que M. McGowen ait dû lui-même traiter avec l'ARC, comme le montre une lettre que l'ARC a envoyée à M. McGowen le 8 juin 1998 pour confirmer une entente conclue par elle et M. McGowen selon laquelle la société verserait un montant de 3 000 $ pour les arriérés et émettrait 18 chèques postdatés de 1 000 $ chacun. Toutefois, ces mesures avaient pour but de combler l'arriéré des retenues à la source seulement. Monsieur McGowen a envoyé une note sur l'entente à M. Chong.

[15]     En décembre 1998, l'ARC a de nouveau écrit à la société Panda[4], avec une copie conforme à M. McGowen, cette fois pour demander que la société fournisse les documents suivants :

[TRADUCTION]

1.          Une copie de la convention d'achat conclue par Panda Marketing (1997) Ltd. et Panda Flowers Inc., 486567 Alberta Ltd., 504336 Alberta Limited, 548687 Alberta Limited, 676988 Alberta Limited, 674621 Alberta Limited, 674260 Alberta Limited, 685890 Alberta Limited et 455413 B.C. Ltd., y compris une copie de toutes les annexes et de tous les appendices qui indiquent en détail le matériel, les accessoires fixes et tout autre élément d'actif;

2.          Les relevés bancaires, les chèques oblitérés et les registres des dépôts pour la période allant du 1er mars 1996 au 31 octobre 1998;

3.          Les registres des chèques pour la période allant du 1er mars 1996 au 31 octobre 1998;

4.          Les registres des créances, y compris les copies des factures, les journaux généraux, les grands livres et, si elles sont tenues, les listes des créances en ordre chronologique pour la période allant du 1er mars 1996 au 31 octobre 1998.

Le 29 avril 1999, M. McGowen a envoyé à M. Chong par télécopieur une liste détaillée de questions sur la situation financière de la société. Voici un extrait de la liste[5] :

[TRADUCTION]

5.          Il nous faut des copies de tous les bordereaux de dépôt du livret de dépôt ou de chaque dépôt fait aux deux banques depuis le 1er juin 1997. Nous payons de l'impôt sur les revenus même si certains de ces dépôts ne sont que des prêts, etc. Peut-être qu'Irene a prêté de l'argent.

6.          Il nous faut une preuve (chèques oblitérés, copies des bordereaux de dépôt) de toutes les opérations auxquelles Irene Pang a participé depuis le mois de février 1997.

10.        Il nous faut toute l'information qui porte sur la paie et sur Revenu Canada pour la période allant de février/mars 1997 jusqu'à ce que la banque ait commencé à s'occuper de votre paie. Nous ne recevons que le montant net de la paie et non le montant des retenues ou des contributions.

11.        Comme ci-dessus pour ce qui est de la TPS.

Monsieur McGowen s'était rendu compte que les capacités de gestion de M. Chong empiraient. En juin 1999, la société Panda a vendu ses éléments d'actif.

[16]     Au moyen d'un avis de cotisation daté du 29 septembre 1999, le ministre a établi une cotisation à l'égard de la société Panda pour un montant de TPS (taxe sur les produits et services) non déclaré de 142 685 $, des intérêts de 8 432 $ et des pénalités de 11 173 $. Monsieur McGowen a embauché un comptable, M. John Dicks, pour que celui-ci examine la situation de TPS de la société et qu'il donne suite à cette cotisation. La société Panda s'est opposée à la cotisation, le ministre a ratifié la cotisation et la société Panda a interjeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt. Monsieur Dicks a été la seule personne à témoigner pour la société Panda au procès. Par suite de la décision de réduire l'obligation fiscale de la société Panda, rendue par la Cour canadienne de l'impôt en mars 2002, un bref de saisie-exécution relatif à l'obligation de la société Panda a été enregistré auprès de la Cour fédérale du Canada, et il y a eu défaut d'exécution total à l'égard du montant à payer. Le 17 juillet 2002, le ministre a établi, à l'égard de l'appelant, une cotisation relativement à la TPS non versée par la société Panda s'élevant à 45 425,12 $ pour la période allant du 1er avril 1998 au 31 décembre 1998, plus des intérêts et des pénalités, pour un total de 61 215,98 $.

Analyse

[17]     La seule question à déterminer est de savoir si M. McGowen a agi avec le degré de diligence nécessaire pour que s'applique le paragraphe 323(3) de la Loi, lequel est libellé comme suit :

323(3) L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[18]     La première question à examiner consiste à déterminer de quelle manière la norme de soin prévue par l'article 323 doit s'appliquer à M. McGowen. Les deux parties ont invoqué l'arrêt Soper c. Canada[6], rendu par la Cour d'appel fédérale, mais elles ont tiré des conclusions différentes en ce qui a trait à l'application du principe aux administrateurs internes par opposition aux administrateurs externes en l'espèce. Selon l'appelant, il n'a qu'à respecter la norme qui s'applique aux administrateurs externes, tandis que l'intimée insiste pour que j'applique la norme plus stricte qui vaut pour les administrateurs internes. L'intimée m'a renvoyé à l'arrêt Weyand c. La Reine[7], où le juge Mogan a conclu que lorsqu'une société n'a qu'un seul administrateur et que cette personne sait qu'elle est le seul administrateur, alors cette personne est implicitement un administrateur interne.

[19]     Je ne pense pas qu'il soit toujours nécessaire de ranger un administrateur parmi les administrateurs internes ou les administrateurs externes, car le juge Robertson a dit dans l'arrêt Soper :

44         Je tiens tout d'abord à souligner qu'en adoptant cette démarche analytique, je ne donne pas à entendre que la responsabilité est simplement fonction du fait qu'une personne est considérée comme un administrateur interne par opposition à un administrateur externe. Cette qualification constitue plutôt simplement le point de départ de mon analyse. Mais cependant, il est difficile de nier que les administrateurs internes, c'est-à-dire ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable. Pour ces personnes, ce sera une opération ardue de soutenir avec conviction que, malgré leur participation quotidienne à la gestion de l'entreprise, elles n'avaient aucun sens des affaires, au point que ce facteur devrait l'emporter sur la présomption qu'elles étaient au courant des exigences de versement et d'un problème à cet égard, ou auraient dû l'être. Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l'élément subjectif de la norme de prudence devrait primer l'aspect objectif de la norme.

De plus, dans la décision La Reine c. Corsano[8], la Cour d'appel fédérale a fait le commentaire suivant au sujet de l'arrêt Soper :

23         Il est vrai que notre Cour a déclaré dans Soper que « [l]a norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple » . Il ressort toutefois clairement de la lecture de ce jugement que c'est l'application de la norme qui est souple, à cause des connaissances, des facteurs et des circonstances variés et différents qu'il faut apprécier pour déterminer si, dans une situation donnée, un administrateur s'est conformé à la norme de prudence prévue dans la Loi. Le paragraphe 227.1(3) n'établit qu'une seule norme applicable à tous les administrateurs, celle de savoir s'ils ont agi avec le degré de prudence, de diligence et d'habileté requis pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

24         [...] Tous les administrateurs de toutes les corporations sont responsables de tout manquement à l'unique norme de prudence prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi. La souplesse se situe au niveau de l'application de la norme, puisque les qualifications, compétences et attributs des administrateurs varient d'une situation à l'autre. Il en va de même des circonstances entourant l'omission de conserver et de remettre les sommes dues.

[20]     La meilleure façon de faire serait donc d'examiner la situation de l'administrateur au moment en question pour déterminer la façon dont il faut appliquer la norme de soin, ce qui ne veut pas dire qu'il y a différentes normes de soin. Le fait qu'une personne soit un administrateur interne ou un administrateur externe aura une incidence sur l'application de la norme de soin, mais il y a plusieurs autres facteurs à examiner. Voici la situation dans laquelle M. McGowen se trouvait pendant la période de cotisation, soit la période allant d'avril à décembre 1998 :

(i)       il était l'unique administrateur de la société Panda;

(ii)       il avait un très bon sens des affaires;

(iii)      il était résident de la Colombie-Britannique, mais l'entreprise était en Alberta;

(iv)      il était parfaitement au courant des problèmes financiers de la société Panda, et en particulier des manquements de la société Panda envers l'ARC;

(v)      il savait que les manquements découlaient de l'incompétence de M. Chong sur le plan de la gestion des affaires financières de la société Panda, notamment en ce qui concernait l'ARC;

(vi)      il a financé la société Panda pour aider à remédier à ces problèmes financiers;

(vii)     il savait qu'il risquait d'avoir à assumer une responsabilité personnelle.

[21]     Le fait de qualifier M. McGowen d'administrateur interne ou d'administrateur externe ne change rien au fait qu'il était certainement un administrateur qui jouait un rôle dans la société, qui avait une solide expérience dans le domaine des affaires et qui a toujours été au courant des manquements de sa société. Monsieur McGowen n'était pas un administrateur naïf, non averti, ignorant ou passif. Bien au contraire. Dans ce genre de situation, pour satisfaire à l'exigence d'agir avec soin pour éviter que l'entreprise continue à manquer à ses obligations, l'administrateur doit exercer des efforts importants. Les efforts ne sont pas obligés de donner de bons résultats, mais, dans ce genre de situation, les efforts doivent être déployés immédiatement, ils doivent être énergiques, et il faut que les chances qu'ils donnent lieu à de bons résultats soient raisonnables.

[22]     Quelles mesures M. McGowen a-t-il prises d'avril à décembre 1998? Il a sans cesse « couru après » M. Chong, mais cela ne constitue pas une mesure positive ou énergique. En fait, à mon avis, le soutien indéfectible que M. McGowen a donné à M. Chong en toute conscience de l'incapacité de celui-ci de s'occuper de cette question constitue une approche négative, et non une approche positive. La raison que M. McGowen a donnée pour avoir gardé M. Chong dans le poste de gérant montre, tout au moins, un optimisme irréaliste et, au plus, un refus volontaire de voir la réalité commerciale. De toute façon, il ne s'agit pas de la manière dont une personne raisonnablement prudente aurait agi.

[23]     Monsieur McGowen a dit qu'au cours de la période de deux ans et demi, il a envoyé sa commis comptable de la Colombie-Britannique en Alberta trois ou quatre fois. Je conclus qu'au printemps 1998, soit le début de la période de cotisation en question, M. McGowen savait que ce que faisait Mme Frewin n'avait aucune incidence sur la capacité de la société à respecter ses obligations en matière de production de déclaration et de versement. Je ne vois pas en quoi cette mesure aurait pu raisonnablement donner lieu à de bons résultats.

[24]     Selon M. McGowen, la demande qu'il a faite auprès de M. Bloy était une mesure positive qui montre qu'il a fait preuve de diligence raisonnable pour régler le problème. Monsieur McGowen a fait appel à M. Bloy avant le mois de mars 1998, et M. McGowen a témoigné que M. Bloy, après avoir rencontré M. Chong, a refusé de l'aider. Il ne s'agit pas d'un effort important de la part de M. McGowen pour remédier au manquement de la société, et ce, surtout pas pendant la période visée par la cotisation en question.

[25]     Il est vrai que M. McGowen a traité directement avec l'ARC, mais son intervention a consisté davantage en une aide pour le recouvrement des arriérés (principalement les arriérés de retenues à la source) qu'en une garantie que les déclarations et les versements de TPS seraient faits dorénavant à temps. Ce n'est qu'après la période de cotisation que M. McGowen a pris une mesure énergique et positive, soit embaucher un cabinet comptable pour examiner les registres de la société et arriver aux bons chiffres pour les besoins de la TPS. Monsieur Dicks a fait cela bien des mois après que le mal a été fait et après que la cotisation a été établie. Compte tenu du rendement continuellement désastreux de M. Chong, pourquoi M. McGowen n'a-t-il pas embauché M. Dicks en avril 1998? Voilà ce qu'une personne raisonnablement prudente aurait fait dans les mêmes circonstances. Monsieur McGowen n'a pas respecté la norme de soin exigée par l'article 323.

[26]     Il est vrai que M. McGowen n'était plus du tout maître de la situation comme il l'a dit, mais que ce soit en raison de son amitié avec M. Chong ou d'un optimisme irréaliste, M. McGowen n'a pratiquement rien fait pour maîtriser la situation. Il n'a pas agi avec autant de soin, de diligence et de compétence que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. L'appel est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mai 2005.

« Campbell J. Miller »

Le juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de mai 2006.

Yves Bellefeuille, réviseur

RÉFÉRENCE :

2005CCI353

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-910(GST)G,

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Carl Jeffrey McGowen

et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 11 mai 2005

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Campbell J. Miller

DATE DU JUGEMENT :

Le 19 mai 2005

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me P. Daniel Le Dressay

Avocate de l'intimée :

Me Lynn M. Burch

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Me P. Daniel Le Dressay

Étude :

Le Dressay & Company

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           Pièce A-1, onglet 3

[2]           Pièce A-1, onglet 25

[3]           Pièce A-1, onglet 11

[4]           Pièce A-1, onglet 18

[5]           Pièce A-1, onglet 15

[6]           [1998] 1 C.F. 124.

[7]           no 2001- 4516(GST)G, 10 mai 2004, 2004 CCI 355.

[8]           [1999] 3 C.F. 173.

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