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Dossier : 2000-2628(IT)G

ENTRE :

SUZANNE BEAUDRY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu les 9 décembre 2002 et 24 mars 2003

à Québec (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Jocelyn Vézina

Avocate de l'intimée :

Me Dominique Gallant

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1999 est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen en prenant pour acquis que la juste valeur marchande au moment du transfert, le 17 avril 1996, était de 115 000 $, le tout avec dépens en faveur de l'intimée, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada ce 31e jour de juillet 2003.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2003CCI464

Date : 20030731

Dossier : 2000-2628(IT)G

ENTRE :

SUZANNE BEAUDRY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      Il s'agit d'un appel initié suite à l'avis de cotisation no 15979 en date du 18 août 1999 et émis en vertu du paragraphe 160(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[2]      La question en litige consiste à déterminer si la juste valeur marchande (la « J.V.M. » ) au moment du transfert intervenu le ou vers le 17 avril 1996 était d'au moins 118 300 $.

[3]      Pour établir les nouvelles cotisations, l'intimée a pris pour acquis les faits suivants :

a)          l'appelante est la conjointe de monsieur Jean Déziel, et ce depuis avant l'année 1996;

b)          monsieur Jean Déziel était propriétaire d'une résidence située au 82, avenue Samuel-Miller à Baie Comeau (la « propriété » );

c)          le ou vers le 17 avril 1996, monsieur Jean Déziel a transféré la propriété à l'appelante;

d)          monsieur Jean Déziel avait une dette envers le ministre du Revenu national à l'égard de l'année du transfert et d'une année antérieure qui s'élevait à 99 096,55 $ au moment de la cotisation le 16 avril 1999;

e)          le 16 avril 1999, la dette était répartie comme suit :

Année d'imposition

1995

1996

Total

Impôt

1 386,44 $

56 577,22 $

57 963,55 $

Intérêts

356,19 $

12 930,19 $

13 286,38 $

Pénalités

            0 $

27 846,62 $

27 846,62 $

Total

1 742,52 $

97 354,03 $

99 096,55 $

f)           selon l'acte 184256 enregistré au bureau de la publicité des droits de Baie-Comeau, le transfert de la propriété s'est fait en échange d'une somme de 83 921,94 $;

g)          la juste valeur marchande de la propriété au 17 avril 1996 était d'au moins 118 300 $.

[4]      Pour soutenir et faire la preuve de la J.V.M., l'intimée a eu recours à un expert à son emploi, en l'occurrence monsieur Gaston Laberge, évaluateur agréé.

[5]      Dans un premier temps, pour les fins de la cotisation, monsieur Laberge a évalué l'immeuble litigieux à 118 300 $.

[6]      Il appert de la preuve que cette évaluation a été établie suite à une analyse très sommaire.

[7]      De toute évidence, le montant de l'évaluation municipale a constitué l'élément déterminant pour l'attribution de la J.V.M. de 118 300 $ ayant servi de base de référence à la cotisation.

[8]      Suite à la contestation de la cotisation devant cette Cour, l'intimée a donné à son expert, monsieur Laberge, un deuxième mandat de procéder à une évaluation soutenue par un examen plus fouillé et plus approfondi.

[9]      Des suites de ce deuxième mandat, l'expert Laberge a conclu que la valeur de l'immeuble se chiffrait à 124 800 $. Il a soutenu sa conclusion par un travail plus élaboré dont le principal fondement a été sept (7) comparables.

[10]     L'expert a expliqué le cheminement justifiant sa conclusion. Il a reconnu ne pas avoir visité l'intérieur de la résidence et avoir fait un examen plutôt sommaire de l'extérieur.

[11]     Une partie de son travail a été fait à partir des fiches descriptives utilisées par la municipalité pour l'évaluation municipale, lesquelles faisaient mention de deux demandes de permis faisant état de l'exécution de travaux postérieurs à la date du transfert le 17 avril 1996.

[12]     Monsieur Laberge, à la lumière des fiches descriptives consultées à la municipalité, a pris pour acquis qu'il s'agissait d'une construction dont les composantes se situaient dans la normale, c'est-à-dire ni supérieures ni inférieures; il n'a pas visité les lieux pour confirmer ou infirmer sa perception.

[13]     Cette lacune, ajoutée au fait que monsieur Laberge était un employé de l'intimée, affecte la qualité du travail exécuté. En soi, le fait d'être un employé du mandant qui requiert la préparation d'une expertise n'a pas pour effet automatique de disqualifier le travail.

[14]     Je crois cependant que cela sous-entend la production d'un travail impeccable. Souvent l'expertise est, comme en l'espèce, le résultat d'une deuxième analyse. Une première évaluation pour permettre d'établir l'avis de cotisation avait déjà été soumise sur la foi d'éléments très sommaires voire même superficiels. Le mandat de préparer un rapport étoffé a, sans doute, découlé de l'Avis d'appel devant la Cour canadienne de l'impôt. Dans les circonstances, il eût été sage de visiter les lieux, eu égard qu'il avait déjà soumis une première évaluation très peu sinon aucunement documentée.

[15]     Pour ce qui est de l'expertise soumise par l'appelante, elle soulève aussi des interrogations. Le travail d'évaluation de monsieur Gaétan Gagné a été exécuté conformément aux règles de l'art en matière d'évaluation. Tout comme celui de l'expert de l'intimée, monsieur Laberge.

[16]     Je m'empresse de rappeler cependant que l'évaluation n'est pas une science exacte et que les règles de l'art font une place considérable aux appréciations subjectives des experts notamment quant au choix des immeubles comparables, des pourcentages de diverses dépréciations applicables, etc., etc.

[17]     De plus, les experts en évaluation disposent d'une multitude de facteurs ou d'éléments pour justifier l'utilisation ou le rejet des données constituantes de leur expertise.

[18]     En l'espèce, l'expert Gagné s'est beaucoup fié aux représentations de son client, conjoint de l'appelante; ce constat découle de plusieurs de ses commentaires. Il a d'ailleurs reconnu ne pas avoir fait l'analyse des fiches municipales. De telles fiches auraient permis de connaître les dates précises quant à l'exécution de certains travaux. Il a aussi accordé une importance appréciable au fait que le niveau de plancher du garage était beaucoup inférieur au niveau de l'accès extérieur. Il a insisté sur certains défauts décrits par son client quant à l'état des lieux, au fait que le foyer était inutilisable dans sa version originale et finalement, laisser voir que la qualité des matériaux était inférieure aux normes étant donné qu'il s'agissait d'une construction artisanale.

[19]     Ayant, de toute évidence, constaté que la cotisation avait été établie à partir d'une J.V.M. calquée sur l'évaluation municipale, il a répertorié des immeubles où le prix de vente avait été inférieur au montant de l'évaluation municipale pour tenter de démontrer qu'il ne s'agissait pas là d'une référence fiable.

[20]     J'ai trouvé assez étrange que l'expert occulte de son analyse certaines transactions de résidences situées sur la même rue que l'immeuble qui fait l'objet de cet appel. La qualité des comparaisons est souvent fonction de l'emplacement puisque le site est toujours un élément très important.

[21]     Cette lacune est particulièrement manifeste du fait que l'appelante a critiqué la qualité des comparaisons retenues par l'intimée. La critique de l'appelante est assez surprenante étant donné que son propre expert n'a pas tenu compte de comparaisons disponibles et pertinentes sur la même rue.

[22]     Finalement, l'appelante a soulevé plusieurs griefs susceptibles d'affecter la qualité de l'expertise de l'intimée. Croyant que le fardeau de preuve quant à la juste valeur marchande de l'immeuble au moment du transfert incombait à l'intimée, elle a cru qu'il suffisait de discréditer l'évaluation préparée par monsieur Laberge pour avoir gain de cause.

[23]     Or, il n'y a aucun doute que le fardeau de la preuve n'incombait pas à l'intimée, mais bel et bien à l'appelante.

[24]     Depuis l'affaire Johnston v. M.N.R., 3 DTC 1182, il est reconnu que la charge revient au contribuable de démolir les faits tenus pour acquis par le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) dans l'établissement de sa cotisation.

[25]     L'honorable juge Hugessen dans l'affaire Pollock v. Canada, [1994] 1 C.T.C. 3, 94 DTC 6050, version française [1993] A.C.F. no 1055 (Q.L.), explique l'obligation qui incombe au contribuable de démolir les faits énoncés à la Réponse à l'avis d'appel:

« Le cas spécial des suppositions faites par le ministre en matières fiscales est complètement différent. Il se fonde sur la nature même d'un système d'autodéclaration et d'autocalcul de la cotisation, un système dans lequel les autorités sont obligées de se fier aux déclarations du contribuable concernant les faits et les choses dont il a particulièrement connaissance. En établissant la cotisation, le ministre peut avoir à supposer certaines choses qui diffèrent de ce que le contribuable a déclaré ou qui le complètent.

Le fardeau de la preuve que les suppositions plaidées ont mis sur les épaules du contribuable n'est nullement injuste: le contribuable, en tant que demandeur, conteste une cotisation qui a été établie concernant ses propres affaires, et il est la personne la mieux placée pour produire des éléments de preuve pertinents pour établir les faits réels. »

[26]     Il existe une exception et l'honorable juge Archambault a traité de cette exception dans la cause Gestion Yvan Drouin :

Comme c'est le Ministre qui exerce le recours contre un tiers pour recouvrer la dette fiscale qui lui est due par le débiteur fiscal, il m'apparaît tout à fait raisonnable que ce soit à lui qu'incombe la charge d'établir prima facie l'existence de la dette fiscale. Pour y arriver, le Ministre a normalement en sa possession la déclaration de revenue du débiteur fiscal et, s'il a effectué une vérification, il peut détenir des copies des pièces justificatives ou de tout autre document pertinent à l'appui de sa cotisation. C'est donc lui qui est en meilleure position pour établir le montant de la dette fiscale. J'en viens donc à la conclusion que c'est au ministre qu'incombe généralement la charge de faire la preuve prima facie de la dette fiscale lorsqu'il y a une cotisation établie en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi.

...Dès que le ministre a fait la preuve prima facie de l'existence de la dette fiscale, la charge revient au cessionnaire de présenter une preuve contraire.

[27]     Par conséquent, le Ministre, lors d'un appel concernant le paragraphe 160(1) de la Loi, doit généralement faire la preuve de l'existence de la dette fiscale puisque ce dernier est en meilleure position pour en établir le montant. Une fois la dette fiscale établie, le fardeau de preuve retombe sur le contribuable bénéficiaire du transfert donc, en l'espèce, sur l'appelante

[28]     Les deux évaluations soumises par les experts n'avaient pas la rigueur minimale pour constituer des références incontournables. Il s'agit d'évaluations réalisées en respectant des paramètres larges et généraux prévus par les règles de l'art, mais certainement pas concluantes d'une manière déterminante.

[29]     Dans un premier temps, l'expert de l'intimée a établi la J.V.M. en s'inspirant très fortement de l'évaluation municipale. Bien que le cheminement décrit ait été enrobé d'explications diplomates et de justifications diverses, je suis convaincu que le fondement en a été l'évaluation municipale; cela n'est en soi ni déraisonnable, ni arbitraire puisque généralement les municipalités procèdent d'une manière méticuleuse; elles ont à leur disposition des données pertinentes dont de multiples transactions et le pedigree de chaque immeuble sur leur territoire en raison des permis qu'elles accordent lors de l'érection, transformations ou rénovations.

[30]     L'expert de l'intimée s'est fait reprocher, avec raison d'ailleurs, de n'avoir pas procédé à un examen minutieux des lieux et particulièrement de l'intérieur de la résidence ce qui dans les circonstances constitue un grief justifié. En matière commerciale la visite en profondeur des lieux est moins importante puisque les revenus sont le fondement de la J.V.M., ce qui n'est pas le cas pour un immeuble résidentiel où l'aménagement intérieur peut avoir une incidence marquante sur la J.V.M.

[31]     L'expert de l'appelante a soulevé ce manquement tout en décriant fortement l'écart entre une première évaluation et la deuxième soumise au Tribunal.

[32]     Pour ce qui est de l'évaluation de l'appelante, elle n'est pas sans faille. Ayant constaté que la première évaluation correspondait sensiblement à l'évaluation municipale, il a répertorié des ventes comparables où le prix de vente était inférieur à l'évaluation municipale.

[33]     Une autre faiblesse de l'évaluation de monsieur Gaétan Gagné se situe au même niveau que celui reproché à la partie adverse à savoir qu'il n'a pas fait de visite minutieuse des lieux. En effet, l'expert Gagné a fait la visite des lieux en compagnie du conjoint de l'appelante où devait être déterminée la J.V.M.

[34]     Lors de cette visite, l'expert a pris pour acquis un nombre appréciable d'informations et indications d'une personne fortement intéressée par le résultat, diluant ainsi la qualité des données.

[35]     De plus, il a reconnu n'avoir consulté aucune des fiches descriptives disponibles auprès de la municipalité, lesquelles mentionnent souvent des données objectives fort pertinentes.

[36]     Il a également appliqué un taux global de dépréciation de 39 p. 100 pour un immeuble n'ayant que vingt ans d'existence. Rien dans la description des lieux ne justifiait une dépréciation aussi considérable si ce n'est la description intéressée du conjoint de l'appelante.

[37]     Finalement, monsieur Gagné a mis en doute la qualité des comparaisons prises en considération par l'expert de l'intimée. De son côté, j'ai noté que ses propres données avaient quelque chose d'assez particulier en ce que le prix de certaines ventes était inférieur au montant de l'évaluation municipale. Comment et pourquoi l'expert a-t-il occulté de son analyse des immeubles situés exactement sur la même rue que celui faisant l'objet de l'évaluation ? La preuve a été avare d'explications sur cette question.

[38]     Étant donné les précédentes observations, je conclus que ni l'une ni l'autre des évaluations ne fournit des conclusions déterminantes permettant d'y souscrire. Il s'agit d'évaluations réalisées dans un but bien arrêté, soit celui de correspondre, d'appuyer et de justifier les thèses en présence.

[39]     La preuve disponible ne permet pas de refaire l'exercice avec une rigueur absolue; je fais notamment référence aux explications intéressées du conjoint de l'appelante quant à la description des lieux et aux diverses appréciations subjectives des deux experts.

[40]     Le Tribunal détermine donc la J.V.M. à partir des données suivantes : ventes comparables colligées par les deux expertises, la qualité apparente des lieux extérieurs, la dimension des lieux, l'architecture de bon goût et certains autres éléments.

[41]     Quant à l'intérieur, l'appelante par le biais du témoignage de son conjoint, a soutenu qu'il s'agissait d'une construction artisanale de qualité très moyenne dont la valeur était fort discutable en raison de certains vices de construction. Il eût été important de ne pas négliger cet aspect et de soumettre une preuve plus élaborée que les simples affirmations intéressées du conjoint de l'appelante.

[42]     Dans un premier temps, une construction artisanale ne signifie aucunement une valeur moindre puisqu'au contraire, très souvent, ceux qui érigent une telle résidence, sachant qu'elle est pour eux, ont tendance à utiliser des matériaux de bonne qualité voire même de qualité supérieure.

[43]     En l'espèce, la preuve permettant de tirer des conclusions a été déficiente. Je ne crois pas que le fait d'affirmer que le foyer était inutilisable et que le fond du garage était d'un niveau inférieur à l'entrée, soit suffisant pour conclure qu'il s'agissait d'une construction dont la qualité était fort discutable justifiant une très forte dépréciation.

[44]     Avant que le transfert n'intervienne, la résidence avait fait l'objet d'un financement garanti par une hypothèque. Les institutions prêteuses ne consentent aucun prêt hypothécaire supérieur à 75 p. 100 de la J.V.M. à moins d'une garantie de la Société canadienne d'hypothèque et de logement (la « S.C.H.L. » ) auquel cas elles octroient des prêts allant jusqu'à 90 p. 100 ou 95 p. 100 de la J.V.M.

[45]     Le prêt obtenu avant le transfert constitue un élément additionnel démontrant une J.V.M. supérieure à celle attribuée par l'appelante.

[46]     Affirmer que l'excellence de la situation financière habituelle de la compagnie expliquait la dérogation aux normes, à l'effet que les banques ne doivent pas consentir de prêt dont la valeur dépasse 75 p. 100 de la juste valeur marchande, n'est pas suffisant.

[47]     D'autre part, au moment du transfert, l'institution prêteuse a dû intervenir; le débiteur hypothécaire devenait alors l'appelante et non plus la compagnie ni son conjoint. Conséquemment, la bonne santé financière de la compagnie et celle du conjoint de l'appelante n'avaient aucune incidence sur la qualité de la créance désormais due par l'appelante des suites du transfert. Il eût été important et très intéressant que le prêteur hypothécaire vienne lui-même établir les circonstances particulières de toutes ces transactions si telle était la situation.

[48]     Le Tribunal tient également compte de l'évaluation municipale qui certes ne constitue pas une référence d'une fiabilité absolue, mais essentiellement une donnée pouvant avoir une certaine valeur. Il peut y avoir des particularités qui échappent aux responsables du rôle d'évaluation municipale.

[49]     L'évaluation municipale constitue la base du calcul du montant que les citoyens doivent assumer en taxes foncières; la procédure prévoit que tout contribuable non satisfait du montant attribué à sa propriété peut contester le montant de son évaluation. En l'espèce, la preuve a démontré que ni l'appelante ni son conjoint ni la compagnie qui en avait déjà été propriétaire n'avait exprimé de contestation laissant ainsi croire que le montant d'évaluation municipale établi à 118 300 $, n'était pas exagéré.

[50]     Pour toutes ces raisons, je fixe la J.V.M. de l'immeuble qui a fait l'objet du transfert et des suites duquel fut émise la nouvelle cotisation, à 115 000 $.

[51]     Bien que l'appel concerne exclusivement l'appelante, cette dernière n'a pas témoigné. D'ailleurs, au niveau de l'opposition, les représentations ont également été élaborées par le conjoint de l'appelante avec son autorisation évidemment. À quelques reprises, ce dernier s'est exprimé comme si l'appelante avait agi essentiellement comme prête-nom.

[52]     Outre la question de l'évaluation, l'appelante, non présente, a fait valoir par le biais du témoignage de son conjoint qu'elle avait contribué pour un montant beaucoup supérieur à la considération prévue lors du transfert en avril 1996.

[53]     Son conjoint a beaucoup insisté sur le fait que le transfert avait eu lieu dans un contexte de pure bonne foi, puisqu'il ignorait tout de l'éventuelle dette fiscale. Il a aussi ajouté qu'il n'avait aucune intention de s'y soustraire par le transfert.

[54]     Aucuneintention de se soustraire à ses obligations n'est requise pour l'application du paragraphe 160(1) de la Loi. D'autre part, l'ignorance de la dette fiscale du tiers ne peut constituer une défense. L'Honorable juge Tremblay dans la cause Nanini c. Canada, (1994) A.C.I. no 426, aux paragraphes 52 et 53 déclare ce qui suit sur ce sujet :

La Cour tient à souligner que même si l'appelant, comme il le soutient, n'était pas au courant de la dette fiscale d'Amusement Charlesbourg lors de l'émission du dividende de 150 000 $ en 1987, ce fait ne peut pas constituer une défense.

L'interprétation de la disposition 160(1)e) de la Loi est claire et confirmée par la jurisprudence, entre autres, de l'affaire Randall : « Que l'appelant ne soit pas au courant d'une dette fiscale de la compagnie ne constitue pas une défense » .

[55]     L'Honorable juge Dussault dans la cause Montreuil v. Canada, (1994) DTC 1821, au paragraphe 21, affirme que l'intention d'évasion fiscale n'est pas requise pour l'application de l'article 160 de la Loi.

[56]     L'appelante a également fait valoir qu'elle ne connaissait pas l'existence de la dette fiscale au moment du transfert.

[57]     Pour les fins de l'article 160 de la Loi, un contribuable peut engager sa responsabilité pour l'année où le transfert a lieu ou toute année précédente si à la fin d'une de ces années la personne avec laquelle le contribuable a un lien de dépendance a une dette fiscale.

[58]     Dans la cause Raphael c. Canada, (2000) A.C.I. no 688, au paragraphe 2, l'Honorable juge Mogan reprend les conditions d'applications établies par l'Honorable juge Hamlyn dans Doreen Williams c. La Reine, A.C.I. no 98-1604, 24 juillet 2000 :

(i)          il doit y avoir eu un transfert de biens;

(ii)        il faut que l'auteur et le bénéficiaire du transfert aient un lien de dépendance;

(iii)       le bénéficiaire du transfert ne doit pas avoir donné de contrepartie à l'auteur du transfert (ou doit lui avoir donné une contrepartie insuffisante);

(iv)       l'auteur du transfert devait payer un montant en vertu de la Loi au cours de l'année dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année antérieure ou pour une de ces années.

[59]     La quatrième condition démontre bien que même si la dette fiscale est établie après le transfert mais avant la fin de l'année fiscale, le contribuable peut engager sa responsabilité. D'ailleurs dans la note technique de 1987, le Ministre a exprimé la même opinion:

Responsabilité solidaire en cas de transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance LIR 160(1)

Article 52

En cas de transfert d'un bien entre personnes ayant un lien de dépendance, le paragraphe 160(1) de la Loi prévoit que le cessionnaire est solidairement tenu avec le cédant de payer les impôts de celui-ci pour l'année d'imposition du transfert ou une année antérieure, à concurrence de l'excédent de la juste valeur marchande du bien sur le montant versé en contrepartie de ce bien. Le sous-alinéa 160(1)e)(ii) est modifié afin de préciser que la responsabilité solidaire s'applique non seulement aux impôts payables sur le revenu du cédant, mais aussi à tout montant dont le contribuable est redevable au titre des retenues à la source que celui-ci est tenu de remettre au cours de cette année ou d'une année antérieure.

[60]     La doctrine[1] résume bien aussi l'application de l'article 160 de la Loi :

Autrement dit, si tous les autres éléments de l'article 160 L.I.R. sont présents mais que la dette fiscale de l'auteur est une dette payable à l'égard d'une année d'imposition postérieure à l'année du transfert, l'article 160 L.I.R. ne s'appliquera pas, car il n'y avait aucune dette fiscale pour l'année d'imposition du transfert ou pour une année d'imposition antérieure.

Cependant, si effectivement une dette fiscale existe en ce qui a trait à l'année du transfert ou une année antérieure, l'article 160 L.I.R. s'appliquera, et ce, peu importe la date de la cotisation de l'auteur du transfert.

[61]     Il ressort donc clairement que tout cessionnaire en vertu de l'article 160 de la Loi est responsable de toute dette due à la fin de l'année fiscale où le transfert a été fait jusqu'à concurrence évidemment de l'enrichissement de son patrimoine.

[62]     D'autre part, je ne suis pas convaincu de la pure et absolue bonne foi du conjoint de l'appelante à cet égard. En effet, des suites de la vente de l'entreprise, il a encaissé des montants comptants substantiels disparus complètement dans des circonstances dont la transparence n'a pas été établie de manière très convaincante.

[63]     Quant à l'apport ou à la contribution de l'appelante lors de l'acquisition de la résidence qui a fait l'objet du transfert, le fardeau de la preuve lui incombait. Pour relever un tel fardeau, il eût fallu étoffer et documenter les vagues affirmations verbales de son conjoint à cet effet. Le minimum acceptable aurait été que l'appelante témoigne sur cet aspect d'autant plus qu'il n'a pas été soumis de preuve documentaire.

[64]     Conséquemment, la preuve relative à une contribution plus élevée que celle mentionnée à l'acte notarié a été totalement déficiente et ne permet aucunement de conclure au bien-fondé de cet argument.

[65]     Le conjoint de l'appelante a soumis que cette dernière avait déboursé une contrepartie qui correspondait largement à la juste valeur marchande de la résidence. Il a ainsi soutenu que la contrepartie se situait aux environs de 110 000 $.

[66]     À cet effet, la preuve n'a fait référence à aucun fait précis confirmé par une preuve documentaire adéquate. Des affirmations vagues et générales ne sont certainement pas suffisantes pour relever le fardeau de la preuve auquel était assujettie l'appelante.

[67]     Pour avoir gain de cause, il eût fallu que l'appelante fasse une preuve claire, cohérente, soutenue par des données et documents objectifs tels, copie de chèques, fiches bancaires, etc. Un transfert de bien entre conjoints peut générer des conséquences tant sur le plan fiscal que sur le plan civil et peut être motivé par une multitude de raisons valables et légitimes; il peut aussi appauvrir le patrimoine du cédant et cela, au détriment de ses créanciers d'où l'importance d'être en mesure de soumettre une preuve bien étoffée.

[68]     En l'espèce, la preuve soumise ne permet aucunement de tirer des conclusions voulant que l'appelante ait déboursé une contrepartie de plus ou moins 110 000 $ pour la résidence. Elle n'a pas témoigné et d'autre part, aucun élément objectif n'a été soumis.

[69]     La preuve soumise n'a pas respecté les normes minimales pour permettre à ce Tribunal de conclure que l'appelante a relevé le fardeau de preuve qui lui incombait.

[70]     Le Tribunal accueille l'appel en ce qu'il fixe la J.V.M. de l'immeuble qui a fait l'objet du transfert à 115 000 $; le dossier devra faire l'objet d'une nouvelle cotisation en prenant pour acquis que la J.V.M. au moment du transfert, le 17 avril 1996, était de 115 000 $, le tout avec dépens en faveur de l'intimée, compte tenu qu'il s'agit là d'une diminution mineure du montant ayant servi à l'établissement de la cotisation.

Signé à Ottawa, Canada ce 31e jour de juillet 2003.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :

2003CCI464

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2000-2628(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Suzanne Beaudry et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATES DES AUDIENCES :

le 9 décembre 2002 et

le 24 mars 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :

le 31 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :

Me Jocelyn Vézina

Avocate de l'intimée:

Me Dominique Gallant

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Me Jocelyn Vézina

Étude :

Bernier Vézina, Sainte-Foy (Québec)

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1] Joe Starnino et al., « Entreprise en difficulté financière avec le fisc: recours contre les tiers. » (1999) APFF Congrès 99 48:19.

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