Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-2256(EI)

ENTRE :

ANTHONY MILLER,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu les 5, 6, 7 et 8 juin et les 27, 28, 29 et 30 août 2001

à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard) par

l'honorable juge Gordon Teskey

Comparutions

Pour l'appelant :                         L'appelant lui-même

Avocats de l'intimé :                   Me Dany Leduc

Me Dominique Gallant


JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de septembre 2001.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de juillet 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20010926

Dossier: 2000-2256(EI)

ENTRE :

ANTHONY MILLER,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Teskey, C.C.I.

[1]      L'appelant a interjeté appel de la décision du ministre du Revenu national (le « ministre » ) selon laquelle l'emploi qu'il a exercé chez Agpro Services Inc. (le « payeur » ) du 28 mai au 24 octobre 1998 (la « période en cause » ) n'était pas assurable au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ).

[2]      Au moyen d'une lettre datée du 4 février 2000, le ministre a informé l'appelant qu'il rejetait l'appel de la décision au motif qu'il avait conclu que l'emploi exercé pour le payeur pendant la période en cause n'était pas un emploi assurable, mais plutôt un emploi exclu car l'appelant et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance au sens des dispositions de l'alinéa 5(2)a) de la Loi. C'est de cette décision que l'appelant interjette appel devant la Cour.

[3]      Le paragraphe 5(1) de la Loi définit ce qu'est un emploi assurable, sous réserve du paragraphe 5(2). Cette dernière disposition exclut l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance. Le paragraphe 5(3) permet de déroger aux dispositions du paragraphe (2) lorsque le ministre estime que les parties n'ont pas entre elles de lien de dépendance compte tenu de toutes les modalités du contrat. Les dispositions pertinentes des paragraphes 5(1), (2) et (3) se lisent comme suit :

5. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a)       l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

(2) N'est pas un emploi assurable :

[...]

i)      l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

(3) Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

a)         la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu;

b)         l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[4]      Il convient de noter que l'alinéa 3(1)a) et le paragraphe 3(2) de l'ancienne Loi sur l'assurance-chômage (l' « ancienne Loi » ) ont, à toutes fins utiles, le même sens que les dispositions reproduites précédemment.

[5]      L'arrêt-clé de la Cour d'appel fédérale, en ce qui concerne l'application des dispositions de l'ancienne Loi, est la décision que le juge en chef Isaac, tel était alors son titre, a rendue le 24 juin 1997 dans l'affaire Procureur général du Canada c. Jencan Ltd., [1998] 1 C.F. 187. Il dit ceci aux paragraphes 24 et 25 :

La décision par laquelle le ministre a conclu, en vertu de l'alinéa 3(1)a), que l'emploi exercé par le salarié n'était pas régi par un contrat de louage de services, constitue une décision quasi-judiciaire qui est, en appel, susceptible d'un contrôle indépendant de la part de la Cour de l'impôt. En revanche, notre Cour a statué, dans l'arrêt Tignish, précité, que la Cour de l'impôt devait faire preuve d'une plus grande retenue judiciaire lorsqu'elle examine une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Comme on le verra, ce n'est que lorsque la Cour de l'impôt conclut que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui est contraire à la loi qu'elle peut contrôler le bien-fondé de la décision rendue par le ministre en vertu de la disposition en question.

Dans l'arrêt Canada c. Succession Schnurer, notre Cour a bien précisé que, lorsqu'elle est saisie d'un appel, la Cour de l'impôt doit décider s'il existe un fondement factuel suffisant pour justifier la décision du ministre selon l'un ou l'autre des moyens invoqués par celui-ci. La Cour de l'impôt doit donc examiner chaque moyen séparément à la lumière de la preuve. Elle doit d'abord se demander si l'emploi était exercé dans le cadre d'un contrat de louage de services exprès ou tacite. Dans la négative, l'emploi n'est pas assurable, à moins qu'il ne tombe sous le coup de l'une des exceptions à l'alinéa 3(1)a) qui sont énumérées au paragraphe 4(1) ou dans un règlement pris en application du paragraphe 4(2). En second lieu, la Cour de l'impôt doit, s'il s'agit d'un emploi régi par un contrat de louage de services ou d'un emploi qui est par ailleurs assurable aux termes de l'article 4, se demander s'il s'agit d'un « emploi exclu » au sens du paragraphe 3(2).


Au paragraphe 29 :

[...] La question cruciale qui se pose dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur de droit en modifiant la décision discrétionnaire rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Cette disposition confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de présumer que des « personnes liées » n'ont pas de lien de dépendance pour l'application de la Loi sur l'assurance-chômage s'il est d'avis que ces personnes liées auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance [...]

Il poursuit en ces termes au paragraphe 31 :

L'arrêt que notre Cour a prononcé dans l'affaire Tignish, précitée, exige que, lorsqu'elle est saisie d'un appel interjeté d'une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), la Cour de l'impôt procède à une analyse à deux étapes. À la première étape, la Cour de l'impôt doit limiter son analyse au contrôle de la légalité de la décision du ministre. Ce n'est que lorsqu'elle conclut que l'un des motifs d'intervention est établi que la Cour de l'impôt peut examiner le bien-fondé de la décision du ministre. Comme nous l'expliquerons plus en détail plus loin, c'est en limitant son analyse préliminaire que la Cour de l'impôt fait preuve de retenue judiciaire envers le ministre lorsqu'elle examine en appel les décisions discrétionnaires que celui-ci rend en vertu du sous-alinéa 3(2)(c)(ii) [...]

Et encore aux paragraphes 33 et 34 :

L'article 70 confère le droit d'interjeter appel devant la Cour de l'impôt de toute décision rendue par le ministre en vertu de l'article 61, y compris de toute décision rendue en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii). La compétence que possède la Cour de l'impôt de contrôler la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) est circonscrite parce que le législateur fédéral, par le libellé de cette disposition, voulait de toute évidence conférer au ministre le pouvoir discrétionnaire de rendre de telles décisions. Les mots « si le ministre du Revenu national est convaincu » que l'on trouve au sous-alinéa 3(2)c)(ii) confèrent au ministre la compétence pour exercer le pouvoir discrétionnaire administratif de rendre le type de décision visé par ce sous-alinéa. Comme il s'agit d'une décision rendue en vertu d'un pouvoir discrétionnaire, par opposition à une décision quasi-judiciaire, il s'ensuit que la Cour de l'impôt doit faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de la décision du ministre lorsque celui-ci exerce ce pouvoir. Ainsi, lorsque le juge Décary, J.C.A., déclare dans l'arrêt Ferme Émile, précité, que ce type d'appel interjeté devant la Cour de l'impôt « s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire » , il voulait simplement souligner, à mon humble avis, qu'on doit faire preuve de retenue judiciaire envers les décisions que le ministre rend en vertu de cette disposition à moins que la Cour de l'impôt ne conclue que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui est contraire à la loi.

            Si le pouvoir qu'a le ministre de présumer que des « personnes liées » n'ont pas de lien de dépendance entre elles pour l'application de la Loi sur l'assurance-chômage est un pouvoir discrétionnaire, pourquoi, pourrait-on se demander, le droit d'interjeter appel devant la Cour de l'impôt en vertu de l'article 70 s'applique-t-il au sous-alinéa 3(2)c)(ii)? La réponse est que même l'exercice de pouvoirs discrétionnaires est susceptible d'un contrôle judiciaire pour s'assurer que ces pouvoirs sont exercés d'une manière judiciaire ou, en d'autres termes, qu'ils sont exercés d'une manière qui est compatible avec la loi. Il découle nécessairement du principe de la primauté du droit que tous les pouvoirs conférés par le législateur sont intrinsèquement limités. Dans l'arrêt D.R. Fraser and Co., Ld. v. Minister of National Revenue, lord Macmillan a résumé les principes juridiques qui devraient régir un tel contrôle judiciaire. Il a déclaré :

[TRADUCTION]

Les critères selon lesquels il faut juger l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ont été définis dans plusieurs arrêts qui font jurisprudence et il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu.

Il ajoute aux paragraphes 36 et 37 :

Ainsi, en limitant la première étape de l'analyse de la Cour de l'impôt à un contrôle de la légalité des décisions rendues par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), notre Cour a simplement appliqué des principes judiciaires acceptés dans le but de trouver le juste milieu entre le droit que possède le prestataire en vertu de la loi de faire contrôler la décision du ministre et la nécessité de faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de celle-ci, compte tenu du fait que le législateur fédéral a conféré un pouvoir discrétionnaire au ministre en vertu de cette disposition.

Compte tenu de ce qui précède, le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'était justifié d'intervenir dans la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) que s'il était établi que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui était contraire à la loi. Et, comme je l'ai déjà dit, l'obligation d'exercer un pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire implique l'existence de motifs d'intervention spécifiques. La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) - en examinant le bien-fondé de cette dernière - lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

Et aussi aux paragraphes 41, 42 et 43 :

Une remarque s'impose. Bien que tous les intéressés, y compris le salarié et l'intimée, aient la possibilité de faire valoir leur point de vue devant un agent des appels de Revenu Canada avant que le ministre ne rende sa décision en vertu du paragraphe 61(3) de la Loi sur l'assurance-chômage, il ne leur est pas loisible de répondre aux éléments de preuve recueillis par l'agent des appels ou de faire valoir leur point de vue directeement devant le ministre avant que celui-ci ne rende sa décision. C'est vraisemblablement la raison pour laquelle le législateur a accordé aux prestataires le droit d'interjeter appel de plein droit de la décision du ministre en vertu de l'article 70. En appel, les faits sur lesquels le ministre s'est fondé pour rendre sa décision sont considérés comme des hypothèses ou des allégations de fait. Bien qu'il incombe au prestataire, qui est la partie qui interjette appel de la décision du ministre, de faire la preuve de ce qu'il avance, notre Cour a affirmé dans les termes les plus nets que le prestataire a le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve lors de l'audience de la Cour de l'impôt pour contester les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est fondé.

Ainsi, bien que la Cour de l'impôt doive faire preuve de retenue judiciaire à l'égard des décisions que le ministre rend en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) - en limitant son analyse préliminaire à un contrôle de la légalité de la décision du ministre - cette retenue judiciaire ne s'applique pas aux conclusions de fait tirées par le ministre. En affirmant que le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'est pas limité aux faits sur lesquels le ministre se fonde pour rendre sa décision, on ne trahit pas l'intention qu'avait le législateur fédéral en conférant un pouvoir discrétionnaire au ministre. Pour évaluer la façon dont le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire, la Cour de l'impôt peut tenir compte des faits qui ont été portés à son attention au cours de l'audition de l'appel. Ainsi que le juge Desjardins, J.C.A., l'a déclaré dans l'arrêt Tignish :

... la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente.

Le sous-alinéa 3(2)c)(ii) précise que, pour décider si le salarié et l'intimée auraient conclu entre eux un contrat de louage de services à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance, le ministre doit tenir compte « de toutes les circonstances » , notamment la rétribution versée au salarié, les modalités d'emploi, ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli [...]

Il tient en outre les propos suivants aux paragraphes 50, 51 et 52 :

Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a toutefois commis une erreur de droit en concluant que, parce que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, il avait automatiquement le droit de contrôler le bien-fondé de la décision du ministre. Ayant conclu que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, le juge suppléant de la Cour de l'impôt aurait dû se demander si les autres faits qui avaient été établis au procès étaient suffisants en droit pour justifier la conclusion du ministre suivant laquelle les parties n'auraient pas conclu un contrat de louage de services à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. S'il existe suffisamment d'éléments pour justifier la décision du ministre, il n'est pas loisible au juge suppléant de la Cour de l'impôt d'infirmer la décision du ministre du simple fait qu'une ou plusieurs des hypothèses du ministre ont été réfutées au procès et que le juge serait arrivé à une conclusion différente selon la balance des probabilités. En d'autres termes, ce n'est que lorsque la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l'intervention de la Cour de l'impôt est justifiée. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un vice qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse des autres éléments de preuve. La Cour de l'impôt doit donc aller plus loin et se demander si, sans les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il reste suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si la réponse à cette question est affirmative, l'enquête est close. Mais, si la réponse est négative, la décision est alors contraire à la loi et ce n'est qu'alors que la Cour de l'impôt est justifiée de procéder à sa propre appréciation de la balance des probabilités. Le juge Hugessen, J.C.A., l'a expliqué tout récemment dans l'arrêt Hébert, précité. Au paragraphe 5 de ses motifs du jugement, il déclare en effet :

Dans tout appel interjeté en vertu de l'article 70, les conclusions de fait du ministre, ou ses « présuppositions » , seront énoncées en détail dans la réponse à l'avis d'appel. Si le juge de la Cour de l'impôt qui, contrairement au ministre, se trouve dans une situation privilégiée pour apprécier la crédibilité des témoins qu'elle a vus et entendus, parvient à la conclusion que certaines ou la totalité de ces présuppositions de fait étaient erronées, elle devra déterminer si le ministre pouvait légalement tirer la conclusion qu'il a tirée en se fondant sur les faits établis en preuve. C'est manifestement ce qui s'est produit en l'espèce et nous ne sommes vraiment pas en mesure de déclarer que les conclusions de fait du juge ou sa conclusion portant que la décision du ministre pouvait se justifier étaient erronées. [Mots non soulignés dans l'original.]

Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a commis une erreur en ne décidant pas si le ministre pouvait légalement tirer la conclusion qu'il a tirée en se fondant sur les faits établis en preuve devant lui. En conséquence, il n'était pas légalement en mesure de tirer ses propres conclusions selon la balance des probabilités. Bref, en statuant sur le bien-fondé de la décision du ministre sans d'abord conclure que celui-ci avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui était contraire à la loi, le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'a pas fait preuve du degré de retenue judiciaire exigé lorsqu'il contrôle une décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii).

Pour en venir à cette conclusion, je n'oublie pas que le juge suppléant de la Cour de l'impôt a conclu que deux des hypothèses sur lesquelles la décision du ministre reposait avaient été réfutées au procès. Toutefois, comme nous avons conclu que le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'a pas décidé si les autres éléments de preuve étaient suffisants pour justifier la décision du ministre, il ne nous appartient pas de trancher cette question dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, étant donné que nous n'avons pas le pouvoir [...]

[6]      En mars de l'année suivante, la Cour d'appel fédérale s'est penchée à nouveau sur les mêmes dispositions et a rendu un jugement oral dans l'arrêt Elia c. Ministre du Revenu national, 3 mars 1998, no A-560-97, [1998] A.C.F. no 316. Le juge Pratte a déclaré ce qui suit aux paragraphes 2 et 3 :

[...] il n'est pas nécessaire, pour que le juge puisse exercer ce pouvoir, qu'il soit établi que la décision du Ministre était déraisonnable ou prise de mauvaise foi eu égard à la preuve que le Ministre avait devant lui. Ce qui est nécessaire, c'est que la preuve faite devant le juge établisse que le Ministre a agi de mauvaise foi, ou de façon arbitraire ou illégale, a fondé sa décision sur des faits non pertinents ou n'a pas tenu compte des faits pertinents. Alors, le juge peut substituer sa décision à celle du Ministre.

[...] la règle bien établie selon laquelle les allégations de la réponse à l'avis d'appel, où le Ministre énonce les faits sur lesquels il a fondé sa décision, doivent être tenus pour avérés aussi longtemps que l'appelant n'en a pas prouvé la fausseté.

[7]      On trouve au paragraphe 6 de la réponse à l'avis d'appel la liste des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est appuyé lorsqu'il a rendu sa décision. Les hypothèses de fait sont reproduites ci-après dans l'ordre où elles ont été formulées :

          [TRADUCTION]

a)          le payeur était une société dûment constituée en personne morale sous le régime des lois de la province de l'Île-du-Prince-Édouard le 25 août 1983 ou vers cette date;

b)          durant la période en cause, les actions du payeur étaient détenues de la façon suivante :

            l'appelant prés.                                                 759 act.

            Phillip Miller (frère de l'appelant) v.-p.               624 act.

            Jacqueline Nelder, secr.                                      24 act.

            Carmen Miller (épouse de l'appelant)                325 act.

            Corey Miller (fils de l'appelant)                         733 act.

            Heidi Miller (fille de l'appelant)                          300 act.

            Teresa Miller (belle-soeur de l'appelant)                 2 act.

            Karl Kenny                                                       733 act.

c)          l'appelant participe à l'exploitation de l'entreprise du payeur depuis sa constitution en personne morale;

d)          le payeur exploitait une entreprise de nettoyage, de désinfection et de blanchiment à la chaux de bâtiments de ferme;

e)          le payeur exploite son entreprise du mois de mai jusqu'au mois d'octobre ou de novembre environ chaque année;

f)           les tâches de l'appelant consistaient à effectuer des travaux généraux dans l'atelier du payeur, à préparer la peinture ou le lait de chaux, à effectuer des réparations, à régler des problèmes et à faire fonctionner l'entreprise;

g)          le salaire déclaré de l'appelant était de 500 $ par semaine;


h)          le salaire hebdomadaire de l'appelant a varié au fil des années, ainsi qu'il est indiqué ci-après :

            1998                                500 $

            1997                                400 $

            1996                                600 $

            1995                                800 $

i)           La durée de la période d'emploi de l'appelant a varié au cours des années en fonction, semble-t-il, du nombre de semaines dont il avait besoin chaque année pour avoir droit à des prestations d'assurance-chômage, ainsi qu'il est indiqué ci-après :

                                    Déclaré                         Requis

            1998                 920 heures                    910 heures

            1997                 490 heures                    420 ou 454 heures

            1996                 14 semaines                   12 ou 14 semaines

            1995                 13 semaines                   12 semaines

j)           en 1998, Stephane Galaise, le représentant commercial du payeur, a été nommé directeur du payeur durant sa période d'emploi, soit du 3 mai au 29 août;

k)          l'appelant était aussi le directeur des opérations du payeur durant la saison;

l)           les registres comptables du payeur indiquent un prêt de l'actionnaire non remboursé de 81 408 $ consenti par l'appelant en 1983; le calendrier de remboursement fait état de paiements annuels de 6,788,41 $ plus l'intérêt;

m)         les paiements faits à l'appelant par chèque, en espèces, ainsi que par carte de débit; dans ce dernier cas, les débits ont été payés par le payeur;

n)          les paiements faits à l'appelant par le payeur comprenaient le salaire, le remboursement du prêt et le loyer;

o)          la preuve documentaire fournie est insuffisante pour déterminer si l'appelant a reçu la totalité de son salaire;

p)          toutes les sommes déposées dans le compte bancaire de l'entreprise du payeur sont automatiquement transférées dans un compte personnel établi au nom de l'appelant ainsi que de la secrétaire et comptable du payeur;

q)          les montants payés par l'appelant au receveur général provenaient d'un compte conjoint appartenant à l'appelant et à son épouse;

r)           l'appelant autorisait ses fils à utiliser l'argent du payeur quand ils n'étaient pas employés par le payeur;

s)          le payeur exploite l'entreprise depuis la résidence personnelle de l'appelant;

t)           le numéro de téléphone de l'entreprise du payeur est le même que le numéro de téléphone personnel de l'appelant, lequel est inscrit au nom de l'épouse de l'appelant;

u)          dans sa déclaration de revenu de 1998, l'appelant a demandé la déduction d'une perte locative résultant de l'utilisation du bureau et de l'immeuble de l'appelant par le payeur;

v)          l'appelant a fourni des services au payeur à l'extérieur de la période en cause, sans rémunération;

w)         le payeur a continué d'exploiter l'entreprise après la période en cause et avait des employés jusqu'au 14 novembre 1998;

x)                   l'appelant est lié au payeur au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

y)          l'appelant a un lien de dépendance avec le payeur;

[8]      Avant de me pencher sur les hypothèses de fait, j'aimerais formuler quelques observations générales au sujet des témoins.

[9]      L'appelant a fait témoigner cinq fonctionnaires fédéraux et une fonctionnaire du gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard. En voici la liste :

Susan Afflect (Mme Afflect)                  conseillère du programme d'assurance,

Développement des ressources humaines Canada ( « DRHC » )

          Laurena Wooldridge (Mme Wooldridge)agente des enquêtes et du contrôle,

                                                                   DRHC

Darlene Doiron (Mme Doiron)               agente principale chargée des entreprises,

Agence des douanes et du revenu du Canada

                                                                   ( « ADRC » )

          Rosemary Ford (Mme Ford)                 agente de recouvrement,

                                                                   ADRC

          Walter McDonald (M. McDonald)        chef des appels,

                                                                   ADRC

          Sheila MacNerim (Mme MacNerim)       secrétaire, division des sociétés,

Ministère des services communautaires

                                                                   Î.-P.-É.

[10]     Je trouve que les six témoins se sont tous comportés de manière professionnelle à la barre et j'accepte leurs témoignages. Mme Ford, plus particulièrement, a témoigné de manière calme et posée, prenant soin de consulter son dossier pour éviter de commettre des erreurs ou de travestir les faits. L'ADRC peut être fière de compter dans ses rangs une employée aussi capable et aussi consciencieuse. Ces observations s'appliquent aussi à M. McDonald. Il n'existe absolument aucune preuve que l'une ou l'autre de ces personnes a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicite; en fait, leur témoignage montre qu'elles prennent leur travail au sérieux et qu'elles ont agi avec la meilleure foi du monde, sans aucune arrière-pensée.

[11]     Cela étant dit, je dois maintenant déterminer si M. McDonald, en s'appuyant sur le rapport de Mme Ford :

a)        a omis de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, comme il y est tenu aux termes du sous-alinéa 5(3)b); ou

b)       a pris en compte des facteurs non pertinents.

[12]     Ainsi que le juge Pratte l'a précisé dans l'arrêt Elia, précité, il est bien établi que les hypothèses de fait formulées par le ministre doivent être considérées comme véridiques, tant que l'appelant n'a pas prouvé qu'elles sont erronées.

[13]     Je donne la liste des alinéas contenant les hypothèses qui ont été admises ou confirmées par la preuve, ou relativement auxquelles aucune preuve acceptable du contraire n'a été produite : a), c), g), h), j), k), l), m), n), o), p), q), t), x) et y).

[14]     Quoique les faits énoncés aux alinéas l), o), p) et q) sont exacts, je veux formuler des observations sur chacun :

l)         La pièce A-27 est le bilan du payeur au 31 décembre 1994. Sous la rubrique « Effets à payer » figurent deux montants, soit 7 735 $ et 93 869 $, accompagnés de la mention suivante :

          [TRADUCTION]

payable aux actionnaires, sans intérêt, sans modalité de remboursement

Il n'y a aucune mention de prêt des actionnaires dans le registre des procès-verbaux en 1995. Dans le registre des actionnaires, on peut lire ce qui suit :

[TRADUCTION]

Réunion des administrateurs tenue le 4 novembre 1996. Résolution : qu'à compter du 1er août 1996, les prêts des actionnaires ayant un solde supérieur à 10 000 $ fassent l'objet d'un remboursement annuel, d'après la duré de l'obligation, avec intérêt.

Il n'y pas d'autre mention du prêt consenti par l'appelant dans le registre des actionnaires après cela. L'appelant a produit un calendrier de remboursement du solde du prêt de l'actionnaire (pièce A-42), qui est reproduit ci-après :


[TRADUCTION]

DATE               SOLDE                         CAPITAL.        PAIEMENT      PAIEMENT

DÉBUT             INT.                  ÉCHU               TOTAL             FINAL          SOLDE

01 AOÛT 96                                                                                                       95 037,71

31 DÉC. 96          95 037,71          791,98          6 788,41             7 580,39           88 249,30

31 DÉC. 97          98 249,30       1 764,99          6 788,41             8 553,39           81 460,39

31 DÉC. 98          81 460,89       1 629,22          6 788,41             8 417,63           74 672,49

31 DÉC. 99          74 672,49       1 493,45          6 788,41             8 261,86           67 884,08

31 DÉC. 00          67 884,08       1 357,68          6 788,41             8 146,09           61 095,67

31 DÉC. 01          61 095,67       1 221,91          6 788,41             8 010,32           54 307,26

31 DÉC. 02          54 307,26       1 086,15          6 788,41             7 874,55           47 516,86

31 DÉC. 03          47 518,86          950,38          6 788,41             7 738,78           40 730,45

31 DÉC. 04          40 730,45          814,61          6 788,41             7 603,02           33 942,04

31 DÉC. 05          33,942,04          678,84          6 788,41             7 467,25           27 153,63

31 DÉC. 06          27 153,63          543,07          6 788,41             7 331,48           20 365,22

31 DÉC. 07          20 365,22          407,30          6 788,41             7 195,71           13 576,82

31 DÉC. 08          13 576,82          271,54          6 788,41             7 059,94             6 788,41

31 DÉC. 09            6 788,41          135,77          6 788,41             6 924,16                    0,00

                                                13 146,88        95 037,71         108 184,59

Le bilan du 31 décembre 1997 indique ce qui suit au sujet du prêt de 81 408 $ : « payable à l'actionnaire, avec intérêt, sans modalité de remboursement » .

Le bilan du 30 novembre 1998 indique : « Prêt consenti par Anthony Miller : - intérêt de 4 %, payable en versements annuels égaux de 6 788,41 $, plus intérêt. Prêt consenti pour une période de 13 années, de 1989 à 1996, pour financer la société » .

Il convient de préciser que le calendrier de remboursement produit indique un taux d'intérêt annuel de seulement 2 %. Par conséquent, le montant de 81 408 $ mentionné dans l'hypothèse énoncée à l'alinéa l) est le montant approximatif du prêt en date du 1er janvier 1998 après avoir déduit le paiement de 6 766,41 $ à titre de capital qui devait avoir été effectué le 31 décembre 1997.

o)       Bien qu'il s'agisse d'une conclusion, j'y souscris, et, même après l'audience, quand l'appelant a eu la possibilité de produire des livres et des registres pour montrer qu'ils avaient été tenus selon les règles établies, il n'a produit aucun document original, et les registres qui ont été produits étaient insuffisants, rendant tout rapprochement impossible;

p)       L'appelant et son frère mettent cela sur le compte des frais administratifs déraisonnablement élevés exigés par la Banque de Nouvelle-Écosse pour un compte de société. Quoique cela puisse être vrai en partie, je ne crois pas que ce soit la seule raison. Revenu Canada a saisi le compte de la société détenu à la Banque de Nouvelle-Écosse pour non-paiement de la TPS. En vertu de l'arrangement actuel, les sommes déposées dans le compte de la société sont immédiatement transférées de sorte que le tiers saisi ne reçoit rien. D'autre part, les chèques utilisés pour payer toutes les dépenses courantes et les salaires ressemblent à des chèques d'entreprise, en dépit du fait que le compte était établi au nom de l'appelant et de Mme Nelder. En conséquence, un créancier (ayant reçu un chèque du payeur et l'ayant poursuivi avec succès, puis ayant tenté de faire exécuter un bref de saisie contre celui-ci) qui prenait des mesures pour faire saisir le compte n'obtenait rien, le compte n'étant pas au nom du payeur. En reliant ainsi les comptes, il était possible de tenir les créanciers potentiels à distance, et seuls les véhicules et les pompes du payeur, qui n'avaient pas une grande valeur, pouvaient être saisis.

q)       Quoique ce soit une question de fait, l'appelant a réussi à prouver que la société avait effectivement remboursé son épouse et lui-même (pièce A-20). Le chèque du 18 août 1998 était payable à l'appelant, celui du 3 juillet 1999, à l'épouse de l'appelant, et celui du 24 septembre 1998, au porteur. Je conclus qu'après en être venu à une entente avec Revenu Canada pour le compte du payeur concernant les arriérés de TPS, l'appelant a remis des chèques personnels postdatés, plutôt que des chèques de la société, parce qu'il ne savait pas si la société allait avoir les fonds nécessaires pour effectuer les paiements convenus. En remettant des chèques personnels, il était certain que Revenu Canada allait recevoir les montants convenus. Le payeur a remboursé l'appelant avec ces trois chèques.


[15]     J'en viens aux alinéas dans lesquels sont énoncées des hypothèses de fait partiellement exactes qui contenaient des erreurs que je juge sans importance en l'espèce :

b)       Karl Kenny détenait 133 actions seulement et non les 733 indiquées. L'appelant était le vice-président et Phillip était le président;

d)       L'expression « blanchiment à la chaux » est erronée; il aurait fallu lire « peinture » ;

f)        L'expression « lait de chaux » n'aurait pas dû figurer dans cette hypothèse.

[16]     Avant de me pencher sur le reste des hypothèses de fait, je souhaite formuler des observations générales sur le témoignage des témoins de l'appelant dont je n'ai pas encore parlé, et faire part des conclusions que j'ai tirées au sujet de leur témoignage.

[17]     Les parents de Stephane Galaise ( « M. Galaise » ) sont des amis intimes de l'appelant et de son épouse depuis de nombreuses années et M. Galaise est le filleul de l'appelant. Son témoignage était vague et hésitant. À la question de savoir s'il avait reçu la totalité de son salaire, il a répondu [TRADUCTION] « Je suppose qui oui » ; quand on lui a demandé de quelle manière ce salaire lui avait été versé, il a répondu [TRADUCTION] « Par chèques principalement » , dont le montant a probablement varié d'une semaine à l'autre.

[18]     Les résolutions adoptées par le payeur les 13 et 16 avril 1998 établissent le taux de salaire à 13 % et énumèrent ses tâches. La liste de paie du payeur fait état d'un montant de 750 $ pour chaque semaine de travail, sauf pour ce qui est de deux montants de 60 $ consignés pour les deux dernières semaines de septembre. M. Galaise a été incapable d'expliquer pourquoi il n'avait pas travaillé pendant deux semaines en juin. Lorsqu'on fait le rapprochement entre la paie consignée et les chèques remis (qui constituent une partie de la pièce A-13), on constate que la réalité est tout à fait différente.

S.Galaise

DATE

BRUT

NET

DATE DES CHÈQUES

MONT.

No

9 mai

750

519,51

27 mai

100

2259

16 mai

750

519,51

12 juin

500

2053

23 mai

750

519,51

12 juin

40

2054

30 mai

750

519,51

12 juin

713,5

2276

6 juin

750

519,51

18 juin

350

2067

13 juin

7 juillet

200

2115

20 juin

10 juillet

300

2133

27 juin

750

519,51

11 juillet

522,99

2159

4 juillet

750

519,51

20 juillet

522,99

2163

11 juillet

750

519,51

25 juillet

522,99

2192

18 juillet

750

519,51

1er août

522,99

2215

25 juillet

750

519,51

8 août

522,99

2231

1er août

750

519,51

18 juillet

522,99

2174

8 août

750

519,51

28 août

422,99

2313

15 août

750

519,51

15 août

522,99

2245

22 août

750

519,51

2 oct.

150

2363

29 août

750

519,51

22 sept.

200

2346

5 sept.

10 sept.

200

2338

12 sept.

19 sept.

60

58,38

26 sept.

60

58,38

3 oct.

0

10 oct.

0

17 oct.

0

Total

7909,41

6837,42

j. de caisse

139,09

6976,51

932,90

Une vérification du journal de caisse révèle que M. Galaise a seulement reçu un montant de 139,09 $ en espèces. Les registres du payeur indiquent donc qu'il y a un écart de 932,90 $ par rapport à la prétendue paie. J'en conclus que, même si M. Galaise était rémunéré à commission, un montant de 750 $ a été consigné chaque semaine sur la feuille de paie pour une raison quelconque.

[19]     Le seul bilan financier du payeur pour l'année 1998 porte la date du 30 novembre et fait état de revenus de 137 960 $. Chaque fois qu'une tâche est terminée, l'équipe reçoit un chèque; pour les fins de l'analyse, cependant, j'utiliserai le montant de 150 000 $ (Phillip Miller parle de 145 000 $) pour toute l'année. Le coût total des salaires devrait être de 13 % de la valeur des contrats exécutés à titre de commissions et de 13 % à titre de salaire pour les employés qui faisaient la peinture, ainsi que les salaires versés à l'appelant, à Mme Nelder et à Wayne Frances, qui étaient fondés sur un taux horaire plutôt que sur un pourcentage :

           (13 % de 150 000 $ x 2 = 39 000 $)                                        39 000 $

          

           Salaire de l'appelant        23 x 500                                            11 500   

           Salaire de Mme Nelder     600 x 13 =           7 800

           Salaire de Wayne            64 x 4     =               256

                                                                                                          8 056 $

           Total                                                                                     58 556 $

[20]     Le bilan du 30 novembre 1998 indique que les salaires pour la période s'élèvent à 91 972 $. Le montant de 58 556 $, même en admettant qu'il ne tient pas compte de la portion des cotisations d'assurance-emploi et des cotisations au RPC payables par l'employeur, est loin de faire le compte. J'accorde très peu de poids, voire aucun, au témoignage de M. Galaise, car ce n'était pas un témoin digne de foi. Cela prouve également que les registres de la société ne concordent pas avec le témoignage oral.

[21]     Le témoignage de Phillip Miller a été catastrophique. Il a eu un accident en juin 1995 et il est sans emploi depuis. Il possède 17 % des actions émises du payeur et y a un investissement d'un peu moins de 2 000 $. Je rejette son témoignage en totalité. Il est confiné à un fauteuil roulant; il a été incapable de répondre à bon nombre des questions élémentaires qui lui ont été posées en contre-interrogatoire et il cherchait manifestement à être utile à son frère.

[22]     Jackie Nelder ( « Mme Nelder » ), comptable agréée, a été appelée seulement après que j'eus indiqué très clairement à l'appelant que son absence allait probablement m'amener à conclure que son témoignage serait préjudiciable. C'est le seul témoin vraiment impartial qui a comparu à l'audience, car elle a cessé de travailleur pour le payeur en 1999 et s'est installée dans une autre localité, où elle occupe maintenant un emploi à temps plein.

[23]     J'aurais pensé que l'appelant aurait apporté tous les documents originaux à l'audience afin que Mme Nelder puisse s'y reporter pour se rafraîchir la mémoire. Privée de ces documents, elle a dû répondre à bon nombre de questions par [TRADUCTION] « Je ne me souviens pas » ou [TRADUCTION] « Je ne sais pas » .

[24]     J'accepte son affirmation que l'appelant était son patron, qu'il lui donnait accès au bureau lorsqu'elle travaillait et qu'il assurait la gestion du payeur dans une certaine mesure en tout temps.

[25]     Elle a affirmé que les employés ont tous été payés en retard un certain nombre de fois parce qu'il n'y avait pas suffisamment de fonds et que c'est l'appelant qui avait attendu sa paie le plus longtemps. Elle a aussi déclaré qu'elle n'avait pas participé à la détermination du salaire de l'appelant. Je considère ce fait comme avéré. L'appelant et son frère ont essayé de me convaincre que le salaire de l'appelant était fixé par le conseil d'administration. Je suis convaincu que l'appelant a établi son propre salaire et qu'il a déterminé sa prétendue période d'emploi.

[26]     En ce qui concerne le témoignage de l'appelant, je l'accepte en partie et je crois qu'à certains moments il n'a pas divulgué tous les faits. Je crois que c'est un homme intelligent qui a du coeur à l'ouvrage et qui estime avoir droit à des prestations en vertu de la Loi. Je ne puis accepter les parties de son témoignage qui contredisent celui de Mme Nelder ou certains des documents écrits.

[27]     Pour dire le mieux, l'appelant et Mme Nelder ont manqué de rigueur à de nombreux égards. L'appelant a fait une déclaration sous serment le 6 avril 1998, dans laquelle on peut lire au premier paragraphe [TRADUCTION] : « Je suis le président » . Il balaie la question du revers de la main en disant que c'était un texte stéréotypé et qu'il n'avait pas relevé la chose. Cependant, cette déclaration sous serment a été utilisée par le payeur dans une autre instance judiciaire. Cette déclaration a induit en erreur le juge de la Cour de l'impôt qui a entendu l'affaire. J'hésite donc à accepter les parties de ce témoignage qui n'ont pas été corroborées ou qui ne sont d'aucune utilité aux fins de l'appel en l'instance.

[28]     Mme Nelder a manqué de rigueur professionnelle dans son travail ainsi qu'en témoigne une bonne partie des pièces qu'elle a préparées, plus particulièrement la pièce A-3, dans laquelle on peut lire ceci [TRADUCTION] : « État des résultats pour l'exercice clos le 30 novembre 1998 » . Quiconque lit ce titre conclura que l'exercice du payeur se termine le 30 novembre. Mme Nelder a admis que les termes « exercice clos » avaient été utilisés à tort et que ce sont les mots « en date du » qu'il aurait fallu lire à la place. Elle n'a pas réussi à expliquer pourquoi les frais juridiques sont consignés à l'actif dans ce même bilan.

[29]     J'en viens maintenant au reste des hypothèses de fait formulées par le ministre.

Alinéa i)

[30]     C'était une hypothèse assez importante, qui était erronée. En fait, le nombre d'heures requis en 1997 était de 910. Les travailleurs qui demandent des prestations pour la première fois doivent accumuler 910 heures. Comme la demande de prestations présentée par l'appelant en 1996 a été rejetée, il aurait été considéré comme demandant des prestations pour la première fois en 1997. Nombreux sont les travailleurs qui n'étaient pas au courant de cette exigence, et je conclus que l'appelant croyait qu'il n'avait besoin que de 420 à 454 heures en 1997 pour avoir droit à des prestations.

[31]     On n'a jamais expliqué pourquoi, en 1998, l'appelant avait travaillé 920 heures, contre 490 heures seulement en 1997, alors que le volume de travail n'avait augmenté que de 15% et que les exigences du travail étaient restées les mêmes. Je conclus que la période d'emploi déclarée n'avait pour but que de permettre à l'appelant de toucher des prestations en vertu de la Loi et que la réalité est complètement différente en ce qui concerne tant les heures de travail que la rémunération touchée.

Alinéa r)

[32]     Corey Miller a bien travaillé pour le payeur; à tout le moins, son nom figure sur la liste de paie en regard des semaines se terminant les 3 et 10 octobre. Les montants indiqués ci-après ont été payés en espèces :


                             DATE                              MONTANT

                             12 juin 1998                          51,40

                             22 juin 1998                          88,00

                             3 septembre 1998                100,00

                             18 septembre 1998                60,00

                             6 novembre 1998                 120,00

Seul le premier paiement a été expliqué de manière satisfaisante.

[33]     Troy Miller n'a jamais été employé par le payeur en 1998. Les montants qui lui ont été versés en espèces sont les suivants :

                             DATE                                       MONTANT

                             16 juillet 1998                             120,00

                             3 septembre 1998                       100,00

                             18 septembre 1998                      60,00

Il convient de préciser que ces deux séries de paiements ont été consignées dans la mauvaise colonne du journal de caisse par Mme Nelder. Aucun document n'a été produit pour étayer les registres du payeur, et la tenue de livre laissait beaucoup à désirer.

Alinéa s)

[34]     Ce n'est vrai qu'en partie. C'est exact en ce qui a trait à la première moitié de l'année; le 19 juin 1998 ou vers cette date, le payeur a adopté une résolution pour louer et occuper un nouvel immeuble et des bureaux situés sur le terrain de l'appelant, près de son domicile.

Alinéa u)

[35]     L'appelant a admis cette hypothèse, mais il a ajouté que la perte résultait des rénovations ou des améliorations apportées au bâtiment. Aucun relevé de l'entreprise de location n'a été produit pour indiquer la répartition des dépenses ou pour établir l'existence d'une perte, ou encore pour prouver que les dépenses dites courantes n'étaient pas en réalité des dépenses en immobilisation.

Alinéa w)

[36]     C'est exact, mais l'appelant prétend qu'il n'était pas nécessaire de superviser les employés. Je crois que l'appelant a fait tout ce qui était nécessaire pendant toute l'année, y compris tenir les livres après que l'entreprise eut cessé ses activités de peinture de granges pour l'année.

[37]     En conséquence, je suis convaincu que le ministre a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes et que, par ailleurs, il s'est abstenu de prendre en considération des faits non pertinents. J'arrive à ces conclusions sachant que certains des faits étaient erronés en totalité ou en partie, mais il restait suffisamment de faits, après avoir enlevé les faits erronés, pour que le ministre puisse rendre une décision.

[38]     L'appelant est l'âme dirigeante du payeur. À toutes fins utiles, c'est sa société. La question de savoir s'il en est le président ou le vice-président est sans intérêt. L'appelant est le cerveau et le directeur de toute l'opération. Si je tiens compte de son témoignage sur la genèse du payeur, il est évident qu'il est l'unique âme dirigeante du payeur.

[39]     Nul employé sans lien de dépendance avec son employeur n'accepterait de prêter à cet employeur un montant de plus de 90 000 $ (dont le solde impayé était de 81 000 $), de lui louer des locaux à perte et de travailler avec autant d'acharnement et de diligence que l'appelant. Je conclus notamment que l'appelant était essentiellement le directeur général de la société, dont il assumait le contrôle dans les faits.

[40]     L'appelant a investi les 90 000 $ dans l'entreprise du payeur pendant les deux premières années essentiellement. Aucun document n'a été produit quant aux modalités du prêt. Ce n'est qu'en 1996 que le prêt a commencé à être remboursé et l'appelant n'a reçu que deux pour cent d'intérêt par année; l'appelant ne peut exiger le paiement de cet intérêt, lequel, selon le bilan, est de quatre pour cent par année. La résolution du conseil d'administration indique seulement que l'intérêt est payable, sans préciser à quel taux.

[41]     Rien n'empêche l'appelant d'exiger le remboursement du prêt, de se saisir des avoirs et de continuer à exploiter l'entreprise sous une autre raison sociale.

[42]     Je serais arrivé exactement à la même conclusion que le ministre après avoir entendu la totalité de la preuve, c'est-à-dire que compte tenu de toutes les circonstances notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi, ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, il n'est pas raisonnable de conclure que l'appelant et le payeur auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[43]     L'appelant a contesté la validité des dispositions en cause en invoquant la Charte des droits et libertés (la « Charte » ). Essentiellement, il a fait valoir que les demandeurs de prestations d'assurance-emploi qui ont un lien de dépendance avec leur employeur n'ont pas le même droit d'appel que les autres demandeurs auxquels le bénéfice des prestations est refusé, ou les employeurs qui croient que tous leurs travailleurs sont régis par un contrat d'entreprise et qui sont avisés que l'ADRC a conclu à l'existence d'un contrat de louage de services. C'est la retenue judiciaire dont la Cour doit faire preuve à l'égard d'une décision rendue par le ministre sous le régime de ces dispositions qui, l'appelant soutient-il, lui porte préjudice et porte préjudice aux demandeurs de prestations qui se trouvent dans une situation semblable à la sienne.

[44]     Je suis forcé d'admettre que j'ai beaucoup de compassion pour les observations de l'appelant. Ayant entendu de nombreux appels portant sur ces dispositions de l'ancienne Loi et de la Loi actuelle, je peux dire que l'obligation de retenue judiciaire place les appelants non prévenus dans une situation très difficile, qu'ils ne comprennent pas. Afin de réunir des éléments de preuve pour étayer sa thèse en l'espèce, l'appelant a fait témoigner cinq fonctionnaires fédéraux, sans savoir ce qu'ils allaient dire, sans les avoir interrogés au préalable, dans l'espoir qu'il serait possible de conclure que le ministre a commis une erreur de droit.

[45]     L'arrêt Pérusse c. Canada, no A-722-97, 10 mars 2000, [2000] A.C.F. no 310 (Q.L.) de la Cour d'appel fédérale constitue une réponse aux arguments de l'appelant. Le juge Desjardins était pour sa part dissidente des motifs des juges Marceau et Décary et a conclu que les dispositions contrevenaient à la Charte.

[46]     Je trouve qu'il est effectivement injuste que les demandeurs de prestations d'assurance-emploi qui ont un lien de dépendance avec leur employeur soient obligés de s'atteler à la difficile tâche de contester la décision du ministre en raison de la retenue judiciaire qui s'applique nécessairement. C'est particulièrement le cas parce que la plupart des demandeurs entrant dans cette catégorie n'ont pas les moyens de retenir les services d'un avocat. En l'espèce, plusieurs jours ont été consacrés en pure perte à l'audition des témoignages des fonctionnaires du DRHC et de l'ADRC. Ces personnes auraient dû être entendues dans le cadre d'un interrogatoire préalable, mais l'appelant n'en avait pas les moyens. On simplifierait grandement les choses et on réduirait sensiblement les coûts si on ajoutait, après l'alinéa 5(3)b), une disposition indiquant que la décision du ministre mentionnée à l'alinéa 5(3)b) est réputée ne pas être une décision discrétionnaire et qu'il doit être interjeté appel des décisions du ministre devant la Cour canadienne de l'impôt de la manière habituelle.

[47]     En l'espèce, cela ne changerait rien au résultat indiqué précédemment, sauf que l'audience, qui s'est étalée sur sept jours et demi, aurait duré tout au plus deux jours. L'appelant aurait eu le sentiment d'être traité comme les autres demandeurs auxquels le bénéfice des prestations est refusé. Les économies réalisées à l'audience et les économies à l'ADRC seraient considérables. Il faudrait lever cet obstacle par souci d'équité ainsi que par mesure d'économie pour les contribuables.

[48]     Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de septembre 2001.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de juillet 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.