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Dossier : 2000‑4846(IT)I

ENTRE :

BRUCE MORRIS,

                                                                                                             appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus le 6 mai 2003 à Prince George (Colombie‑Britannique)

 

par l’honorable juge Eric A. Bowie

 

Comparutions

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

Avocat de l’intimée :

Me Raj Grewal

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l’encontre des cotisations établies pour l’impôt en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1996, 1997 et 1998 sont rejetés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de mai 2003.

 

 

 

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17jour de mars 2004.

 

 

 

 

Nancy Bouchard, traductrice

 

 


 

 

 

Référence : 2003CCI337

Date : 20030514

Dossier : 2000‑4846(IT)I

ENTRE :

BRUCE MORRIS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bowie

 

[1]     Il s’agit d’appels interjetés à l’encontre des cotisations d’impôt sur le revenu établies pour les années 1996, 1997 et 1998. Pendant les années en cause, M. Morris occupait un emploi à temps plein auprès de la BC Rail Ltd., emploi dans le cadre duquel il travaillait 40 heures à raison de quatre jours par semaine. Il était également guide de pêche dans le cadre d’une activité appelée First Cast Guiding. J’emploie ici le terme « activité » parce que la question dont je suis saisi consiste à déterminer si cette activité constitue, à proprement parler, une entreprise et si, par conséquent, elle constitue une source de revenu pour l’application de l’article 3 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). L’appelant a soutenu, tout au long de l’audience, que l’activité First Cast est une entreprise et qu’elle constitue une source de revenu, que les pertes considérables qui ont été subies ont été correctement comptabilisées et déclarées pour chacune des trois années d’imposition faisant l’objet du présent appel et qu’il a le droit de déduire ces montants de son revenu tiré d’autres sources pour arriver à son revenu total pour chaque année d’imposition en vertu de l’article 3. Ces pertes, telles qu’il les a déclarées, sont les suivantes :

 

 

1996

 

1997

1998

Revenu brut

      Ø $ 

    300,00 $

    770,00 $

Dépenses

7 090,00 $

12 921,58 $

13 997,89 $

Perte

7 090,00 $

12 621,58 $

13 227,89 $

 

[2]     En établissant des cotisations à l’égard de M. Morris, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a prétendu que son activité en tant que guide de pêche n’offrait aucune attente raisonnable de profit dans un avenir prévisible et que, par conséquent, cette activité ne pouvait être qualifiée de source de revenu pour l’application de l’article 3. Il a donc ignoré ces pertes en établissant des cotisations à l’égard de M. Morris pour les années en cause. Un appel interjeté devant cette Cour a été rejeté. Toute cette affaire a eu lieu avant que la Cour suprême du Canada ne rende l’arrêt de principe dans l’affaire Stewart c. La Reine[1], appliquant la jurisprudence antérieure à l’arrêt Stewart. Après la publication de l’arrêt Stewart, la Cour d’appel fédérale a entendu l’appel que M. Morris avait interjeté devant la Cour et a annulé le jugement, renvoyant l’affaire pour la tenue d’un nouveau procès. Ce nouveau procès s’est tenu devant moi, à Prince George, en C.‑B., selon la procédure informelle de la Cour. L’appelant était le seul témoin.  

 

[3]     Pour reprendre les propos de l’appelant, celui‑ci a commencé à pêcher dès qu’il a su marcher. Depuis lors, il a été un pêcheur passionné presque toute sa vie, quoique pendant une période d’environ huit années il n’a pas pêché en raison, semble‑t‑il, de difficultés conjugales qu’il éprouvait à cette époque. Hormis cette période, il allait normalement à la pêche deux ou trois fois par mois, et ce, pendant presque 40 années. Il vit à Prince George depuis ces vingt dernières années, ce qui comprend la période pendant laquelle il a cessé de pêcher. Cependant, pendant près de 10 années ou plus, il a pêché dans les lacs et les rivières aux environs de Prince George, parfois seul, parfois en compagnie d’amis.

 

[4]     Au cours de son témoignage, M. Morris a indiqué qu’il s’était inquiété du fait que la BC Rail réduisait ses effectifs et qu’il risquait lui-même d’être mis à pied avant qu’il n’atteigne l’âge de la retraite. Il a donc envisagé la possibilité de lancer une entreprise offrant des services de guide comme moyen de subsistance dans l’éventualité où il perdrait son emploi. Il n’a suivi aucune formation en gestion des affaires ou des finances avant d’entreprendre ce projet et n’a pas non plus procédé à une étude approfondie du marché en vue de déterminer la viabilité de ses services. Il a indiqué qu’il avait acquis une certaine expérience en affaire comme ébéniste à Richmond, en C.‑B., activité à laquelle il a apparemment cessé de se livrer avant d’aller vivre à Prince George.

 

[5]     En 1996, il a décidé de prendre les démarches nécessaires en vue d’obtenir un permis de guide de pêche auprès de la province de la Colombie‑Britannique dans la perspective de se constituer une clientèle qui lui verserait des honoraires pour ses services en tant que guide de pêche non pas dans un pavillon de pêche, mais dans un cadre plus spartiate en milieu sauvage, sans superflus. Entre 1996 et 1999, il a remplacé son camion de marque Toyota par un camion à quatre roues motrices, doté d’une cabine allongée, de marque Dodge 1998, et il a fait l’acquisition d’un canot‑jet de 21 pieds 1995 en aluminium et propulsé par un moteur à réaction Berkley de 350 chevaux-vapeur qu’il a fait assurer pour la somme de 20 000 $. Il a également conservé un bateau en aluminium de 12 pieds, donc beaucoup plus petit, doté d’un hors‑bord de 9,5 chevaux-vapeur avec lequel il avait l’habitude de pêcher. Il a obtenu un permis de guide auprès du gouvernement provincial et a souscrit à une assurance contre des dommages pouvant être causés à la coque du canot‑jet, à une assurance automobile pour son camion, parce ils étaient utilisés dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise, ainsi qu’à une assurance personnelle de responsabilité civile pour cette même raison. 

 

[6]     L’appelant n’avait pas élaboré ce que l’on pourrait appeler, à proprement parler, un plan d’affaires, bien qu’il ait rempli, en mai 1996, un formulaire du gouvernement de la C.‑B. intitulé Angling Guide Operating Plan (plan d’exploitation pour les guides de pêche à la ligne). Dans ce formulaire de une page, on semble davantage se préoccuper des répercussions probables des activités d’apprentis guides sur les stocks de poissons que de la viabilité possible de ce genre d’entreprise. Des renseignements y sont exigés, tels que le nombre de bateaux et de véhicules qui seront utilisés, les eaux dans lesquelles les activités de pêche auront lieu, le nombre de jours de pêche prévus ainsi que les espèces qui seront pêchées. En janvier 1998, l’appelant a rempli un deuxième formulaire y ajoutant cinq lacs au territoire qu’il prévoyait exploiter. Bien que ce ne soit pas tout à fait clair, il semble que ces formulaires étaient un préalable pour obtenir un permis de guide : voir la pièce A‑3. Dans le premier formulaire, que l’appelant a rempli en mai 1996, dans l’espace réservé pour décrire les « plans futurs », l’appelant a simplement écrit ceci :

 

[traduction]

 

Élargir les champs d’activité de l’entreprise – acquisition d’un bateau plus gros pour répondre aux besoins des clients handicapés 

 

[7]     Au cours de son témoignage, l’appelant a indiqué que sa projection initiale de ses revenus éventuels était fondée sur 60 jours de pêche par année, à un taux de 150 $ par jour, pour générer un revenu total de 9 000 $, ce qui est cohérent avec ses prévisions du nombre de jours de pêche qu’il avait indiquées dans sa première demande de permis; cependant, ni son témoignage de vive voix, ni la preuve documentaire qu’il a produite n’expliquent comment il est parvenu à ses attentes de 60 jours de pêche. Son témoignage n’a pas non plus révélé l’existence d’un plan quelconque grâce auquel cette projection aurait pu être réalisée. Il a exprimé son intention de fournir un service qui n’était pas offert auparavant aux personnes handicapées qui peuvent vouloir s’adonner à des activités de pêche récréative en régions sauvages. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a fait l’acquisition du canot‑jet, a‑t‑il indiqué, puisqu’il permettait de transporter deux fauteuils roulants. Toutefois, aucune preuve démontrant que M. Morris a tenté de commercialiser ses services à l’intention des personnes handicapées ne m’a été présentée. En fait, ce n’est qu’après les trois années faisant l’objet du présent appel qu’il a déployé certains efforts ou du moins un effort sérieux en vue de commercialiser ses services. En 1996, aucune déduction pour les dépenses n’a été demandée à l’égard de la publicité. En 1997, ces dépenses s’élevaient à 178 $ et en 1998, à 88 $. Il n’a pas été en mesure de se rappeler quels avaient été les achats correspondant à ces montants, sauf peut‑être l’achat de chapeaux de pêche pour donner à ses clients. En 1999 ou en 2000, il a acheté un espace publicitaire dans un guide de voyage que publiait Tourism Prince George ainsi qu’un autre petit espace sur un panneau‑réclame situé dans le parc de stationnement du centre de renseignements touristiques de  Prince George. Il a également créé un site Web dans Internet à peu près à cette même époque. La publicité et le site Web mentionnent, en des termes sibyllins [traduction] « accès limité pour clients handicapés ». M. Morris a expliqué, au cours de son témoignage, comment l’emplacement où il avait prévu fournir aux clients handicapés un accès aux eaux de pêche s’était avéré pratiquement infranchissable pour une personne en fauteuil roulant ou se déplaçant à l’aide de béquilles. Fort heureusement, il semble qu’aucune personne handicapée n’ait jamais manifesté un intérêt quelconque à utiliser ses services.

 

[8]     Il est ressorti, en contre‑interrogatoire, que M. Morris a continué de subir des pertes avec la même vigueur jusqu’en 2001. Pour les trois années suivant les années en cause, il a réclamé les pertes suivantes :

 

 

1999

2000

2001

 

Revenu brut

      400,00 $

   1 000,00 $

   1 250,00 $

Dépenses

 17 735,92 $

 18 611,92 $

 28 877,43 $

Pertes

 17 335,92 $

 17 611,92 $

 27 627,43 $

 

En bref, en six années, les revenus annuels ont augmenté de zéro à 1 250 $, tandis que les pertes sont passées de 7 090 $ à 28 877,43 $.

 

[9]     Des extraits des agendas de l’appelant pour les années 1997 et 1998 indiquent qu’en 1997, il est allé à la pêche à neuf reprises et en 1998, à une quinzaine de reprises ou plus. Il n’a été accompagné par un client qu’une ou deux fois. M. Brent avait acheté une journée de pêche guidée au cours d’un encan de bienfaisance, don qu’avait fait l’appelant, et il lui a donné un pourboire de 20 $ à la fin de la journée. Une autre fois, il a fait une excursion de 130 kilomètres et la note inscrite à l’agenda indique [traduction] « dépôt à la banque de 250 $ ». Il n’apparaît pas clairement que des activités de pêche ont eu lieu cette journée-là. Sinon, il semble que son seul client payant qu’il ait eu pendant les trois années en cause soit un dénommé M. Zigmond, qui a payé la somme de 300 $ pour deux jours de pêche en 1997 et une autre somme de 200 $ en juin 1998. L’appelant avait envoyé à M. Zigmond un chèque-cadeau d’une valeur de 150 $ à Noël, en 1997. En 1998, M. Zigmond a donc utilisé son chèque-cadeau, a payé la somme de 150 $ pour la deuxième journée de pêche et a donné à l’appelant un pourboire de 50 $. L’appelant n’a pas été en mesure de se rappeler si d’autres clients avaient pêché avec lui et, à mon avis, il est probable que son autre revenu de 550 $, qu’il a généré en 1998, avait été tiré de services qu’il fournissait à la GRC et à l’équipe de recherche et de sauvetage de Prince George. Il n’a produit aucune preuve relative à la source précise de ses revenus pour les années 1999, 2000 et 2001, ni n’a pu fournir les noms de clients autres que M. Zigmond et M. Brent.

 

[10]    De même, les questions concernant la nature des dépenses que l’appelant a réclamées n’ont pratiquement pas permis d’obtenir des renseignements. La pièce A‑18 consiste en une laisse de documents isolés et désorganisés dont certains sont des reçus d’assurance, de publicités qu’il a fait paraître, du permis qu’il a obtenu, de frais qu’il a payés pour l’utilisation des terres ainsi que ce qui semble être des reçus de taxe provinciale sur l’achat du canot‑jet en avril 1998. En ce qui concerne les autres dépenses pour lesquelles il a demandé une déduction, aucun reçu ne les justifie. L’appelant ne tenait aucun livre, registre ou état financier quelconque se rapportant à cette activité. 

 

[11]    L’appelant n’a produit en preuve aucune répartition relative à l’usage des bateaux ou du véhicule à des fins commerciales ou de plaisance. Selon lui, chaque fois qu’il utilisait le bateau, c’était à des fins commerciales. Même si aucun client de l’accompagnait, ce qui était pratiquement toujours le cas, il s’agissait néanmoins d’un usage à des fins commerciales parce qu’il examinait les eaux où il envisageait d’amener ses clients ultérieurement. En d’autres termes, chaque excursion visait à connaître le territoire et ses eaux où il amènerait ses clients ultérieurement en vue de générer un revenu.

 

[12]    Dans l’affaire Stewart, la Cour suprême a prescrit une nouvelle méthode à deux volets afin de déterminer si des activités de ce genre peuvent être qualifiées de source de revenu pour l’application de l’article 3 de la Loi, même si ces activités entraînent des pertes de façon récurrente. La première question que l’on doit se poser consiste à savoir si : « [] l’activité en cause comporte un aspect personnel ou récréatif [...] »[2].

 

[13]    À mon avis, les activités de M. Morris se rapportant à la prestation de services de guide à des gens qui souhaitent aller pêcher en milieu sauvage comportent un aspect personnel considérable. J’ai déduis cette conclusion en raison du fait qu’il est un pêcheur à la ligne passionné et qu’il s’adonne à cette activité pendant la majeure partie des quarante dernières années. De même, selon son propre témoignage, il est un lamaneur très compétent. Il a décrit à la Cour, avec une apparente fierté, comme il était capable de gouverner son bateau dans des eaux difficiles là où d’autres lamaneurs avaient échoué. Les excursions en bateau et les voyages de pêche qui ont donné lieu, en grande partie, aux dépenses pour lesquelles il a demandé une déduction sont une prolongation de ce passe‑temps auquel il s’adonne depuis de nombreuses années. Il est donc nécessaire de procéder au deuxième volet de la méthode dont a fait mention la Cour. La question que l’on doit se poser et à laquelle il faut répondre est la suivante : « le contribuable [avait‑il] l’intention d’exercer [l’]activité  en vue de réaliser un profit et existe‑t‑il des éléments de preuve étayant cette intention? »[3]. Pour cela, je dois, d’une part, déterminer si l’intention prédominante du contribuable consistait à tirer un profit de son activité de guide de pêche, ce qui en soi est une analyse subjective, et d’autre part, s’il exerçait cette activité « [] conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux »[4].

 

[14]    Je suis enclin à admettre le témoignage de M. Morris selon lequel il s’est lancé dans cette activité, au départ, avec la perspective de se procurer une couverture dans l’éventualité où la BC Rail le mettrait à pied, mais aussi dans la perspective d’exploiter une entreprise à sa retraite. Toutefois, je ne crois pas que cela est toujours demeuré son intention. Il a dû lui sembler évident, au moins une fois par année, lorsqu’il produisait ses déclarations de revenus, que s’il ne procédait pas à un changement draconien dans sa façon d’exploiter son entreprise, il ne réaliserait jamais de profit. Ses pertes ont considérablement augmenté entre 1996 et 2001, notamment à la suite de sa décision, au printemps 1998, d’acheter le canot‑jet à un coût de près de 16 000 $[5]. Il a expliqué qu’il avait fait cette acquisition parce qu’il voulait être en mesure de fournir des services aux personnes handicapées, et pourtant, il n’avait aucun client handicapé, et n’a jamais tenté, à cette époque, de solliciter ce genre de clientèle. 

 

[15]    De toute évidence, selon les faits que j’ai énoncés, M. Morris n’a pas exercé cette activité selon une approche commerciale. Bien sûr, il a pris certaines démarches superficielles qui sont cohérentes avec l’exploitation d’une entreprise. Par exemple, il a enregistré une appellation, obtenu un permis de guide de pêche ainsi qu’un permis d’utilisation des terres et souscrit à une assurance commerciale aux fins de couverture du véhicule, des bateaux et des activités. Cependant, l’exploitation d’une entreprise comporte de nombreux autres éléments qu’il a tout simplement ignorés. Avant 2001, il n’a fait aucune tentative sérieuse pour faire la publicité de ses services de façon significative et, encore là, il n’avait affiché qu’une petite annonce à l’office du tourisme, il n’a fait paraître qu’une seule publicité et il a créé le site Web. Il ne tenait à jour aucun livre ou registre et même ses reçus sont loin de justifier les dépenses pour lesquelles il a demandé une déduction. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer la nature des dépenses qu’il avait réclamées, il n’a pas été en mesure de répondre, bien qu’il ait été la seule personne à exercer cette activité. Il a fait de longues excursions coûteuses pour aller pêcher dans les eaux aux environs de Prince George à une époque où il n’avait aucun client à l’exception de M. Zigmond, et ce, sans la moindre perspective de générer des revenus. Il a dépensé près de 16 000 $ pour l’achat d’un bateau en vue de fournir des services à des pêcheurs à la ligne handicapés sans même avoir tenté, apparemment, de vérifier s’il existait un marché pour une clientèle handicapée. Il a indiqué qu’il avait fait l’acquisition d’un camion de marque Dodge doté d’une cabine allongée à un coût très élevé parce que ce type de véhicule était plus commode que son camion de marque Toyota pour transporter M. Zigmond et son petit‑fils, même s’il ne s’agissait que d’une excursion de deux jours et qu’elle ne lui a permis que de générer un revenu de 200 $. Plus important encore, hormis une conversation anodine avec une personne de la région de Prince George qui était son concurrent, il s’est lancé dans cette activité sans élaborer un plan d’affaires ou sans faire une étude du marché. 

 

[16]    La Cour suprême a reconnu, dans l’affaire Stewart, que la capacité d’une activité de générer des profits dans un avenir rapproché et que des facteurs tels que la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s’engager en vue d’enrayer les pertes sont pertinents, sans être déterminants en soi, lorsqu’il s’agit de déterminer si une activité qui comporte un aspect personnel considérable est néanmoins une source de revenu pour l’application de l’article 3. Il ne fait aucun doute que M. Morris est une excellente personne avec qui aller pêcher. Cependant, la preuve ne démontre pas qu’il avait une expérience, une formation ou un talent quelconque lui permettant d’exploiter une entreprise. Il ne disposait pas d’un capital suffisant, semble‑t‑il, et il ignorait comment commercialiser ses services. Si l’on examine la situation en toute objectivité, cette activité comportait très peu d’aspects commerciaux. Après avoir subi des pertes ayant totalisé plus de 90 000 $ en six années, il n’a apparemment fait aucune tentative pour changer sa façon d’exploiter son entreprise. Rien dans son témoignage ne laisse sous‑entendre qu’il a même envisagé d’apporter de tels changements.

 

[17]    Il semble que M. Morris est d’avis que son activité consistait en une entreprise, parce qu’il a versé des sommes en vue d’obtenir des permis et de souscrire à une assurance aux fins d’une utilisation commerciale de son bateau et de son camion, mais je ne suis pas d’accord. Le coût réel de ces articles était relativement peu élevé en comparaison de ses demandes de déduction pour amortissement, pour les paiements d’intérêt ainsi que pour les frais d’entretien et de réparations. L’avantage de déduire, de son revenu d’emploi, les pertes découlant de ces dépenses au titre de « pertes d’entreprise », en vertu de l’article 3, dépasse considérablement ces coûts additionnels. En fait, c’était consentir à un bien petit sacrifice au regard de l’avantage d’exercer ses activités de pêche et d’excursion en bateau aux fins de déduction fiscale. Il n’exerçait pas une activité que l’on pourrait sérieusement considérer comme une entreprise. Par conséquent, les appels doivent être rejetés.

 

[18]    Je n’ai pas abordé l’argument subsidiaire de l’intimée selon laquelle les dépenses réclamées n’ont tout simplement pas été justifiées. L’appelant n’a produit en preuve que quelques reçus. Son comptable ou un spécialiste en déclarations de revenus, qui a préparé ses états des pertes pour lesquelles il a demandé une déduction, n’a pas témoigné. M. Morris lui‑même n’a pas été en mesure de fournir des précisions concernant la nature des dépenses pour lesquelles il a demandé une déduction. Dans ces circonstances, même si l’on établissait que l’activité qu’exerçait l’appelant n’était pas un passe-temps mais bel et bien une entreprise, je ne lui permettrais pas de déduire des dépenses autres que celles qu’ont justifiés les reçus réels produits en preuve et qui figurent dans les pièces. 

 

[19]    Les appels sont rejetés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de mai 2003.

 

 

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17jour de mars 2004.

 

 

 

 

Nancy Bouchard, traductrice



[1]           2002 CSC 46.

[2]           Stewart, précitée, au paragraphe 53.

[3]           Stewart, précitée, au paragraphe 54.

[4]           Idem.

[5]           La taxe provinciale s’élevait à 1 112,85 $. Voir la pièce A‑18.

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