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Dossier : 2002-2909(EI)

ENTRE :

RAYMOND FURLONG,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

_______________________________________________________________

Appel entendu le 24 janvier 2003 à Sherbrooke (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Représentant de l'appelant :

Bryan Furlong

Avocat de l'intimé :

Me Claude Lamoureux

_______________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de février 2003.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.


Référence : 2003CCI31

Date : 20030221

Dossier : 2002-2909(EI)

ENTRE :

RAYMOND FURLONG,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]      Il s'agit de l'appel d'une détermination en date du 24 avril 2002. En vertu de cette décision, l'intimé concluait que le travail exécuté par l'appelant, au cours de la période du 27 mai au 13 octobre 2001, n'était pas assurable. La décision s'appuyait sur les dispositions de l'article 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) ainsi qu'aux articles 251(2)a) et 251(2)b)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[2]      Au soutien de la détermination, l'intimé a pris pour acquis plusieurs faits qu'il a énumérés au paragraphe 5 de sa Réponse à l'avis d'appel.

[3]      Dans un premier temps, l'appelant a admis l'exactitude des faits suivants :

a)          le payeur a été constitué le 18 avril 1990;

b)          l'actionnaire unique du payeur était Nicole Boudreau Furlong;

c)          le payeur n'a exploité aucune activité commerciale avant l'an 2000;

d)          le 1er août 2000, le payeur acceptait les soumissions d'actions de l'appelant et de Bryan Furlong;

e)          durant la période en litige, les actionnaires, ayant des actions avec droit de vote du payeur selon le registre des actionnaires étaient :

Nicole Boudreau Furlong

l'appelant

Bryan Furlong

1 action

1 action

1 action

f)           l'appelant est le conjoint de Nicole Boudreau Furlong et le père de Bryan Furlong;

g)          le 12 septembre 2000, le payeur enregistrait le raison sociale « Récif » ;

h)          depuis 1990, Nicole Boudreau Furlong exploitait personnellement un restaurant à Percé sous la raison sociale « Resto Café le Récif » ;

i)           le 23 janvier 1996, l'appelant et Nicole Boudreau Furlong avaient signé un bail, avec option de renouvellement jusqu'au 31 mars 2016 de l'immeuble où est situé le restaurant;

j)           le 15 mai 2001, l'appelant et Nicole Boudreau Furlong sous-louaient et cédaient le bail au payeur;

k)          l'appelant et Nicole Boudreau déclaraient au locateur, dans leur avis de sous-location, demeurer conjointement et solidairement responsable des obligations du bail;

l)           le 16 mai 2001, Nicole Boudreau Furlong cédait au payeur le mobilier et l'équipement de son restaurant pour un montant de 9 000 $ en contrepartie d'une dette envers elle du payeur sans modalité de remboursement ou de versement d'intérêt;

m)         le 13 juillet 2000, l'appelant et Nicole Boudreau Furlong, pour les opérations du restaurant avaient emprunté et hypothéqué leur résidence pour 20 000 $;

n)          le 20 décembre 2001, l'appelant et Nicole Boudreau Furlong, pour les opérations du restaurant avaient hypothéqué leur résidence pour 40 000 $;

o)          le restaurant a été ouvert du 11 juin au 13 octobre 2001;

p)          le restaurant était ouvert 7 jours par semaine de 11h00 à 23h00;

q)          durant la période en litige, le payeur avait 14 employés;

r)           l'appelant était le gérant du restaurant;

s)          les tâches de l'appelant consistaient à gérer l'entreprise, à engager les employés, à accueillir la clientèle et à s'occuper de la comptabilité;

t)           les heures de travail de l'appelant étaient de 15h00 à 23h00;

u)          l'appelant recevait une rémunération de 12 $ l'heure et parfois de 8 $ de l'heure;

v)          le 18 octobre 2001, le payeur remettait un relevé d'emploi à l'appelant, pour la période commençant le 27 mai 2001 et se terminant le 13 octobre 2001 et qui indiquait 1032 heures assurables et une rémunération assurable totale de 9 384,96 $;

w)         le 25 février 2002, dans une déclaration à un représentant de l'intimé, l'appelant déclarait avoir travaillé avant le 27 mai 2001 à faire de la menuiserie pendant 5 ou 6 heures par jour, 5 jours semaine pendant un mois sans recevoir aucun salaire du payeur;

...

y)          l'appelant allait régulièrement faire des dépôts bancaires et chercher du poisson en dehors de ses heures normales de travail et sans rémunération et sans remboursement de dépenses;

z)          l'appelant rendait des services au payeur sans rémunération déclarée avant et pendant la période mentionnée au relevé d'emploi;

[4]      L'appelant a cependant nié la véracité des faits suivants :

x)          le relevé d'emploi de l'appelant n'est pas conforme à la réalité quant à la période travaillée par l'appelant;

aa)        le journal des salaires du payeur ne reflète pas la réalité quant aux heures réellement travaillées par l'appelant;

bb)        les semaines prétendument travaillées par l'appelant ne correspondent pas avec les semaines réellement travaillées.

[5]      L'appelant a témoigné en reprenant sensiblement ce qui ressortait des faits pris pour acquis pour soutenir la détermination. Il a insisté sur le fait que la région de Percé est une région très particulière en ce que la saison est très courte et que sa viabilité économique dépend principalement du tourisme et des pêches.

[6]      Il a indiqué qu'à Percé, il est usuel que les employés d'une entreprise exécutent bénévolement plusieurs tâches pour leur employeur. Pour l'appelant, il s'agissait là d'une collaboration essentielle à la survie de l'entreprise et de la majorité des entreprises.

[7]      Le contre-interrogatoire a fait ressortir quelques incohérences notamment, au niveau des modalités de rémunération. Dans un premier temps, l'appelant avait affirmé avoir été rémunéré toutes les semaines, soit en argent comptant, soit au moyen d'un chèque.

[8]      Le dépôt des chèques de rémunération a établi d'une manière non équivoque que l'appelant avait été rémunéré à la fin de la période au moyen d'une liasse de chèques, dont la très grande majorité portaient des numéros qui se suivaient; la date de leur endossement confirmait d'ailleurs le tout. Ainsi les chèques portant les numéros 219, 220, 221, 222, 223,224, 225, 226,227, 228, 229, 230, 231, 232, 233 ont été endossés le 12 octobre alors que les chèques 55, 56 et 57 ont été encaissés le 30 juillet et finalement, les deux derniers dont les numéros étaient 243 et 244, le 14 novembre.

[9]      Cette preuve documentaire réfute les prétentions de l'appelant et démontre d'une manière assez éloquente que l'appelant était rémunéré d'une manière assez particulière et certainement pas conforme à la façon dont les autres employés étaient rémunérés. En effet, il n'est certainement pas usuel, même en Gaspésie que les employés soient rémunérés beaucoup plus tard, voire même à la fin de la période où le travail a été exécuté.

[10]     La comptabilité des heures rémunérées, n'était pas très claire. Malgré ses fonctions de responsable des opérations, l'appelant recevait un salaire inférieur à celui d'employés occupant des fonctions beaucoup moins stratégiques pour l'entreprise.

[11]     La région Gaspésienne est effectivement une région particulière affligée par une situation économique très difficile. Son économie est étroitement liée à la pêche et au tourisme; ces deux activités ont une durée limitée dans le temps, soit de mai à la fin septembre de chaque année. Les conditions climatiques peuvent également avoir des effets importants sur les résultats.

[12]     Il s'agit là d'une réalité connue de tous et, particulièrement bien connue de tous les intervenants. Les gouvernements en tiennent d'ailleurs compte dans diverses législations. En effet, souvent, certaines les lois et leurs règlements tiennent compte des particularités régionales et prévoient des mesures spécifiques généralement plus souples calquées sur les besoins et préoccupations propres à certaines régions du pays.

[13]     La Gaspésie, comme d'autres régions du pays, profite de certaines particularités eu égard à leurs besoins particuliers.

[14]     En l'espèce, l'argument fondamental de l'appelant n'a aucune assise juridique. Même si les notions de solidarité, d'entraide et de gratuité sont plus fortes et plus répandues en Gaspésie que dans les grandes régions urbaines, cela ne veut pas pour autant dire qu'il faille écarter ou occulter certaines dispositions de la Loi lors de l'analyse d'un dossier.

[15]     L'assurance-emploi est un programme de soutien financier dont l'objectif est de venir en aide de façon ponctuelle à ceux et celles qui perdent leur travail; elle n'est pas une mesure de soutien économique aux entreprises en les soulageant d'une partie de leur masse salariale. Il se peut qu'il devrait en être autrement, auquel cas le législateur devra le prévoir.

[16]     En l'espèce, les faits soumis ont démontré que l'appelant avait exécuté du travail non rémunéré et requis pour les opérations commerciales de l'entreprise dans laquelle il détenait un tiers du capital-actions; ce travail aurait dû être rémunéré par la compagnie qui l'embauchait comme il l'aurait été si un tiers avait exécuté le même travail.

[17]     Les modalités de la rémunération de l'appelant étaient très particulières en ce qu'il a manifestement été payé à la toute fin de la saison. Bien que décrit comme un employé essentiel, la rémunération ne correspondait aucunement à l'importance de ses fonctions.

[18]     La détermination qui fait l'objet de l'appel résulte de l'application de l'article 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi, étant donné le lien de dépendance lequel est prévu aux articles 251(2)a) et 251(2)b)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[19]     Le fondement juridique de la détermination ne semble pas avoir été compris par l'appelant. Cela ressort des représentations soumises à l'audition, mais aussi exprimées dans son avis d'appel où il affirmait ce qui suit :

...

Déclarer qu'il y a un lien de dépendance entre la compagnie et la requérante s'avère inexact. Tous les arguments invoqués pour prouver ce lien de dépendance ne tiennent pas compte de la réalité socio-économique particulière d'une région telle que la Gaspésie. Nous considérons que toutes les conditions de travail du requérant et des autres membres de la compagnie sont explicables par cette situation particulière. Les conditions de travail du requérant seraient les mêmes malgré le soi-disant lien de dépendance invoqué par le ministre du Revenu national. L'Employeur du requérant exploite une entreprise dans le domaine de la restauration à Percé, en Gaspésie. Cette région, l'une des plus pauvres du Québec, dépend fortement de l'industrie touristique. Il s'agit là d'un critère qui aurait dû être pris en considération lors de l'analyse des faits. L'arrêt JENCAN (1995) I.C.F. 187 mentionne d'ailleurs qu'il faut prendre en considération tous les faits pertinents lors d'un jugement. Cette interprétation s'étend selon nous aux réalités socio-économiques d'une région.

... Il est étonné devant le fait que les Fulong ont accompli plusieurs tâches sans être rémunérés. La réalité est différente en Gaspésie, et cette façon de faire est malheureusement la norme pour plusieurs salariés. Il est évident que l'agent et le Ministre n'ont aucune connaissance de l'environnement dans lequel les employés du domaine touristique travaillent. Il n'est pas rare devoir des employés donner de leur temps sans rémunération afin de se préparer pour la venue de la saison touristique. Cette situation est aussi une réalité en fin de saison.

...

[20]     L'article 5(2)i) de la Loi attribue à l'intimé un véritable pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il doit faire la cueillette et l'analyse de tous les faits pertinents à partir des critères prévus par le même article, soit la rémunération, les modalités d'emploi, la nature et l'importance du travail accompli.

[21]     Lorsque les représentations de l'intimé responsable d'un dossier exerce ce pouvoir discrétionnaire d'une manière judicieuse, cela a pour effet d'enlever toute compétence à cette Cour qui ne peut alors se substituer à l'intimé pour refaire l'analyse des faits pertinents et modifier ainsi la détermination qui a résulté d'un travail sérieux et raisonnable.

[22]     Nombreuses sont les décisions de la Cour d'appel fédérale à avoir affirmé et réaffirmé que la Cour canadienne de l'impôt ne pouvait pas annuler ou réviser une détermination résultant de l'application de l'article 5(2)i) de la Loi, à moins qu'il ne soit démontré, par une prépondérance de preuve dont le fardeau incombe à l'appelant, que :

·         l'intimé par le biais de ses représentants avait manifestement abusé du pouvoir discrétionnaire;

·         l'intimé avait agi d'une manière illégale, arbitraire ou déraisonnable;

·         l'intimé avait accordé une importance démesurée à certains faits ou n'avait tout simplement pas tenu compte de faits hautement pertinents.

[23]     Le Tribunal doit donc, dans un premier temps, déterminer si l'intimé a correctement utilisé son pouvoir discrétionnaire. Dans l'affirmative, le Tribunal doit confirmer le bien-fondé de la détermination à l'origine de l'appel.

[24]     À l'inverse, si une prépondérance de la preuve démontre que l'intimé n'a pas agi d'une manière judicieuse, le Tribunal doit alors analyser l'ensemble de la preuve sous l'angle d'un procès de novo.

[25]     Madame Louise Savard a témoigné et expliqué le travail qu'elle avait exécuté avant de conclure comme elle l'avait fait. Son enquête et analyse ont été sérieuses et très complètes. Elle a tenu compte de tous les faits pertinents et les a appréciés d'une manière raisonnable.

[26]     Elle a notamment accordé une importance à l'effet que l'appelant avait été rémunéré à la toute fin de la période, que son salaire était discutable et que la durée de l'emploi ne cadrait en aucune façon avec la période de paye. L'analyse a été faite en conformité avec les critères édictés par le législateur et les conclusions retenues ne s'avèrent aucunement déraisonnables.

[27]     Quant à l'appelant, il a essentiellement reproché à l'intimé de ne pas avoir tenu compte de la réalité particulière de la région gaspésienne. Il a soutenu que les diverses incohérences étaient dues au comptable qui n'a pas témoigné sous prétexte que cela aurait entraîné des frais exorbitants. Le fondement au principal argument de l'appelant à savoir que madame Savard aurait dû tenir compte des particularités et spécificités de la région gaspésienne n'a aucune assise juridique.

[28]     Le fardeau de la preuve incombait à l'appelant, il n'y a aucun doute que ce dernier n'a pas relevé le fardeau, d'où je n'ai pas l'autorité pour modifier la détermination et de ce fait, je me dois de confirmer le bien-fondé de la détermination. L'appel doit donc être rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de février 2003.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.


RÉFÉRENCE :

2003CCI31

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-2909(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Raymond Furlong

et le ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :

Sherbrooke (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE

le 24 janvier 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 février 2003

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelant :

Bryan Furlong

Pour l'intimé :

Me Claude Lamoureux

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Étude :

Pour l'intimé :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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