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Date: 20000118

Dossier: 91-2196-IT-G

ENTRE :

RICHARD MERCILLE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(prononcés oralement à l'audience le 7 décembre 1999 à Montréal (Québec))

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] Monsieur Richard Mercille interjette appel d'avis de cotisation établis par le ministre du Revenu national (ministre) à l'égard des années d'imposition 1986, 1988 et 1989. Les appels soulèvent plusieurs questions litigieuses. Selon les actes de procédure des parties, la première de ces questions est de savoir si monsieur Mercille a engagé des frais juridiques de 1 500 $ en 1986, de 17 231 $ en 1988 et de 8 832 $ en 1989 en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un emploi et s'il a le droit de les déduire dans le calcul de son revenu tiré de l'une ou l'autre de ces sources. La deuxième question en litige est de savoir si monsieur Mercille a reçu un revenu d'entreprise de 67 561,75 $ par l'intermédiaire d'un prête-nom, monsieur André Wong. Ce revenu aurait été réalisé lors de la revente de titres miniers de Ressources minières Aabarock Inc. (Aabarock). La troisième question litigieuse se rapporte à l'application de l'article 10 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) au revenu d'entreprise tiré par monsieur Mercille de l'achat et de la vente de ses titres boursiers. Finalement, dans le calcul de son revenu tiré de la vente de ses titres d'Aabarock, monsieur Mercille réclame comme déduction le coût de titres acquis comme actions accréditives en 1984.

[2] Au début de l'audience, monsieur Mercille a indiqué qu'il laissait tomber les deux dernières questions en litige. Par contre, il en a soulevé trois nouvelles. Tout d'abord, il a prétendu ne pas avoir déduit en 1984 les frais d'exploration au Canada (FEC) s'élevant à 50 000 $ qu'il a engagés lors de l'acquisition des actions accréditives d'Aabarock. Vu le défaut de les avoir déduits en 1984, il en réclame la déduction dans le calcul de son revenu pour l'année 1986. De plus, monsieur Mercille réclame la déduction d'une perte de 13 635 $ résultant du non-remboursement d'une partie de prêts totalisant 38 760 $ que monsieur Mercille aurait consentis à monsieur Wong en 1986 pour lui permettre d'acheter des titres d'Aabarock. Monsieur Mercille prétend n'avoir reçu de monsieur Wong qu'une somme de 25 525 $. Dans la mesure où monsieur Wong aurait agi comme prête-nom pour monsieur Mercille, cette perte pourrait être appliquée en réduction du revenu d'entreprise plutôt que d'être déclarée comme perte en capital.

[3] La dernière question qu'a soulevée monsieur Mercille au début de l'audience porte sur l'application de la pénalité prévue à l'article 163(2) de la Loi et que le ministre a imposée à l'égard d'une somme de 156 405,39 $ que monsieur Mercille n'aurait pas déclarée pour l'année d'imposition 1986. De cette somme, 148 583,89 $ représentent des gains que monsieur Mercille aurait réalisés en 1986 : 81 022,14 $ lors de la vente de titres détenus dans son portefeuille ainsi que les 67 561,75 $ qu'il aurait réalisés par l'intermédiaire de monsieur Wong. Le solde, soit 7 821,50 $, représente des revenus d'intérêt non déclarés provenant de la disposition de bons du Trésor.

[4] Si l'on récapitule, les points en litige restant sont les suivants : 1) la déduction des frais juridiques; 2) la déductibilité des FEC de 50 000 $; 3) l'inclusion dans les revenus tirés d'une entreprise de la somme de 67 561,75 $ réalisée par monsieur Wong comme prête-nom pour monsieur Mercille; 4) le droit à la déduction d'une perte résultant des prêts totalisant 38 760 $ et 5) la pénalité imposée en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Le premier point se rapporte aux années d'imposition 1986, 1988 et 1989, alors que tous les autres ne concernent que l'année d'imposition 1986.

FAITS et ANALYSE

[5] Monsieur Mercille a été de 1983 au 29 septembre 1986 un courtier en valeurs mobilières chez Bell Gouinlock. Le 29 septembre 1986, il a été congédié parce qu'il projetait d'ouvrir son propre bureau et incitait certains de ses collègues à se joindre à lui. Monsieur Mercille s'est associé par la suite à la maison de courtage Lévesque Beaubien.

[6] Toutefois, le pire restait à venir. En effet, à la suite d'une enquête de la Commission des valeurs mobilières du Québec qui avait débuté le 23 mars 1987, monsieur Mercille a vu son inscription à la Bourse comme représentant suspendue le 31 mars 1988 pour une période de deux ans par le Comité de discipline de la Bourse de Montréal. Il avait contrevenu au règlement 4221 de la Bourse de Montréal. Le comité l'a trouvé coupable relativement aux sept chefs d'accusation suivants :

1. Dans la période du 1er mars au 10 octobre 1986, M. Richard Mercille a participé sciemment à un arrangement ayant pour effet de restreindre le libre cours des actions et des bons de souscription de Ressources Minières Aabarock Inc., à savoir un arrangement incitant les principaux actionnaires de ladite compagnie à déposer leurs certificats d'actions et de bons de souscription entre ses mains et à s'engager à ne pas vendre leurs actions pour moindre qu'un prix minimum convenu.

2. Il s'est placé en position de conflit d'intérêts avec ses clients par le biais d'un arrangement en vertu duquel ses clients ont été invités à lui remettre leurs certificats d'actions et de bons de souscription à titre de mandataire et dépositaire prétendument dans le but de protéger lesdits clients des effets d'une vente massive des titres de Ressources Minières Aabarock Inc., tandis que M. Mercille était lui-même détenteur d'actions et de bons de souscription dans ladite société, titres qu'il a vendus pendant qu'il gardait en dépôt les certificats de ses clients.

3. Il a continué d'agir comme dépositaire des certificats d'actions et de bons de souscription de ses clients qui lui ont été remis en même temps que la convention de mandat signée individuellement par ces derniers, le tout malgré un avertissement verbal vers le 18 avril et un avertissement écrit en date du 24 avril 1986 par la Bourse à l'effet que cette convention était inacceptable, et il a gardé lesdits certificats et attendu jusqu'au 7 octobre 1986 pour aviser les actionnaires visés par ladite convention qu'elle était "réputée n'avoir jamais existé".

4. Il a recommandé à ses clients, dans une lettre en date du 11 août 1986, leur adhésion à un arrangement ayant pour effet de restreindre le libre cours des actions et des bons de souscription de Ressources Minières Aabarock Inc., et ce malgré les avertissements écrits de la Bourse de Montréal et de la Commission des valeurs mobilières du Québec en date du 24 avril et du 16 juillet 1986 respectivement.

5. Le ou vers le 11 août 1986, M. Richard Mercille s'est mis en position de conflit d'intérêts en recommandant à ses clients leur adhésion à un "contrat d'option" concernant les actions et bons de souscription de Ressources Minières Aabarock Inc., tout en les assurant qu'il était le seul en mesure de les aider par rapport auxdits titres et que c'était une offre avantageuse dont le "garant" était un homme d'affaires, sans dévoiler que ledit individu agissait à titre de prête-nom pour lui-même (R. Mercille) et ce malgré l'avertissement écrit qu'il avait reçu en date du 16 juillet 1986 de la Commission des valeurs mobilières du Québec l'enjoignant à une très grande prudence dans l'exercice de ses fonctions de représentant eu égard aux titres des sociétés dont il était lui-même porteur.

6. Dans la période du 1er mars au 10 octobre 1986, M. Richard Mercille s'est servi d'un de ses clients à titre de prête-nom pour les fins d'un compte avec une firme membre autre que le membre qui l'employait et sans le consentement écrit de ce dernier.

7. Vers le 28 octobre 1986, M. Richard Mercille, en réponse à une demande datée du 23 octobre 1986 par la Bourse de lui fournir un exposé complet de la situation en ce qui a trait aux arrangements concernant les actions de Ressources Minières Aabarock Inc., a tenté d'induire la Bourse en erreur en lui disant :

a) que la convention d'actionnaires du mois d'avril 1986 n'était jamais entrée en vigueur, alors que ce n'est que le 7 octobre 1986 qu'il a écrit aux personnes qui lui avaient remis des copies signées de ladite convention pour les informer que la convention était censée ne jamais avoir existé;

b) que le prétendu contrat d'option qu'il recommandait à ses clients ne visait pas à remplacer un arrangement antérieur désapprouvé par la Bourse;

c) que le "contrat d'option" avait été préparé par un "spéculateur" sans dire qu'il s'agissait de lui-même agissant sous un prête-nom.

Il est important de noter que, pour rendre sa décision, le Comité de discipline a entendu le témoignage de plusieurs témoins, dont notamment monsieur Mercille et monsieur Wong, un ami d'enfance de monsieur Mercille.

[7] Cette décision du comité de discipline de la Bourse de Montréal a été portée en appel par monsieur Mercille auprès du Comité des gouverneurs de la Bourse. Le 22 juin 1988, ce comité a remplacé la suspension de deux ans par une révocation permanente de l'inscription de monsieur Mercille comme représentant.

[8] Le 31 mars 1989, la Commission des valeurs mobilières du Québec a rendu sa décision sur la demande de révision des décisions du Comité de discipline et du Comité des gouverneurs. Selon cette Commission, le fardeau de la preuve que devaient appliquer les comités de la Bourse dans l'appréciation de la preuve était celui de la prépondérance de la preuve et, compte tenu de la gravité des accusations, cette preuve devait être fiable, claire, convaincante et suffisante. Ayant étudié les pièces et les notes sténographiques de l'audience devant le Comité de discipline soumises par les parties, la Commission des valeurs mobilières du Québec a maintenu la décision du Comité de discipline quant à la culpabilité de monsieur Mercille et celle du Comité des gouverneurs de la Bourse de Montréal quant à la révocation du droit d'exercice.

[9] Le 10 mai 1989, monsieur Mercille a porté cette décision de la Commission des valeurs mobilières du Québec en appel devant la Cour du Québec. Quelques semaines plus tard, soit en juillet 1989, la Couronne a intenté une poursuite criminelle contre monsieur Mercille. Le 26 juillet 1996, l'honorable juge Louis Legault de la Cour du Québec a déclaré monsieur Mercille coupable relativement aux deux chefs d'accusation suivants :

d'avoir entre le 26 février 1986 et le 23 octobre 1986, à Montréal, district de Montréal, par la supercherie, le mensonge ou autres moyens dolosifs, avec l'intention de frauder, illégalement influé sur la cote publique des actions ou stocks de la Compagnie Ressources Minières Aabarock Inc., offerts en vente au public, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 380(2) du Code criminel.

d'avoir, entre le 1er mars 1986 et le 23 octobre 1986, à Montréal, district de Montréal, illégalement comploté avec Monsieur Pascal D'Onofrio, Monsieur Clément Gagnon, Monsieur Bernard-Marie Gagnier et Monsieur Sylvain Tremblay, pour commettre un acte criminel à savoir influer dans l'intention de frauder sur la cote publique des actions ou stocks de la Société Ressources Minières Aabarock Inc., offerts en vente au public, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 465(1)c) du Code criminel canadien.

[10] En 1997, monsieur Mercille a été condamné à la prison pour une période de deux ans moins un jour et il n'a pas porté cette décision en appel. Il a fait cinq mois de prison. Monsieur Mercille n'a plus l'intention de poursuivre son appel devant la Cour du Québec contre la décision de la Commission des valeurs mobilières du 31 mars 1989. Un de ses principaux motifs est qu'ayant été trouvé coupable d'une infraction criminelle, monsieur Mercille ne croit plus être en mesure d'exercer à nouveau ses fonctions de représentant.

[11] À l'audition de ces appels, monsieur Mercille, qui se représentait lui-même, s'est opposé à la production des motifs tant du jugement du juge Legault que de la décision rendue par la Commission des valeurs mobilières du Québec. Cette opposition soulevait la question de l'admissibilité non seulement des décisions mais aussi des motifs de celles-ci et la question de l'effet de la condamnation criminelle dans un appel fiscal. Après avoir analysé certaines décisions des tribunaux, j'en suis venu à la conclusion qu'il s'agissait d'éléments de preuve pertinents et admissibles.

[12] D'abord, il est clair que la condamnation de monsieur Mercille au criminel ne constitue pas chose jugée puisque le litige devant la Cour du Québec et celui devant la Commission des valeurs mobilières ne sont pas identiques à celui dont il s'agit dans ces appels. Il n'est donc pas surprenant que l'intimée n'ait pas soulevé cette question dans ses actes de procédure, dont notamment sa réponse à l'avis d'appel.

[13] Il existe en common law une distinction entre la chose jugée et l'issue estoppel, c'est-à-dire un moyen de défense qui empêche une partie à un litige de débattre à nouveau une question déjà décidée par un tribunal ou un organisme exerçant des fonctions quasi judiciaires. Dans Angle v. M.N.R., [1975] 2 R.C.S. 248, à la page 254, le juge Dickson, s'exprimant pour la majorité en Cour suprême du Canada, fait les commentaires suivants sur cette distinction et énonce les conditions dans lesquelles on peut soulever l'issue estoppel.

La deuxième sorte d'estoppel per rem judicatam est connue sous le nom d'issue estoppel, expression qui a été créée par le Juge Higgins de la Haute Cour d'Australie dans l'arrêt Hoysted v. Federal Commissioner of Taxation3, à la p. 561 :

[TRADUCTION] Je reconnais pleinement la distinction entre le principe de l'autorité de la chose jugée applicable lorsqu'une demande est intentée pour la même cause d'action que celle qui a fait l'objet d'un jugement antérieur, et cette théorie de la fin de non-recevoir qu'on applique lorsqu'il arrive que la cause d'action est différente mais que des points ou questions de fait ont déjà été décidés (laquelle je puis appeler théorie de l'“issue-estoppel”).

Lord Guest, dans l'arrêt Carl Zeiss Stiftung c. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2)4, à la p. 935, définit les conditions de l'“issue estoppel” comme exigeant:

[TRADUCTION] . . . (1) que la même question ait été décidée; (2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la fin de non-recevoir soit finale; et, (3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l'affaire où la fin de non-recevoir est soulevée, ou leurs ayants droit ...

Le juge Dickson ajoute ces observations à la page 255:

. . . Il ne suffira pas que la question ait été soulevée de façon annexe ou incidente dans l'affaire antérieure ou qu'elle doive être inférée du jugement par raisonnement. [...] La question qui est censée donner lieu à la fin de non-recevoir doit avoir été “fondamentale à la décision à laquelle on est arrivé” dans l'affaire antérieure: d'après Lord Shaw dans l'arrêt Hoystead v. Commissioner of Taxation8. Les auteurs de l'ouvrage Spencer Bower and Turner, Doctrine of Res Judicata, 2e éd. pp. 181, 182, cité par M. le Juge Megarry dans l'arrêt Spens v. I.R.C.9, à la p. 301, décrivent dans les termes suivants la nature de l'examen auquel on doit procéder:

[TRADUCTION] . . . si la décision sur laquelle on cherche à fonder la fin de non-recevoir a été “si fondamentale” à la décision rendue sur le fond même du litige que celle-ci ne peut valoir sans celle-là. Rien de moins ne suffira.

[14] Dans l'affaire Van Rooy c. M.N.R., [1989] 1 C.F. 489, page 505, la Cour d'appel fédérale a reconnu que le moyen de défense d'issue estoppel pouvait être soulevé dans un appel d'une cotisation d'impôt devant la Cour canadienne de l'impôt.

Pour toutes les considérations qui précèdent, je suis d'avis que le juge en chef adjoint a commis une erreur en concluant que l'issue estoppel fondée sur une déclaration de culpabilité dans une affaire criminelle ne pouvait s'appliquer dans une instance civile. Il devient donc nécessaire de déterminer si, dans les circonstances de la présente espèce, l'issue estoppel est effectivement applicable.

Aux pages 508 et 509, la Cour d'appel reconnaît qu'il est pertinent d'analyser

les motifs du juge au criminel:

Je traiterai à présent de l'opportunité d'un examen qui va au-delà du certificat pour considérer les motifs du juge. Dans une affaire instruite par la Division de première instance qui mettait en jeu des faits tout à fait différents de ceux de l'espèce, l'affaire Sheridon Warehousing Limited c. La Reine (1983), 83 DTC 5095 (C.F. 1re inst.), mon collègue le juge Mahoney a examiné les motifs du juge de la Cour provinciale qui avait prononcé la culpabilité de l'accusé pour déterminer si ce juge, en déclarant le demandeur coupable d'évasion fiscale, avait fait une évaluation de la juste valeur marchande de certains biens immobiliers au jour de l'évaluation. Le juge Mahoney a conclu qu'il ne l'avait pas fait et qu'en conséquence, il n'était pas appelé à statuer sur la question de savoir si l'issue estoppel était applicable dans cette espèce. L'importance de cette décision pour les fins de la présente espèce tient au fait qu'il a effectivement examiné les motifs de jugement de la Cour de juridiction criminelle pour trancher une question soulevée dans le cadre d'un appel interjeté en matière d'impôt.

Je n'ai pas non plus de difficulté à conclure qu'il n'est pas irrégulier d'examiner les motifs de jugement pour vérifier si l'issue estoppel est effectivement plaidée à bon droit. Il n'importe pas, dans les circonstances telles qu'elles m'apparaissent en l'espèce, de savoir si l'examen des motifs est considéré comme une question de réfutation de la preuve prima facie résultant du dépôt du certificat de condamnation, ou s'il constitue l'exercice d'un pouvoir judiciaire discrétionnaire dépendant des faits particuliers à chaque espèce, une manière d'aborder la question adoptée dans certains arrêts américains. L'objet d'un tel examen est l'appréciation de l'identité des questions en cause, un élément jouant un rôle crucial relativemnet à l'applicabilité de l'issue estoppel; les faits qui ont amené le juge du procès à conclure à la culpabilité de la personne accusée devraient donc être pris en considération. [Je souligne.]

[15] Il est donc clair qu'il était approprié de permettre la production des motifs du jugement de la Cour du Québec et de la décision de la Commission des valeurs mobilières pour déterminer si la règle d'issue estoppel pouvait être appliquée. La question qui reste à trancher est celle de savoir si cette règle s'applique ici. Je ne crois pas qu'elle soit applicable. Même si le juge Legault a énoncé des conclusions de fait selon lesquelles monsieur Wong avait agi comme prête-nom pour le compte de monsieur Mercille, je ne crois pas que cette détermination était “ si fondamentale ” pour la conclusion du juge Legault à la culpabilité de monsieur Mercille. Je crois que d'autres motifs pouvaient lui permettre d'arriver à cette conclusion.

[16] Il faut aussi rappeler que, dans l'affaire Van Rooy (précitée) l'infraction criminelle était d'avoir éludé l'impôt sur un revenu donné, il s'agissait donc d'une question de droit et de fait beaucoup plus intimement liée à l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt. Dans son jugement, par contre, le juge Legault a conclu que monsieur Mercille avait illégalement influé sur le marché des valeurs mobilières alors que la question ici est de savoir si certains bénéfices réalisés par monsieur Wong appartenaient à monsieur Mercille.

[17] Quant à la décision rendue par la Commission des valeurs mobilières du Québec, en plus du fait que la question en litige n'était pas non plus similaire, sa Majesté la Reine n'apparaît pas comme une des parties. Donc, il n'a pas été satisfait à l'une des conditions énoncées par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Angle (précitée), soit celle voulant que les parties soient les mêmes.

[18] Même si la règle d'issue estoppel ne s'applique pas, cela ne signifie pas que les décisions de la Cour du Québec et de la Commission des valeurs mobilières n'ont aucune pertinence en l'espèce. Comme le confirme la décision récente rendue par la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Ali c. Cie d'assurance Guardian du Canada, [1999] J.Q. no 2526 (QL), un jugement pénal constitue un fait juridique pertinent qui peut s'imposer quant à sa valeur probante. Voici ce qu'écrit la juge Thibault dans cette affaire au paragraphe 45 :

Le jugement pénal est un fait juridique que nul ne peut ignorer, qui est pertinent et qui peut s'imposer quant à sa valeur probante. Le juge civil donc, sans attribuer à la condamnation pénale l'autorité de chose jugée en droit ou en fait, est libre, selon les circonstances, d'en tirer les conclusions et les présomptions de fait appropriées.

Au paragraphe 43 elle dit ce qui suit :

L'introduction en preuve d'un verdict de culpabilité peut, selon les circonstances, permettre au juge civil de tirer les conclusions qui s'imposent relativement au fait que l'acte reproché a bel et bien été commis. Devant, comme dans le présent cas, un jugement pénal motivé établissant que les Ali ont volontairement mis le feu à leur édifice pour toucher l'assurance, il me semble difficile, en l'absence d'éléments de preuve nouveaux, que le juge civil, ignorant complètement ce fait, réévalue la preuve, par ailleurs, strictement identique, pour en arriver à une solution clairement contradictoire. Je vois mal, en effet, comment un juge civil, devant qui la fraude ne doit être prouvée que par simple prépondérance de preuve, peut conclure que deux personnes trouvées coupables d'incendie volontaire à la suite d'un procès où leur culpabilité doit être prouvée au-delà du doute raisonnable puisse, pour ainsi dire, "rejuger" à l'aide d'une preuve identique et qu'on arrive ainsi à deux décisions contradictoires. Les Ali sont des criminels qui ont volontairement mis le feu parce qu'ils voulaient frauder leur compagnie d'assurance, mais finalement ils n'ont pas mis le feu volontairement pour les fins du paiement de l'assurance; voilà le résultat!

[19] Il devient alors pertinent de citer les motifs du juge Legault. Parmi les actes dolosifs qui, a conclu ce juge, avaient été commis par monsieur Mercille et qui fondaient sa conclusion que monsieur Mercille était coupable d'avoir illégalement influé sur le marché des valeurs mobilières, on retrouve celui de s'être servi de monsieur Wong comme prête-nom pour acquérir et vendre des titres d'Aabarock. Le juge Legault consacre d'ailleurs à cette question 16 pages et demie de ses 55 pages de jugement. Le juge Legault a conclu qu'il avait été établi hors de tout doute raisonnable que monsieur Wong avait agi comme prête-nom pour monsieur Mercille aux pages 39 et 40:

L'ensemble de ces faits d'apparence contradictoire mettant en cause Monsieur Wong devant le Tribunal pourrait-il y compris l'examen objectif des faits soulever à la limite un doute raisonnable sur le fait que Monsieur Wong était le prête-nom de l'accusé?

Aucun doute ne subsiste sur le contrôle étroit et l'intérêt de l'accusé dans l'ensemble des tractations attribuées à Monsieur Wong. Les faits d'apparence contradictoire ne sèment aucun doute sur le fait que l'accusé se sert de Monsieur Wong, de son nom pour atteindre à ses fins visant la raréfaction des actions et le retrait d'un nombre considérable d'actions du marché.

Le Tribunal ne doute pas non plus de la véracité des déclarations de Monsieur Wong sur le fait qu'il a été le messager de l'accusé et qu'il ne connaît rien au marché de valeurs mobilières, et qu'il n'a jamais exécuté personnellement les transactions boursières réalisées en son nom. Il est clair également que Monsieur Wong a prêté son nom à l'accusé pour lui permettre de transiger par son intermédiaire et que l'accusé a utilisé le nom de Monsieur Wong pour proposer l'entente d'août 1986, tout comme ces actions pour influer à la baisse ou tempérer le marché boursier en septembre 1986.

La seule question qui demeure concerne la nature ultime du rôle de Monsieur Wong. Au-delà du fait que l'accusé se sert de Monsieur Wong, que Monsieur Wong n'est aucunement associé aux décisions qui concernent les offres et transactions sauf comme messager, la poursuite établit-elle le rôle de prête-nom de Monsieur Wong pour l'accusé?

Monsieur Wong affirme que l'accusé qui s'était engagé à défrayer les frais de ses procureurs a changé d'idée en cours de route, qu'il a dès lors changé de procureur, que ce dernier lui a conseillé de dire la vérité et qu'il a décidé de la dire pour ne pas écoper et que bien qu'il ait protégé l'accusé à toutes les étapes avant les présentes procédures criminelles, il dit la vérité. La crédibilité de Monsieur Wong est confirmée de maintes façons par les preuves recueillies et établissant au-delà du fait que l'accusé contrôle Monsieur Wong que ce dernier est le prête-nom de l'accusé. L'ensemble des circonstances et faits affirment puissamment que cet individu qui n'a pas grand [sic] crédibilité, n'a pu que dire la vérité. Les faits externes confirment que Monsieur Wong a été généralement tenu à l'écart des tractations de l'accusé. Les dires de l'accusé sont à ce point corroborés en qualité par un grand nombre de facteurs externes à Monsieur Wong qu'ils ne permettent pas de douter qu'il n'a été en l'instance que l'instrument de Monsieur Mercille, et donc son prête-nom.

[20] Dans son jugement, le juge Legault a aussi conclu que le compte ouvert par monsieur Wong chez Disnat avait été ouvert pour le bénéfice de monsieur Mercille. Voici ce que le juge Legault écrit à la page 32 de ses motifs :

Le Tribunal n'a aucun doute sur l'ignorance et le manque d'expérience de Monsieur Wong en matière de valeurs mobilières. Aussi, il devient véritablement invraisemblable que Monsieur Wong ait ouvert chez les Investissements Disnat Inc. un compte où il reconnaît qu'il dispense ce bureau de courtage de lui donner quelque conseil quant aux transactions, quant à la nature, la qualité ou le potentiel de toute valeur mobilière. Il ne s'agit définitivement pas d'une convention qui concerne des néophytes comme Monsieur Wong. Il fallait nécessairement qu'un autre individu assure cette responsabilité ou ait des droits plus vastes sur ce compte. Ce ne peut être que l'accusé. C'est donc pour l'accusé que Monsieur Wong ouvre chez Investissements Disnat Inc. ce compte.

[21] Il est important de rappeler que le juge Legault est arrivé à ces conclusions même si monsieur Mercille avait plaidé dans cette poursuite criminelle l'absence de crédibilité de monsieur Wong en attirant l'attention de la cour sur ses parjures, sur son témoignage contradictoire, réticent et vague. À la page 26, le juge Legault écrit :

Vraiment, c'est un témoin bien taré que le Tribunal a entendu et bien que relativement cohérent et vraisemblable dans sa version devant le Tribunal, il serait invraisemblable de retenir sa version sans qu'elle ne soit solidement corroborée et confirmée par des facteurs indépendants, extérieurs à l'accusé.

Pour retenir l'essentiel du témoignage de monsieur Wong dans le contexte de la précarité de sa crédibilité à l'effet qu'il a agi comme prête-nom à l'accusé, le Tribunal devra avoir constaté que monsieur Wong est confirmé et corroboré par des éléments de preuve externes qui ne sont pas ambigus, qui sont spécifiques, significatifs et qu'ensemble regroupés, ils ne permettent aucune autre interprétation raisonnable et logique.

[22] À la page 35 de son jugement, le juge Legault écrit :

N'est-ce pas prévisible que si monsieur Wong avait eu un intérêt dans le produit des ventes importantes effectuées dans ses comptes, il l'aurait déposé dans son compte de banque? Plutôt il déclare avoir changé des chèques en liquidités pour remettre à l'accusé. Et à ce sujet, monsieur Wong fournit beaucoup de détails et témoigne de façon crédible.

[23] Un peu plus loin, le juge Legault d'ajouter :

Autre facteur convainquant du rôle de monsieur Wong comme prête-nom, c'est le nombre important de certificats d'actions déposés dans le compte personnel d'actions chez Bell Gouinlock. Cela confirme le rôle de prête-nom de monsieur Wong. Et cette confirmation est importante comme le 24 avril 1986, 64 000 actions achetées par monsieur Wong se retrouvent entièrement dans le compte personnel de l'accusé au début du mois de mai 1986. La preuve établit qu'il s'agit manifestement de certificats d'actions au nom de monsieur Wong que l'accusé dépose dans son compte personnel chez Bell Gouinlock.

[24] Dans le passage qui suit, se trouvant à la page 39, le juge Legault indique qu'il ne croit pas que monsieur Mercille ait prêté des sommes à monsieur Wong pour faire l'achat des actions d'Aabarock et qu'il croit ce dernier lorsqu'il affirme avoir remis le produit de la vente à monsieur Mercille :

Quant au chèque de plus de 50 000 $ qu'il change, Monsieur Wong déclare avoir procédé en deux étapes comme la Banque n'avait pas 50 billets de 1 000 $ : en premier, 25 billets de 1 000 $, le solde étant déposé dans son compte, en second, 25 billets de 1 000 $ un mois plus tard, la présence de l'accusé et ses démarches étant détaillées. Les mentions à l'arrière du chèque attestent du fait que le chèque a été changé. Et quel intérêt, un propriétaire aurait-il à changer en billets de 1 000 $ un chèque de 50 000 $ et à ne pas le déposer? Cela accrédite de nouveau la version de Monsieur Wong.

Et de fait, Monsieur Wong endosse au bénéfice de l'accusé un chèque de 25 000 $ en date du 26 juin 1986. Est-ce un remboursement d'un emprunt additionnel de 19 000 $ mentionné à l'endos du chèque de Monsieur Wong en date du 10 mars 1986? Le Tribunal croit qu'il s'agit simplement d'une opération de l'accusé pour masquer la réalité. Monsieur Wong est détaillé et convainquant [sic] sur le fait qu'il agit comme si le compte de banque appartient à l'accusé.

[25] Monsieur Mercille soutient que les conclusions de fait adoptées par le juge Legault devraient être mises de côté parce qu'il n'a eu que la version de monsieur Wong, monsieur Mercille ayant décidé sur la recommandation de son procureur de ne pas témoigner lors du procès criminel. D'abord, il est important de noter que, même si monsieur Mercille n'a pas témoigné lors de ce procès, une partie de sa version a été mise en preuve. Notons en particulier le fait que monsieur Mercille aurait prêté une somme de 38 760 $ : la mention “ prêt personnel ” apparaît au dos de deux des trois chèques totalisant cette somme. J'ai aussi déjà cité plus haut les commentaires du juge Legault relatifs à cette prétention.

[26] Il devient aussi pertinent et important de citer certains passages de la décision de la Commission des valeurs mobilières du Québec qui a rendu sa décision en tenant compte non seulement du témoignage de monsieur Wong mais aussi de celui de monsieur Mercille. Les trois commissaires de la Commission des valeurs mobilières du Québec ont conclu que monsieur Wong avait agi comme prête-nom, que le véritable propriétaire du compte Disnat était monsieur Mercille et finalement que, lorsque monsieur Wong avait fait l'offre d'option à certains actionnaires au mois d'août 1986, il l'avait fait comme prête-nom pour le bénéfice de monsieur Mercille. Voici certains passages pertinents tirés des motifs de la Commission :

Les dispositions de l'article 7409 des règles de la Bourse de Montréal interdisent à un représentant de "maintenir, soit à son nom, soit à tout autre nom, un compte en valeurs mobilières... sur lequel il a, directement ou indirectement, l'autorité de négocier, ou le contrôle, dans une firme membre ou société liée, autre que le membre ou la compagnie liée qui l'emploie..., sans le consentement par écrit de son employeur..." Cet article vise à faciliter les pouvoirs de vérification que l'employeur exerce sur les comptes personnels du représentant. En effet, ce droit de regard a pour but de s'assurer du respect des obligations d'un représentant envers ses clients.

Le 29 janvier 1986, un compte signé par Richard Mercille a été ouvert au nom d'André Wong chez Bell Gouinlock Ltée (pièce P-11). Les renseignements inscrits au formulaire d'ouverture de compte révèlent que le représentant, soit Richard Mercille, ne possédait aucun intérêt direct ou indirect dans le compte. De plus, on indique un avoir net du client d'au moins 50 000 $. Un formulaire d'ouverture de compte (pièce P-5) a également été ouvert au nom d'André Wong chez le courtier Investissements Disnat Inc. le 2 mai 1986. Les faits et circonstances établissant les liens entre Richard Mercille et ces deux comptes au nom d'André Wong sont exposés comme suit dans le mémoire du procureur de la Bourse de Montréal :

"a) la veille du règlement, le 11 mars 1986, du solde débiteur au montant de 18 950 $ au compte de Wong chez Bell Gouinlock, Mercille lui fait un chèque certifié pour 19 000 $ (pièce P-24);

b) le 26 juin 1986, le chèque de Disnat pour 25 125,12 $ (pièce P-7) en paiement du solde créditeur dans le compte de Wong est endossé par Wong et ensuite par Mercille;

c) le 15 mai 1986, Mercille dépose dans son compte chez Bell Gouinlock 58 300 actions dont la presque totalité est représentée par les mêmes certificats que ceux émis à Wong pour Bell Gouinlock le 16 avril 1986. Les reçus de livraison (pièces P-10 et P-13) et le tableau comparatif (pièce P-14) établissent ce lien de façon indéniable."

Interrogé sur son chèque certifié de 19 000 $ ci-dessus mentionné, Richard Mercille répond que ce montant représentait un prêt qu'il avait fait à André Wong en vue de l'aider à s'acheter un commerce de pâtisserie. Nous trouvons curieux que Richard Mercille ait négocié une telle convention sans aucune garantie quelconque alors qu'en 1985 il a jugé essentiel que les conditions d'un prêt à la même personne pour un montant moins élevé soient rédigées devant un avocat sous forme d'une convention assortie de garanties. Ses prétentions nous semblent d'autant plus invraisemblables à la lumière d'une preuve documentaire incontestée que, le 15 mai 1986, Richard Mercille a déposé dans son compte chez Bell Gouinlock Ltée 58 000 actions de la société, dont presque la totalité constitue les mêmes certificats d'actions émis à André Wong par la même maison de courtage le 16 avril 1986. (Pièces P-10, P-13 et P-14; témoignage de M. David Archibald, le 13 janvier 1988, Vol. 1, pages 60 à 62). L'ensemble de la preuve nous convainc que Richard Mercille s'est servi de son ami d'enfance André Wong comme prête-nom afin d'utiliser un compte d'une maison de courtage autre que son employeur, et ce sans avoir reçu l'agrément de ce dernier. La preuve nous semble suffisante à cet égard et nous maintenons sa culpabilité sous le sixième chef d'accusation.

[27] Monsieur Mercille a d'abord témoigné pour me fournir sa version des faits. Par la suite, il a fait témoigner Me Robert qui l'avait conseillé relativement à des questions de procédure pour ses appels de la décision rendue par le Comité de discipline de la Bourse de Montréal et qui a aussi assisté monsieur Wong lorsqu'il a fait l'objet d'une enquête menée par la Commission des valeurs mobilières du Québec. Me Robert a indiqué au début de son témoignage qu'il avait détruit ses dossiers et qu'il devait se fier à la transcription de son témoignage devant la Cour du Québec pour fournir son témoignage devant moi.

[28] Finalement, monsieur Mercille a demandé à monsieur Wong de témoigner. Son objectif, de façon évidente, était de discréditer la version des événements que monsieur Wong avait présentée devant le Comité de discipline de la Bourse de Montréal et devant la Cour du Québec lors du procès criminel. Sa tactique a été d'établir toutes les contradictions possibles qui existaient entre son témoignage en l'espèce et celui qu'il avait donné dans le cadre des poursuites disciplinaires et criminelles.

[29] Tout d'abord, je n'ai pas l'intention de commenter toutes les contradictions, fondées ou non, que j'ai constatées lors de l'audition de ces appels qui, au départ, ne devait durer que deux jours et qui s'est prolongée pendant plus de sept jours. De plus, avant de commenter certaines des déclarations fournies par chacun des protagonistes, il est utile de décrire la personnalité de chacun d'eux. Monsieur Mercille m'est apparu dans la présentation de sa preuve, de même que dans le témoignage qu'il a fourni à la Cour, comme une personne méthodique et minutieuse, quoique souvent vétilleuse. De façon évidente, il avait très bien préparé ses appels. Il a toujours fait preuve d'une très grande maîtrise de soi et n'a montré aucune émotion. Il s'est d'ailleurs comporté de façon très respectueuse vis-à-vis du témoin Wong de même qu'à mon égard et envers le procureur de l'intimée.

[30] Quant à monsieur Wong, il s'agit d'une personne très bavarde (il fallait lui rappeler constamment de limiter ses réponses aux questions qui lui avaient été posées), souvent émotive et impétueuse, et peu soucieuse du détail. Je n'ai pas été surpris d'apprendre qu'il n'administrait pas ses affaires financières avec soin et prudence et qu'il dépensait tout l'argent qu'il gagnait, soit, à l'époque, un salaire de cuisinier militaire d'environ 26 000 $. Il dépensait même plus que ce qu'il ne gagnait, ce qui doit expliquer en grande partie le fait qu'il ait fait faillite au moins deux fois, une fois en 1989 et une autre quelques années plus tard.

[31] Il est évident qu'il existait beaucoup d'animosité entre monsieur Wong et monsieur Mercille. Des accusations ont fusé de toutes parts. Monsieur Mercille a accusé monsieur Wong de chantage. Monsieur Wong a accusé monsieur Mercille d'intimidation à son égard et d'agression sexuelle contre sa soeur. Il l'a même accusé de l'avoir tuée. Il semble que cette personne se soit suicidée peu avant l'audition de la poursuite criminelle intentée contre monsieur Mercille pour agression sexuelle. Faute de preuve, monsieur Mercille a été déclaré non coupable.

[32] Messieurs Wong et Mercille ont témoigné avec beaucoup de conviction. Tous les deux semblaient croire fermement leur version respective mais tous les deux m'ont fourni des descriptions erronées de certains faits. Toutefois, monsieur Wong a été constant en affirmant qu'il n'avait pas de connaissances suffisantes en valeurs mobilières et en particulier dans les opérations boursières, qu'il n'avait pas l'argent nécessaire pour investir à la bourse, qu'il avait accepté de rendre service à un ami d'enfance en agissant comme prête-nom pour l'achat et la vente des titres d'Aabarock. C'est comme prête-nom qu'il a ouvert un compte à la Banque d'épargne à Longueuil pour permettre l'achat des titres d'Aabarock et c'est parce qu'il était un prête-nom que l'argent nécessaire pour les acquérir lui avait été fourni par monsieur Mercille. De plus, monsieur Wong signait les chèques en blanc pour permettre à monsieur Mercille d'effectuer le paiement de ces actions.

[33] C'est aussi comme prête-nom qu'il a ouvert chez Disnat le compte au moyen duquel monsieur Wong a vendu les titres d'Aabarock pour le compte de monsieur Mercille. Monsieur Wong a aussi soutenu qu'il avait remis à monsieur Mercille toutes les sommes qu'il avait encaissées lors des ventes des titres d'Aabarock survenues en 1986, à l'exception de petits montants, dont notamment un montant de 125 $, et d'une somme de 1 000 $ pour couvrir des frais d'avocat éventuels.

[34] L'enquête de la Commission des valeurs mobilières du Québec a fourni la plupart des pièces que l'intimée a produites devant cette cour. Parmi celles-ci, on retrouve trois chèques totalisant 38 760 $, payables par monsieur Mercille à monsieur Wong. Un chèque de 12 860 $ du 21 janvier 1986 avec la mention “ prêt personnel ” au dos, un chèque de 6 900 $ du 11 février 1986 sans aucune mention au dos et finalement un chèque de 19 000 $ du 10 mars 1986 avec la mention “ prêt personnel additionnel ”. Les chèques ont été remis à monsieur Wong pour lui permettre d'acheter un total de 120 750 actions d'Aabarock au coût total de 36 985 $. Le solde de 1 760 $ a été payé à monsieur Wong qui ne se rappelle pas à quelle fin cette somme aurait été utilisée.

[35] Parmi les pièces produites par l'intimée, on retrouve aussi trois chèques totalisant une somme de 106 321 $ qui a été versée par Disnat à monsieur Wong. Il s'agit d'un chèque de 6 000 $ du 20 mai 1986, un de 25 125,12 $ du 26 juin 1986 et un troisième de 75 196,63 $ du 31 octobre 1986. Quant au premier, monsieur Wong ne s'en souvient pas. Quand on examine le deuxième, on constate qu'il a été endossé par monsieur Wong ainsi que par monsieur Mercille. Ce dernier confirme d'ailleurs l'avoir reçu et l'avoir déposé dans son compte bancaire. Quand j'ai interrogé monsieur Wong sur la remise du troisième, il m'a donné deux versions contradictoires en l'espace de cinq minutes.

[36] Tout d'abord, accompagné de monsieur Mercille, il s'était rendu à la Banque Nationale, rue Lagauchetière à Montréal, succursale bancaire de la société Disnat, pour encaisser le chèque. La banque lui aurait versé 50 000 $ et le reste aurait été transféré dans son compte bancaire à Loretteville. Il aurait remis les 50 000 $ le jour même ou le lendemain à monsieur Mercille. Il serait alors reparti pour Québec et, un mois plus tard, de retour à Montréal, il aurait remis le solde à monsieur Mercille sauf les 1 000 $ déjà mentionnés. Intrigué par le fait qu'il n'ait pu remettre l'argent à monsieur Mercille que le lendemain, j'ai demandé à monsieur Wong de me fournir des précisions sur les circonstances entourant l'encaissement du chèque de 75 196,63 $. Il m'a alors indiqué qu'il aurait reçu le plein montant de 75 196,63 $ et qu'il l'aurait remis à monsieur Mercille le lendemain parce que, pour une raison qu'il ignore, monsieur Mercille ne l'aurait pas suivi à l'extérieur de la Banque Nationale. Comme il était environ 2 heures de l'après-midi — cette heure étant indiquée au dos du chèque —, monsieur Wong pense que monsieur Mercille serait retourné à son bureau. Situation assez intriguante pour quelqu'un qui accompagne son prête-nom, selon les prétentions de monsieur Wong, pour encaisser son chèque.

[37] Lorsque le procureur de l'intimée lui a demandé en contre-interrogatoire d'expliquer cette contradiction dans son témoignage, et après que ce procureur lui eut montré la transcription du témoignage qu'il avait donné lors des audiences antérieures, monsieur Wong a confirmé que la banque n'avait pas suffisamment de billets de 1 000 $ pour lui permettre l'encaissement du montant total du chèque de 75 196,63 $. Seulement 50 billets étaient disponibles. Le solde avait été transféré dans son compte bancaire à Québec.

[38] Monsieur Wong a alors produit une copie de ce chèque de même que le talon ainsi qu'un feuillet de la Banque Nationale confirmant le dépôt, le 31 octobre 1986, d'une somme de 25 097,33 $ à son compte de Loretteville. Au dos du chèque, on constate que le commis de la Banque Nationale a appelé Disnat pour confirmer l'émission du chèque et identifier le bénéficiaire. Ce commis a aussi communiqué avec un représentant de la Banque Nationale à Québec. Figurent aussi au dos du chèque le numéro d'assurance sociale, le numéro d'une carte de crédit et la mention de l'existence d'une carte-photo du ministère de la Défense nationale fournissant la date de naissance et la grandeur de monsieur Wong. Toutes ces démarches sont donc compatibles avec le soin que prendrait un commis d'une banque avant de remettre un montant important en espèces.

[39] Cette contradiction dans le témoignage de monsieur Wong peut s'expliquer par le fait qu'il n'est pas facile de se rappeler de petits détails survenus plus de 13 ans avant l'audition des appels. Il faut aussi se rappeler que monsieur Wong ne semble pas avoir apporté à la préparation de son témoignage le même soin que l'avait fait monsieur Mercille, ce qui est tout à fait normal.

[40] Même si monsieur Mercille a apporté beaucoup plus de soin à la préparation de son témoignage, cela ne l'a pas empêché de présenter lui aussi une version erronée de certains faits. Il a affirmé sous serment qu'il n'avait pas déduit dans le calcul de son revenu pour l'année 1984 une somme de 50 000 $ comme FEC à la suite de son acquisition de 50 000 $ d'actions accréditives dans Aabarock. Même si ces actions accréditives avaient été souscrites le 26 novembre 1984, monsieur Mercille soutenait que ses revenus du mois de décembre 1984 avaient été inférieurs à ceux qu'il s'attendait à recevoir - les revenus de décembre ayant plutôt été réalisés en janvier 1985 - et qu'il n'avait pas de revenus suffisants pour pouvoir déduire les FEC de 50 000 $ provenant de sa souscription d'actions d'Aabarock.

[41] Il est important de mentionner que monsieur Mercille avait détruit, tout comme le ministre, sa déclaration de revenu pour l'année 1984. Tout ce qu'on a produit était un relevé informatique fournissant un sommaire de la déclaration de 1984. Sous la rubrique “ autres déductions ”, on notait une somme de 89 629 $. Quand j'ai demandé à monsieur Mercille comment je pourrais me convaincre que ses FEC de 50 000 $ ne faisaient pas partie de cette somme de 89 629 $, monsieur Mercille a répondu que ces 50 000 $ n'ont pas été déduits parce qu'il voulait justement les garder comme PBR de ses actions.

[42] Quand je lui ai demandé de m'indiquer quelles dépenses auraient pu être incluses dans la somme de 89 629 $, il m'a répondu qu'elle comprenait des FEC provenant de Golden Knight. Par contre, il a ajouté qu'il était incapable de me dire combien d'actions il avait pu acheter de cette société. Après avoir constaté que monsieur Mercille avait déduit en 1986 des dépenses de ressources de 159 733 $, je lui ai suggéré qu'il avait dû certainement utiliser les déductions de 1984 en 1985. Même s'il était un courtier spécialisé en actions accréditives, il a alors affirmé ne pas savoir qu'il pouvait reporter ces déductions dans une autre année.

[43] Ce témoignage de monsieur Mercille a été fourni lors des deux premières journées d'audience, soit les 30 et 31 août 1999. Lors de la reprise de l'audience le 22 novembre 1999, le procureur de l'intimée a montré à monsieur Mercille une copie de la déclaration de revenu pour l'année 1984 que ce dernier avait produite auprès du ministère du Revenu du Québec. Monsieur Mercille s'est d'abord opposé à la production de ce document mais j'ai rejeté son opposition.

[44] Dans la déclaration de revenu en question, on pouvait constater que monsieur Mercille avait déduit une somme de 95 470 $ comme déductions relatives à des ressources découlant de l'achat d'actions accréditives ou de placements similaires. Comprises dans cette somme se trouvaient non seulement des FEC provenant de Golden Knight — représentant un montant minime de 1 878 $ — et d'un géologue qui s'appelait Jacques Grenier — représentant un montant de 7 500 $ —, mais aussi des FEC de 50 028 $ provenant d'Aabarock et donnant droit à un montant de 83 380 $, soit 166 % des FEC auxquels Aabarock avait renoncé en faveur de monsieur Mercille. Donc, monsieur Mercille se rappelait en août 1999 avoir déduit pour l'année 1984 des FEC provenant de Golden Knight (dont le montant ne s'élevait qu'à 1 878 $) mais ne se rappelait pas avoir déduit des FEC provenant d'Aabarock (dont le montant s'élevait à 50 028 $), et cela est plutôt surprenant!

[45] Or, lorsque l'on calcule les déductions correspondantes permises en vertu de la loi fédérale, on arrive à un total de 89 629 $, soit exactement le montant qui apparaît sur le relevé informatique pour l'année 1984. Monsieur Mercille a alors reconnu que, selon toute vraisemblance, il avait déduit les 50 028 $ de FEC auxquels Aabarock avait renoncé en sa faveur. Il a donc retiré ce motif d'appel.

[46] Il faut aussi ajouter qu'un document écrit de la main de monsieur Mercille fait la ventilation du montant de 95 470 $ dont il a réclamé la déduction dans sa déclaration de revenu provinciale et révèle un solde disponible comme “ réserve (CEQ) pour année future”. Le procureur de l'intimée a donc confronté monsieur Mercille à son témoignage donné lors de l'audience tenue en août 1999 selon lequel il ne savait pas qu'il pouvait reporter les déductions de FEC sur des années subséquentes. Monsieur Mercille a tenté d'expliquer qu'il était au courant du report possible pour les fins provinciales mais qu'il ignorait que c'était aussi possible pour les fins fédérales. Pourtant, un feuillet d'information fiscale pour l'année 1984 établi par Aabarock et joint à la déclaration de revenu provinciale de monsieur Mercille indique clairement que les montants non déduits dans une année donnée peuvent être déduits dans n'importe quelle année subséquente pour les fins tant provinciales que fédérales.

[47] À tout le moins, cette partie du témoignage de monsieur Mercille, se rapportant à sa demande de déduction de 50 000 $ à titre de FEC, révèle qu'il est facile de se tromper dans un témoignage, même pour monsieur Mercille. De plus, il est plutôt surprenant qu'un courtier en valeurs mobilières dont la spécialité est la vente d'actions accréditives et le financement de sociétés minières puisse prétendre ignorer qu'il est possible de reporter sur des années subséquentes la déduction de FEC dont la déduction n'a pas été réclamée dans une année donnée.

[48] Deux interprétations viennent à l'esprit pour expliquer les inexactitudes qui se sont glissées dans le témoignage de monsieur Mercille. Ou bien il croyait honnêtement n'avoir pas déduit les 50 000 $ de FEC en 1984 et il a commis une erreur à ce sujet, se trompant de bonne foi. Ou bien il savait qu'il les avaient déjà déduits et alors il a menti sous serment et s'est ainsi parjuré. Ici je ne suis pas en mesure de trancher cette question et il n'est pas essentiel que je le fasse. Toutefois, il faut bien reconnaître que monsieur Mercille est, comme le juge Legault l'a dit à l'égard de monsieur Wong, un témoin taré. En plus d'avoir été déclaré coupable par le juge Legault d'avoir par des moyens dolosifs influé illégalement sur le marché des valeurs mobilières, monsieur Mercille a été reconnu coupable d'avoir utilisé un faux nom et d'avoir fraudé l'aide sociale et l'aide juridique en cachant des revenus. Il n'est donc pas inconcevable que monsieur Mercille ait pu mentir.

[49] Mais revenons à la question du prête-nom et des prétendus prêts totalisant 38 760 $. Lors de son témoignage, monsieur Mercille a présenté une version bien différente de celle de monsieur Wong. Selon monsieur Mercille, monsieur Wong aurait agi pour son propre compte et non comme mandataire ou prête-nom de monsieur Mercille. Monsieur Mercille aurait voulu aider monsieur Wong à se lancer en affaires. En effet, ce dernier songeait depuis un certain temps à quitter l'armée. Monsieur Wong a reconnu qu'il avait envisagé l'achat d'une pâtisserie d'une valeur de 16 000 $ avec un de ses collègues de la base militaire de Valcartier. Selon monsieur Mercille, monsieur Wong devait faire toutes les démarches pour obtenir ce commerce de même que s'occuper du financement, y compris l'obtention de subventions. Toujours selon Monsieur Mercille, pour obtenir une subvention, monsieur Wong devait montrer qu'il détenait un certain montant de capital.

[50] En attendant que cette acquisition se concrétise, monsieur Mercille aurait suggéré à monsieur Wong en janvier 1986[1] de spéculer sur des actions minières de deuxième rang. Il lui aurait suggéré d'offrir aux actionnaires d'Aabarock d'acheter leurs actions pour 20 cents l'action. Certaines de ces actions avaient été émises quelques mois auparavant, soit en septembre 1985, pour 40 cents. Pourquoi faire bénéficier monsieur Wong d'une telle occasion. Selon monsieur Mercille, il voulait compenser la perte qu'avait subie monsieur Wong lors de certaines transactions boursières survenues en 1984. Pourtant, comme on le verra, il ne s'agissait pas d'une perte importante. Monsieur Wong avait décidé d'ouvrir en 1984 un compte de REER autogéré dont il s'était servi, sur la recommandation de monsieur Mercille, pour faire l'acquisition d'actions d'une petite société minière, actions dont le coût total s'élevait à 2 167,73 $. Quelques semaines plus tard, monsieur Wong les a revendues pour une somme de 1 332 $, subissant ainsi une perte de 835 $.

[51] Lorsque monsieur Wong a fait en janvier 1985 l'offre d'achat d'actions d'Aabarock, cette société était une société fermée dont les actions ne seraient inscrites à la bourse que le 26 février 1986. Treize actionnaires ont répondu à l'offre de monsieur Wong et ce dernier a acquis 58 700 actions pour une somme de 12 650 $. Le 14 février 1986, il a acquis 17 500 actions additionnelles pour une somme de 5 330,85 $. Une fois les actions inscrites à la bourse, monsieur Wong en a acquis 45 500 autres pour une somme de 18 950 $. Cela lui donnait un portefeuille de 122 550 actions pour un total de 36 985 $.

[52] Pour expliquer le fait qu'au 11 février 1986 les prêts pour placement qu'il avait consentis à monsieur Wong totalisaient 19 760 $ et que ce montant avait été augmenté d'un autre 19 000 $ au 19 mars 1986, monsieur Mercille a mentionné un autre projet d'investissement que monsieur Wong envisageait, soit l'acquisition d'un manoir pour une somme d'environ 200 000 $. Ce manoir devait contenir sept commerces. Selon monsieur Mercille, c'est monsieur Wong qui devait faire les démarches pour obtenir le financement nécessaire à l'acquisition, y compris l'obtention de subventions.

[53] À part la mention de prêt apparaissant au dos de deux chèques, il n'y a aucun contrat écrit qui confirme l'existence de ces prêts ou leurs modalités. Selon monsieur Mercille, il existait une entente verbale entre lui et monsieur Wong pour que monsieur Mercille obtienne une participation de 10 % dans l'un et l'autre des projets en échange de son aide en matière de financement.

[54] Pourtant, quand il a prêté à monsieur Wong en février 1985 une somme de 11 471 $, soit une somme bien inférieure aux prêts totalisant 38 760 $, monsieur Mercille avait pris soin de faire signer devant son avocat, Me Robert, un contrat écrit qui stipulait un taux d'intérêt de 14,4 % par an avec un engagement à ne pas emprunter à quelqu'un d'autre. Cet engagement visait à limiter monsieur Wong dans ses emprunts et à fournir à monsieur Mercille une certaine forme de garantie. Le prêt de 11 471 $ visait à consolider des dettes personnelles de monsieur Wong, dont certaines dues à des sociétés de carte de crédit. Comme l'ont fait remarquer les trois commissaires de la Commission des valeurs mobilières à la page 23 de leurs motifs, il s'agit là d'une situation curieuse. Pourquoi avoir exigé un contrat écrit rédigé par un avocat pour un prêt de 11 471 $ alors qu'aucun contrat de prêt n'a été dressé pour trois prêts totalisant 38 760 $.

[55] Quant à monsieur Wong, il a nié qu'il devait faire les démarches pour obtenir le financement et les subventions. Selon lui, il n'avait aucune compétence dans ce domaine; c'était monsieur Mercille l'expert en la matière. Il faut mentionner de plus que, selon monsieur Wong, les projets n'étaient pas suffisamment avancés pour qu'on ait discuté de l'intérêt qu'obtiendrait monsieur Mercille en échange de son aide financière. Faut-il aussi ajouter que ces projets ne se sont jamais réalisés.

[56] Le lien que tente d'établir monsieur Mercille entre les prêts totalisant 38 760 $ et l'acquisition d'une pâtisserie ou du manoir me semble cousu de fil blanc. Il me semble que monsieur Mercille prend ses désirs pour des réalités. De plus, que monsieur Mercille ait prêté une somme de 38 760 $ pour permettre à monsieur Wong de spéculer sur des actions d'une petite société minière m'apparaît aussi surprenant qu'invraisemblable. C'est prendre beaucoup de risques financiers pour permettre à monsieur Wong de regagner une perte de 835 $ subie en 1984.

[57] Il faut se rappeler que monsieur Wong ne gagnait qu'un salaire d'environ 26 000 $ comme cuisinier à la base militaire et qu'il avait beaucoup de difficulté à gérer ses finances et à vivre selon ses moyens. Il faut ajouter en plus que monsieur Wong n'avait aucune connaissance dans le domaine des valeurs mobilières et en avait encore moins dans le domaine des ressources minières. Finalement, il faut se rappeler que la première expérience de monsieur Wong dans ces domaines avait été décevante pour lui.

[58] Monsieur Mercille prétend que monsieur Wong a transféré son portefeuille de Bell Gouinlock à Disnat en mai 1986 parce qu'il existait un froid entre lui et monsieur Wong. Or, monsieur Mercille a continué, selon sa propre version, à fournir des renseignements financiers à monsieur Wong et à le conseiller. Quant à lui, monsieur Wong prétend que le compte a été transféré parce que monsieur Mercille planifiait son départ de chez Bell Gouinlock et que ses relations avec ses patrons s'étaient détériorées. Monsieur Mercille argue que cela n'a pas de sens parce qu'il possédait toujours son propre compte personnel chez Bell Gouinlock en septembre 1986 lorsqu'il a été congédié. Là-dessus, je crois que monsieur Mercille a raison.

[59] Toutefois, monsieur Wong soutient qu'il a ouvert le compte chez Disnat à la demande de monsieur Mercille et le fait qu'il se trompe sur le motif du transfert du compte de Bell Gouinlock à Disnat ne signifie pas nécessairement qu'il se trompe lorsqu'il affirme qu'il détenait ce compte pour le bénéfice de monsieur Mercille et que le compte appartenait à ce dernier.

[60] Lors de l'ouverture du compte chez Disnat le 2 mai 1986, monsieur Wong a donné comme adresse celle de la base Valcartier. Toutefois, à partir de juin 1986, l'adresse de monsieur Wong figurant sur les relevés de compte était la suivante : C.P. 623, Tour de la Bourse. Monsieur Wong affirme que c'est à la demande de monsieur Mercille que cette case postale a été prise à la Tour de la Bourse. Monsieur Wong prétend, peu de temps après avoir remis la clé de cette case postale à monsieur Mercille. Ce dernier nie avec vigueur qu'il ait eu le contrôle de la case postale.

[61] À mon avis, la version de monsieur Wong m'apparaît la plus vraisemblable. Pourquoi monsieur Wong aurait-il pris une case postale à la Tour de la Bourse alors qu'il vivait à Québec, sur la base militaire. Il aurait certainement été plus efficace, s'il devait utiliser une case postale, de l'avoir dans la région de Québec près de la base militaire. Il est donc plus vraisemblable que la case postale a été obtenue pour permettre à monsieur Mercille de mieux contrôler, de façon occulte, le compte chez Disnat et les relevés mensuels qui étaient envoyés à cette case.

[62] Monsieur Mercille a aussi expliqué que si des titres de monsieur Wong se sont retrouvés dans son propre compte, comme l'a fait remarquer le juge Legault dans ses motifs, c'est parce que monsieur Mercille les aurait acquis en échange de bons de souscription qu'il possédait. Si le juge Legault avait compris cela, il aurait pu en venir à des conclusions différentes sur la question du prête-nom.

[63] Tout d'abord, je trouve tout à fait surprenant que monsieur Wong, qui ne s'y connaît pas dans les opérations mobilières, ait accepté d'échanger des actions contre des bons de souscription. Monsieur Mercille affirme que c'était pour mieux spéculer. Je ne crois pas que monsieur Wong était assez spéculateur pour se lancer dans une telle aventure. Les bons de souscription venaient à échéance dans un court délai et risquaient donc de disparaître, ce qui s'est d'ailleurs effectivement passé. Cet échange n'est pas incompatible avec la conclusion du juge Legault que monsieur Wong était une marionnette de monsieur Mercille et qu'il suivait les directives de son mandant.

[64] Monsieur Mercille prétend que le chèque de 25 125,12 $ qu'il a reçu de monsieur Wong représente un remboursement partiel des prêts totalisant 38 760 $ qu'il aurait consentis à monsieur Wong. Quant aux sommes représentées par les chèques de Disnat de 6 000 $ et de 75 196,63 $ qui ont été remis à monsieur Wong, monsieur Mercille prétend ne pas les avoir reçues. Ici, c'est encore la parole de monsieur Wong contre celle de monsieur Mercille.

[65] Quant à savoir quelle version retenir, cela dépend en grande partie de la réponse que l'on donne aux questions suivantes : monsieur Wong agissait-il comme prête-nom pour monsieur Mercille, le compte chez Disnat appartenait-il à monsieur Mercille et ce dernier exerçait-il un contrôle sur ce compte? Si l'on répond affirmativement à toutes ces questions, il devient plus facile de croire que monsieur Mercille a adopté les mesures nécessaires pour s'assurer que les sommes versées par Disnat lui étaient remises.

[66] En effet, si monsieur Mercille décide quand vendre les actions d'Aabarock et s'il reçoit à la case postale à la Tour de la Bourse les chèques et les relevés de Disnat, on peut penser aussi qu'il a reçu le produit de la vente des actions d'Aabarock. De plus, si monsieur Mercille ment ou, à tous le moins, se trompe en affirmant que monsieur Wong n'agissait pas comme son prête-nom, qu'il (monsieur Mercille) n'était pas le véritable propriétaire du compte Disnat et qu'il n'exerçait pas de contrôle sur la case postale, on peut facilement croire qu'il ment ou se trompe aussi en prétendant ne pas avoir encaissé les sommes retirées de Disnat.

[67] Revoyons chacun de ces éléments. Rappelons tout d'abord que le ministre a tenu pour acquis en établissant la cotisation qu'il existait lors de l'achat et de la vente des actions d'Aabarock une relation de prête-nom entre monsieur Mercille et monsieur Wong et que ce dernier avait remis à monsieur Mercille les 3 chèques totalisant 106 321,75 $. C'est à monsieur Mercille qu'incombait la tâche de démolir les faits sur lesquels le ministre s'était fondé pour établir sa cotisation. C'est lui qui devait établir selon la prépondérance des probabilités que monsieur Wong avait agi pour son propre compte et non pour monsieur Mercille et qu'il avait consenti à monsieur Wong des prêts véritables totalisant 38 760 $. Je crois que monsieur Mercille a échoué dans cette tâche et ceci pour plusieurs raisons.

[68] Tout d'abord, il y a les décisions de la Cour du Québec et de la Commission des valeurs mobilières qui ont établi, dans le premier cas hors de tout doute raisonnable et, dans le deuxième, selon la prépondérance de la preuve — même après avoir tenu compte de la version donnée par monsieur Mercille, tout comme l'avaient fait le Comité de discipline de la Bourse et le Comité des gouverneurs de la Bourse —, que monsieur Mercille a utilisé monsieur Wong comme prête-nom. De plus, la Cour du Québec et la Commission des valeurs mobilières ont établi que le compte chez Disnat appartenait à monsieur Mercille. On ne peut attribuer à ces décisions de la Cour du Québec et de la Commission des valeurs mobilières l'autorité d'une présomption irréfragable, elles ont plutôt celle d'une autre présomption de fait que monsieur Mercille avait aussi à démolir en présentant notamment de nouveaux faits.

[69] Devant moi, monsieur Mercille a eu l'occasion de présenter à nouveau sa version des faits et, contrairement à ce qui s'est passé devant la Cour du Québec, de témoigner lui-même. Son témoignage et ses explications ne m'ont pas convaincu que le ministre s'était trompé lorsqu'il a tenu pour acquis que monsieur Wong était un prête-nom pour monsieur Mercille. Il ne m'a pas convaincu non plus que la Cour du Québec et la Commission des valeurs mobilières s'étaient trompées dans leurs conclusions de fait relatives à ces questions.

[70] De plus, je ne crois pas monsieur Mercille lorsqu'il affirme qu'il a prêté une somme de 38 760 $ à monsieur Wong, qu'il n'exerçait pas de contrôle sur la case postale à la Tour de la Bourse et que le compte chez Disnat, tout comme celui chez Bell Gouinlock, ne lui appartenait pas. J'ai déjà traité de la faiblesse de la version de monsieur Mercille sur ces questions.

[71] Je crois plutôt monsieur Wong lorsqu'il affirme qu'il agissait comme prête-nom pour monsieur Mercille, qu'il a ouvert le compte bancaire selon les directives de monsieur Mercille, qu'il signait des chèques en blanc pour permettre à monsieur Mercille d'acheter des actions d'Aabarock et qu'il détenait les comptes chez Bell Gouinlock et chez Disnat pour le bénéfice de monsieur Mercille. Finalement, je crois monsieur Wong lorsqu'il affirme avoir remis les trois chèques de Disnat à monsieur Mercille, sauf une somme de 1 000 $.

[72] En conclusion, le recettes provenant des achats et des ventes d'actions effectués par monsieur Wong pour le compte de monsieur Mercille s'élèvent à une somme de 67 561,75 $. Comme monsieur Wong reconnaît avoir reçu une somme de 125 $ pour ses services et avoir retenu une somme de $ 1 000 pour l'aider à payer ses frais futurs d'avocats, je crois qu'il est approprié d'admettre 1 125 $ comme dépense pour honoraires versés à monsieur Wong pour ses services de prête-nom. Le revenu net tiré de ces activités s'élèverait ainsi à 66 436,75 $.

Pénalité

[73] Le ministre a imposé une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi à l'égard d'une somme de 156 405,39 $ constituée de 148 583,89 $ représentant des revenus d'entreprise non déclarés et de 7 821,50 $ représentant des revenus d'intérêts non déclarés provenant de la disposition de bons du Trésor. La somme de 148 583,89 $ se compose de deux parties : une de 81 022,14 $ représentant le bénéfice réalisé par monsieur Mercille lors de ventes de titres qu'il a effectuées lui-même et l'autre de 67 561,75 $ représentant les bénéfices réalisés lors de la vente de titres d'Aabarock par monsieur Wong.

[74] C'est au ministre qu'incombe la tâche d'établir que monsieur Mercille a sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde fait un faux énoncé ou une omission dans sa déclaration de revenu.

[75] Monsieur Mercille a expliqué qu'il n'avait pas déclaré la somme de 81 022,14 $ parce qu'il considérait ces gains comme des gains en capital et qu'il croyait pouvoir bénéficier de l'exonération des gains en capital annoncée dans le budget de 1985. Monsieur Mercille a affirmé ne pas connaître l'exigence de la Loi selon laquelle il devait déclarer le gain en capital dans sa déclaration de revenus. Le paragraphe 110.6(6) de la Loi édicte qu'un contribuable n'a pas droit à la déduction pour gains en capital, si, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, il ne déclare pas le gain dans sa déclaration de revenu. Quant à la somme de 67 561,75 $, évidemment la position de monsieur Mercille est que ce revenu appartenait à monsieur Wong.

[76] Je suis prêt à reconnaître que monsieur Mercille pouvait croire que les gains qu'il réalisait et les pertes qu'il subissait dans son portefeuille de valeurs mobilières pouvaient constituer des gains en capital ou des pertes en capital, et qu'il pouvait croire avoir droit à l'exonération des gains en capital. Il faut se rappeler que le texte législatif établissant ce régime d'exonération n'a été adopté que le 13 février 1986. De plus, on n'a pas produit le guide de 1986 que monsieur Mercille aurait pu utiliser pour l'aider dans la préparation de sa déclaration de revenu. Je ne sais pas dans quelle mesure on informait les contribuables de l'importance de déclarer les gains en capital pour pouvoir bénéficier de la “ déduction pour gains en capital ” qu'on a souvent à tort décrite dans le public comme une “ exonération des gains en capital ”, ce qui aurait pu induire certains contribuables en erreur. Sur cette partie de la cotisation, l'intimée a échoué dans sa tâche.

[77] Toutefois, des considérations différentes s'appliquent aux autres montants assujettis à la pénalité prévue au paragraphe 163(2) de la loi. En toute logique, le même raisonnement aurait pu s'appliquer à l'égard du gain de 67 561,75 $ réalisé par l'intermédiaire de monsieur Wong. En effet, même si on pouvait conclure que monsieur Mercille a tenté de cacher ce revenu, il était possible que ce dernier puisse croire qu'il s'agissait d'un gain en capital qui aurait pu être aussi admissible à l'exonération des gains en capital.

[78] Toutefois, monsieur Mercille avait à plus d'un titre intérêt à cacher les gains réalisés par l'intermédiaire de monsieur Wong : il y avait intérêt tout d'abord pour maximiser sa déduction pour gains en capital, qui ne pouvait dépasser 500 000 $. Il est important de noter que monsieur Mercille a fait l'acquisition d'une quantité importante d'actions accréditives. Rien qu'en 1984, monsieur Mercille a acheté pour environ 59 000 $ d'actions accréditives et, en 1985, ses placements dans les ressources s'élevaient à environ 107 000 $. Il faut rappeler que le PBR des actions accréditives est nul et tout le produit de disposition de ces actions lors d'une disposition éventuelle correspond donc à un gain en capital. De plus, il faut mentionner le contexte dans lequel les opérations en question ont été faites. Elles ont permis à monsieur Mercille d'influer illégalement sur le marché des valeurs mobilières et elles devaient demeurer clandestines.

[79] À mon avis, selon la prépondérance des probabilités, monsieur Mercille a sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde fait un faux énoncé ou une omission dans sa déclaration de revenu, à savoir une omission concernant les actions achetées et vendues par l'intermédiaire de monsieur Wong, que monsieur Mercille n'a pas déclarées dans ses revenus.

[80] Quant aux revenus d'intérêt de 7 821,50 $ qu'il n'a pas déclarés, monsieur Mercille a prétendu croire que ces sommes devaient apparaître dans les T5 établis par Bell Gouinlock, la maison de courtage où il détenait ses bons du Trésor tout comme ses obligations et autres placements de même type. Or, en 1987, il était notoire chez les courtiers de valeurs mobilières et les investisseurs qui achetaient des bons du Trésor que les maisons de courtage n'avaient pas à établir de feuillet de renseignements comme un T5 à l'égard des opérations touchant ces bons.

[81] Cela était tellement notoire que le ministre des Finances a dû annoncer de nouvelles mesures pour inciter les contribuables à déclarer ce type d'intérêts. Dans son livre blanc sur la réforme fiscale rendu public en juin 1987, le ministre des Finances annonçait de nouvelles mesures pour obliger les maisons de courtage à établir des feuillets de renseignements pour ce genre d'opérations. L'article 230 du Règlement de l'impôt sur le revenu portant sur les opérations relatives aux titres à été ajouté par C.P. 1989-2156, DORS/89-519, 26 octobre 1989, applicable après le 31 décembre 1990. Dorénavant les courtiers doivent délivrer un feuillet T5008 à leurs clients qui acquièrent des bons du Trésor.

[82] Je ne peux donc croire monsieur Mercille lorsqu'il affirme qu'il ne savait pas que les intérêts sur les bons du Trésor n'étaient pas compris dans les feuillets T5. Il est important enfin d'ajouter que cette somme de 7 821 $ représente plus du tiers des revenus d'intérêts qu'il aurait dû indiquer dans sa déclaration de revenus.

Frais juridiques

[83] Selon le témoignage de monsieur Mercille, la somme de 1 500 $ dont la déduction a été réclamée pour l'année 1986 se rapporte à des frais juridiques qu'il aurait engagés dans le but de fonder une nouvelle entreprise. Comme on se le rappellera, monsieur Mercille espérait pouvoir ouvrir sa propre entreprise dans le domaine des valeurs mobilières. D'ailleurs, Rimco Capital Inc. a été constituée en société à la suite de ces démarches. Toutefois, en raison des difficultés qu'a connues monsieur Mercille avec la Bourse de Montréal et la Commission des valeurs mobilières, cette société n'a jamais vraiment été exploitée activement. Monsieur Mercille soutient que ladite société n'a jamais remboursé les frais de 1 500 $ et que ceux-ci représentaient une dépense engagée en vue de gagner du revenu.

[84] À mon avis, même si l'on acceptait que cette dépense a été engagée dans le but de gagner du revenu, il s'agirait d'une dépense en capital dont la déduction serait prohibée en vertu de l'alinéa 18(1)b) de la Loi. Il est possible que monsieur Mercille puisse considérer cette dépense de 1 500 $ comme faisant partie du coût des actions qu'il a acquises de Rimco Capital Inc. Toutefois, je n'ai pas à trancher cette question.

[85] Quant aux frais juridiques refusés par le ministre à l'égard des années d'imposition 1988 et 1989, la preuve a révélé qu'ils ont été versés pour des services professionnels rendus par des avocats qui ont représenté monsieur Mercille devant le Comité de discipline de la Bourse de Montréal, devant le Comité des gouverneurs de la Bourse de Montréal, devant la Commission des valeurs mobilières du Québec, de même que dans la poursuite criminelle devant la Cour du Québec.

[86] Selon monsieur Mercille, il était important de contester les chefs d'accusation devant chacune de ces instances puisqu'en cas d'insuccès il perdait de façon temporaire ou permanente son droit d'exercer sa profession comme représentant inscrit à la Bourse. Il s'agit donc d'une dépense engagée dans le but de maintenir son droit de recevoir un revenu d'emploi. Monsieur Mercille soutient même qu'il aurait négocié un règlement avec la poursuite s'il n'avait pas craint que plaider coupable aurait eu comme résultat la perte de son droit d'exercer sa profession.

[87] Le seul motif invoqué par le procureur de l'intimée pour refuser comme dépense ces frais juridiques est le fait que, selon lui, ils n'avaient pas été engagés dans le but de gagner du revenu. À l'appui de ses prétentions, il a cité la décision rendue dans l'affaire No. 666 v. M.N.R. (1959), 23 Tax A.B.C. 208. Dans cette décision, le commissaire Fordham avait conclu qu'un contribuable n'avait pas le droit de déduire ses frais juridiques engagés pour contester une poursuite intentée en vertu de la Securities Act de l'Ontario.

[88] À mon avis, cette décision n'est pas conforme à l'état du droit actuel. Plusieurs décisions des tribunaux ont reconnu dans des circonstances analogues à celles de monsieur Mercille qu'on pouvait déduire de tels frais juridiques. Je note en particulier les décisions suivantes : Lavoie v. M.N.R., 82 DTC 1291 et M.N.R. v. Eldridge, 64 DTC 5338. Dans la deuxième mentionnée, la Cour de l'Échiquier a reconnu que les frais juridiques engagés dans le cadre de la poursuite d'activités illégales pouvaient constituer des dépenses déductibles. Il y a d'autres décisions, comme celle de St-Germain v. M.N.R., 83 DTC 36, dans laquelle la Commission de révision de l'impôt a accepté la déduction de frais engagés par un médecin pour contester une poursuite pour négligence criminelle. Dans Vango (T.) v. Canada, [1995] 2 C.T.C. 2757, mon collègue le juge Bowman a fait de même pour les frais engagés par un courtier employé par une maison de courtage pour se défendre contre une accusation portée par la Bourse de Toronto. Voir aussi M.N.R. v. L.D. Caulk Co. Ltd., 54 DTC 1011 (C.S.C.) et Rolland Paper Co. Ltd. v. M.N.R., 60 DTC 1095. Dans cette dernière affaire, la Cour de l'Échiquier a jugé que des frais juridiques engagés pour contester une infraction au Code criminel étaient déductibles même si, dans les faits, la compagnie accusée a été déclarée coupable.

[89] À mon avis, les frais juridiques ayant été engagés par monsieur Mercille l'ont été dans le but d'obtenir un revenu d'emploi et sont déductibles en vertu de l'alinéa 8(1)f) de la Loi. Il est à noter que le procureur de l'intimée n'a soulevé aucun problème quant aux autres conditions énoncées à cet alinéa de la Loi.

[90] Ayant décidé que monsieur Mercille n'avait pas consenti des prêts de 38 760 $ à monsieur Wong, il en découle que monsieur Mercille ne peut réclamer la déduction d'une perte pour le non-remboursement d'une partie de ces prétendus prêts. De toute façon, comme je crois que monsieur Mercille a reçu de monsieur Wong une somme de 105 196 $, il s'ensuit que monsieur Mercille n'a pas subi de perte. Compte tenu de cette conclusion il n'est pas nécessaire d'en ajouter davantage.

[91] Pour ces motifs, les appels de monsieur Mercille sont admis et les cotisations pour les années d'imposition 1986, 1988 et 1989 sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte des faits suivants : 1) une somme de 66 436,75 $ représente un revenu d'entreprise pour monsieur Mercille pour l'année d'imposition 1986; 2) les pénalités imposées en vertu de l'article 163(2) ne s'appliquent qu'à cette somme de 66 436,75 $ et aux intérêts de 7 821,50 $ tirés de bons du Trésor pour l'année d'imposition 1986; 3) monsieur Mercille a droit à la déduction de frais juridiques de 17 231 $ pour l'année d'imposition 1988 et de 8 832 $ pour l'année d'imposition 1989.

[92] Les dépens sont adjugés au ministre. En effet, même si monsieur Mercille a eu gain de cause partiel, la très grande partie du débat a porté sur la question du prête-nom et monsieur Mercille a perdu sur cette question. Il a aussi perdu quant à l'application de la pénalité à l'égard d'une somme de 74 258,25 $ et quant à sa réclamation de la déduction d'une perte de 13 635 $ sur ses prétendus prêts. Il a aussi reconnu, après que l'intimée en eut fait la preuve, le bien-fondé de la cotisation du ministre pour ce qui est du refus de la déduction des FEC de 50 000 $. Je suis convaincu que, s'ils ne s'étaient limités qu'à la question des frais juridiques et de la pénalité sur les revenus de 81 022,14 $, les débats auraient duré moins d'une journée d'audience et non pas plus de 7 jours. Je crois aussi que l'intimée mérite d'autant plus ses dépens lorsque l'on considère que monsieur Mercille a tenu à débattre inutilement toute la question du prête-nom, qui avait pourtant été décidée par deux comités de la Bourse de Montréal, la Commission des valeurs mobilières du Québec et la Cour du Québec.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de février 2000.

“ Pierre Archambault ”

J.C.C.I.



[1] Selon les documents produits en preuve, cette offre aurait été communiquée aux actionnaires d'Aabarock le 9 janvier 1986. Fait intriguant, parmi les chèques payables aux actionnaires qui ont accepté l'offre de monsieur Wong, on en retrouve un daté du 19 décembre 1985 pour l'achat de 7 500 actions à 0,30 $ l'action. Ce chèque n'a été déposé que le 28 janvier 1986.

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