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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20010907

Dossier: 95-3818(IT)I

ENTRE :

JULIUS P. ANDRASIK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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                   Représentant de l'appelant :                  L'appelant

                   Avocate de l'intimée :                          Me Lisa Macdonell

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MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience à Vancouver (Colombie-Britannique),

le mardi 5 mars 1996, et consignés par écrit à

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2001)

Le juge Margeson, C.C.I.

[1]      La Cour doit déterminer si l'appelant, dans l'affaire Julius P. Andrasik et Sa Majesté La Reine, 95-3818(IT)I, est en droit de déduire le crédit d'impôt pour personnes handicapées pour l'année d'imposition 1993 dans le calcul de son revenu pour cette année-là. Les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) sont les articles 118.3 et 118.4, ainsi que les paragraphes 117.1(1) et 248(1) dans une moindre mesure.

[2]      Il s'agit simplement de savoir si, dans l'année en question, l'appelant avait une déficience au sens de ces articles. Pour que l'appelant ait droit au crédit, il doit s'agir d'une déficience répondant à toutes les exigences de ces articles. L'appelant, qui a témoigné, a dit qu'il a eu un accident en 1973, qu'il s'est fait écraser le nez, qu'il a perdu l'odorat et qu'il souffre de cela depuis ce temps. Il a complètement perdu l'odorat, d'après ce qu'il dit, et il considère que c'est une déficience grave.

[3]      Il a fait état de certaines des difficultés qu'il a dans la vie de tous les jours à cause de cette déficience. Il s'est retrouvé en danger à plusieurs reprises parce qu'il ne sent pas les odeurs. Une fois, il est allé dans une chambre de réfrigération où il y a eu une fuite de gaz ammoniac qu'il a été incapable de détecter. Grâce à l'aide de quelqu'un qui pouvait sentir l'odeur, il a pu quitter cet endroit sans avoir apparemment subi de conséquences.

[4]      Il n'existe aucun appareil qui lui permettrait d'améliorer sa situation. Il n'y a rien qui l'aiderait à retrouver l'odorat.

[5]      Une autre fois, il a vu quelqu'un mettre un masque à gaz, et on lui a dit qu'il y avait une fuite de chlore gazeux dans le secteur et qu'il devait quitter les lieux. Encore là, c'est grâce au fait qu'il a eu de l'aide qu'il a pu s'en sortir.

[6]      Une autre fois, il a bu du lait avarié, parce que, ayant perdu l'odorat, il n'avait pu se rendre compte que ce lait n'était plus bon. L'odeur ne l'avait pas alerté. Il a fait remarquer que l'odorat et le goût vont parfois de pair et que l'un aiguise l'autre. L'un n'est pas nécessairement aussi aigu sans l'autre.

[7]      Jusqu'en 1994, l'appelant avait un comptable qui s'occupait de ses affaires d'impôt, et la Cour présume à partir de ce que l'appelant a dit que le comptable ne demandait pas le crédit d'impôt pour personnes handicapées. Dans le guide de renseignements qui lui avait été fourni par Revenu Canada pour sa déclaration de revenu pour 1993, l'appelant avait remarqué, concernant la ligne 316, qu'il existait un crédit d'impôt pour personnes handicapées et qu'il était question de perception. Cela l'avait amené à conclure qu'il devrait être en droit d'obtenir le crédit d'impôt pour personnes handicapées, parce qu'il avait perdu l'odorat.

[8]      L'appelant avait produit un certificat pour le crédit d'impôt pour personnes handicapées pour l'année en question. Ce certificat a été déposé devant la Cour sous la cote R-1. L'appelant a confirmé que, au paragraphe 12 du certificat, la réponse était « non » à la question de savoir si son médecin croyait qu'il avait une déficience prolongée qui était telle qu'il serait admissible au crédit d'impôt pour personnes handicapées en vertu des articles pertinents. Il a témoigné qu'il n'a aucun certificat indiquant qu'il a une déficience qui correspond aux exigences de ces articles. Le médecin de l'appelant a émis l'opinion susmentionnée, sur laquelle l'appelant n'est toutefois pas d'accord. L'appelant dit qu'il est bel et bien admissible.

[9]      L'intimée a déposé la pièce R-1 et n'a appelé aucun témoin.

[10]     Dans son argumentation, l'avocate de l'intimée soutenait que l'appelant n'a pas droit au crédit d'impôt pour personnes handicapées. Elle a fait référence à l'alinéa 118.3(1)a.2) de la Loi. Cet alinéa traite d'un particulier ayant une déficience mentale ou physique grave et prolongée, qui est définie comme suit à l'alinéa 118.4(1)a) :

a) une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d'affilée ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois d'affilée;

b) la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

L'alinéa 118.3(1)a.2) se lit comme suit :

a.2) un médecin en titre [...] atteste, sur formulaire prescrit, que le particulier a une déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets sont tels que sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée;

b) le particulier présente au ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2) pour une année d'imposition;

Il s'agit des dispositions pertinentes.

[11]     Premièrement, l'avocate de l'intimée dit que l'appelant n'a pas droit au crédit d'impôt parce qu'il ne répond pas aux exigences des alinéas a.2) ou b) du paragraphe (1) de l'article 118.3 de la Loi.

[12]     Au cours de l'argumentation de l'appelant, la Cour a demandé à ce dernier s'il pouvait faire état d'une disposition de la Loi permettant à la Cour de contourner cet article ou s'il pouvait faire référence à une autre partie de la Loi ou présenter un autre argument pouvant convaincre la Cour qu'elle a compétence pour ne pas prendre en compte ce qui semblerait être une condition préalable pour l'obtention du crédit d'impôt. L'appelant en a été incapable. L'avocate soutient qu'il y a une condition préalable. On ne peut obtenir le crédit d'impôt pour personnes handicapées sans avoir présenté l'attestation requise. Une telle attestation n'ayant pas été présentée, l'appel devrait être rejeté.

[13]     Deuxièmement, l'avocate soutenait que, indépendamment de cela, l'appelant ne répond pas aux exigences en matière de déficience selon la définition figurant à l'alinéa 118.4(1)c) de la Loi :

c) sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier :

(i) la perception, la réflexion et la mémoire,

[...]

[14]     Il n'y a pas de doute que c'est la question de la perception, de la réflexion et de la mémoire qui est en cause dans la présente espèce. La position de l'intimée est que la perception, la réflexion et la mémoire doivent être prises en considération ensemble pour qu'un particulier soit admissible au crédit d'impôt pour personnes handicapées en vertu de l'alinéa c). En matière d'activité courante de la vie quotidienne, il doit s'agir à la fois de la perception, de la réflexion et de la mémoire. Il faut qu'un particulier soit toujours ou presque toujours incapable d'accomplir ces activités courantes de la vie quotidienne - la perception, la réflexion et la mémoire - sans y consacrer un temps excessif.

[15]     L'avocate dit à propos de l'odorat et au sujet de l'interprétation appropriée du sous-alinéa 118.4(1)c)(i) qu'il faut considérer ensemble la perception, la réflexion et la mémoire. Même si elle était disposée à admettre que l'odorat correspond jusqu'à un certain point à une forme de perception, il ne s'agit pas de perception dans ce sens-là au sous-alinéa 118.4(1)c)(i) de la Loi. Il s'agit de perception au sens mental, soit la capacité d'être conscient de ce qui se passe ou de comprendre ce qui se passe. La perception doit être prise en compte avec la réflexion et la mémoire et non pas simplement en fonction de ce qu'est la perception par définition.

[16]     L'appelant a fait référence à la définition de « perceiving » (perception) donnée dans le dictionnaire. Certes, si l'on prend le mot « perception » dans son sens le plus large, la Cour conclurait que l'odorat pourrait avoir quelque chose à voir avec la perception dans certaines situations. Toutefois, si l'on considère ce mot dans son sens plus restrictif et si l'avocate a raison, la perception dont il est question à l'article 118.4 de la Loi est une perception d'ordre mental et non pas d'ordre physique comme dans le cas de l'odorat; l'odorat est un attribut physique. Bien qu'il soit concevable que, même quand on cherche à comprendre quelque chose dans certaines situations, l'odorat puisse intervenir quelque peu, l'avocate estime que tel n'est pas le cas et que, même si tel était le cas, les trois aspects (la perception, la réflexion et la mémoire) doivent être considérés ensemble et les trois doivent être affectés. C'est ce qu'estime l'avocate, qui dit donc que l'appelant n'est pas admissible.

[17]     L'appelant dit qu'il estime avoir une déficience du système neuronal d'après la définition figurant dans le dictionnaire et d'après le bulletin d'interprétation IT-519R, dont il a cité la page 4. De la manière dont il comprend ce bulletin, l'odorat est une fonction du système neuronal. Cela fait donc partie de la perception, de la réflexion et de la mémoire, de sorte qu'il est admissible au crédit d'impôt pour personnes handicapées.

[18]     Il fait valoir que sa déficience l'expose à un réel danger. Sa pensée (la réflexion) est affectée. Il a dit par exemple qu'il teste très fréquemment le système d'alarme-incendie parce que, étant incapable de détecter de la fumée par l'odorat, il a peur que le système ne fonctionne pas. Donc, cela influe sur sa vie de tous les jours. Il ne peut sentir le parfum des fleurs; il a en ce sens une déficience qui fait partie de sa vie quotidienne. Il croit que les deux décisions précédentes rejetant sa demande ont simplement été prises d'une manière machinale et il estime que son cas n'a pas été traité équitablement. Voilà les arguments.

[19]     La Cour doit déterminer en l'espèce si l'appelant répond aux exigences de la Loi. Ce que peut dire un bulletin d'interprétation n'importe guère. La Cour n'est pas liée par un bulletin d'interprétation. Manifestement, le passage du bulletin d'interprétation qui a été cité ne semble même pas conforme à l'attitude que Revenu Canada semble avoir adoptée à l'égard de ces cas-là. C'est la première fois que notre cour entend une cause relative à l'odorat, et l'attitude dont le ministre a fait preuve jusqu'à maintenant en rejetant la position de l'appelant semblerait contraire au point de vue exprimé dans le passage du bulletin qui a été cité.

[20]     La Cour doit interpréter la Loi comme celle-ci lui apparaît. Les bulletins d'interprétation sont simplement là pour guider des particuliers. Dans un tel bulletin, la seule chose sûre - s'il en est - est l'indication quant à savoir comment, au moment où a été rédigé le bulletin, les rédacteurs croyaient que la disposition législative serait interprétée. Ces bulletins ne sont rien de plus.

[21]     M. Andrasik a-t-il convaincu la Cour selon la prépondérance des probabilités qu'il est admissible au crédit d'impôt pour personnes handicapées qu'il cherche à obtenir? La réponse de la Cour est non, et ce, pour deux raisons. Premièrement, la Cour est persuadée qu'il aurait fallu que l'appelant présente un certificat conforme à l'exigence prévue à l'alinéa 118.3(1)a.2). Le seul certificat dont la Cour ait été saisie est la pièce R-1, qui est manifestement un certificat négatif. Ce certificat dit exactement le contraire de ce que l'appelant cherche à prouver. Il est signé par le Dr D. A. C. Johnston et dit que l'appelant n'avait pas le genre de handicap ou de déficience qu'il doit prouver en l'espèce. Le certificat n'aide pas l'appelant et va en fait à l'encontre de la position adoptée par l'appelant.

[22]     L'appelant n'a aucun certificat répondant aux exigences de l'alinéa 118.3(1)a.2), de sorte qu'il échoue d'abord sur ce plan. La Cour ne peut pas faire abstraction d'une disposition de la Loi. La Loi exige une attestation, faute de quoi on n'a pas droit au crédit d'impôt pour personnes handicapées.

[23]     Par ailleurs, on peut ne pas avoir droit au crédit même si l'on a un certificat de médecin faisant état d'une déficience admissible. Tout dépend de la preuve. Le certificat est assurément une condition préalable, mais il n'y a pas nécessairement une certitude absolue que l'on sera considéré comme ayant droit au crédit même si l'on a le certificat.

[24]     Deuxièmement, pour ce qui est de l'article 118.4, bien que l'argumentation de l'appelant ait été très habile, soit une argumentation qui est très nouvelle et que la Cour entend pour la première fois, la Cour est convaincue que la perception, la réflexion et la mémoire dont il est question au sous-alinéa 118.4(1)c)(i) sont des éléments qui vont ensemble. Il s'agit de la perception, de la réflexion et de la mémoire du point de vue mental. Il ne s'agit pas de la perception, de la réflexion et de la mémoire par rapport à l'un des sens comme le toucher, l'odorat et l'ouïe.

[25]     Certains des sens sont mentionnés de façon indépendante. Il est question de la vue et de l'ouïe, ainsi que de la parole. Le fait de marcher et les fonctions d'évacuation sont mentionnés respectivement dans cet article. La perception n'est mentionnée que dans le contexte du sous-alinéa 118.4(1)c)(i), et la Cour estime que les trois facteurs doivent être pris en considération ensemble. Elle ne croit pas que ces facteurs se rapportent à l'odorat.

[26]     Si la Cour a tort sur le premier point, c'est-à-dire quant au fait que l'appelant ne répond pas à la condition préalable énoncée dans la Loi, elle est convaincue, en prenant en considération l'ensemble de l'article 118.4 et en appliquant la preuve dont elle a été saisie, que la perte de l'odorat ou un problème ou handicap relatif à l'odorat ne répond pas aux exigences de l'article.

[27]     L'appel est rejeté et la cotisation du ministre est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de septembre 2001.

« T. E. Margeson »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de janvier 2003.

Mario Lagacé, réviseur

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