Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20010925

Dossier: 2000-2291-IT-I

ENTRE :

STÉPHANE MALTAIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

(prononcés oralement à l'audiencele 26 juin 2001 à Québec (Québec)

et modifiés pour les rendreplus clairs et plus complets)

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Monsieur Stéphane Maltais conteste des cotisations d'impôt sur le revenu établies par le ministre du Revenu national (ministre) pour les années 1996, 1997 et 1998 (années pertinentes). Il a réclamé à l'égard de chacune de ces années d'imposition la déduction de pertes locatives relativement à une propriété située au 115-117, rue St-Louis à Beaupré (propriété ou duplex). Le ministre a refusé ces déductions au motif que monsieur Maltais n'avait pas un espoir raisonnable de tirer un bénéfice de la propriété.

Faits

[2]            Au début de l'audience, monsieur Maltais a admis tous les faits énoncés par l'intimée dans sa Réponse à l'avis d'appel, à l'exception des alinéas d), l), m) et n) du paragraphe pertinent. Voici ces faits admis :

a)              l'appelant possède une maison à deux logements située au 115-117, rue St-Louis à Beaupré;

b)             l'appelant réside dans le logement du bas et celui du haut est destiné à la location;

c)              depuis 1991, l'appelant a tiré les revenus suivants du logement supérieur :

ANNÉE

REVENUS LOCATIFS

BRUTS

PERTES

LOCATIVES

1991

3 000 $

(2 358 $)

1992

3 000 $

(2 239 $)

1993

3 000 $

(2 571 $)

1994

1 500 $

(2 054 $)

1995

0$

(6 220 $)

1996

0$

(4 668 $)

1997

0$

(5 087 $)

1998

2 000 $

(3 418 $)

e)              en tout temps pertinent, l'appelant travaillait pour Abitibi-Price comme papetier;

f)              le logement fut vacant du mois de juillet 1994 au mois de décembre 1997 inclusivement;

g)             à partir de janvier 1998, l'appelant a loué le logement à un ami pour un loyer mensuel de 200 $;

h)             l'appelant a réclamé 50 % des dépenses suivantes comme dépenses locatives :

DESCRIPTION

1996

1997

1998

Assurances

490,00 $

490,00 $

462,00 $

Intérêts

5 898,67 $

6 471,77 $

7 343,05 $

Entretien

350,03 $

Impôts fonciers

552,53 $

1 519,22 $

1 336,29 $

Services publics

1 695,00 $

1 695,00 $

1 695,00 $

i)               le revenu brut annuel de location de la propriété fut toujours déficitaire face aux frais fixes correspondant [sic] :

ANNÉE

1996

1997

1998

Revenus bruts

0,00 $

0,00 $

2 000,00 $

Frais fixes

8 986,23 $

10 175,99 $

10 836,34 $

Déficit

8 986,23 $

10 175,99 $

8 836,34 $

(à noter que l'appelant a réclamé 50 % de ces frais fixes comme dépenses de location).

j)               le solde hypothécaire pour l'immeuble situé au 115-117, rue St-Louis était de 67 809,71 $ au 1er janvier 1996;

k)              l'évaluation municipale en vigueur pour 1995, 1996 et 1997 était de 60 020 $.

[3]            Lors de son témoignage, monsieur Maltais a relaté les circonstances qui ont entouré l'acquisition de la propriété. Elle a été acquise en 1990 pour une somme de 52 500 $ que monsieur Maltais a entièrement empruntée, sa mère s'étant porté caution relativement à 10 % du prix d'achat. Le montant des mensualités (capital et intérêts) s'élevait à environ 400 $.

[4]            Au moment de l'acquisition de la propriété, le logement situé à l'étage supérieur (logement du haut) était occupé par un locataire qui l'avait habité pendant 23 ans. Le loyer était de 200 $ par mois. Une fois devenu le nouveau propriétaire, monsieur Maltais avait convaincu ce locataire d'accepter une augmentation de loyer de 50 $ par mois. Monsieur Maltais occupait le logement du rez-de-chaussée (logement du bas) avec sa conjointe. Quelques années plus tard, soit en 1995, ils ont eu un enfant.

[5]            Malheureusement pour monsieur Maltais, le locataire a quitté son logement en juin 1994 et il est resté vacant jusqu'à la fin de 1997. Différentes tentatives ont été faites pour trouver un nouveau locataire : l'installation d'une grande pancarte sur la propriété, publicité dans les journaux, notamment le Journal de Québec et le Beaupré Express. De plus, un avis a été affiché au lieu de travail de monsieur Maltais ainsi qu'à la caisse populaire.

[6]            Monsieur Maltais a expliqué les difficultés auxquelles il a dû faire face pour louer le logement du haut. Tout d'abord, l'offre de logements locatifs dépassait la demande. Le nombre important de condominiums et d'autres propriétés situés au mont Sainte-Anne, à un kilomètre de Beaupré, favorisait une vive concurrence entre les propriétaires de la région.

[7]            De plus, le logement avait un grand besoin d'être retapé. À la suite du départ de son locataire, monsieur Maltais a entrepris des travaux de rénovation non seulement du logement du haut mais aussi de l'ensemble de la propriété. Notamment, il a remplacé les fenêtres et il a isolé la façade et le grenier de la maison.Monsieur Maltais a décrit les travaux effectués dans le logement du haut. En particulier, il a rénové la salle de bain en 1995-1996 à un coût total d'environ 2 000 $. Fin 1996 ou début 1997, il a fait un nouveau plancher en bois pour remplacer la moquette, sauf dans deux chambres, où il a plutôt mis une moquette neuve. Les armoires ont été remplacées en 1998-1999. La plupart de ces travaux de rénovation ont été effectués par monsieur Maltais lui-même avec l'aide d'un ami avec qui il échangeait des services.

[8]            Le logement du haut a été loué à un ami en 1998 à un prix inférieur au prix du marché. Cette personne n'y vivait que de façon temporaire et avait refusé un bail à long terme. On avait plutôt convenu d'un bail mensuel à renouveler chaque mois. Le logement du haut est devenu vacant à nouveau à compter du mois de mars 1999 pour être reloué en juillet 2000 à un prix de 275 $ par mois. Ce loyer a été augmenté à 300 $ à compter du 1er juillet 2001.

[9]            En plus des difficultés qu'il avait éprouvées à trouver un nouveau locataire, monsieur Maltais a relaté celles qui l'ont empêché d'exécuter son plan initial. Il avait prévu le remboursement du prêt dans un délai plus bref que les 20 ans de la période d'amortissement stipulée au contrat. Notamment, il y a eu une grève en 1998 qui aurait duré environ six mois. Durant cette période, les mensualités ont été capitalisées par la caisse populaire. De plus, monsieur Maltais s'est séparé de sa conjointe en 2000 et a donc vécu des moments difficiles.

[10]          Dans son rapport de vérification, la vérificatrice a reconnu que monsieur Maltais n'avait tiré aucun avantage personnel de la location du logement du haut. Monsieur Maltais a aussi confirmé, lors de son témoignage, qu'il n'avait pas envisagé de louer le logement du haut à des membres de sa famille et qu'en aucun temps des membres de sa famille n'avaient occupé ce logement.

[11]          Monsieur Maltais affirme qu'au moment de faire l'acquisition de la propriété, il n'avait pas connaissance des avantages fiscaux que pouvait procurer la location d'un duplex. Son objectif était de rentabiliser la location du logement du haut et, à terme, même de louer celui du bas.

Analyse

[12]          La question fondamentale soulevée par cet appel est de savoir si monsieur Maltais avait un espoir raisonnable de bénéfice. Évidemment, il s'agit là fondamentalement d'une question de fait. Toutefois, pour y répondre, il faut appliquer les principes élaborés par les tribunaux. Il y a d'abord la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480. Il faut aussi tenir compte des précisions apportées par la Cour d'appel fédérale, notamment dans l'affaire Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73. Dans cette affaire, la Cour d'appel a indiqué qu'à moins de présence d'éléments personnels, les tribunaux devraient appliquer avec moins de rigueur le critère de l'espoir raisonnable de bénéfice. De plus, les tribunaux doivent agir avec prudence dans l'appréciation de la conduite des contribuables. Je crois aussi qu'il est important en l'espèce de se mettre à l'époque de l'acquisition de la propriété pour déterminer si la location du logement du haut pouvait donner lieu à un espoir raisonnable de bénéfice. Évidemment, la question doit se reposer pour chaque année à l'égard de laquelle la déduction des pertes est réclamée.

[13]          On ne retrouve ici aucun avantage personnel résultant de l'acquisition de la propriété comme il y en a eu dans la décision Lussier c. La Reine, 2000 CarswellNat 2689 que j'ai déjà rendue. Dans Lussier, le contribuable avait acheté une propriété dans le but de la louer à des membres de sa famille. Ici, il s'agit d'un projet d'utilisation mixte, c'est-à-dire, utilisation à des fins personnelles pour ce qui est du logement du bas et utilisation à des fins de location dans le cas du logement du haut.

[14]          Lors de sa plaidoirie, la procureure de l'intimée a soutenu que l'acquisition du duplex pouvait fournir un avantage personnel à monsieur Maltais en ce sens qu'il pouvait ainsi bénéficier d'une forme de subvention indirecte que procurait le régime fiscal canadien aux contribuables en leur permettant de s'acheter un duplex alors qu'il leur aurait été difficile d'acheter une propriété unifamiliale.Comme le coût d'achat d'une résidence unifamiliale dans la région de Beaupré n'avait pas été établi lors de l'administration de la preuve, j'ai permis, à la demande de la procureure de l'intimée et avec le consentement de monsieur Maltais, la réouverture de la preuve. Dans son témoignage, monsieur Maltais a indiqué qu'il avait visité à l'époque de l'achat du duplex certaines résidences unifamiliales se trouvant à Beaupré. Selon lui, il aurait été possible d'acheter une résidence unifamiliale à un prix se situant entre 25 000 $ et 30 000 $. Compte tenu de cette preuve, je pense qu'il est difficile d'affirmer que le régime fiscal a directement ou indirectement subventionné monsieur Maltais dans l'acquisition d'un logement à des fins personnelles puisqu'il aurait pu acheter une résidence unifamiliale pour environ la moitié du coût d'achat du duplex.

[15]          Dans ces circonstances, je pense qu'il est important de suivre l'approche adoptée par la Cour d'appel fédérale et d'appliquer avec moins de rigueur le critère de l'espoir raisonnable de bénéfice. Il est possible que monsieur Maltais ait pris une mauvaise décision en achetant la propriété en 1990 mais la Cour, pas plus que le ministre, ne peut, après coup, remettre en question son jugement. Il n'est pas déraisonnable de croire que monsieur Maltais a pu avoir un espoir raisonnable de bénéfice en 1990. Cet espoir n'a pas disparu non plus durant les années pertinentes.

[16]          Il est évident qu'un contribuable ne peut pas, année après année, ne faire que subir des pertes. Il vient un moment où il faut faire le point et prendre les décisions qui s'imposent. Par conséquent, si les pertes devaient continuer, la question de savoir si la moitié du duplex constitue une source de revenu pourrait être soulevée à nouveau dans les années futures. Toutefois, pour ce qui est des années pertinentes, je suis prêt à accorder le bénéfice du doute à monsieur Maltais et à accueillir l'appel.

[17]          Pour tous ces motifs, les appels de monsieur Maltais sont admis et les cotisations pour les années 1996, 1997 et 1998 sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que monsieur Maltais avait un espoir raisonnable de tirer un bénéfice de la location de la moitié de sa propriété située au 115 — 117, rue St-Louis à Beaupré.

Signé à Montréal (Québec), ce 25e jour de septembre 2001.

" Pierre Archambault "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                        2000-2291(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 STÉPHANE MALTAIS

                                                                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    26 juin 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :                                      8 août 2001

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                                    L'appelant lui-même

Pour l'intimé(e) :                                                    Me Anne Poirier

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimé(e) :                                                    Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.