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Date: 20010622

Dossier: 1999-1963-IT-I

ENTRE :

JEAN-PIERRE MARTIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Watson, C.C.I.

[1]            Cet appel a été entendu à Trois-Rivières (Québec), le 15 juin 2001 sous la procédure informelle.

[2]            Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1993, 1994, 1995 et 1996 l'appelant a déduit les sommes de 26 039 $, 23 484 $, 11 630 $ et 12 485 $ respectivement à titre de pertes provenant d'activités agricoles.

[3]            Par avis de nouvelles cotisations datés du 22 septembre 1997, dans le calcul du revenu pour les années d'imposition 1993, 1994, 1995 et 1996, le ministre du Revenu national (le "Ministre") a refusé les sommes de 26 039 $, 23 484 $, 11 630 $ et 12 485 $ respectivement, à titre de pertes.

[4]            Pour établir ces nouvelles cotisations, le Ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants :

a)              l'appelant est un infirmier en région éloignée qui a déclaré les sommes suivantes au titre de revenus d'emploi pendant les années en litige :

                i)                               1993                                         102 175 $

                ii)                              1994                                         74 070 $

                iii)                             1995                                         54 053 $

                iv)                            1996                                         67 593 $;

b)             en 1991, l'appelant a acheté une ferme au coût de 60 000 $, qui était dans un état d'abandon depuis une dizaine d'années;

c)              l'appelant a emprunté une somme de 40 000 $ pour faire l'acquisition de ladite ferme;

d)             la ferme est située au 7, chemin Doucet à Saint-Mathieu-du-Parc;

e)              l'appelant a l'intention de faire la culture de fruits et de petits fruits, de vendre des produits de l'érable, de faire de la location villégiature et d'exercer des activités forestières;

f)              pendant les années en litige, l'appelant consacrait environ trois mois pour les travaux sur la ferme;

g)             en 1994, l'appelant a contracté un prêt de 85 000 $ pour la construction de sa maison;

h)             le revenu brut annuel, pendant les années en litige, était presque nul :

                i)                               1993                                         1 040 $

                ii)                              1994

                iii)                             1995                                         1 092 $

                iv)                            1996                                         1 100 $;

i)               l'appelant ignore la provenance des revenus bruts annuels déclarés;

j)               l'appelant n'a pas fait d'analyse de rentabilité il se fie sur le potentiel de la ferme;

k)              l'appelant ne possède aucune expérience dans le domaine de l'exploitation d'une ferme;

l)               l'appelant n'avait aucun espoir raisonnable de tirer un profit, à l'égard de l'exploitation de la ferme au cours de la période s'échelonnant de 1993 à 1996;

m)             les dépenses assumées annuellement à l'égard de la ferme constituaient des frais personnels ou des frais de subsistance de l'appelant et n'ont pas été engagées par ledit appelant dans le dessein de tirer un revenu d'agriculture.

[5]            À l'audience, le représentant de l'appelant, M. Maurice Magny, a admis les faits allégués aux sous-paragraphes a) à h) et k) et a nié les faits allégués aux sous-paragraphes i), j), l) et m).

[6]            Seul l'appelant a témoigné à l'audition de l'appel. L'appelant a témoigné de façon très honnête et a démontré qu'il avait agi de bonne foi, se fiant aux avis de son comptable. Lors de son témoignage l'appelant a admis le sous-paragraphe j) ci-haut.

[7]            Le fardeau de la preuve incombe à l'appelant; ce dernier doit établir, selon la prépondérance de la preuve, que les nouvelles cotisations sont mal fondées en fait et en droit. Chaque cas est un cas d'espèce.

[8]            Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression " expectative raisonnable de profit " dont, entre autres :

[9]            Dans l'affaire Moldowan c. Sa Majesté la Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, le juge Dickson de la Cour suprême du Canada a déclaré aux pages 485 et 486 :

Il y a d'abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une "source" de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L'expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise... Si le contribuable, en exploitant sa ferme, se livre simplement à un passe-temps, sans expectative raisonnable de profit, il ne peut réclamer aucune déduction pour les dépenses engagées.

[10]          Dans l'affaire Landry c. Sa Majesté la Reine, 94 DTC 6499 (C.A.F.), le juge Décary de la Cour d'appel fédérale s'est exprimé comme suit à la page 6500 :

Il vient donc un temps, dans la vie de toute entreprise déficitaire, où le ministre doit pouvoir déterminer objectivement, après, le cas échéant, avoir donné la chance au coureur pendant un certain nombre d'années, qu'un espoir raisonnable de profit s'est transformé en rêve impraticable.

[...]

Outre les critères énumérés par le juge Dickson, ceux dont la jurisprudence a tenu compte, à ce jour, pour déterminer s'il y avait espoir raisonnable de profit, comprennent les suivants : le temps requis pour rentabiliser une activité de ce genre, la présence des ingrédients nécessaires à la réalisation éventuelle de profits, l'état des profits et pertes pour les années postérieures aux années en litige, le nombre d'années consécutives pendant lesquelles des pertes ont été enregistrées, l'accroissement des dépenses et la diminution des revenus au cours des périodes pertinentes, la persistance des facteurs qui causent les pertes, l'absence de planification, et le défaut d'ajustement. Par ailleurs, il ressort de ces mêmes arrêts que la bonne foi et la réputation du contribuable, la qualité du résultat obtenu, le temps et l'énergie consacrés, ne suffisent pas, en eux-mêmes, à transformer en entreprise l'exercice d'une activité.

[11]          Dans Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73 (C.A.F.), le juge Linden de la Cour d'appel fédérale a déclaré, aux pages 103 et 104 :

...Cependant, lorsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise. Par conséquent, des circonstances douteuses appelleront plus souvent un examen plus approfondi comparativement à celles qui ne soulèvent aucun doute.

[...]

Une autre liste de facteurs a été proposée dans l'arrêt Sipley (P.D.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 2073 :

Le critère objectif comporte un examen de l'état des profits et pertes pour les années antérieures, un examen du plan opérationnel et des circonstances qui ont donné lieu à sa mise en oeuvre, y compris de la voie sur laquelle le contribuable entend s'engager. Le critère comporte également un examen du temps consacré à l'activité, ainsi que des antécédents, de la formation et de l'expérience du contribuable.

[12]          Dans McKinney c. Canada, [2000] A.C.F. no 453 (C.A.F.) le juge Robertson de la Cour d'appel fédérale a déclaré dans son jugement rendu oralement le 3 avril 2000 :

Le demandeur, un professeur d'université à la retraite, a réclamé des dépenses accumulées de 47 000 $ par rapport à un revenu de 50 $ pour les quatre années d'imposition en question. Le demandeur a engagé ces dépenses à l'égard d'un certain nombre de travaux de recherche qui, espérait-il, mèneraient à des publications. De fait, ces travaux de recherche n'ont conduit à aucune publication. À notre avis, le juge Mogan n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur n'avait pas une expectative raisonnable de profit. En conséquence la demande doit être rejetée.

[13]          Compte tenu de toutes les circonstances de cet appel, y inclus le témoignage de l'appelant, les admissions et la preuve documentaire, la Cour est convaincue que l'appelant n'a pas réussi à établir, selon la prépondérance de la preuve, qu'il avait une expectative raisonnable de profit au cours des années en litige et que les nouvelles cotisations en date du 22 septembre 1997 étaient mal fondées en fait et en droit.

[14]          En conséquence, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de juin 2001.

" D.R. Watson "

J.S.C.C.I.

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