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Date: 20030113

Dossier: 2000-1264-IT-I

ENTRE :

ABDO NAWAR

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Angers, C.C.I.

[1]            Monsieur Abdo Nawar s'est vu refuser par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) des crédits pour dons de bienfaisance pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994. Les montants des dons refusés s'élèvent à 1 500 $, 4 000 $ et 4 000 $ respectivement pour chacune des années en cause et étaient faits à l'Ordre Antonien libanais des Maronites, ci-après ( « l'Ordre » ). De plus, le ministre a établi sa nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation pour chacune des années 1992 et 1993 et a imposé des pénalités pour chacune des années en cause. Le ministre a ratifié la cotisation le 7 décembre 1999 pour chacune des années en cause.


[2]            Les faits sur lesquels le ministre s'est fondé pour établir sa nouvelle cotisation et que l'appelant a admis ou niés selon le cas sont les suivants :

Dons

a)              en produisant sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1992, l'appelant a réclamé un crédit pour don de bienfaisance en rapport, entre autres, avec un montant de 1 500 $ dont il prétend avoir fait don à l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours de l'année d'imposition 1992; (admis)

b)             l'appelant n'a pas fait don, de quelque façon que ce soit, de cette somme de 1 500 $ en faveur de l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours de l'année d'imposition 1992; (nié)

c)              l'appelant n'a pas présenté au Ministre un reçu valide contenant les renseignements prescrits à l'égard du prétendu don de 1 500 $ qu'il prétend avoir effectué à l'Ordre Antonien libanais des Maronites, puisque le montant de don qui y apparaît est faux; (nié)

d)             en produisant sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1993, l'appelant a réclamé un crédit pour don de bienfaisance en rapport, entre autres, avec un montant de 4 000 $ dont il prétend avoir fait don à l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours de l'année d'imposition 1993; (admis)

e)              l'appelant n'a pas fait don, de quelque façon que ce soit, de cette somme de 4 000 $ en faveur de l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours de l'année d'imposition 1993; (nié)

f)              l'appelant n'a pas présenté au Ministre un reçu valide contenant les renseignements prescrits à l'égard du prétendu don de 4 000 $ qu'il prétend avoir effectué à l'Ordre Antonien libanais des Maronites, puisque le montant de don qui y apparaît est faux; (nié)

g)             en produisant sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1994, l'appelant a réclamé un crédit pour don de bienfaisance en rapport, entre autres, avec un montant de 4 000 $ dont il prétend avoir fait don à l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours de l'année d'imposition 1994; (admis)

h)             l'appelant n'a pas fait don, de quelque façon que ce soit, de cette somme de 4 000 $ en faveur de l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours de l'année d'imposition 1994; (nié)

i)               l'appelant n'a pas présenté au Ministre un reçu valide contenant les renseignements prescrits à l'égard du prétendu don de 4 000 $ qu'il prétend avoir effectué à l'Ordre Antonien libanais des Maronites, puisque le montant de don qui y apparaît est faux; (nié)

j)               l'appelant n'a pas effectué les dons pour lesquels il réclame des crédits dans ses déclarations de revenus et a plutôt participé dans le stratagème suivant : (nié)

                dans certains cas, l'Ordre Antonien libanais des Maronites établissait un reçu à un contribuable indiquant un don en argent d'un montant égal à la somme que ce contribuable lui payait par chèque, tout en retournant, en espèces, à ce même contribuable une somme d'argent équivalente ou presque;

                dans d'autres cas, l'Ordre Antonien libanais des Maronites établissait un reçu à un contribuable indiquant un don en argent d'un certain montant alors que ce contribuable n'avait versé aucune somme ou avait versé en espèces une somme minime par rapport au montant indiqué sur le reçu;

k)              (...)

l)               en produisant ses déclarations de revenus et en fournissant des renseignements sous le régime de la Loi pour les années d'imposition 1992 et 1993 relativement à des crédits réclamés par l'appelant aux titres de dons de bienfaisance en rapport avec les montants respectifs de 1 500 $ et 4 000 $, l'appelant a fait une présentation erronée des faits par omission volontaire; (nié)

Pénalités

m)             c'est sciemment, ou du moins dans des circonstances équivalant à faute lourde, que l'appelant a fait de faux énoncés ou des omissions en réclamant des crédits au titre de dons de bienfaisance en rapport avec les sommes de 1 500 $, 4 000 $ et 4 000 $ pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994, alors qu'il n'avait fait aucun don; (nié)

n)             l'appelant ayant fait sciemment, ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans les déclarations de revenus produites pour les années d'imposition en litige, ou a participé, consenti ou acquiescé à ces faux énoncés ou ces omissions, d'où il résulte que l'impôt que l'appelant aurait été tenu de payer d'après les renseignements fournis dans les déclarations de revenus déposées pour ces années-là était inférieur au montant d'impôt effectivement payable pour ces années-là de 384,14 $, 987,53 $ et 1 002,99 $ respectivement pour les années d'imposition en litige. (nié)

[3]            Originaire du Liban, l'appelant est arrivé au Canada le 13 avril 1990. Il a quitté son pays qui était à l'époque en pleine guerre. Il est arrivé accompagné de son ami d'enfance, Danny Tawil. Les deux sont demeurés chez le cousin de l'appelant, Wadih Avinaked et, par la suite, ils se sont rendus à l'église de l'Ordre où ils ont été accueillis par un prêtre qui leur a procuré des meubles et le minimum pour répondre à leurs besoins. L'appelant a réussi, par la suite, à se décrocher un emploi temporaire. Après environ deux ans, il obtenait un emploi à temps plein.

[4]            L'appelant a déclaré que le prêtre qui les a reçus leur a demandé de faire des dons pour venir en aide à d'autres personnes dans le besoin. Au début, il donnait à la quête et, par la suite, on lui a demandé de donner directement, de sorte qu'après la messe l'appelant passait au bureau du prêtre pour faire son don et le prêtre inscrivait dans un cahier bleu le montant qu'il remettait chaque fois. En janvier de l'année suivante, il obtenait un reçu daté du mois de décembre précédent qu'il a utilisé pour obtenir un crédit d'impôt pour les années en cause.


[5]            À son arrivée au Canada, l'appelant ne connaissait que son cousin Wadih, qui, en fait, était le cousin de sa mère, et un autre cousin lointain, soit Raymond Nawar. Son cousin Wadih lui a fait connaître l'Ordre. L'appelant a expliqué que les dons étaient faits dans le but d'aider d'autres Libanais. Il n'a jamais entendu dire que cet argent devait aller au Liban, servir à des rénovations ou payer l'hypothèque de l'Ordre.

[6]            L'appelant a fait ses premiers dons en 1992 lorsque son emploi est devenu permanent. Il a déclaré, en contre-interrogatoire, qu'il n'encourageait pas d'autres gens à faire des dons. Il ne se mêlait pas avec les gens après la messe par crainte de se voir identifier à un camp ou à une autre car il existait toujours une tension même ici au Canada. Quoique la guerre au Liban a pris fin en novembre 1990, les tensions et autres combats ont continué pendant quelques années, ce qui explique selon l'appelant pourquoi il était nécessaire de continuer de faire des dons.

[7]            L'appelant a témoigné qu'il ne connaissait pas les gens qui faisaient des dons mais a avoué avoir reconnu des gens qui avaient fait des dons après que le stratagème a été découvert. C'est ainsi qu'il a appris que son cousin Raymond avait fait des dons. Selon l'appelant, il a appris la nouvelle, en 1995, en lisant les journaux, que Revenu Canada avait fait une descente chez l'Ordre et que tous les livres de l'Ordre avaient été saisis. On parlait d'un stratagème où les gens obtenaient un reçu de l'Ordre plus élevé que le don actuel. Il déclare avoir contacté l'Ordre à ce moment-là et une personne lui aurait dit qu'il fallait attendre. On lui a éventuellement recommandé de consulter un avocat.

[8]            L'appelant, en contre-interrogatoire, a expliqué que ces dons variaient en général entre 5 $, 20 $ mais qu'ils ne dépassaient jamais 100 $. Il remettait cet argent en espèces et ne consignait rien par écrit. Il se fiait au prêtre quant à l'exactitude du montant indiqué sur les reçus. Selon l'appelant, l'Ordre avait un registre ou un genre de cahier bleu que le prêtre conservait dans un bureau à la bibliothèque. Il était accompagné de son ami Danny Tawil lorsqu'il remettait ses dons en mains propres au père Khamar. Il ne pouvait expliquer pourquoi le total de ses dons donnait un chiffre rond étant donné que le montant de ses dons était varié. Il a déclaré que le total de ses dons a peut-être été arrondi et qu'il est possible qu'il ait donné moins que ce qui est indiqué sur les reçus.

[9]            Le reçu de 1992 est daté du 20 août 1992. L'appelant n'a pu expliquer pourquoi le reçu portait cette date et a maintenu qu'il a obtenu son reçu en décembre 1992 ou en janvier 1993. Il n'a pas pu expliquer non plus pourquoi, en 1993, il a obtenu deux reçus. Le premier lui a été remis le 20 décembre 1993 et il fait état d'un paiement de 2 500 $ et le second, onze jours plus tard, fait état d'un paiement de 1 500 $. Il a avoué que cela n'avait pas de sens car il n'a pas donné un gros montant comme celui-là. Il a également avoué ne s'être jamais posé de questions sur ces reçus. L'appelant n'a pas pu fournir d'explications au sujet de ses adresses figurant sur les reçus établis à différentes dates. L'appelant a reconnu que son père lui envoyait de l'argent au cours des premières années où il a fait des dons et a affirmé que son père savait que l'appelant faisait des dons et n'a rien dit. L'appelant était convaincu que l'argent donné au Canada à des oeuvres de charité était contrôlé.

[10]          L'appelant s'est fait aider par son ami Danny Tawil dans la préparation de ses déclarations de revenu pour les années en cause, sauf la dernière. Il a reconnu que ses dons lui donnaient droit à des crédits d'impôt. Le revenu de l'appelant durant les années en cause s'élevait en moyenne à 25 000 $ par année. En 1995, il a fait quelques dons à l'Ordre mais n'a pu obtenir de reçu à cause de l'intervention de Revenu Canada. De 1995 à 1998, il a cotisé 2 000 $ à 2 500 $ chaque année à son REER.

[11]          La preuve soumise par l'intimée était volumineuse. Il devait en être ainsi afin de démontrer les différents stratagèmes conçus par l'Ordre dans le but de récompenser certains de ces donateurs et de leur fournir des reçus pour fins fiscales. En 1990, l'Ordre avait fait l'objet d'une vérification par le ministère du Revenu et avait reçu des directives à la suite de cette vérification. Il découle de l'enquête éventuelle et de la vérification finale que l'Ordre n'a pas donné suite aux directives reçues.

[12]          Le ministère du Revenu a entrepris l'enquête principale après avoir été informé de différents stratagèmes utilisés par l'Ordre pour recueillir des dons et récompenser ses donateurs. Sans aller dans tous les détails de cette enquête, il est évident, selon la preuve avancée, que le résultat de cet exercice a mené à des condamnations d'évasion fiscale pour plusieurs personnes et à de nouvelles cotisations pour ceux qui ont participé au stratagème, soit près de 1,200 personnes. La majorité des contribuables n'ont pas contesté les nouvelles cotisations. Certains ont interjeté appel.

[13]          L'enquêteur Gaétan Ouellette a témoigné au sujet du rôle qu'il a joué dans l'examen des dossiers de l'Ordre. Le 8 novembre 1995, les enquêteurs ont saisi, mandat à l'appui, toute la documentation de l'Ordre pour fins d'examen. Ils ont saisi les registres bancaires, les bordereaux de dépôt, les chèques que l'Ordre a émis, les carnets de reçus donnés pour fins de dons et les disquettes contenant de l'information comptable. Ils ont également rencontré les comptables de l'Ordre.

[14]          De plus, près d'une centaine de personnes les ont informés de l'existence d'un stratagème en vertu duquel le donateur faisait un don substantiel pour lequel il recevait un reçu et l'Ordre, par après, remettait au donateur en argent liquide 80 % de son don. L'autre stratagème utilisé consistait à faire un don en argent liquide en retour duquel le donateur obtenait un reçu quatre à cinq fois plus élevé que le montant du don.

[15]          Les dons étaient, pour la plupart, sollicités par des gens qui conservaient à leur tour 5 % des dons en guise de commission. Certains comptables proposaient ce stratagème à leur client pour qu'il en tire un bénéfice. Plusieurs aveux déposés en preuve confirment l'existence des stratagèmes utilisés (pièce I-12, onglet 10 et 11). Le témoin Ouellette a reproduit, à l'onglet 3 de la pièce I-12, l'information recueillie sur une disquette appelée « le bibliorec » lors de la perquisition qui, sur une séquence numérique de reçus donnés, contient des renseignements concernant la réception du don et sa distribution, notamment le nom du donateur, le montant du don, le montant remis au donateur, le montant conservé par l'Ordre et, enfin, le montant remis par le solliciteur. Il n'y a pas lieu d'en dire plus long, sauf que les données recueillies sur la disquette et reproduites correspondent à d'autres documents saisis tels que les chèques et les bordereaux de dépôts qui, en fait, confirment le stratagème en vertu duquel l'Ordre ne conservait que 20 % des dons et remettait un reçu pour le plein montant et la différence en argent au donateur.

[16]          Pour remettre le 80 % au donateur, l'Ordre faisait des chèques tirés de son compte payable à la caisse. Cet exercice se faisait immédiatement après le dépôt ou dans les jours suivants. L'onglet 7 de la pièce I-12 contient plusieurs exemples de tels chèques et certains de ces retraits identifiaient le donateur à qui l'argent devait être remis.

[17]          Les faits ont révélé que, même après les perquisitions, l'Ordre donnait toujours des reçus et certaines personnes se faisaient toujours offrir des reçus par l'Ordre.

[18]          L'intimée a également fait témoigner madame Colette Langelier qui a participé activement à cette enquête. Elle a commencé à participer à cette enquête après que des renseignements ont été reçus de l'épouse d'un des participants à ce stratagème. Elle a produit la correspondance et les directives destinées à l'Ordre afin qu'il se conforme aux exigences de Revenu Canada. Elle a examiné également toutes les déclarations de revenu de l'Ordre (pièce I-10), lesquelles contenaient la liste des donateurs. Elle a, par la suite, rencontré les prêtres afin d'examiner les registres comptables et s'est rendu compte que l'Ordre n'en avait pas. Elle a examiné certaines pièces justificatives de dépenses, les états de comptes bancaires et les bordereaux de dépôt pour arriver à faire une conciliation bancaire (pièce I-13) qu'elle a produite. Elle a tout relevé de 1989 à 1995. Son but était d'identifier les sommes déposées par rapport au total des reçus donnés.

[19]          Le résultat de cet exercice lui a permis de conclure que trois différents stratagèmes existaient :

1)              les professionnels, majoritairement des médecins d'origine libanaise et/ou leur conjoint, de même que des gens d'affaires dont les « sommes données » représentent environ 80 % du total des reçus émis. En d'autres mots, ils remettent un chèque équivalent à 100 % du reçu officiel émis par l'Ordre et par la suite, l'Ordre leur remettait 80 % du don en argent liquide.

2)              les dons partiels : dans ce stratagème, on a retrouvé des chèques du donateur représentant de 10 % à 20 % du montant du reçu officiel. Ceux qui y ont participé étaient des salariés ou des retraités et, en général, le chèque était déposé de janvier à mai de l'année suivant la date figurant sur le reçu donc des reçus antidatés.

3)              les dons que l'on ne peut retracer ou aucune preuve matérielle du don existe sauf le reçu officiel. Il s'agit de dons faits en espèces par le donateur. Il est possible de constater par le numéro apparaissant au reçu que plusieurs de ces dons ont été faits l'année suivante. Il a suffit de comparer les dons faits par chèque, la date de leur dépôt et le numéro du reçu correspondant pour tirer cette conclusion.

[20]          Elle n'a pu obtenir aucun renseignement lui permettant de faire un suivi en ce qui concerne les sommes d'argent perçues et il lui a été impossible de confirmer les explications fournies par les prêtres. Elle n'a pu trouver aucune preuve lui permettant de conclure que les dons recueillis avaient, selon ces explications, été acheminés au Liban. En fait, l'Ordre n'avait rien changé dans sa façon de faire, même après engagé à se conformer aux exigences du ministère du Revenu. Le tableau I-18 démontre que, pour respecter le contingentement de 90 %, l'Ordre indiquait que l'argent était envoyé au Liban.

[21]          Un technicien dentaire du nom de Bachar Hajjar a témoigné qu'il connaissait l'Ordre et qu'il avait assisté à des soirées de musique pendant des fêtes religieuses. C'est lors d'une de ces soirées qu'il a été mis au courant de la possibilité d'obtenir des reçus pour fins de crédits d'impôt. En 1993, il a fait un don en argent à une personne du monastère situé avenue Richard dans le quartier Outremont. Il ne connaît pas le nom de cette personne mais a déclaré qu'elle lui a remis un reçu au montant de 1 200 $ pour un don de 240 $.

[22]          Monsieur Jean-Claude Perreault, un retraité de l'enseignement, a témoigné dans le même sens. Il a entendu parler de l'Ordre par hasard pendant qu'il était dans une salle d'attente d'un professionnel de la santé. Les personnes discutaient de la possibilité de faire un don et d'obtenir en retour un reçu supérieur au montant donné allant jusqu'à quatre fois le montant du don. Il a donc communiqué avec un représentant de l'Ordre et, en 1993, pour un don de 2 500 $ fait à l'Ordre, il a obtenu un reçu officiel pour l'impôt de 11 500 $. En 1994, pour un don de 2 500 $ fait à l'Ordre, il a obtenu un reçu officiel pour l'impôt de 10 000 $.

Analyse

[23]          L'avocate de l'intimée, lors de la plaidoirie, a déposé devant la Cour un recueil de jurisprudence exposant les principes de droit relatifs au fardeau de la preuve et les règles concernant l'appréciation de la preuve circonstancielle. On peut lire, sur ce dernier point, un passage de l'auteur Jean-Claude Royer dans « La preuve civile » , Éditions Yvon Blais, 2e édition, au paragraphe 175, page 100 :

175 - La preuve directe est préférée à la preuve indirecte - La preuve directe est celle qui porte immédiatement sur le fait litigieux. La preuve indirecte, indiciaire ou par présomption a pour objet des faits pertinents qui permettent d'inférer l'existence du fait litigieux. [. . .]

La preuve testimoniale directe est supérieure à la preuve par présomption. Cette règle n'est toutefois pas absolue. Dans certaines circonstances, le tribunal peut préférer une preuve indiciaire à une preuve directe.

[24]          Il faut aussi se rappeler que les tribunaux ne sont pas tenus de croire les témoins, même s'ils ne sont pas contredits par d'autres témoins, si leur version semble invraisemblable d'après les circonstances révélées par la preuve ou d'après le simple bon sens (voir Legaré v. The Shawinigan Water and Power Co. Ltd.).

[25]          En l'espèce, la preuve présentée par l'intimée ne laisse planer aucun doute sur l'existence d'un stratagème bien structuré et mis en place par l'Ordre. En vertu de ce stratagème, l'Ordre pouvait recueillir d'importantes sommes d'argent tout en récompensant les donateurs au moyen de reçus indiquant des montants plus élevés que les véritables dons. Tel qu'expliqué précédemment, il existait trois méthodes possibles d'obtenir de faux reçus. La question en l'espèce est de déterminer si l'appelant a participé à ce stratagème dans le but d'en tirer un bénéfice.

[26]          L'appelant a déclaré qu'il ne faut pas mettre tous les donateurs dans le même panier. Il a refusé l'aide d'un avocat qui représentait tout le groupe parce qu'il a réalisé que la plupart des donateurs avaient participé au stratagème. L'appelant maintient avoir toujours fait affaire avec le père Khamar, même après la date à laquelle, selon madame Langelier, celui-ci a quitté le Canada. L'appelant a déclaré qu'il avait les moyens d'être généreux envers l'Ordre parce qu'il était célibataire, partageait un loyer et n'avait pas de dettes personnelles. Il a été, selon lui, moins généreux après 1994 parce qu'il a démarré son entreprise de graphiste. Il a terminé sa plaidoirie en disant qu'il avait soumis ses déclarations de revenus tardivement parce qu'il était trop occupé et en affirmant qu'il lui est impossible de produire des témoins parce qu'ils sont introuvables.

[27]          De leur côté, les avocats de l'intimée maintiennent que le cas de l'appelant n'est pas différent de celui des autres donateurs. Ils ont fait valoir que le témoignage de l'appelant était erroné. Selon eux, l'affirmation de l'appelant selon laquelle il a fait affaire avec le père Khamar durant les trois années d'imposition en cause est fausse puisque la preuve soumise, soit les signatures figurant sur les formulaires T-3010 remplis par l'Ordre et les chèques également, étaye la thèse de l'intimée que le père Khamar aurait quitté le Canada vers la fin de 1992. Les avocats de l'intimée soutiennent également que l'affirmation de l'appelant, à l'effet que tous les dons remis durant l'année étaient inscrits dans un cahier bleu, est également erronée car, lors de la perquisition, aucun document semblable n'a été trouvé. Il n'y avait non plus aucun montant d'argent en espèces dans le coffre-fort et les vérifications effectuées n'ont pas permis d'établir que de l'argent aurait été acheminé au Liban. On trouve même des signatures différentes du père Khamar sur les reçus figurant aux pièces I-3 et I-4. L'appelant ne peut expliquer pourquoi, en 1992, il avait obtenu deux reçus. L'intimée soutient que l'appelant a obtenu deux reçus pour se rapprocher de la limite permise du 20 %. D'ailleurs, le tableau I-25 indique le même scénario pour le don fait en 1993. Le tableau I-24 nous permet également de faire le rapprochement entre la date où les reçus ont été donnés et leur numéro. En comparant la date des dépôt de l'appelant avec la date d'autres dépôts, il est possible de conclure que la majorité des reçus donnés à l'appelant étaient antidatés.

[28]          Les avocats de l'intimée ont également souligné le fait que le tableau I-25 démontre également la proportion importante des dons de l'appelant par rapport au coût de la vie. L'appelant recevait alors de l'aide financière assez substantielle de son père et le montant de cette aide était presque le même que le montant du don. Les changements d'adresse sur les reçus par rapport aux dates sur les mêmes reçus appuient également la thèse que les reçus étaient antidatés. Les avocats de l'intimée ont terminé en disant qu'il est étrange que les montants indiqués sur les reçus étaient tous des chiffres ronds alors qu'ils devaient refléter le total des montants variés donnés en différentes occasions pendant une année.

[29]          Quant à l'ensemble des dons pour les trois années d'imposition, aucun registre ou journal des contributions de l'appelant n'a été trouvé lors de la perquisition par les vérificateurs, de sorte qu'il est impossible de vérifier les montants exacts des dons faits par l'appelant durant les années d'imposition. Il faut se rappeler aussi le témoignage de madame Langelier, qui affirmait qu'aucun don en espèces n'avait réellement été effectué ou que, si des sommes avaient été versées, elles ne correspondaient pas au total apparaissant sur les reçus, étant donné qu'aucune somme d'argent n'a été trouvée dans le coffre-fort de l'Ordre lors de la perquisition et qu'il n'y avait aucune preuve que des sommes d'argent avaient été acheminées au Liban ou que l'Ordre avait reçu l'argent correspondant aux reçus donnés selon les états financiers de l'Ordre.

[30]          D'après le tableau des revenus de l'appelant à la pièce I-25, il est peut-être invraisemblable qu'un contribuable puisse être aussi généreux si ses revenus et ses besoins personnels ne lui permettent pas de faire de tels dons.

[31]          Je suis conscient du fait qu'un contribuable a le droit d'être généreux et que, si ses dons respectent les dispositions de la Loi, on ne peut les contester. Cependant, en l'espèce, la preuve prépondérante présentée par l'intimée me permet de conclure que l'appelant a profité du stratagème mis en place par l'Ordre pour les trois années d'imposition et que toutes ses explications sont invraisemblables.

[32]          Ayant conclu qu'il n'a pas effectué de véritables dons, est-ce que le paragraphe 163(2) de la Loi s'applique en l'espèce? Est-ce que l'appelant a, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission lors de la production de ses déclarations de revenu au cours des années en litige? Ayant conclu que l'appelant a participé au stratagème, qu'il était conscient du contenu de ses déclarations de revenu et des crédits d'impôt fondés sur des faux reçus qu'il a obtenus, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a fait un faux énoncé dans ses déclarations de revenu et que les pénalités sont justifiées.

[33]          Je conclus également que l'intimée a démontré que l'appelant a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire. Le ministre peut donc établir de nouvelles cotisations après la période normale de nouvelle cotisation pour les années 1992 et 1993.

[34]          Les appels sont donc rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de janvier 1993.

« François Angers »

J.C.C.I.No DU DOSSIER DE LA COUR :                            2000-1264(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 ABDO NAWAR

                                                                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATES DE L'AUDIENCE :                                                 16 et 18 septembre 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         L'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :                                      13 janvier 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                                    L'appelant lui-même

Pour l'intimée :                                                       Me Simon Crépin

                                                                                                Me Nathalie Lessard

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimée :                                                       Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada

2000-1264(IT)I

ENTRE :

ABDO NAWAR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de

Danny Tawil(2000-1055(IT)I) et Antoine Chamoun (2000-1344(IT)I)

les 16 et 18 septembre 2002 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge François Angers

Comparutions

Pour l'appelant :                                                                    L'appelant lui-même

Avocats de l'intimée :                                                          Me Simon Crépin

                                                                                                                Me Nathalie Lessard

Jugement

Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 1992, 1993 et 1994 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de janvier 2003.

« François Angers »

J.C.C.I.

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