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Date: 20030113

Dossier: 2000-1344-IT-I

ENTRE :

ANTOINE CHAMOUN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Angers, C.C.I.

[1]            Monsieur Antoine Chamoun s'est vu refuser par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) des crédits d'impôt pour dons de bienfaisance pour les années d'imposition 1992 et 1993. Les dons refusés s'élèvent à 1 500 $ et 1 000 $ respectivement et ont été faits à l'Ordre Antonien libanais des Maronites (ci-après « l'Ordre » ). De plus, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1992 après la période normale de nouvelle cotisation pour cette année et a imposé des pénalités pour chacune des années en cause. Le ministre a ratifié ses nouvelles cotisations pour chacune des années le 18 octobre 1999. Par la suite, monsieur Chamoun a déposé des avis d'appel pour chacune des années en cause.


[2]            Les faits sur lesquels le ministre s'est fondé pour établir les nouvelles cotisations et qui ont été admis ou niés par l'appelant selon le cas sont les suivants :

Dons

a)              en produisant sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1992, l'appelant a réclamé un crédit pour don de bienfaisance en rapport, entre autres, avec un montant de 1 500 $ dont il prétend avoir fait don à l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours de l'année d'imposition 1992; (admis)

b)             l'appelant n'a pas fait don, de quelque façon que ce soit, de cette somme de 1 500 $ en faveur de l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours de l'année d'imposition 1992; (nié)

c)              l'appelant n'a pas présenté au Ministre un reçu valide contenant les renseignements prescrits à l'égard du prétendu don de 1 500 $ qu'il prétend avoir effectué à l'Ordre Antonien libanais des Maronites, puisque le montant de don qui y apparaît est faux; (nié)

d)             en produisant sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1993, l'appelant a réclamé un crédit pour don de bienfaisance en rapport, entre autres, avec un montant de 1 000 $ dont il prétend avoir fait don à l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours de l'année d'imposition 1993; (admis)

e)              l'appelant n'a pas fait don, de quelque façon que ce soit, de cette somme de 1 000 $ en faveur de l'Ordre Antonien libanais des Maronites au cours de l'année d'imposition 1993; (nié)

f)              l'appelant n'a pas présenté au Ministre un reçu valide contenant les renseignements prescrits à l'égard du prétendu don de 1 000 $ qu'il prétend avoir effectué à l'Ordre Antonien libanais des Maronites, puisque le montant de don qui y apparaît est faux; (nié)

g)             l'appelant n'a pas effectué les dons pour lesquels il réclame des crédits dans ses déclarations de revenus et a plutôt participé dans le stratagème suivant : (nié)

                dans certains cas, l'Ordre Antonien libanais des Maronites établissait un reçu à un contribuable indiquant un don en argent d'un montant égal à la somme que ce contribuable lui payait par chèque, tout en retournant, en espèces, à ce même contribuable une somme d'argent équivalente ou presque;

                dans d'autres cas, l'Ordre Antonien libanais des Maronites établissait un reçu à un contribuable indiquant un don en argent d'un certain montant alors que ce contribuable n'avait versé aucune somme ou avait versé en espèces une somme minime par rapport au montant indiqué sur le reçu;

h)             (...)

i)               en produisant sa déclaration de revenus et en fournissant des renseignements sous le régime de la Loi pour les années d'imposition 1992 relativement à un crédit réclamé par l'appelant au titre de dons de bienfaisance en rapport avec le montant de 1 500 $, l'appelant a fait une présentation erronée des faits par omission volontaire; (nié)

Pénalités

j)               c'est sciemment, ou du moins dans des circonstances équivalant à faute lourde, que l'appelant a fait de faux énoncés ou des omissions en réclamant des crédits au titre de dons de bienfaisance en rapport avec les sommes de 1 500 $ et 1 000 $ pour les années d'imposition 1992 et 1993, alors qu'il n'avait fait aucun don; (nié)

k)              l'appelant ayant fait sciemment, ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans les déclarations de revenus produites pour les années d'imposition en litige, ou a participé, consenti ou acquiescé à ces faux énoncés ou ces omissions, d'où il résulte que l'impôt que l'appelant aurait été tenu de payer d'après les renseignements fournis dans les déclarations de revenus déposées pour ces années-là était inférieur au montant d'impôt effectivement payable pour ces années-là de 356,85 $ et 225,94 $ respectivement pour les années d'imposition en litige. (nié)

[3]            L'appelant est originaire du Liban et est arrivé au Canada en avril 1990 accompagné de son épouse et de leurs deux enfants. Avant son arrivée, il connaissait déjà l'Ordre et connaissait l'existence d'un monastère à Outremont (Québec). Sa famille et lui ont donc assisté aux offices religieux après leur arrivée au Canada. Leur participation aux activités de l'Ordre prenait les formes suivantes : activités des scouts le vendredi, étude de la langue arabe le samedi et messe le dimanche.

[4]            Peu après son arrivée au Canada, l'appelant est devenu représentant de la compagnie d'assurances Standard Life. Parmi les directives qu'il a reçues, on lui a suggéré d'établir des liens avec des personnes-ressources et d'obtenir des références afin d'accroître ses ventes. Il aurait alors demandé au père Hage, un prêtre de l'Ordre, de l'aider en lui fournissant les noms de clients possibles afin de pouvoir vendre de l'assurance à ces personnes. En retour, l'appelant s'était engagé à faire des dons à l'Ordre, sans toutefois en préciser les montants.

[5]            L'appelant, selon son témoignage, faisait principalement affaires avec le père Hage. C'était lui qui s'occupait des activités auxquelles participait la famille de l'appelant. Des rencontres avaient lieu après la messe et c'est là que l'appelant établissait des contacts et distribuait ses cartes d'affaires. À l'automne 1992, l'appelant s'est mérité le prix du concours du Président, attribué au meilleur vendeur. Cela lui a valu une caméra vidéo et une plaque d'appréciation de son employeur. Il a aussi reçu une prime d'environ 7 500 $, dont 2 884,95 $ lui a été remis en novembre 1992 et le solde a été échelonné sur quelques mois par la suite.

[6]            L'appelant a expliqué que, le 7 décembre 1992, il avait fait un retrait de 1 500 $ de son compte épargne-chèques à la Banque Nationale du Canada et qu'il avait remis ce montant au père Hage dans une enveloppe sur laquelle il avait écrit son nom. L'appelant n'a pu expliquer pourquoi il a fait son don en espèces plutôt que par chèque. Quelques jours après avoir remis l'argent, soit le 21 décembre 1992, l'appelant a obtenu un reçu de l'Ordre pour ce montant (pièce I-2, onglet 6).

[7]            L'appelant a expliqué que la situation au travail avait changé en 1993, en ce sens qu'il n'y avait plus de concours. Au lieu de faire un don global, il plaçait de l'argent dans une enveloppe chaque fois qu'il effectuait une vente et remettait un don au prêtre pour l'Ordre. Il a agi de cette façon plusieurs fois pendant l'année. En retour, l'appelant a obtenu le 22 novembre 1993 un reçu de l'Ordre au montant de 1 000 $. L'appelant dit avoir arrêté de faire des dons à l'Ordre à la fin de 1993. Les relevés bancaires de l'appelant pour les deux années en cause (pièce A-2) ont été déposés en preuve. Le retrait du 7 décembre 1992 y est indiqué et, pour 1993, on trouve tout au long de l'année une multitude de retraits de différents montants. L'appelant soutient que ce sont ces montants qu'il a remis au père Hage et que le total des dons excède le montant indiqué sur le reçu.

[8]            Selon l'appelant, l'Ordre avait besoin de dons pour effectuer des rénovations au monastère. Il se souvient qu'il y avait des rénovations pendant les années en cause car ses enfants ont participé aux travaux et son fils aurait même été malade en raison de la poussière. Il ignorait si des montants provenant de dons étaient envoyés par l'Ordre au Liban ou si l'Ordre se servait de ces dons pour rembourser son hypothèque. Il a réitéré, en contre-interrogatoire, que l'Ordre ne lui a pas demandé de faire des dons. Il en a fait lorsqu'on lui a donné le nom de clients potentiels. En 1997, l'appelant apprenait, à la télévision, l'existence d'un scandale fiscal impliquant l'Ordre. Il aurait alors contacté l'Ordre, qui lui aurait recommandé un avocat pour fins de recours collectif.

[9]            Toujours lors du contre-interrogatoire, l'appelant n'a pu expliquer pourquoi ses dons ont été faits en espèces plutôt que par chèque alors que l'argent provenait de son compte de chèques. Il a expliqué qu'il n'avait pas exigé de reçus mais que le père Hage lui en a remis. L'appelant a fait les dons en mains propres au père Hage qui lui a remis les deux reçus directement. L'appelant prétend que le retrait en décembre 1992 indiqué à la pièce A-2 est exact puisqu'il indique un chiffre rond de 1 500 $. Pour 1993, il s'agit de dons variant de 20 $ à 200 $. Il ignore comment le père Hage connaissait le total de ses dons à la fin de l'année mais insiste qu'il a donné au moins 1 000 $ en 1993 selon le reçu en date du 22 novembre. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi l'Ordre n'avait pas attendu la fin de l'année pour lui donner le reçu, l'appelant a expliqué en disant qu'il a dû informer le père Hage que, puisqu'il ne recevait plus de noms de clients potentiels, il ne ferait plus de dons.

[10]          L'appelant a reconnu qu'il ne mettait pas son adresse sur les enveloppes contenant ses dons. Il n'a pu expliquer comment le père Hage savait qu'il était l'auteur des dons étant donné qu'il existait un autre individu portant le même nom que l'appelant. L'appelant a également déclaré que le père Hage le connaissait bien car il le voyait trois fois par semaine et qu'il était inscrit au registre de l'Ordre. L'appelant a reconnu que ses revenus étaient de 25 000 $ en 1992 et d'environ 20 000 $ en 1993. Il n'a pas fait d'autres dons à l'Ordre après 1993. Il n'a pas fait d'autres dons de charité par après sauf un don de 50 $ en 1996 à l'église orthodoxe dont sa conjointe était membre. L'appelant a déclaré qu'il ne connaît pas les gens impliqués dans ce stratagème et que toute cette affaire a nuit énormément à la communauté libanaise.

[11]          La preuve soumise par l'intimée était volumineuse. Il devait en être ainsi afin de démontrer les différents stratagèmes conçus par l'Ordre dans le but de récompenser certains de ces donateurs et de leur fournir des reçus pour fins fiscales. En 1990, l'Ordre avait fait l'objet d'une vérification par le ministère du Revenu et avait reçu des directives à la suite de cette vérification. Il découle de l'enquête éventuelle et de la vérification finale que l'Ordre n'a pas donné suite aux directives reçues.

[12]          Le ministère du Revenu a entrepris l'enquête principale après avoir été informé de différents stratagèmes utilisés par l'Ordre pour recueillir des dons et récompenser ses donateurs. Sans aller dans tous les détails de cette enquête, il est évident, selon la preuve avancée, que le résultat de cet exercice a mené à des condamnations d'évasion fiscale pour plusieurs personnes et à de nouvelles cotisations pour ceux qui ont profité du stratagème, soit près de 1,200 personnes. La majorité des contribuables n'ont pas contesté les nouvelles cotisations. Certains ont interjeté appel.

[13]          L'enquêteur Gaétan Ouellette a témoigné au sujet du rôle qu'il a joué dans l'examen des dossiers de l'Ordre. Le 8 novembre 1995, les enquêteurs ont saisi, mandat à l'appui, toute la documentation de l'Ordre pour fins d'examen. Ils ont saisi les registres bancaires, les bordereaux de dépôts, les chèques que l'Ordre a émis, les carnets de reçus donnés pour fins de dons et les disquettes contenant de l'information comptable. Ils ont également rencontré les comptables de l'Ordre.

[14]          De plus, près d'une centaine de personnes les ont informés de l'existence d'un stratagème en vertu duquel le donateur faisait un don substantiel pour lequel il recevait un reçu et l'Ordre, par après, remettait au donateur en argent liquide 80 % de son don. L'autre stratagème utilisé consistait à faire un don en argent liquide en retour duquel le donateur obtenait un reçu quatre à cinq fois plus élevé que le montant du don.

[15]          Les dons étaient, pour la plupart, sollicités par des gens qui conservaient à leur tour 5 % des dons en guise de commission. Certains comptables proposaient ce stratagème à leur client pour qu'il en tire un bénéfice. Plusieurs aveux ont été déposés en preuve qui confirment l'existence des stratagèmes utilisés (pièce I-12, onglets 10 et 11). Le témoin Ouellette a reproduit, à l'onglet 3 de la pièce I-12, l'information recueillie sur une disquette appelée « le bibliorec » lors de la perquisition qui, sur une séquence numérique de reçus donnés, explique la réception du don et sa distribution, en identifiant le donateur, le montant du don, le montant remis au donateur, le montant conservé par l'Ordre et, enfin, le montant remis par le solliciteur. Il n'y a pas lieu d'en dire plus long sauf que les données recueillies sur la disquette et reproduites correspondent à d'autres documents saisis tels que les chèques et les bordereaux de dépôts qui, en fait, confirment le stratagème en vertu duquel l'Ordre ne conservait que 20 % des dons et remettait un reçu pour le plein montant et la différence en argent au donateur.

[16]          Pour remettre le 80 % au donateur, l'Ordre faisait des chèques tirés de son compte payable à la caisse. Cet exercice se faisait immédiatement après le dépôt ou dans les jours suivants. L'onglet 7 de la pièce I-12 en contient plusieurs exemples et certains de ces retraits identifiaient le donateur à qui l'argent devait être remis.

[17]          Les faits ont révélé que, même après les perquisitions, l'Ordre donnait toujours des reçus et certaines personnes se faisaient toujours offrir des reçus par l'Ordre.

[18]          L'intimée a également fait témoigner madame Colette Langelier qui a participé activement à cette enquête. Elle a commencé à participer à cette enquête après que des renseignements ont été reçus de l'épouse d'un des participants à ce stratagème. Elle a produit la correspondance et les directives destinées à l'Ordre afin qu'il se conforme aux exigences de Revenu Canada. Elle a examiné également toutes les déclarations de revenu de l'Ordre (pièce I-10), lesquelles contenaient la liste des donateurs. Elle a, par la suite, rencontré les prêtres afin d'examiner les registres comptables et s'est rendu compte que l'Ordre n'en avait pas. Elle a examiné certaines pièces justificatives de dépenses, les états de comptes bancaires et les bordereaux de dépôt pour arriver à faire une conciliation bancaire (pièce I-13) qu'elle a produite. Elle a tout relevé de 1989 à 1995. Son but était d'identifier les sommes déposées par rapport au total des reçus donnés.

[19]          Le résultat de cet exercice lui a permis de conclure que trois différents stratagèmes existaient :

1)              les professionnels, majoritairement des médecins d'origine libanaise et/ou leur conjoint, de même que des gens d'affaires dont les « sommes données » représentent environ 80 % du total des reçus émis. En d'autres mots, ils remettent un chèque équivalent à 100 % du reçu officiel émis par l'Ordre et par la suite, l'Ordre leur remettait 80 % du don en argent liquide.

2)              les dons partiels : dans ce stratagème, on a retrouvé des chèques du donateur représentant de 10 % à 20 % du montant du reçu officiel. Ceux qui y ont participé étaient des salariés ou des retraités et, en général, le chèque était déposé de janvier à mai de l'année suivant la date figurant sur le reçu donc des reçus antidatés.

3)              les dons que l'on ne peut retracer ou aucune preuve matérielle du don existe sauf le reçu officiel. Il s'agit de dons faits en espèces par le donateur. Il est possible de constater par le numéro apparaissant au reçu que plusieurs de ces dons ont été faits l'année suivante. Il a suffit de comparer les dons faits par chèque, la date de leur dépôt et le numéro du reçu correspondant pour tirer cette conclusion.

[20]          Elle n'a pu obtenir aucun renseignement lui permettant de faire un suivi en ce qui concerne les sommes d'argent perçues et il lui a été impossible de confirmer les explications fournies par les prêtres. Elle n'a pu trouver aucune preuve lui permettant de conclure que les dons recueillis avaient, selon ses explications, été acheminés au Liban. En fait, l'Ordre n'avait rien changé dans sa façon de faire, même après avoir s'être engagé à se conformer aux exigences du ministère du Revenu. Le tableau I-18 démontre que, pour respecter le contingentement de 90 %, l'Ordre indiquait que l'argent était envoyé au Liban.

[21]          Un technicien dentaire du nom de Bachar Hajjar a témoigné qu'il connaissait l'Ordre et qu'il avait assisté à des soirées de musique pendant des fêtes religieuses. C'est lors d'une de ces soirées qu'il a été mis au courant de la possibilité d'obtenir des reçus pour fins de crédits d'impôt. En 1993, il a fait un don en argent à une personne du monastère situé avenue Richard dans le quartier Outremont. Il ne connaît pas le nom de cette personne, mais a déclaré qu'elle lui a remis un reçu au montant de 1 200 $ pour un don de 240 $.

[22]          Monsieur Jean-Claude Perreault, un retraité de l'enseignement, a témoigné dans le même sens. Il a entendu parler de l'Ordre par hasard pendant qu'il était dans une salle d'attente d'un professionnel de la santé. Les personnes discutaient de la possibilité de faire un don et d'obtenir en retour un reçu supérieur au montant donné allant jusqu'à quatre fois le montant du don. Il a donc communiqué avec un représentant de l'Ordre et, en 1993, pour un don de 2 500 $ fait à l'Ordre, il a obtenu un reçu officiel pour l'impôt de 11 500 $ et, en 1994, pour un don de 2 500 $ fait à l'Ordre, il a obtenu un reçu officiel pour l'impôt de 10 000 $.

Analyse

[23]          L'avocate de l'intimée, lors de la plaidoirie, a déposé devant la Cour un recueil de jurisprudence exposant les principes de droit relatifs au fardeau de la preuve et les règles concernant l'appréciation de la preuve circonstantielle. On peut lire, sur ce dernier point, un passage de l'auteur Jean-Claude Royer dans « La preuve civile » , Éditions Yvon Blais, 2e édition, ou le paragraphe 175, page 100 :

175 - La preuve directe est préférée à la preuve indirecte - La preuve directe est celle qui porte immédiatement sur le fait litigieux. La preuve indirecte, indiciaire ou par présomption a pour objet des faits pertinents qui permettent d'inférer l'existence du fait litigieux. [. . .]

La preuve testimoniale directe est supérieure à la preuve par présomption. Cette règle n'est toutefois pas absolue. Dans certaines circonstances, le tribunal peut préférer une preuve indiciaire à une preuve directe.

[24]          Il faut aussi se rappeler que les tribunaux ne sont pas tenus de croire les témoins même s'ils ne sont pas contredits par d'autres témoins, si leur version semble invraisemblable d'après les circonstances révélées par la preuve ou d'après le simple bon sens (voir Legaré v. The Shawinigan Water and Power Co. Ltd.).

[25]          En l'espèce, la preuve présentée par l'intimée ne laisse planer aucun doute sur l'existence d'un stratagème bien structuré et mis en place par l'Ordre. En vertu de ce stratagème, l'Ordre pouvait recueillir d'importantes sommes d'argent tout en récompensant les donateurs au moyen de reçus indiquant des montants plus élevés que les véritables dons. Tel qu'expliqué plus haut, il existait trois méthodes possibles d'obtenir de faux reçus. La question en l'espèce est de déterminer si l'appelant a participé à ce stratagème dans le but d'en tirer un bénéfice.

[26]          L'appelant a affirmé qu'il ne savait rien au sujet du stratagème avant d'en prendre connaissance en mars 1997 à la télévision. Il a déclaré avoir remis l'argent à l'Ordre et obtenu des reçus correspondant à son don. Il a fait cela en échange des noms de clients potentiels que lui procurait l'Ordre et a agi de bonne foi en tout temps. Il a reproché au vérificateur de l'intimée de traiter tous les donateurs comme étant coupables sans exception.

[27]          De son côté, l'intimée maintient que le cas de l'appelant ne se distingue pas des autres. Dans son témoignage en direct, l'appelant a déclaré qu'il avait obtenu les noms de clients potentiels du père Hage en 1992 et 1993. Après avoir fait la preuve que le père Hage est arrivé au Canada à la fin de 1992, l'appelant s'est ravisé et a modifié sa version des faits. Il a nommé le père Khamar comme étant celui qui lui aurait fourni les noms de clients potentiels. Cependant, il a ajouté qu'en 1992, c'est le même père Hage qui s'occupait des scouts le vendredi, de l'enseignement de la langue arabe le samedi et de la messe du dimanche. À mon avis, ce sont des activités hebdomadaires échelonnées sur plusieurs mois et il me semble qu'il serait facile d'identifier la bonne personne.

[28]          L'avocate de l'intimée a soulevé la question de savoir pourquoi l'appelant avait remis un don aussi important, 1 500 $, en espèces. L'appelant n'a pu expliquer ce fait et il n'a pu expliquer non plus pourquoi il avait obtenu son reçu en date du 21 décembre étant donné qu'il a effectué le retrait de son compte le 7 décembre. Elle a également soulevé la question de savoir pourquoi l'appelant ne voulait pas de reçus pour ses dons à l'époque tandis qu'aujourd'hui il est partie à un litige où il tient à les faire valoir. La preuve de madame Langelier au tableau I-21 sur son analyse des dates de dépôts, les numéros des reçus et le reçu de l'appelant du 21 décembre 1992 démontrent sans équivoque que le reçu de l'appelant pour 1992 était antidaté. Son nom figure dans « le bibliorec » en 1993 quoique le reçu a été annulé.

[29]          Quant au don de 1993, aucun registre ou journal des contributions de l'appelant n'a été trouvé lors de la perquisition par les vérificateurs de sorte qu'il est impossible de vérifier le montant exact des dons faits par l'appelant durant cette année. Il est aussi étrange que son reçu pour 1993 porte la date du mois de novembre au lieu du mois de décembre. L'explication qu'il a fournie à ce sujet est qu'il a informé l'Ordre en novembre qu'il ne ferait plus de dons parce qu'il obtenait moins de noms de clients potentiels et que c'est alors qu'il aurait obtenu son reçu. Il faut se rappeler aussi le témoignage de madame Langelier, qui affirmait qu'aucun don en espèces n'avait réellement été effectué ou que si des sommes avaient été versées, elles ne correspondaient pas au total apparaissant sur les reçus étant donné qu'aucune somme d'argent n'a été trouvée dans le coffre-fort de l'Ordre lors de la perquisition et qu'il n'y avait aucune preuve que des sommes d'argent avaient été acheminées au Liban ou que l'Ordre avait reçu l'argent correspondant aux reçus donnés selon les états financiers de l'Ordre.

[30]          D'après le tableau des revenus de l'appelant et de sa conjointe de 1990 à 1998 et la pièce I-23, il est peut-être invraisemblable qu'un contribuable puisse être aussi généreux envers l'Ordre, si ses revenus et ses obligations familiales ne lui permettent pas de faire de tels dons.

[31]          Je suis conscient du fait qu'un contribuable a le droit d'être généreux et que, si ces dons respectent les dispositions de la Loi, on ne peut les contester. Cependant, en l'espèce, la preuve prépondérante présentée par l'intimée me permet de conclure que l'appelant a profité du stratagème mis en place par l'Ordre pour les deux années d'imposition et que toutes ses explications sont invraisemblables.

[32]          Ayant conclu qu'il n'a pas effectué de véritables dons, est-ce que le paragraphe 163(2) de la Loi s'applique en l'espèce? Est-ce que l'appelant a, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission lors de la production de ses déclarations de revenu au cours des années en cause? Ayant conclu que l'appelant a participé au stratagème, qu'il était conscient du contenu de ses déclarations de revenu et des crédits d'impôt fondés sur des faux reçus qu'il a obtenu, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu'il a fait un faux énoncé dans ses déclarations de revenu et que les pénalités sont justifiées.


[33]          Pour les mêmes raisons, je conclus également que l'intimée a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant a fait des présentations erronées des faits par négligence, inattention ou omission volontaire. Par conséquent, le ministre peut donc établir de nouvelles cotisations après la période normale de nouvelle cotisation.

[34]          Les appels sont donc rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de janvier 2003.

« François Angers »

J.C.C.I.No DU DOSSIER DE LA COUR :                            2000-1344(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 ANTOINE CHAMOUN

                                                                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATES DE L'AUDIENCE :                                                 16 et 18 septembre 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         L'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :                                      13 janvier 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                                    L'appelant lui-même

Pour l'intimée :                                                       Me Simon Crépin

                                                                                                Me Nathalie Lessard

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimée :                                                       Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada

2000-1344(IT)I

ENTRE :

ANTOINE CHAMOUN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de

Danny Tawil(2000-1055(IT)I) et Abdo Nawar (2000-1264(IT)I)

les 16 et 18 septembre 2002 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge François Angers

Comparutions

Pour l'appelant :                                                                    L'appelant lui-même

Avocats de l'intimée :                                                          Me Simon Crépin

                                                                                                                Me Nathalie Lessard

JUGEMENT

                Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 1992 et 1993 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de janvier 2003.

« François Angers »

J.C.C.I.

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