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Date : 20030108

Dossier : 2001-2193-IT-I

ENTRE :

JEAN-PIERRE BLACKBURN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'appels par voie de la procédure informelle concernant les années d'imposition 1998 et 1999.

[2]            Il s'agit de savoir si l'appelant a utilisé, à des fins personnelles, le véhicule d'une société dont il est le seul actionnaire dans une proportion de 15 p. 100 de l'usage total de la voiture ou encore, si la totalité ou presque de la distance parcourue par l'automobile a été parcourue dans l'accomplissement des fonctions de la charge ou de l'emploi de l'appelant.

[3]            Les faits sur lesquels le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) s'est appuyé pour établir ses nouvelles cotisations sont décrits au paragraphe 6 de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ) comme suit :

a)              pour les années d'imposition en litige, l'appelant disposait pour son utilisation personnelle d'un véhicule Chevrolet Blazer (ci-après, le « véhicule » );

b)             le véhicule était loué par la société Blackburn communication inc. (ci-après, la « société » );

c)              l'activité de la société est la préparation de plans d'affaires pour des entreprises;

d)             au cours des années d'imposition en litige, l'appelant était employé de la société;

e)              lors de la vérification faite par la vérificatrice du Ministre, ce dernier a déterminé avec l'appelant que le pourcentage pour utilisation personnelle du véhicule de la société au cours des années d'imposition en litige, était de 25 p. 100, étant donné que :

i)               l'appelant utilisait le véhicule pour l'aller et retour de sa résidence à son bureau, une fois par jour;

ii)              l'appelant a avoué à la vérificatrice du Ministre que seul, l'aller et le retour équivalait à 10 p. 100 de l'utilisation du véhicule;

iii)             souvent, l'appelant retournait chez lui le midi;

iv)            souvent, l'appelant utilisait le véhicule pour travailler au bureau les fins de semaine;

v)             l'appelant utilisait le véhicule pour plusieurs autres déplacements personnels;

vi)            la conjointe de l'appelant possédait une Chevrolet « Cavalier » ;

vii)           le fils de l'appelant, alors âgé de 20 ans, utilisait le véhicule de la conjointe de l'appelant;

f)              de plus, l'appelant ne tenait aucun registre relativement à ses déplacements avec le véhicule;

g)             le Ministre a déterminé à 5 421 $ pour chacune des années d'imposition 1998 et 1999 de l'appelant, le montant de l'avantage provenant de l'utilisation personnelle du véhicule de la société (voir détails en annexes);

h)             au stade des oppositions, le Ministre a convenu d'une utilisation personnelle de 15 p. 100 concernant l'avantage relatif aux frais de fonctionnement du véhicule, ce qui équivaut à une diminution de 205 $ pour chacune des années d'imposition en litige (voir détails en annexes);

i)               conséquemment, le Ministre a ajouté un montant additionnel de 5 216 $ pour chacune des années d'imposition 1998 et 1999 de l'appelant, à titre d'avantage provenant de l'utilisation personnelle du véhicule de la société.

[4]            L'appelant a admis les alinéas 6 a) à 6 c), 6 e)vi), 6 e)vii) et 6 f) de la Réponse.

[5]            L'appelant est l'actionnaire unique de la Société. Il a relaté que la Société a deux créneaux d'activité, le développement des affaires et les relations publiques. Le bureau de la Société est situé à l'extérieur de la résidence de l'appelant. L'appelant ne se considère pas comme un employé de la Société. La Société ne lui versait pas un salaire. Elle lui versait à l'occasion des dividendes.

[6]            L'appelant a admis que lors de la visite de la vérificatrice il a accepté le pourcentage de 25 p. 100 pour l'usage à titre personnel de la voiture de la Société. Aux oppositions, le pourcentage a été réduit à 15 p. 100. L'appelant prétend toutefois que l'usage personnel n'excède pas 10 p. 100. Il ne s'était pas rendu compte qu'une différence entre 25 p. 100 ou 15 p. 100 et 10 p. 100 pouvait amener une telle différence dans le calcul du revenu. Il aurait examiné avec plus d'attention l'usage personnel qu'il a fait de sa voiture.

[7]            En ce qui concerne l'alinéa 6 e)i), l'appelant explique que très souvent le matin il ne quitte pas sa résidence pour le bureau, mais va directement à des réunions d'affaires.

[8]            Entre sa résidence et le bureau, il y a environ deux kilomètres. Il a admis les sous-alinéas 6 e)iii) et 6 e)iv). En ce qui concerne l'alinéa 6 e)v) l'appelant ne trouve pas approprié les mots « pour plusieurs » .

[9]            Les enfants de l'appelant ont maintenant 21 et 23 ans. Ils étaient assurés sur le véhicule de leur mère. L'appelant explique que sa femme est infirmière et a son propre véhicule. C'est ce véhicule qui servait pour les choses reliées à la maison.

[10]          En ce qui concerne les sorties sociales, l'appelant explique que lui et sa femme reçoivent plutôt à la maison. Il relate que son sport c'est la chasse. Elle se fait à environ une demi-heure de la maison sur la rivière Cyriac, une distance d'environ une quarantaine de kilomètres. L'appelant utilisait alors la voiture de la Société. Mais les sorties de chasse ne sont pas fréquentes, deux fois par années. Autrement, les fins de semaine, l'appelant relate qu'il aime faire de longues randonnées en moto.En effet, en 1998 et 1999 l'appelant était propriétaire d'une moto, une Harley Davidson dont il s'est départi à l'automne 1999.

[11]          Madame Nancy Tremblay, vérificatrice, a témoigné pour la partie intimée.

[12]          Elle relate que le kilométrage total de la voiture en question était de 14 000 kilomètres par année. Elle explique que déjà l'aller et le retour du bureau à la résidence le matin et le soir constituent 10 p. 100 du kilométrage. Ceci ne compte pas les allers et retours pour les repas du midi pris à la maison ni non plus les allers et retours au bureau les fins de semaine. À cela, il faut ajouter deux fois une distance de 80 kilomètres pour les voyages de pêche.

[13]          La vérificatrice constate aussi que l'appelant n'a fourni aucun registre de ses déplacements.

[14]          L'appelant fait valoir que l'usage personnel de la voiture était très limité, que le pourcentage de 15 p. 100 n'est pas très éloigné de 10 p. 100 et pourtant dans le premier cas un avantage de 4 910,22 $ a été ajouté à son revenu alors que dans le deuxième cas cela aurait été un montant d'environ 500 $. En ce qui concerne le calcul des frais raisonnables pour droit d'usage, quand on regarde les annexes de la Réponse, on se rend compte qu'il n'a pas bougé même si l'utilisation personnelle a été réduite de 25 p. 100 ou de 15 p. 100. Les frais qui ont été réduits sont ceux relatifs au fonctionnement de la voiture décrits à l'alinéa 6(1)k) de la Loi.

[15]          L'avocate de l'intimée se réfère au paragraphe 6(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Elle explique que le calcul des frais raisonnables pour droit d'usage d'une automobile prévus au paragraphe 6(2) de la Loi ne prend pas en compte la proportion de l'usage personnel sur le kilométrage total sauf, si l'employeur exige du contribuable qu'il utilise l'automobile dans l'accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi et si la totalité ou presque de la distance parcourue par l'automobile est parcourue dans l'accomplissement des fonctions de la charge ou de l'emploi. C'est cette dernière condition qui importe ici.

[16]          Elle soutient que le Ministre interprète correctement la Loi lorsqu'il considère que la totalité ou presque de la distance parcourue pour fins d'affaires signifie au moins 90 p. 100 du kilométrage total, ce qui laisse une proportion pour fins personnelles d'au plus 10 p. 100. Elle se réfère à cet égard à la décision de la Cour d'appel fédérale dans Canada c. Adams (C.A.), [1998] 3 C.F. no 365 (Q.L.), et plus particulièrement au paragraphe 15 de cette décision :

La supposée exception « pour usage personnel minimal » est contenue dans la définition de « A » énoncée au paragraphe 6(2). Essentiellement, l'exception permet à un employé d'obtenir une réduction du montant des frais pour droit d'usage, qui serait autrement applicable, si les conditions préalables suivantes sont réunies. Tout d'abord, l'employeur doit exiger de l'employé qu'il utilise l'automobile dans l'accomplissement des fonctions de son emploi. Deuxièmement, « la totalité ou presque » de la distance parcourue par l'automobile pendant qu'elle était à la disposition de l'employé doit l'être dans l'accomplissement des fonctions de son emploi ou pendant ses heures de travail. À cet égard, le ministre a adopté une politique exigeant qu'au moins 90 % de l'usage de l'automobile soit lié à l'accomplissement du travail de l'employé : voir le bulletin IT-63R4. Troisièmement, l'usage personnel de l'automobile ne doit pas dépasser 12 000 km par année. Ainsi, les employés qui utilisent l'automobile de leur employeur exclusivement à des fins commerciales ne sont pas tenus d'inclure les frais pour droit d'usage dans leurs revenus. La raison en est que « A » est à ce moment égal à 0. Les employés qui font un usage personnel de l'automobile de l'employeur ont droit à une réduction des frais pour droit d'usage, pourvu que cet usage soit minimal, c'est-à-dire que les trois conditions préalables doivent être réunies. La réduction s'applique parce que le quotient de « A/B » n'est plus réputé égal à « 1 » . C'est plutôt une fraction de ce nombre, et cette fraction varie en fonction du nombre de kilomètres parcourus à des fins personnelles. Pour les fins du présent appel, il est important de noter que la réduction est calculée en fonction des kilomètres réellement parcourus pour l'usage personnel de l'employé aussi bien qu'à des fins commerciales. C'est l'usage réel qui a de l'importance, et non pas la question de savoir si un employé peut utiliser sans restriction ou exclusivement l'automobile de son employeur. Il est également important de noter que l'usage réel ne devient pertinent que dans le contexte de l'exception pour usage personnel minimal formulée au paragraphe 6(2).

Analyse

[17]          Le paragraphe 6(2) de la Loi se lit ainsi pour la partie pertinente :

6(2)          Frais raisonnables pour droit d'usage d'une automobile - Pour l'application de l'alinéa (1)e), la somme qui représente les frais raisonnables pour droit d'usage d'une automobile pendant le nombre total de jours d'une année d'imposition durant lesquels l'employeur d'un contribuable ou une personne liée à l'employeur a mis l'automobile à la disposition du contribuable ou d'une personne qui lui est liée est réputée égale au montant calculé selon la formule suivante :

A/B × [(2 % × (C × D) + 2/3 × (E - F)]

où :

A              représente le moins élevé des éléments suivants :

a)             le nombre de kilomètres parcourus par l'automobile, autrement que dans l'accomplissement des fonctions de la charge ou de l'emploi du contribuable, pendant le nombre de jours ci-dessus;

b)             le montant représenté par l'élément B;

toutefois, le nombre visé à l'alinéa a) est réputé égal au montant représenté par l'élément B, sauf si l'employeur ou la personne liée à celui-ci exige du contribuable qu'il utilise l'automobile dans l'accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi et si la totalité, ou presque, de la distance parcourue par l'automobile pendant le nombre de jours ci-dessus est parcourue dans l'accomplissement des fonctions de la charge ou de l'emploi;

...

[18]          L'article 6 de la Loi s'applique au calcul du revenu qu'un contribuable tire d'un emploi ou d'une charge. Dans la présente affaire, si l'appelant n'est pas un employé de la Société, il occupe sans aucun doute une charge. Donc, l'article 6 s'applique. Je mentionne ceci, bien qu'il ne s'agisse pas du litige principal, parce qu'au cours de l'audience l'appelant a fait état qu'il n'était pas un employé. De toute façon, en vertu du paragraphe 15(5) de la Loi, l'actionnaire est traité de la même façon en ce qui concerne l'avantage relatif à l'utilisation d'une voiture.

[19]          Le passage de la décision Adams précédemment cité au paragraphe 16 de ces motifs explique bien que l'usage personnel réel n'a de l'importance que dans le cas de l'usage minimal. Que l'usage personnel soit de 25, 15 ou 40 p. 100, cela n'a pas d'importance quant au calcul relatif aux frais raisonnables pour droit d'usage d'une voiture mise à la disposition d'un particulier par son employeur. Cette disposition impose la disponibilité d'une voiture et non pas son usage personnel à moins que cet usage ne soit à peu près inexistant. Toutefois, il faut noter ici que cette décision ne porte pas sur l'équation du pourcentage de 10 p. 100 à l'usage minimal. Elle ne fait que relater les modalités d'application.

[20]          Dans le contexte de ce pourcentage, je dois faire mention d'une décision de notre Cour, soit la décision McDonald c. Canada, [1998] A.C.I. no 621 (Q.L.), rendue par le juge Rip. Dans cette affaire, le juge semble avoir accepté qu'une proportion de 85 p. 100 peut suffire pour représenter la totalité ou presque la totalité de la distance parcourue par l'automobile dans l'accomplissement des fonctions d'emploi du contribuable.

[21]          Toutefois, selon les faits relatifs à cette affaire, la voiture était identifiée comme un véhicule de la Communauté urbaine de Toronto. Le contribuable ne l'utilisait pas pour des courses personnelles, car il voulait éviter la publicité négative qui aurait pu en résulter si quelqu'un l'avait vu utiliser cette voiture pour ses fins personnelles. Il l'utilisait donc pour se rendre de sa résidence aux divers lieux de travail et à son bureau situé à l'hôtel de ville. C'était sur ce kilométrage entre ces lieux de travail, son bureau et sa résidence que le Ministre avait établi l'usage à 15 p. 100 de l'utilisation totale de la voiture. Le contribuable tenait un registre de ses déplacements à la demande de son employeur. Le juge en avait conclu que la proportion pour les déplacements personnels n'excédait pas 10 p. 100, mais il a ajouté que s'il s'était trompé sur cette proportion il devait déterminer la signification de la totalité ou presque. Il en a conclu que dans les circonstances de cette affaire 15 p. 100 d'usage personnel n'aurait pas pour effet de ne pas permettre à l'exception de l'usage minimal de s'appliquer.

[22]          En ce qui concerne le pourcentage de l'utilisation personnelle dans la présente affaire, je suis d'avis que la preuve a clairement révélé qu'il est au moins véritablement de 15 p. 100. Est-ce que ce 15 p. 100 permet d'affirmer à l'instar de la décision du juge Rip dans McDonald (supra) que la totalité ou presque du kilométrage parcouru l'a été dans l'accomplissement du travail de l'appelant? Je ne le crois pas.

[23]          Dans l'affaire McDonald (supra), le contribuable devait tenir un registre de ses déplacements. Ses déplacements étaient sujets à vérification par son employeur. Cet employeur n'était pas une société dont il était l'unique actionnaire. Il s'agissait d'une municipalité. Il est douteux par exemple qu'il ait pu utiliser le véhicule mis à sa disposition par la municipalité pour des fins de voyage de pêche ou autres courses personnelles. Il n'avait sûrement pas la même liberté à l'égard de l'usage de la voiture que celle de l'appelant.

[24]          Je suis d'avis que la proportion du 10 p. 100 et moins d'usage personnel dans les circonstances de l'appelant correspond à ce qui est exigé par l'une des deux conditions prescrites par le paragraphe 6(2) de la Loi soit, que la totalité ou presque, de la distance parcourue par l'automobile ... est parcourue dans l'accomplissement des fonctions de la charge ou de l'emploi du contribuable.

[25]          Je conclus donc que l'interprétation faite en ce sens par le Ministre est conforme à la Loi. Les appels sont en conséquence rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de janvier 2003.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-2193(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Jean-Pierre Blackburn

et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Chicoutimi (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE

le 28 août 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'hon. juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :

le 8 janvier 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Pour l'intimée :

Me Annick Provencher

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Étude :

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

Date : 20030108

Dossier : 2001-2193-IT-I

ENTRE :

JEAN-PIERRE BLACKBURN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appels entendus le 28 août 2002 à Chicoutimi (Québec)

    Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions :

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Annick Provencher

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Jugement

                Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1998 et 1999 sont rejetés, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de janvier 2003.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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