Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20020305

Dossier: 2000-717-IT-G

ENTRE :

GIBRALT CAPITAL CORPORATION,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Avocat de l'appelante : Me Joel Nitikman

Avocate de l'intimée : Me Lynn Burch

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Motifs de l'ordonnance

(Rendus oralement à l'audience

à Ottawa (Ontario), le 28 août 2001.)

Le juge Mogan

[1]            La Cour est saisie d'une requête présentée par l'appelante relativement à une demande d'aveux qu'elle avait signifiée à l'intimée conformément à la Règle 130 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale). Le premier document pertinent est la demande d'aveux datée du 6 mars 2001, par laquelle l'appelante demandait à l'intimée de reconnaître la véracité de six faits différents et l'authenticité de certains documents.

[2]            Suivant la Règle 131, l'intimée devait répondre à la demande d'aveux dans les 15 jours. Le deuxième document pertinent est la réponse à la demande, datée du 20 mars 2001, soit 14 jours après la date de la demande, donc dans le délai de 15 jours. Dans cette réponse, qui se passerait normalement de commentaires, l'intimée nie la véracité de certains faits énoncés aux paragraphes 3, 4 et 6, admet la véracité des déclarations de fait figurant au paragraphe 5 puis, à l'égard de l'importante question qui est l'objet du litige aux termes de la présente requête, refuse de reconnaître la véracité des faits énoncés aux paragraphes 1 et 2 pour la raison suivante : les renseignements qui concernaient Westward Inn avant que l'appelante ne l'acquière constituent des renseignements confidentiels d'après l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Enfin, l'intimée reconnaît l'authenticité des deux documents mentionnés dans la demande d'aveux.

[3]            Donc, l'intimée a bel et bien répondu en temps opportun (soit dans le délai de 15 jours prévu à la Règle 131) aux divers éléments de la demande d'aveux. Le 23 août ou vers cette date, l'appelante a déposé la présente requête. Elle demande à la Cour de rendre une ordonnance portant que l'intimée est réputée avoir reconnu les paragraphes 1 et 2 figurant dans la demande d'aveux datée du 6 mars 2001. Il s'agit des deux premiers éléments que l'intimée avait refusé de reconnaître - dans le cas de l'un de ces éléments, au motif qu'il s'agissait de renseignements confidentiels aux termes de l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[4]            L'appelante soutient que l'intimée n'est pas autorisée à s'appuyer sur l'article 241 puisque les tribunaux ont clairement déclaré (la plus récente décision étant à cet égard Harris c. Canada, [2001] A.C.F. no 782 (2001 DTC 5322), que l'article 241 n'a pas uniquement pour objet de restreindre la divulgation de renseignements relatifs aux contribuables, mais aussi, lorsqu'un litige entre deux parties de bonne foi oppose un citoyen au ministre, de permettre - et peut-être d'enjoindre - à ce dernier de divulguer les renseignements relatifs au contribuable qui sont pertinents à ce litige et nécessaires aux fins de l'administration de la justice. J'emploie ici mes propres mots et non nécessairement le libellé de l'article 241. Selon l'appelante, cet article a un objectif plus large qui sous-tend l'administration de la justice et, étant donné que l'intimée ne peut se fonder sur cette disposition, elle devrait être réputée avoir reconnu les faits mentionnés aux paragraphes 1 et 2 de la demande d'aveux.

[5]            L'intimée soutient que, si le fait de se fonder sur l'article 241 était une erreur, la mesure de redressement qui conviendrait ne serait pas de déclarer que les faits mentionnés aux paragraphes 1 et 2 sont réputés avoir été reconnus, mais plutôt d'accorder des frais en application de l'alinéa 151(1)e) des Règles. L'avocat de l'appelante s'appuie pour sa part sur la décision rendue dans l'affaire Skillings v. Seasons Development Corporation par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, qui déclarait que les faits devraient être réputés avoir été reconnus lorsque le défendeur refuse de les reconnaître pour un motif inacceptable.

[6]            Selon moi, la requête de l'appelante ne m'oblige ni à rejeter la requête et à accorder des frais à cette dernière à titre de mesure de redressement si elle réussit à prouver les faits au procès, ni à accueillir la requête et à conclure que les faits mentionnés aux paragraphes 1 et 2 de la demande d'aveux sont réputés avoir été reconnus. D'après moi, il y a plusieurs autres possibilités. Le long délai qui s'est écoulé entre la production de la réponse à la demande d'aveux et la présentation de la présente requête m'a étonné. Lorsque j'ai demandé à l'avocat de l'appelante les raisons de ce délai, il a déclaré que les parties négociaient depuis un certain temps les modalités d'un accord à l'égard de certains faits, lequel accord a par la suite été conclu et sera présenté au procès. Il a également déclaré, et je retiens sa déclaration, que c'était son défaut de convaincre l'intimée d'inclure les paragraphes 1 et 2 de la demande d'aveu dans l'exposé conjoint des faits qui l'avait convaincu de demander la mesure de redressement en cause, ce qu'il a fait sans conteste passablement de temps après avoir reçu la réponse à la demande d'aveux.

[7]            Je ne suis pas porté à accueillir la requête, pour les motifs qui suivent : le deuxième paragraphe de la demande d'aveux se lit comme suit :

[TRADUCTION]

M. Provincial n'a eu aucune attente raisonnable de tirer un profit de Westward Inn, et ce, du moment où il a acquis un intérêt dans ce bien en 1981 jusqu'au moment où il l'a cédé à M. Shoctor en 1986.

À mon avis, la question de savoir si M. Provincial « a eu une attente raisonnable de tirer un profit » du bien est une conclusion de droit qui doit être tirée d'après l'ensemble de la preuve. Il peut être acceptable de demander à l'autre partie de faire ce genre d'aveu, mais cette dernière n'est pas tenue de faire droit à la demande. Si l'intimée est disposée à faire cet aveu parce qu'elle ne considère pas le fait comme pertinent au fond du litige, rien n'empêche l'autre partie de le lui demander, mais, à mon avis, l'appelante ne peut s'attendre à ce que l'intimée soit obligée de reconnaître ce fait. Le refus de l'intimée de reconnaître une conclusion de droit est justifié. Le paragraphe 2 ne me pose aucun problème.

[8]            Le paragraphe 1 de la demande d'aveu se lit comme suit :

[TRADUCTION]

              Des années 1981 à 1993, Westward Inn, en tant qu'entreprise ou bien distincts, n'a généré aucun profit net réel, que ce soit aux fins fiscales ou aux fins comptables, après la prise en considération des intérêts, de la déduction pour amortissement et de tous les autres montants légalement déductibles.

Je conclus que l'intimée s'est erronément fondée sur l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu lorsqu'elle a répondu au paragraphe 1. Cependant, la mesure de redressement qui convient n'est pas de déclarer que le paragraphe 1 est réputé avoir été reconnu, mais plutôt d'étudier la question de façon opportune. Lorsque l'intimée a fait savoir à l'appelante qu'elle refusait de reconnaître le paragraphe 1, cette dernière avait la possibilité de procéder à un interrogatoire préalable de l'intimée, c'est-à-dire de poser des questions auxquelles l'intimée serait tenue de répondre. L'intimée n'était peut-être pas obligée de s'appuyer sur l'article 241. Si on lui avait posé, au cours d'un interrogatoire préalable, les questions suivantes : « Qu'en était-il des profits et des pertes de Westward Inn de 1981 à 1993? Êtes-vous en mesure de produire des états financiers indiquant si le bien a généré un profit ou non? Si tel est le cas, a-t-on déduit des intérêts sur l'argent emprunté? » , Revenu Canada aurait peut-être été obligé d'admettre qu'il ne pouvait trouver aucun registre de la société après une date donnée. Il aurait peut-être été impossible pour l'intimée de donner une réponse à l'égard du paragraphe 1.

[9]            À mon avis, le fait pour l'intimée de s'appuyer sur l'article 241 était injustifié en droit, mais, selon l'alinéa 131(3)b) des règles, l'intimée, en refusant de reconnaître le paragraphe 1 et en exposant les motifs de son refus, avait fait tout ce qu'exigeaient les Règles 130 et 131 si elle estimait, de bonne foi, qu'elle était justifiée en droit de s'appuyer sur l'article 241. Si elle n'était pas justifiée en droit de se fonder sur cette disposition, d'autres recours s'offraient à l'appelante. Je crois que les mesures appropriées auraient été un interrogatoire préalable de l'intimée suivi de la présentation d'une requête par laquelle on exigerait des réponses à des questions précises.

[10]          À cette étape-ci des procédures, soit à la veille du procès, je ne ferai pas droit à la requête par laquelle on me demande de déclarer que le paragraphe 1 ou 2 de la demande d'aveux est réputé avoir été reconnu. Pour ce qui est des frais, je les ferai suivre l'issue de la cause, puisqu'il m'est impossible de savoir de quoi il en retournera au procès. Je ne puis savoir ce que les parties feront d'ici la fin du procès, ni ce que l'appelante pourrait faire pour obtenir un aveu ou pour poursuivre ses démarches en ce sens. Par conséquent, je n'accorderai pas de frais sans égard à l'issue de l'instance, mais j'en accorderai à l'issue du procès.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mars 2002.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 28e jour d'octobre 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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