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Date: 20011203

Dossier: 1999-2987-IT-G

ENTRE :

LA SUCCESSION DE CARL EDWARD MILLER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            L'appel concerne une cotisation établie pour l'année d'imposition 1989 relativement à la succession de Carl Edward Miller. Dans cette cotisation, le ministre du Revenu national refusait à l'appelante une perte en capital que celle-ci alléguait avoir subie lors du rachat, en 1990, des actions de Carl E. Miller Construction Limited, d'Ellwood Apartments Limited et de 187-193 Queen (Sarnia) Limited, perte qu'elle avait reportée en 1989, l'année du décès de Carl E. Miller. L'intention était que la perte subie au rachat des actions en 1990 soit traitée comme s'étant produite en 1989, contrebalançant le gain en capital produit par la disposition réputée au décès.

[2]            En quelques mots, le problème se résume comme suit : au décès de M. Miller, la succession est devenue propriétaire de toutes les actions de ces trois sociétés. En l'absence d'un roulement au conjoint, le décès déclenche une disposition réputée et un gain en capital. Certaines actions ont ainsi été rachetées en 1990, ce qui donnerait normalement lieu à une perte en capital, laquelle, conformément au paragraphe 164(6) de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « LIR » ), pourrait être traitée, au gré du contribuable, comme s'étant produite l'année de la dernière déclaration de revenus du défunt afin de contrebalancer le gain en capital. Le ministre a refusé de reconnaître la perte en capital en invoquant le paragraphe 85(4) de la LIR, puisque la succession a disposé de son bien en faveur d'une ou de plusieurs sociétés qui, immédiatement après la disposition, étaient contrôlées directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, par la succession, et la perte était donc réputée nulle. L'appelante affirme qu'une ordonnance de la Cour de district de l'Ontario limitant la distribution ou l'administration du patrimoine du défunt avait eu pour effet de priver la succession de tout contrôle.

[3]            Les faits ne font pas l'objet du litige. Ils sont décrits dans un énoncé conjoint des faits et dans un recueil conjoint de documents.

[4]            L'énoncé conjoint des faits est reproduit ci-dessous.

[TRADUCTION]

1.              Mary Eleanor Miller est la conjointe survivante de feu Carl Edward Miller (le « défunt » ). Le défunt est mort le 9 mai 1989.

2.              Conformément au testament du défunt en date du 10 février 1988 (le « testament » ), sa fille Martha Lawrance et une employée des sociétés appartenant au défunt à son décès, Esther Moore, étaient nommées co-exécutrices.

3.              Les lettres d'homologation du testament du défunt ont été octroyées par le tribunal successoral du comté de Middlesex le 24 janvier 1990.

Section 1 - Recueil conjoint de documents

4.              Les dispositions du testament du défunt se résument comme suit :

a)              Mary Eleanor Miller ( « Mme Miller » ) devait recevoir tous les biens ménagers, mobiliers, biens meubles et effets personnels.

b)             Trois legs pécuniaires étaient prévus.

c)              Le reliquat des biens du patrimoine du défunt devait être investi et le revenu net produit par celui-ci devait être versé à Mme Miller pendant le reste de sa vie, les exécuteurs testamentaires et les fiduciaires ayant le pouvoir de verser ou d'utiliser à son bénéfice telle partie du capital comme ils le jugeaient bon, à leur discrétion absolue.

d)             Au décès de Mme Miller, les biens du patrimoine du défunt devaient être divisés en deux parts, l'une devant être transférée au fils du testateur, William Edward Miller, et l'autre à la fille du testateur, Martha Lawrance. Le testament prévoyait également que, si William Edward Miller ou Martha Lawrance mourait avant Mme Miller, la part de cette personne serait versée à ses propres enfants.

e)              L'article 7 du testament octroyait aux exécuteurs testamentaires et aux fiduciaires une très grande marge de manoeuvre, les autorisant et les habilitant en particulier à gérer toute société appartenant au défunt ou dans laquelle il aurait eu un intérêt à l'époque de son décès. D'après le paragraphe 7(v) du testament, les exécuteurs testamentaires et les fiduciaires avaient le pouvoir explicite de mener des transactions relativement aux actions ou autres parts détenues par la succession dans toute compagnie ou société, comme le testateur l'aurait fait de son vivant.

Section 2 - Recueil conjoint de documents

5.              À l'époque de son décès, le défunt était le propriétaire enregistré et bénéficiaire de toutes les actions émises et en circulation de Carl E. Miller Construction Limited ( « Construction » ). À la suite de son décès, ces actions ont été transférées à la succession. Une copie de la page du registre des actionnaires concernant la succession de Carl Edward Miller se trouve dans le recueil conjoint de documents, à la section mentionnée ci-dessous.


Section 3 - Recueil conjoint de documents

6.              À l'époque de son décès, le défunt était le propriétaire enregistré et bénéficiaire de toutes les actions émises et en circulation de Ellwood Apartments Limited ( « Apartments » ). À la suite de son décès, ces actions ont été transférées à la succession. Une copie de la page du registre des actionnaires concernant la succession de Carl Edward Miller se trouve dans le recueil conjoint de documents, à la section mentionnée ci-dessous.

Section 4 - Recueil conjoint de documents

7.              À l'époque de son décès, le défunt était le propriétaire enregistré et bénéficiaire de toutes les actions émises et en circulation de 187 - 193 Queen (Sarnia) Limited ( « Queen » ). À la suite de son décès, ces actions ont été transférées à la succession. Une copie de la page du registre des actionnaires concernant la succession de Carl Edward Miller se trouve dans le recueil conjoint de documents, à la section mentionnée ci-dessous.

Section 5 - Recueil conjoint de documents

8.              Les actions susmentionnées seront désignées dans les présentes par l'expression « actions visées » .

9.              Pendant toute la période pertinente suite au décès du défunt, les administrateurs de Construction, Apartments et Queen étaient Martha Lawrance, Esther Moore et Mme Miller.

Section 6 - Recueil conjoint de documents

10.            Le 12 mai 1989, les administrateurs de Construction ont élu Martha Lawrance, Mme Miller et Esther Moore dirigeantes de Construction.

Section 7 - Recueil conjoint de documents

11.            Les legs pécuniaires prévus par le testament ont été versés, avec le consentement de Mme Miller, lequel consentement a été accordé à l'avocat de la succession vers le mois de janvier 1990.

Sections 8, 9 et 10 - Recueil conjoint de documents

QUESTIONS LIÉES À LA LOI SUR LE DROIT DE LA FAMILLE

12.            Juste après le décès du défunt, Mme Miller n'était pas consciente de la nature ou de la valeur exacte de la masse du patrimoine du défunt. En raison des conseils juridiques incomplets qu'elle a reçus, Mme Miller a demandé à faire son choix en vertu des dispositions du paragraphe 6(1) de la Loi sur le droit de la famille (la « LDF » ) en vue de jouir du droit prévu au paragraphe 5(2) de la LDF.

Section 11 - Recueil conjoint de documents

13.            Vu le volume des biens, la complexité de la succession et la nature incomplète des conseils juridiques reçus, Mme Miller n'a pas pris une décision éclairée lorsqu'elle a fait son choix.

14.            Pour mieux comprendre ses droits et sa situation en l'espèce, Mme Miller a retenu les services d'un avocat indépendant, Me Robert Morrison, ainsi que d'un comptable indépendant.

Section 12 - Recueil conjoint de documents

15.            L'avocat de Mme Miller l'a avisée qu'il ne pourrait pas la conseiller au sujet de sa position dans ces questions, car l'inventaire des biens du patrimoine du défunt n'était pas disponible et ne le serait pas avant quelque temps.

16.            Compte tenu des conseils prodigués par Me Morrison et en raison de son inaptitude à prendre une décision éclairée à ce sujet, Mme Miller lui a donné la consigne de demander une ordonnance prolongeant le délai pour exercer son choix en vertu de la LDF et de suspendre l'administration et la distribution de la masse successorale jusqu'à ce que la Cour rende une autre ordonnance.


17.            Par conséquent, conformément à une demande déposée par Mme Miller à la Cour de district de l'Ontario, cette dernière a rendu une ordonnance en date du 7 novembre 1989, libellée comme suit :

[TRADUCTION]

« 1.          LA COUR STATUE que la date à laquelle la demanderesse Mary Eleanor Miller doit exercer son choix, en vertu du paragraphe 6(9) de la Loi sur le droit de la famille, soit de bénéficier des dispositions testamentaires de son défunt mari Carl Edward Miller, soit de jouir du droit prévu au paragraphe 5(2) de la Loi, soit de retirer un choix déjà fait, est prorogée par les présentes jusqu'au 8 février 1990, et le choix réputé prévu au paragraphe 6(10) est également prorogé par les présentes jusqu'au 8 février 1990.

2.              LA COUR STATUE que la date à laquelle Mary Eleanor Miller ou Martha Lawrance et Esther Moore, exécutrices testamentaires de Carl Edward Miller, peuvent déposer une requête en vertu de l'alinéa 7(1)c) de la Loi de 1986 sur le droit de la famille, pour déterminer la validité de la requête prévue au paragraphe 5(2) de la Loi, est prorogée jusqu'au 8 février 1990.

3.              LA COUR STATUE qu'il ne doit pas y avoir d'administration ou de distribution des biens du patrimoine de Carl Edward Miller avant le 8 février 1990, sauf nouvelle ordonnance de cette cour ou consentement écrit de la demanderesse.

4.              LA COUR STATUE qu'il n'y aura pas d'allocation des dépens à l'égard de la requête dont elle est saisie, sauf s'il est fait droit à la demande mentionnée au paragraphe 2 de la présente ordonnance, auquel cas les dépens liés à la requête sont sous réserve de la décision du juge qui entendra la demande. »


Section 13 - Recueil conjoint de documents

18.            L'ordonnance citée au paragraphe précédent a été prolongée à quatre reprises par la suite, soit le 6 février 1990, le 5 mai 1990, le 26 juillet 1990 et le 8 novembre 1990, avec pour résultat que les dispositions de l'ordonnance initiale du 7 novembre 1989 ont été prolongées jusqu'au 8 février 1991 inclusivement.

PLAN FISCAL DE LA SUCCESSION

19.            Dans une lettre en date du 6 février 1990, M. William R. Wilkinson, de Wilkinson, Rogers, Meyers and McNiven, comptables de Construction, Apartments et Queen, décrit la restructuration de chacune de ces sociétés (le « plan fiscal » ). La mise en oeuvre du plan fiscal a donné lieu à la nouvelle cotisation dont il est question ici.

Section 14 - Recueil conjoint de documents

20.            Conformément à une note en date du 19 mars 1990, Me Morrison, avocat de Mme Miller, s'était accommodé de la mise en oeuvre de la restructuration.

Section 15 - Recueil conjoint de documents

21.            Conformément à une lettre en date du 27 avril 1990, Me Morrison a confirmé aux comptables de Mme Miller, Peat, Marwick, qu'il avait connaissance du choix devant être fait en vue de la restructuration conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu, laquelle apparemment servait à prouver le rachat de xx actions et un dividende de capital émis pour déclencher la perte.

Section 16 - Recueil conjoint de documents

Rachat d'actions visé

22.            Conformément à une résolution datée du 2 avril 1990, les administrateurs de Construction ont résolu de racheter 970 actions ordinaires détenues par la succession.


Section 17 - Recueil conjoint de documents

23.            Par résolution datée du 20 avril 1990, les administrateurs de Construction ont résolu de racheter 880 actions ordinaires détenues par la succession et ont décidé qu'aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu, le dividende réputé résultant du rachat de ces actions serait un dividende en capital.

Section 18 - Recueil conjoint de documents

24.            Conformément à un document sans date intitulé « Consent to Purchase for Cancellation of Common Shares » (consentement d'achat d'actions ordinaires en vue de leur annulation), la succession a consenti au rachat de 880 actions de Construction qu'elle détenait.

Section 19 - Recueil conjoint de documents

25.            Conformément à une résolution datée du 2 avril 1990, les administrateurs de Apartments ont résolu de racheter 810 actions ordinaires détenues par la succession.

Section 20 - Recueil conjoint de documents

26.            Conformément à un document sans date intitulé « Consent to Purchase for Cancellation of Common Shares » , la succession a consenti au rachat de 810 actions de Apartments qu'elle détenait.

Section 19 - Recueil conjoint de documents

27.            Conformément à une résolution datée du 2 avril 1990, les administrateurs de Queen ont résolu de racheter 3 500 actions ordinaires détenues par la succession.

Section 21 - Recueil conjoint de documents

28.            Conformément à un document sans date intitulé « Consent to Purchase for Cancellation of Common Shares » , la succession a consenti au rachat de 3 500 actions de Queen qu'elle détenait.

Section 19 - Recueil conjoint de documents

29.            Le 2 avril 1990 ou peu après, les actions suivantes détenues par la succession ont été rachetées :

                1 850 actions ordinaires de Construction pour un produit de 2 484 550 $.

                810 actions ordinaires de Apartments pour un produit de 613 170 $.

                3 500 actions ordinaires de Queen pour un produit de 168 805 $.

Conséquences fiscales des rachats d'actions

30.            Aux fins de l'impôt, la succession a traité les rachats d'actions décrits ici comme des transactions donnant lieu à des pertes en capital, comme suit :

                Construction :        2 247 624 $;

                Apartments :          566 190 $;

                Queen : 158 843 $.

31.            Il n'y a pas de litige entre les parties quant à l'ampleur des pertes en capital produites par le rachat des actions visées par les sociétés.

32.            Des copies, notamment des documents d'entreprise touchant le rachat, ont été fournies à l'avocat de Mme Miller le 11 juillet 1990.

Section 22 - Recueil conjoint de documents

33.            Le 30 avril 1990, la succession a décidé de reporter cette perte en capital à l'année du décès du défunt en vertu du paragraphe 164(6) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi » ). L'option choisie par la succession à cet égard figure à la section 22 du recueil conjoint des documents et dans la déclaration modifiée de l'année du décès de Carl Miller, signée par Esther Moore le 27 avril 1990 et reçue par Revenu Canada le 30 avril 1990, dont copie figure à la section 23 du recueil conjoint des documents.

Sections 23 et 24 - Recueil conjoint de documents

34.            Le 1er mai 1990, Mme Miller a consulté son avocat, Me Morrison, et lui a fait savoir que personne ne lui avait demandé de remplir des formulaires d'exercice de choix ni aucune autre démarche au nom de la succession. Le 15 juin 1990, Me Morrison a écrit aux avocats de la succession en demandant un rapport concernant les déclarations de revenus, choix exercés et copies de résolutions qui avaient été déposés auprès de Revenu Canada.

Sections 16, 25 et 26 - Recueil conjoint de documents

35.            Juste après les rachats d'actions mentionnés ci-dessus (qui ont eu lieu le 2 avril 1990 ou peu après), la succession continuait d'être propriétaire de toutes les autres actions émises et en circulation de Construction, Apartments et Queen, et était seul actionnaire de ces sociétés.

36.            Construction, Apartments et Queen ont subséquemment été regroupées sous le nom Carl E. Miller Construction Limited le 25 mai 1990. Des copies des actes de fusion et du certificat de fusion se trouvent aux sections 26 et 27 du Recueil conjoint des documents. Ce dernier contient également des copies des résolutions afférentes des administrateurs de Construction, Apartments et Queen (sections 28, 29 et 30), la liste des actionnaires de Construction, Apartments et Queen (sections 31, 32 et 33) et une résolution des actionnaires de la société fusionnée (section 34).

Sections 27 à 35 - Recueil conjoint de documents

37.            En fin de compte, après avoir reçu des renseignements et des conseils complets et suite à des négociations prolongées, Mme Miller a choisi, en vertu de l'article 6 de la LDF, de jouir des droits prévus à l'article 5 de celle-ci. La mise en oeuvre de cet aspect de la question est résumée par l'ordonnance rendue par l'honorable juge Flynn de la Cour de l'Ontario (Division générale) en date du 6 février 1991.

Section 36 - Recueil conjoint de documents

38.            Conformément au paragraphe 6(8) de la LDF, l'effet du choix de Mme Miller de jouir des droits prévus à l'article 5 de la LDF a été que les dons en sa faveur prévus dans le testament du défunt étaient révoqués, et que le testament est donc interprété comme si Mme Miller était décédée avant le défunt.

39.            Le 4 février 1991, Mme Miller a consenti à l'administration et à la distribution des biens du patrimoine du défunt suite à une entente conclue le 1er février 1991 entre elle et les exécuteurs testamentaires. Des copies du consentement et de l'entente se trouvent aux sections indiquées ci-dessous du recueil conjoint des documents.

Sections 9 et 37 - Recueil conjoint de documents

40.            Les documents se trouvant dans le recueil conjoint de documents sont des copies conformes des documents dont l'authenticité est admise par les deux parties.

[5]            Le plan mis au point par les comptables agréés était relativement simple. Si Mme Miller décidait d'accepter le don qui lui était fait par testament, soit un intérêt à vie, il y aurait une fiducie de conjoint et donc un roulement en vertu du paragraphe 70(6) de la LIR, et la disposition présumée en vertu du paragraphe 70(5) de celle-ci ne se produirait pas. Si Mme Miller décidait, en vertu du paragraphe 6(1) de la Loi sur le droit de la famille ( « LDF » ), de choisir le versement d'égalisation prévu par le paragraphe 5(2) de cette loi au lieu du testament, le paragraphe 70(6) de la LIR ne s'appliquerait pas pour empêcher la disposition présumée. Étant donné que les deux avocats conviennent que c'est là l'effet du choix en vertu du paragraphe 6(1) de la LDF de jouir du droit prévu au paragraphe 5(2) de la LDF, il n'est pas nécessaire pour moi d'analyser l'article 6 pour démontrer comment on en arrive à ce résultat. J'estime que c'est effectivement une interprétation correcte de l'interaction entre la LDF et l'article 70 de la LIR.

[6]            Le paragraphe 85(4) de la LIR dans son application aux années en question se lit comme suit :


                Lorsqu'un contribuable ou une société (ci-après appelé le « contribuable » ) a, après le 6 mai 1974, disposé d'un bien en immobilisation ou d'un bien en immobilisation admissible qui lui appartenait, en faveur d'une corporation qui, immédiatement après la disposition, était contrôlée directement ou indirectement, de quelque manière que ce fût, par le contribuable, par le conjoint du contribuable ou par une personne ou un groupe de personnes qui contrôlait le contribuable directement ou indirectement, de quelque manière que ce fût, et que, sans le présent paragraphe, le paragraphe 24(2) et les alinéas 40(2)e) et g), il en résulterait pour le contribuable soit une perte en capital, soit une déduction en vertu de l'alinéa 24(1)a), lors du calcul de son revenu pour l'année d'imposition au cours de laquelle il a cessé d'exploiter une entreprise, selon le cas, les règles suivantes s'appliquent :

(a)            nonobstant l'article 24 et les alinéas 40(2)e) et g), la perte en capital en résultant pour lui ou sa déduction en vertu de l'alinéa 24(1)a), lors du calcul de son revenu pour l'année d'imposition au cours de laquelle il a cessé d'exploiter l'entreprise, selon le cas, déterminée, par ailleurs, est réputée nulle; et

(b)            il faut, pour calculer le prix de base rajusté, pour le contribuable, de toutes les actions d'une catégorie déterminée du capital-actions de la corporation qui lui appartenaient immédiatement après la disposition, ajouter, dans le cas d'un bien en immobilisation, la fraction, et dans le cas d'un bien en immobilisation admissible, les 4/3 de la fraction du montant éventuel

(i)             du coût indiqué, pour lui, du bien immédiatement avant la disposition de celui-ci

qui est en sus

(ii)            du produit de disposition du bien, ou lorsque le bien était un bien en immobilisation admissible, de son montant en immobilisations admissible au sens de l'article 14, par suite de la disposition de ce bien,

représentée par le rapport entre

(iii)           la juste valeur marchande, immédiatement après la disposition, de toutes les actions de cette catégorie qui lui appartenaient ainsi,

et

(iv)           la juste valeur marchande, immédiatement après la disposition, de toutes les actions du capital-actions de la corporation qui lui appartenaient ainsi.

[7]            Le paragraphe 85(4) de la LIR a été abrogé en 1998, et une disposition assez similaire a été promulguée au paragraphe 40(3.6).

[8]            Le paragraphe 256(5.1) de la LIR se lit comme suit :

                Pour l'application de la présente loi, lorsque l'expression « contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, » est utilisée, une société est considérée comme ainsi contrôlée par une autre société, une personne ou un groupe de personnes-appelé « entité dominante » au présent paragraphe-à un moment donné si, à ce moment, l'entité dominante a une influence directe ou indirecte dont l'exercice entraînerait le contrôle de fait de la société. Toutefois, si cette influence découle d'un contrat de concession, d'une licence, d'un bail, d'un contrat de commercialisation, d'approvisionnement ou de gestion ou d'une convention semblable-la société et l'entité dominante n'ayant entre elles aucun lien de dépendance-dont l'objet principal consiste à déterminer les liens qui unissent la société et l'entité dominante en ce qui concerne la façon de mener une entreprise exploitée par le société, celle-ci n'est pas considérée comme contrôlée, directement ou indirectement de quelque manière que ce soit, par l'entité dominante du seul fait qu'une telle convention existe.

[9]            D'après le paragraphe 164(6) de la LIR, la succession peut traiter les pertes en capital engagées dans la première année d'imposition comme des pertes engagées par le défunt l'année de son décès.

[10]          L'achat en vue de l'annulation a donné lieu à un dividende réputé en vertu du paragraphe 84(3) de la LIR. Il a également eu pour effet de donner droit à un impôt remboursable, bien que cela n'ait pas grand-chose à voir avec la cause qui nous occupe. En dehors des dispositions du paragraphe 85(4) de la LIR, il a également produit une perte en capital qui, en vertu du paragraphe 164(6) de la LIR, pourrait être appliquée contre le gain en capital produit par le paragraphe 70(5) de la LIR l'année du décès.

[11]          Si la succession contrôlait les trois sociétés juste après le rachat, les pertes en capital (dont le montant admis par elle est tout près de 3 000 000 $) sont présumées nulles.

[12]          La succession était propriétaire de toutes les actions des sociétés et par conséquent, « contrôlait » les sociétés dans le sens de l'affaire Buckerfield's Ltd. et al. v. M.N.R., 64 DTC 5301, où le président Jackett s'exprime comme suit à la page 5303 :

[TRADUCTION]

Le mot « contrôle » pourrait peut-être s'entendre du contrôle de fait exercé par un ou plusieurs actionnaires, qu'ils détiennent ou non la majorité des actions. Je suis d'avis cependant qu'à l'article 39 de la Loi de l'impôt sur le revenu, le mot « contrôlées » évoque le droit de contrôle auquel donne lieu le fait de détenir un nombre d'actions tel qu'il confère la majorité des voix à leur titulaire lors de l'élection du conseil d'administration. Voir en l'espèce British American Tobacco Co. v. I. R. C. ([1943] 1 A.E.R. 13), où le lord chancelier vicomte Simon, à la page 15, s'exprime ainsi :

                Les détenteurs de la majorité des voix dans une société sont ceux qui contrôlent véritablement les affaires et les destinées de la société.

[13]          Le mot « contrôle » sans modification telle que « directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » , et sans le développement de cette expression figurant au paragraphe 256(5.1) de la LIR, signifie tout simplement contrôle de jure. Les mots « directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » , en eux-mêmes, sont peut-être censés étendre le sens du contrôle à un contrôle de fait, mais de toute évidence le Parlement estimait que cette position avait besoin d'être renforcée et le paragraphe 256(5.1) de la LIR a été promulgué afin de dissiper tout doute sur cette question.

[14]          Le sens de contrôle d'une société, sans plus, a été longuement considéré par le juge Iacobucci lorsqu'il a rendu l'arrêt unanime de la Cour suprême du Canada dans l'espèce Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795 (3 C.T.C. 303, 98 DTC 6334). Il en ressort ceci :

1.              Le critère de l'arrêt Buckerfield's mentionné ci-dessus est le critère normal au Canada pour déterminer le contrôle de jure.

2.              Les documents externes qui ne formaient pas partie intégrante des actes constitutifs ne justifient généralement pas que l'on fasse exception à cette règle.

3.              Le consentement unanime des actionnaires en l'espèce ne suffisait pas à priver l'actionnaire majoritaire du contrôle de jure.

[15]          Le seul passage de l'arrêt du juge Iacobucci que je considère nécessaire de reproduire se trouve au paragraphe 85.

                Il peut être utile, à ce stade, de résumer les principes du droit des sociétés et du droit fiscal étudiés dans le présent pourvoi, étant donné leur importance. Ces principes sont le suivants :

                (1)            Le paragraphe 111(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu vise le contrôle de jure, et non pas le contrôle de facto.

                (2)            Le critère général du contrôle de jure a été énoncé dans l'arrêt Buckerfield's, précité : il s'agit de décider si l'actionnaire majoritaire exerce un « contrôle effectif » sur « les affaires et les destinées » de la société, contrôle qui ressort de la « propriété d'un nombre d'actions conférant la majorité des voix pour l'élection du conseil d'administration » .

                (3)            Pour décider s'il y a « contrôle effectif » , il faut prendre en considération ce qui suit :

(a)            la loi qui régit la société;

(b)            le registre des actionnaires de la société;

(c)            toute restriction, particulière ou exceptionnelle, imposée soit au pouvoir de l'actionnaire majoritaire de contrôler l'élection du conseil, soit au pouvoir du conseil de gérer l'entreprise et les affaires internes de la société, qui ressort de l'un ou l'autre des documents suivants :

(i)             des actes constitutifs de la société;

(ii)            d'une convention unanime des actionnaires.

                (4)            Les documents autres que le registre des actionnaires, les actes constitutifs et les conventions unanimes des actionnaires ne doivent généralement pas être pris en considération à cette fin.

                (5)            Lorsqu'il existe une restriction du genre visé à l'alinéa 3c), l'actionnaire majoritaire peut tout de même exercer le contrôle de jure, à moins qu'il ne dispose d'aucun moyen d'exercer un « contrôle effectif » sur les affaires et les destinées de la société, d'une manière analogue ou équivalente au critère de Buckerfield's.

[16]          L'appelante soutient que le paragraphe 3 de l'ordonnance en date du 7 novembre 1989 (prorogée de temps à autre et visant la date à laquelle les rachats d'actions ont eu lieu) retire le contrôle de jure de la succession. Le paragraphe 3 se lit comme suit :

3.              LA COUR STATUE qu'il ne doit pas y avoir d'administration ou de distribution des biens du patrimoine de Carl Edward Miller avant le 8 février 1990, sauf nouvelle ordonnance de cette cour ou consentement écrit de la demanderesse.

[17]          Il est important de mettre l'ordonnance de la Cour de l'Ontario en perspective. Il s'agissait d'une mesure temporaire conçue pour arrêter la distribution des biens du patrimoine du défunt ou leur administration pendant quelques mois, le temps que Mme Miller décide si elle voulait lever l'option offerte par le paragraphe 5(2) de la LDF ou hériter en vertu du testament. L'ordonnance n'a ni privé la succession du contrôle, ni ne l'a remis à Mme Miller. Elle avait un droit de veto relativement limité à l'égard de certains actes de l'administration ou de la distribution, mais elle ne pouvait ni élire d'administrateurs, ni influencer la façon dont les administrateurs menaient les affaires quotidiennes des trois sociétés.

[18]          Si une entente unanime d'actionnariat du type envisagé dans l'affaire Duha ne prive pas l'actionnaire majoritaire du contrôle, il est difficile de comprendre comment une ordonnance temporaire conçue pour maintenir le statu quo pendant que Mme Miller décidait du choix qu'elle allait faire en vertu de la LDF pourrait priver la succession d'un contrôle légal.

[19]          Je ne suis pas d'avis que le contenu du paragraphe 3 de l'ordonnance du 7 novembre 1989

3.              LA COUR STATUE qu'il ne doit pas y avoir d'administration ou de distribution des biens du patrimoine de Carl Edward Miller avant le 8 février 1990, sauf nouvelle ordonnance de cette cour ou consentement écrit de la demanderesse

restreigne ou empêche la succession de contrôler la composition du conseil d'administration.

[20]          L'avocat de l'appelante suggère qu'au paragraphe 4 du sommaire du juge Iacobucci dans l'affaire Duha, le mot « généralement » donne libre champ à la Cour de rendre une ordonnance du genre envisagé ici.

[21]          Je ne conviens pas que ce soit l'effet de l'arrêt Duha, mais même si j'examinais l'ordonnance de la Cour, il ne fait que restreindre la distribution ou l'administration des biens du patrimoine, et non le contrôle légal que la succession exerce sur les trois sociétés qui font partie des actifs.

[22]          Il est clair qu' « administration » est un mot qui revêt différentes significations. Dans l'affaire Flynn v. Capital Trust Corporation, [1921] O.L.R. 424, le juge Middleton a énoncé, à la page 425 :

[TRADUCTION]

Cela met en jeu la considération des dispositions de l'Absentee Act et l'ordonnance rendue.

                L'article 7 de la Loi prévoit que la Cour peut rendre une ordonnance pour l'administration des biens d'un absent et peut nommer un comité à cet effet.

                Il a été soutenu devant moi qu' « administration » signifie administration dans le sens où ce mot est utilisé relativement à la liquidation et à la distribution des biens du patrimoine d'un défunt, et que pour ce motif les règles relatives aux procédures d'administration s'appliquent. Il n'en est rien. « Administration » est utilisé ici dans un sens substantiellement équivalent à celui de « gestion » .

[23]          Le mot « administration » dans l'ordonnance du 7 novembre 1989 est évidemment utilisé dans le premier sens décrit par le juge Middleton.

[24]          Rien dans cette ordonnance ne restreint le pouvoir de la succession d'élire les conseils d'administration des trois sociétés.

[25]          Les preuves sont suffisantes pour que je statue sur l'appel. La succession exerçait en tout temps un contrôle de jure sur les sociétés. Toutefois, étant donné que les deux avocats ont consacré leur attention aux mots « directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » et aux dispositions du paragraphe 256(5.1) de la LIR, je parlerai brièvement de ces dispositions. De toute évidence, ces mots sont conçus pour élargir le concept du contrôle en vue d'inclure le contrôle de facto. Une considération de contrôle de facto pourrait être nécessaire si une personne différente du propriétaire de la majorité des actions avait et exerçait le contrôle de facto sur la société. Dans un tel cas, il serait nécessaire de décider si l'existence du contrôle de facto chez une personne ou un groupe de personnes qui ne détenait pas la majorité des actions supplantait le contrôle de jure de l'actionnaire majoritaire ou si l'on pourrait affirmer que le contrôleur de facto et le contrôleur de jure contrôlaient tous deux la société. Cette dernière hypothèse est assez analogue à celle dont traitait le président Jackett dans l'affaire Viking Food Products Ltd. v. M.N.R., 67 DTC 5067.

[26]          Il n'est pas nécessaire ici d'essayer de résoudre le problème d'un contrôleur de facto qui est différent d'un contrôleur de jure. Il n'y a pas de contrôleur de facto qui soit différent de la succession.


[27]          L'appel est rejeté avec dépens.

Signé à Toronto, Canada, ce 3e jour de décembre 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 11e jour d'octobre 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-2987(IT)G

ENTRE :

LA SUCCESSION DE CARL EDWARD MILLER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 22 novembre 2001 à London (Ontario), par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocat de l'appelante :        Me Keith Trussler

Avocat de l'intimée :            Me Ernest Wheeler

JUGEMENT

                Il est ordonné que l'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1989 soit rejeté avec dépens.

Signé à Toronto, Canada, ce 3e jour de décembre 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 11e jour d'octobre 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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