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Date: 20010924

Dossier: 2001-1203-IT-I

ENTRE :

DARRELL B. HOLLANDS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Teskey

[1]            L'appelant interjette appel à l'encontre des cotisations établies à son égard en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour 1998 et 1999. Dans son avis d'appel, il a demandé que la procédure informelle régisse son appel.

Point en litige

[2]            La seule question soumise à la Cour est de savoir si l'appelant est en droit de déduire, pour les années 1998 et 1999, des paiements de pension alimentaire pour enfant.

Faits

[3]            Les faits de l'espèce, qui ne sont pas en litige, sont les suivants :

a)              L'appelant et Margaret Shawn Tamara Meyer ont vécu ensemble en union conjugale de juillet 1985 à février 1986.

b)             En juin 1986, une assignation à comparaître devant la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a été délivrée à l'appelant relativement à une demande d'ordonnance d'attribution de paternité et de pension alimentaire.

c)              L'appelant s'est mis en contact avec Ione Iverson, qui travaillait pour le service portant le nom de « Child Maintenance Services » . Ainsi, il a été convenu d'une pension alimentaire pour l'enfant et un accord de paternité a été signé le 28 août 1986 et déposé auprès de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta.

d)             Le 14 novembre 1995, la mère de l'enfant a écrit à l'appelant pour demander plus d'argent et, le 30 novembre 1995, ils ont convenu par écrit d'une somme supplémentaire de 280 $ par mois - ce qui donnait en tout 400 $ par mois - au titre de la pension alimentaire pour cet enfant.

[4]            Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1998 et 1999, l'appelant a demandé une déduction de pension alimentaire pour enfant de 4 800 $ pour 1998 et de 1 440 $ pour 1999.

[5]            Dans les cotisations établies à l'égard de l'appelant, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) n'a pas admis les déductions.

Position de l'intimée

[6]            Le droit de déduire une pension alimentaire pour enfants est prévu à l'alinéa 60b) de la Loi, qui se lit comme suit :

60             Peuvent être déduites dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes qui sont appropriées :

[...]

b)             Pension alimentaire - le total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

A - (B + C)

où :

A              représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a payée après 1996 et avant la fin de l'année à une personne donnée dont il vivait séparé au moment du paiement,

B              le total des montants représentant chacun une pension alimentaire pour enfants qui est devenue payable par le contribuable à la personne donnée aux termes d'un accord ou d'une ordonnance à la date d'exécution ou postérieurement et avant la fin de l'année relativement à une période ayant commencé à cette date ou postérieurement,

C              le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a payée à la personne donnée après 1996 et qui est déductible dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition antérieure;

[7]            En vertu du paragraphe 60.1(4), les définitions figurant au paragraphe 56.1(4) s'appliquent à l'article 60. Le paragraphe 56.1(4) renvoie à la déductibilité d'une « pension alimentaire » . Cette expression y est définie comme suit :

« pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d'allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

a)            le bénéficiaire est le conjoint ou l'ancien conjoint du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d'échec de leur mariage et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent ou d'un accord écrit;

b)            le payeur est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province.

[8]            L'avocat de l'intimée argue que les paiements de pension alimentaire pour enfant qui ont été effectués ne pouvaient être déduits par l'appelant pour les années d'imposition 1998 et 1999, car ces paiements n'étaient pas des paiements de « pension alimentaire » selon la définition figurant à l'alinéa 56.1(4)b) et n'étaient donc pas déductibles en vertu de l'alinéa 60b). L'intimée soutient que l'appelant n'a pas droit aux déductions parce qu'il ne s'agissait pas de montants payables aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois de la province comme l'exige l'alinéa 56.1(4)b). L'intimée soutient également que les déductions ne sont pas permises en vertu de l'alinéa 56.1(4)a), car l'appelant et Margaret Shawn Tamara Meyer ( « Mme Meyer » ) ne sont pas d'anciens conjoints aux fins de la Loi.

Analyse

[9]            L'accord entre l'appelant et Mme Meyer a été conclu en vertu de l'article 10 de la loi de l'Alberta sur les pensions alimentaires et leur recouvrement intitulée Maintenance and Recovery Act ( « Recovery Act » ) (Lois refondues de l'Alberta, 1980, ch. M-2). Le paragraphe 10(1) de la Recovery Act se lit comme suit :


[TRADUCTION]

10(1)        Un père putatif peut conclure,

a)             soit avec le Directeur,

b)             soit avec le Directeur et la mère,

un accord par lequel il s'engage à payer la totalité ou une partie des dépenses prévues à l'article 21, si les montants devant être payés sont considérés comme acceptables par le Directeur et que le père putatif admet dans l'accord qu'il a causé ou peut avoir causé la grossesse de la mère.

[10]          L'accord de 1986 entre l'appelant (le « père putatif » ), Mme Meyer (la « mère » ) et le Directeur a été conclu en vertu de l'article 4 de la loi de l'Alberta sur l'exécution des ordonnances alimentaires intitulée Maintenance Enforcement Act ( « Enforcement Act » ) (Lois de Alberta, 1985, ch. M-0.5) et a été déposé auprès de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta.

[11]          Le paragraphe 1(2) de l'Enforcement Act se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Un accord conclu en vertu des articles 10 ou 51 de la Maintenance and Recovery Act est réputé être une ordonnance alimentaire en vertu de la présente loi.

L'alinéa 1(1)e) de cette loi se lit comme suit :

[TRADUCTION]

« ordonnance alimentaire » Ordonnance ou ordonnance provisoire d'un tribunal de l'Alberta ou ordonnance - autre qu'une ordonnance conditionnelle non confirmée - qui a été enregistrée en vertu de la Reciprocal Enforcement of Maintenance Orders Act et qui renferme une disposition exigeant le paiement d'une pension alimentaire.


Le paragraphe 12(1) de cette loi se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Le Directeur ou un créancier peut déposer auprès de la Cour du Banc de la Reine une ordonnance alimentaire non par ailleurs déposée auprès de la Cour, et, une fois cette ordonnance déposée, les passages de celle-ci en matière de pension alimentaire sont réputés être un jugement de la Cour du Banc de la Reine.

[12]          L'intimée a renvoyé la Cour à la décision rendue dans l'affaire Fantini c. La Reine, C.C.I., no 96-3863(IT)I, 5 décembre 1997 ([1998] 2 C.T.C. 2256). Les faits de cette affaire sont presque identiques à ceux de la présente espèce. Dans cette affaire, mon collègue le juge Bowman (titre qu'il portait alors) a statué que la loi de l'Alberta en vertu de laquelle un accord en matière de pension alimentaire était réputé être une ordonnance d'un tribunal ne faisait pas de cet accord une ordonnance d'un tribunal aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans ses motifs du jugement, le juge Bowman disait :

[...] En l'espèce, le ministre du Revenu national cherche à transposer dans une loi fédérale une fiction législative provinciale, ce qui ne peut se faire. Évidemment, le Parlement pourrait, par une formulation appropriée dans une loi fédérale, adopter aux fins ce cette loi une fiction législative provinciale. Ce n'est toutefois pas ce qui s'est produit ici. [...]

[13]          Sauf le respect que je lui dois, je ne suis pas d'accord avec lui là-dessus. En utilisant les mots « ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province » , à l'alinéa 56.1(4)b) de la Loi, le législateur a décidé de transposer dans une loi fédérale les lois d'une province concernant des ordonnances. Si les lois d'une province s'appliquent de manière à créer une fiction législative, le ministre ne peut en décider autrement. L'accord est donc une ordonnance d'un tribunal.

[14]          Dans l'affaire Hillis c. La Reine, C.A.F., no A-775-82, 19 septembre 1983 (83 DTC 5365), le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale a conclu qu'une disposition déterminative d'une loi de la Saskatchewan pouvait faire que cette signification artificielle s'applique aux fins de la Loi. Dans l'affaire Dale c. Canada, [1997] 3 C.F. 235 (97 DTC 5252), le juge Robertson de la Cour d'appel fédérale disait à la page 260 (DTC : à la page 5256) :

[...] Si la législature d'une province autorise ses tribunaux à déclarer que des événements passés sont réputés s'être produits à une date antérieure, alors le ministre n'a pas le pouvoir de saper l'autorité de la loi en refusant de reconnaître l'effet manifeste de cet événement réputé. [...]

[15]          Je conclus que l'accord de paternité de 1986 exigeant que l'appelant paie une pension alimentaire pour enfant de 120 $ par mois est une ordonnance d'un tribunal aux fins de l'alinéa 56.1(4)b) de la Loi. L'alinéa 56.1(4)b) dispose que, pour qu'un montant soit considéré comme un paiement de pension alimentaire, il doit s'agir d'un montant à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province. En vertu du paragraphe 12(1) de l'Enforcement Act, l'accord de paternité est réputé être une ordonnance rendue par le tribunal. Les lois de la province d'Alberta commandent que l'accord soit réputé être une ordonnance rendue par le tribunal.

[16]          En conséquence, je conclus que les paiements de pension alimentaire pour enfant de 120 $ par mois faits par l'appelant à Mme Meyer dans les années d'imposition 1998 et 1999 ont été effectués aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province comme l'exige l'alinéa 56.1(4)b) et qu'ils peuvent donc être déduits par l'appelant.

[17]          L'intimée arguait également que les paiements de pension alimentaire pour enfant n'étaient pas déductibles parce qu'ils n'avaient pas été faits à un ancien conjoint. En vertu de l'alinéa 56.1(4)a), les paiements de 120 $ par mois ont en outre été effectués aux termes d'un accord écrit et les paiements de pension alimentaire de 280 $ par mois ont été effectués aux termes de l'accord écrit modificatif de 1995, mais ces paiements ne seraient pas déductibles parce que Mme Meyer ne serait pas un « ancien conjoint » .

[18]          La définition de « conjoint » figure au paragraphe 252(4) de la Loi, qui se lisait comme suit en 1998 et 1999 :

Dans la présente loi :

a)             les mots se rapportant au conjoint d'un contribuable à un moment donné visent également la personne de sexe opposé qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et a vécu ainsi durant une période de douze mois se terminant avant ce moment ou qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et est le père ou la mère d'un enfant dont le contribuable est le père ou la mère, compte non tenu de l'alinéa (1)e) et du sous-alinéa (2)a)(iii); pour l'application du présent alinéa, les personnes qui, à un moment quelconque, vivent ensemble en union conjugale sont réputées vivre ainsi à un moment donné après ce moment, sauf si elles ne vivaient pas ensemble au moment donné, pour cause d'échec de leur union, pendant une période d'au moins 90 jours qui comprend le moment donné;

b)             la mention du mariage vaut mention d'une union conjugale entre deux particuliers dont l'un est le conjoint de l'autre par l'effet de l'alinéa a);

c)              les dispositions applicables à une personne mariée s'appliquent à la personne qui est le conjoint d'un contribuable par l'effet de l'alinéa a);

d)             les dispositions applicables à une personne non mariée ne s'appliquent pas à la personne qui est le conjoint d'un contribuable par l'effet de l'alinéa a).

                                                                                                                [Les caractères gras sont de moi.]

[19]          Ce paragraphe, applicable après 1992, a été ajouté en 1994. En vertu de la règle transitoire, ce sens élargi du mot « conjoint » doit être considéré comme faisant partie de la Loi au 1er janvier 1993. Comme la Loi est interprétée en l'espèce relativement à des paiements effectués dans les années d'imposition 1998 et 1999, la définition élargie du mot « conjoint » s'applique. Dans l'affaire Scott c. Canada, [2001] A.C.I. no 437 (Q.L.), dont les faits étaient très semblables à ceux de la présente espèce, mon collègue le juge Hershfield disait au paragraphe 7 :

[...] La définition élargie n'impose aucune limite quant à savoir jusqu'où regarder en arrière. Au contraire, elle indique qu'on peut en fait regarder ce qu'il en était « à un moment donné » . La définition élargie s'applique « à un moment donné » où la relation doit être examinée, y compris une relation ayant commencé avant 1993 ou ayant commencé et s'étant terminée avant 1993.[...] Si le législateur avait voulu que des unions de fait antérieures à 1993 ne puissent pas être reconnues, la période de cohabitation mentionnée au paragraphe 252(4) pourrait de même comporter des dates pertinentes quant à savoir quand la cohabitation devait avoir commencé ou s'être terminée. Le seul fait que l'année d'entrée en vigueur soit 1993 n'a pas un tel effet à mon avis, du moins dans ce cas-ci, où la formulation expresse de la disposition modifiée invite à une interprétation qui permet (dicte) d'examiner une relation « à un moment donné » , ce qui, comme je l'ai dit, inclut clairement un moment antérieur à la date d'entrée en vigueur de la modification. [...]

[20]          Je suis d'accord sur l'analyse précitée quant à la date d'applicabilité du paragraphe 252(4). Le paragraphe 140(4) de la Loi de révision des modifications relatives à l'impôt sur le revenu (annexe VIII, 1994, ch. 7) introduisant cette modification ne dit pas que l'union conjugale visée au paragraphe 252(4) doit avoir existé après 1992. Il dit simplement que le paragraphe 252(4) doit s'appliquer après 1992.

[21]          En vertu de la définition de « conjoint » qui figure à l'alinéa 252(4)a) selon laquelle celui-ci est le père ou la mère d'un enfant dont le contribuable « est le père ou la mère, compte non tenu de l'alinéa 1e) et du sous-alinéa (2)a)(iii) » -, l'appelant et Mme Meyer sont d'anciens conjoints, et les paiements effectués sont donc admissibles comme paiements de « pension alimentaire » . Mme Meyer est une personne de sexe opposé qui a vécu avec l'appelant, ces deux personnes étant les parents de l'enfant. En vertu de l'alinéa 56.1(4)a), les 400 $ par mois de pension alimentaire pour enfant payés aux termes de l'accord écrit conclu le 28 août 1986 et modifié le 30 novembre 1995 peuvent être déduits par l'appelant, car il s'agissait de montants à recevoir par un ancien conjoint (au sens de la définition susmentionnée) aux termes d'un accord écrit conclu en 1986 et modifié par écrit en 1995.

[22]          Pour ces motifs, les appels sont admis, avec dépens, et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations compte tenu du fait que l'appelant est en droit de déduire dans le calcul de son revenu les montants de 4 800 $ et de 1 440 $, pour 1998 et 1999 respectivement, versés à Margaret Shawn Tamara Meyer comme pension alimentaire pour leur enfant, Christopher Brad Meyer, né le 4 novembre 1984.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de septembre 2001.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 18e jour d'octobre 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-1203(IT)I

ENTRE :

DARRELL B. HOLLANDS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 22 août 2001 à Edmonton (Alberta), par

l'honorable juge Gordon Teskey

Comparutions

Représentante de l'appelant :                              Karen Hollands

Avocat de l'intimée :                                             Me Mark Heseltine

JUGEMENT

Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1998 et 1999 sont admis, avec dépens, et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de septembre 2001.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 18e jour d'octobre 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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