Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20011130

Dossier: 1999-2167-IT-G

ENTRE :

TOD T. MANRELL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Avocats de l'appelant : Me Werner H.G. Heinrich et Me David Graham

Avocats de l'intimée : Me Peter M. Kremer et Me Rosemary Fincham

____________________________________________________________________

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à

Vancouver (Colombie-Britannique), le 25 octobre 2001)

Le juge McArthur

[1]            Ces appels concernent les cotisations établies pour les années d'imposition 1996 et 1997. Il s'agit de savoir si les versements effectués en vertu d'une entente de non-concurrence sont imposables à titre de gains en capital ou s'ils constituent une rentrée de fonds non imposable. Je félicite les avocats des parties d'avoir délimité les enjeux du litige par le biais d'un exposé conjoint des faits dont je cite les passages les plus pertinents ci-dessous :

[TRADUCTION]

1.              L'appelant est un homme d'affaires.

2.              L'appelant est l'unique actionnaire de Llernam Holdings Ltd. ( « Llernam Holdings » ).

3.              Llernam Holdings est l'unique actionnaire d'Allwest Industries Incorporated ( « Allwest » ) et actionnaire à 80 % de 322597 BC Ltd. ( « 322597 » ).

4.              Allwest était l'unique actionnaire de BC Plastic Industries Ltd. ( « BC Plastic » ) avant le 16 juin 1995.

5.              322597 était actionnaire à 50 % de Canada Cap Snap Corporation ( « Cap Snap » ) avant le 16 juin 1995.

6.              L'appelant était également actionnaire à 70 % d'Alberta Plastic Industries Ltd. ( « Alberta Plastic » ) avant le 16 juin 1995.

7.              [...]

8.              BC Plastic et Alberta Plastic fabriquent des moules en plastique pour lesquels Cap Snap fabrique des capuchons.

9.              L'appelant, Allwest, 322597, Bob Williamson et Bruce Gallop (collectivement les « vendeurs » ) ont signé un contrat en date du 16 juin 1995 (la « convention d'achat d'actions » ) visant la vente de leurs actions respectives (les « actions » ) d'Alberta Plastic, de BC Plastic et de Cap Snap (collectivement les « sociétés » ) à 3154823 Canada Inc. (l' « acheteur » ).

10.            Les vendeurs et l'acheteur n'étaient pas liés.

11.            [...]

12.            La convention d'achat d'actions (au paragraphe 2.2) précisait notamment que les vendeurs recevraient la somme de 14 626 000 $ pour leurs actions et pour le remboursement des prêts consentis par les actionnaires.

13.            L'appelant a reçu au total 3 927 078 $ en guise de produit de la vente de ses actions et de versement de sommes dues aux actionnaires en vertu de la convention d'achat d'actions.

14.            La vente était assujettie à la condition que l'appelant, Gallop, Williamson, Llernam Holdings, Allwest et 322597 BC Ltd. signent une entente de non-concurrence avec l'acheteur et les sociétés vendues. [...]

15.            La contrepartie de 3 438 699 $ reçue par l'appelant après avoir signé l'entente de non-concurrence a été distribuée comme suit :

                                i)              Appelant                                                979 575 $

                                ii)              Allwest                      2 193 193 $

                                iii)             322597                                                     265 932 $

16.            Les versements de non-concurrence destinés à l'appelant, soit 979 575 $, lui ont été payés en quatre tranches annuelles de 244 894 $ à compter du 16 juin 1995.

17.            L'appelant a déclaré les versements de non-concurrence en tant que produit de la disposition d'actions conformément au paragraphe 6 du Bulletin d'interprétation IT-330R de Revenu Canada. [...]

18.            L'appelant a déclaré le montant de 244 894 $ sur les 979 575 $ à verser conformément à l'entente de non-concurrence en tant que gain en capital sur sa déclaration de revenus de l'année d'imposition 1995, et a déclaré une réserve pour gains en capital de 734 681 $ relativement au solde des versements échelonnés devant être payés.

19.            L'appelant a inclus les versements échelonnés de 244 894 $ reçus respectivement pendant les années d'imposition 1996 et 1997 en tant que revenu, débitant sa réserve pour gains en capital des mêmes montants pour chacune de ces années.

20.            [...]

21.            Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a commencé par établir des avis de cotisation datés du 20 mai 1997 pour l'année d'imposition 1996 et du 18 juin 1998 pour l'année d'imposition 1997, selon le postulat que les déclarations de revenus produites par l'appelant étaient correctes.

22.            L'appelant a contesté lesdites cotisations en produisant des avis d'opposition. [...]

23.            Le ministre a ratifié lesdites cotisations par avis de ratification en date du 22 janvier 1999. [...]

Les pièces auxquelles renvoie l'exposé conjoint des faits ne sont pas reproduites ici, mais les passages pertinents sont cités plus loin.

[2]            S'étant mises d'accord sur les faits, les parties ont présenté des observations écrites et des plaidoiries lors de l'audience. Les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu sont la division 3b)(i)(A), l'article 38, les paragraphes 39(1) et 248(1) - définition de « biens » , et l'article 54 - définition de « disposition » . Ces dispositions sont libellées comme suit :

3               Pour déterminer le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, pour l'application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer :

a)             [...]

b)             le calcul de l'excédent éventuel du montant visé au sous-alinéa (i) sur le montant visé au sous-alinéa (ii) :

(i)             le total des montants suivants :

(A)           ses gains en capital imposables pour l'année tirés de la disposition de biens, autres que des biens meubles déterminés,

[...]

38             Pour l'application de la présente loi,

a)             le gain en capital imposable d'un contribuable, pour une année d'imposition, tiré de la disposition d'un bien est égal aux 3/4 du gain en capital que le contribuable a réalisé, pour l'année, à la disposition du bien;

39(1)        Pour l'application de la présente loi,

a)             un gain en capital d'un contribuable, tiré, pour une année d'imposition, de la disposition d'un bien quelconque, est le gain, déterminé conformément à la présente sous-section (jusqu'à concurrence du montant de ce gain qui ne serait pas, compte non tenu du passage « autre qu'un gain en capital imposable résultant de la disposition d'un bien » , à l'alinéa 3a), et de l'alinéa 3b), inclus dans le calcul de son revenu pour l'année ou pour toute autre année d'imposition), que ce contribuable a tiré, pour l'année, de la disposition d'un bien lui appartenant, à l'exception :

                [...]

54             Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente sous-section.

« disposition de biens » Sont compris dans la disposition de biens, sauf dispositions contraires expresses :

a)             toute opération ou tout événement donnant droit au contribuable au produit de disposition de biens;

[...]

248(1)      Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« biens » Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède :

a)             les droits de quelque nature qu'ils soient, les actions ou parts;

b)             à moins d'une intention contraire évidente, l'argent;

c)              les avoirs forestiers;

d)             les travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale.

[3]            En bref, les faits pertinents sont les suivants : en 1995, l'appelant et d'autres parties ont signé une convention d'achat d'actions visant la vente de leurs parts dans une entreprise de fabrication de bouteilles en plastique. Ils ont également renoncé au droit, dans certaines circonstances, de tirer un revenu d'une entreprise concurrente. À l'article 1.5 de la convention d'achat d'actions, les actifs du vendeur étaient décrits comme suit :

[TRADUCTION]

« Actifs » : s'entend de tous les éléments d'actif des sociétés acquises au moment de la vente (sauf i) l'encaisse, ii) les biens loués et iii) les réclamations d'assurances), y compris notamment l'ensemble des droits, titres et intérêts des sociétés acquises dans les comptes créditeurs, actions, droits en vertu d'un accord, marques de commerce, marques déposées, brevets, demandes de brevet, licences de brevet, logiciels, droits d'atelier, écart d'acquisition, listes de clients, ameublement, accessoires et équipement, matières premières, en-cours de production, stocks et tous autres biens tangibles et intangibles, y compris notamment l'Équipement. < 0} [...]

La convention d'achat d'actions prévoyait qu'en échange d'une entente de non-concurrence, l'acheteur verserait 4 millions de dollars aux vendeurs. Je désignerai les montants payés sous le vocable de « versements » . Un versement de 1 million de dollars devait être effectué une fois la convention signée, et le reste, soit 3 millions de dollars, était payable en trois tranches annuelles égales. Ces versements étaient inclus dans le prix d'achat des actions. La convention d'achat d'actions a été signée en même temps que l'entente de non-concurrence. Le paragraphe 3.1 de l'entente de non-concurrence se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Entente de non-concurrence Les vendeurs conviennent de s'abstenir, en tout temps pendant la durée du terme, de mener des activités directes ou indirectes sur le Territoire, ou d'avoir un intérêt dans une organisation ou autre entité concurrente (notamment à titre d'employé, de dirigeant, d'administrateur, d'agent, de détenteur de titre, d'associé, de créancier, de consultant, de concédant de licence ou de preneur de licence) qui mène ou se prépare à mener des activités sur le territoire, si lesdites activités sont identiques, similaires ou concurrentes aux activités menées présentement par une société acquise ou par la société mère de celle-ci. < 0} Les restrictions contenues dans ce paragraphe 3.1 n'empêchent pas les vendeurs de détenir un maximum de cinq pour cent (5 %), au total, des titres d'une personne morale dotée d'une classe de valeurs mobilières inscrites à la United States Securities and Exchange Commission en vertu de la Securities Exchange Act de 1934, ou cotées à une bourse canadienne agréée, à condition que les vendeurs ne se livrent à aucune autre activité interdite en vertu de l'article 3 des présentes.

[4]            À l'origine, l'appelant avait déclaré la portion des versements lui revenant à titre de gains en capital. Ayant pris connaissance de la décision rendue dans l'affaire Fortino c. La Reine[1], l'appelant estime à présent que les versements ne sont pas imposables. Paradoxalement, les enjeux de cette décision sont nettement différents de la question qui nous occupe, et d'ailleurs, l'affaire Fortino sert plutôt à infirmer qu'à étayer la position de l'appelant[2].

[5]            En effet, l'appelant estime que la renonciation à son droit de faire concurrence ne constitue pas un « bien » au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu. Par conséquent, les versements effectués en vertu de l'entente de non-concurrence ne sont pas imposables à titre de gain en capital, car les versements effectués ne constituent pas un gain réalisé sur la disposition de biens. L'appelant invoque trois arguments à l'appui de sa position.

[6]            En premier lieu, le paragraphe 248(1) confère au terme « biens » le sens de biens. Cela signifie que la définition du terme « biens » en vertu de la Loi se limite au concept de « biens » au sens de la common law. L'appelant soutient qu'en common law, l'aptitude à faire concurrence n'est pas considérée comme un bien. À l'appui de cette thèse, il affirme que les tribunaux de l'Angleterre et de l'Australie, dans les affaires Kirby (Inspector of Taxation) v. ThorneEMI plc (1987)[3] et Hepples v. Federal Commissioner of Taxation[4] ont débattu de cette question et en sont arrivés à la conclusion que l'aptitude à faire concurrence n'est pas un bien au sens de la common law. Dans ces affaires, il s'agissait de savoir si les versements de non-concurrence étaient équivalents à des biens en vertu de la Finance Act 1965 (Angleterre) et de la Income Tax Assessment Act 1936 (Australie). Les deux tribunaux ont déterminé que les versements ne constituaient des biens ni en common law, ni en vertu desdites lois. L'appelant propose que l'on suive le raisonnement de ces tribunaux dans l'interprétation de ce qu'est un bien en vertu de l'article 248 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[7]            D'autre part, il affirme que, à l'instar des tribunaux anglais et australiens, les cours canadiennes appuieraient également cette position. D'après lui, celles-ci auraient déterminé qu'en common law, les compétences de l'appelant qui lui confèrent l'aptitude à faire concurrence ne constituent pas un bien. L'appelant soutient que, si les cours canadiennes ont déterminé que les compétences, la formation, les connaissances, l'information, l'expérience et les antécédents ne sont pas des biens en common law, cela signifie que l'aptitude de l'appelant à en faire usage ne constitue pas un bien elle non plus.

[8]            Par ailleurs, l'appelant postule que l'expression « droits de quelque nature qu'ils soient » au paragraphe 248(1) n'a pas élargi la définition du terme « biens » en common law au point d'inclure l'aptitude à faire concurrence parmi les biens au sens de la Loi. L'appelant ajoute que, si le législateur avait eu l'intention d'élargir le sens ordinaire du mot « biens » , il aurait dit : « le terme « biens » est interprété comme signifiant » (et je souligne le mot « interprété » ), et non « biens de toute nature » . En outre, l'expression « y compris » n'a pas pour effet d'élargir la définition de « biens » au-delà du sens ordinaire de ce mot, mais d'établir, au nom de la clarté, que les éléments indiqués aux alinéas a) à d) constituent, aux yeux du Parlement, des biens en common law. L'appelant soutient que les droits mentionnés dans l'expression « droits de quelque nature qu'ils soient » sont des droits faisant partie de « l'ensemble des droits » visés par la théorie de la propriété en common law du même nom. Lorsque la notion d'ensemble des droits a été intégrée à la définition du terme « biens » , il s'agissait d'éviter l'argument que la disposition de l'un de l'ensemble des droits relatifs à un bien en particulier n'entraînait pas la disposition du bien en entier.

[9]            En troisième lieu et subsidiairement, l'appelant affirme que, si l'expression « droits de quelque nature qu'ils soient » élargit effectivement la définition en common law, ce n'est que pour inclure des droits qui ont des caractéristiques similaires à celles des biens, ce qui ne s'applique pas à l'aptitude à faire concurrence. L'appelant affirme que, pour qu'un droit puisse être caractérisé comme un bien, ce doit être un droit à l'égard d'autres biens, ou un droit ayant force exécutoire à l'égard d'une personne en particulier. Un droit entraîne forcément une obligation pour un tiers. Le droit de travailler et de faire concurrence n'est pas un droit existant opposable à des tiers et pouvant donc faire l'objet d'une disposition, mais une entente de non-concurrence constitue plutôt la création d'un droit de propriété entre les mains d'autrui. La création d'un droit n'est pas synonyme de préexistence d'un droit.

[10]          Si la cour décrète que l'aptitude de l'appelant à faire concurrence est un « bien » au sens de la Loi, l'appelant affirme n'avoir rien fait pour effectuer la disposition de ce bien. L'appelant déclare qu'aucune de ses actions ne pourrait être considérée comme une disposition selon la définition donnée dans les dictionnaires, et que la seule partie de la définition du mot « disposition » dans la Loi qui pourrait s'appliquer dispose que l'appelant devrait avoir vendu ses droits. L'appelant affirme qu'il n'a pas vendu ses droits, mais qu'il s'est tout bonnement engagé à ne pas les exercer.

[11]          Pour terminer, j'aborderai la réfutation de l'appelant concernant les gains fortuits. Tout en affirmant que les versements prévus par l'entente de non-concurrence constituent des gains fortuits, l'appelant soutient que la question de savoir si ce sont des gains fortuits est totalement dénuée de pertinence. Il ajoute qu'après avoir démontré que le versement ne constituait ni un revenu provenant d'une source, ni un gain en capital imposable provenant de la disposition d'un bien, ni un gain net imposable de la disposition de biens personnels désignés, il ne lui resterait plus rien à démontrer. Qu'il s'agisse ou non d'un gain fortuit, le versement doit être une rentrée de fonds non imposable.

[12]          L'intimée soutient que l'affirmation de l'appelant selon laquelle les versements prévus par l'entente de non-concurrence constitueraient une rentrée de fonds non imposable revient à dire que la recette est un gain fortuit. L'intimée avance que les gains fortuits peuvent être décrits comme des revenus d'une source dont le bénéficiaire n'escomptait aucune recette ni n'avait aucun motif d'en attendre une. L'intimée ajoute que les versements reçus par l'appelant ne peuvent être classés comme des gains fortuits si on applique les facteurs examinés par le juge Le Dain de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire La Reine c. Cranswick[5]. L'intimée prétend que les versements ont été correctement classés comme le produit de la disposition de biens entraînant un gain en capital. Cette affirmation est liée au fait que l'appelant a aliéné différents droits, y compris le droit, titre et intérêt à l'égard des innovations, le droit d'utiliser l'information confidentielle, le droit de faire concurrence d'une certaine façon sur un territoire désigné pendant au moins cinq ans et le droit de recruter des employés.

[13]          L'intimée affirme que, pour disposer de ces droits, l'appelant a promis de ne pas faire quelque chose en relation avec ces droits, puis a vendu cette promesse. L'intimée poursuit en affirmant que les versements ne représentent pas seulement le produit de la disposition des droits de l'appelant qui ont été vendus, mais peuvent également être caractérisés comme le produit de disposition d'actions d'entreprises liées qui ont été vendues en vertu de la convention d'achat d'actions, et sont donc imputés au capital. À l'appui de cette thèse, l'intimée affirme que les versements avaient été négociés dans le cadre de la convention d'achat d'actions et faisaient partie du prix d'achat[6]. L'intimée ajoute que, contrairement aux lois de l'Australie et de l'Angleterre, le paragraphe 248(1) contient une définition du terme « biens » assez large pour inclure les versements en vertu de l'entente de non-concurrence, invoquant dans ce sens les affaires M.N.R. v. Dominion Natural Gas Co.[7] et Golden c. La Reine[8].

[14]          D'après l'intimée, même s'il a été établi que le terme « biens » ne comprend pas les compétences et connaissances particulières du contribuable, il s'avère qu'il comprend le droit de mener des opérations commerciales et la promesse de faire ou de ne pas faire certaines choses. La différence entre les compétences et connaissances particulières d'une personne et le droit d'entreprendre des opérations commerciales et de faire concurrence ou la promesse de ne pas faire concurrence, c'est que cette promesse est apte à être achetée, vendue ou aliénée par entente entre les parties. L'intimée conclut également que l'appelant a vendu un ensemble de droits. Ces droits constituaient des biens au sens large du paragraphe 248(1) de la Loi, et le produit de la disposition, soit le prix de vente, est imposable en vertu des articles 38 et 39 de la Loi.

Analyse :

[15]          Les avocats de l'appelant ont présenté un argument témoignant de créativité, mais que je ne puis accepter. L'appelant affirme que le terme « biens » doit se voir attribuer sa définition en common law parce que le paragraphe 248(1) définit ce terme comme signifiant des biens, ce qui comprend le concept de biens en common law. Il conclut qu'en common law, l'aptitude à faire concurrence n'est pas considérée comme un bien. À mon avis, aussi exacte soit-elle, cette affirmation manque de pertinence. Au paragraphe 248(1), les biens sont définis comme des « biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède, les droits de quelque nature qu'ils soient [...] » . Il est impossible de passer ces mots sous silence.

[16]          La définition du paragraphe 248(1) ne limite pas le mot « biens » à sa définition en common law. Il est impossible de détacher le mot « biens » du reste du paragraphe. Il n'est pas nécessaire d'invoquer les définitions du mot « biens » telles qu'elles figurent dans les lois et les décisions judiciaires d'Angleterre et d'Australie. La loi anglaise ne considère pas les droits comme des biens, mais la loi australienne mentionne tout autre droit. Ces textes ne reflètent pas la très large définition donnée dans la Loi de l'impôt sur le revenu au Canada. Point n'est besoin d'aller plus loin que la jurisprudence canadienne.

[17]          J'accepte la position de l'intimée à l'égard de la question de savoir si le droit de faire concurrence est un bien. L'argument suivant a été fait :

[TRADUCTION]

[...] Conformément à ce que la Cour suprême du Canada a établi dans Golden c. R.,

Cette définition extrêmement générale du terme « biens » laisse très peu de choses dans la catégorie de ce qui ne constitue pas un bien. Elle semblerait viser un droit découlant d'un contrat et pourrait, dans certaines circonstances, viser le droit d'exiger l'exécution de l'engagement d'un vendeur de communiquer le « savoir-faire » .

Vu la définition élargie du mot « biens » donnée dans la Loi, la Cour d'appel fédérale a cité Lord Langdale comme ayant déclaré dans Jones c. Skinner[9] que ce mot est [TRADUCTION] « le terme le plus général que l'on puisse employer, étant donné qu'il sert à désigner et à décrire tous les droits possibles qu'une personne peut avoir » .                            Canada c. Kieboom (C.A.).[10]

Les biens englobent « pratiquement tout type d'intérêt économique et comprend pratiquement toute sorte d'intérêt qu'une personne peut posséder. La généralité du terme se comprend dans le contexte de cette Loi où il s'agit d'imposer toute forme de revenu d'entreprise d'un contribuable quelle qu'en soit la provenance. » [11]

Il a été établi que le terme « biens » ne comprenait pas les compétences et connaissances particulières du contribuable[12], mais il s'avère qu'il comprend le droit de faire des opérations commerciales et la promesse de faire ou de ne pas faire certaines choses[13]. La différence entre les compétences et connaissances particulières d'une personne et le droit d'entreprendre des opérations commerciales et de faire concurrence ou la promesse de ne pas faire concurrence, c'est que cette promesse peut être achetée, vendue ou aliénée sur entente entre les parties.

Selon la Cour suprême du Canada, le droit de fournir du gaz dans une région donnée est une immobilisation[14]. De même, les versements effectués en vertu d'une entente de non-concurrence sont considérés comme des versements effectués pour l'achat d'une immobilisation[15]. Par conséquent, la disposition de ce bien doit être considéré comme imputée au capital et imposable en vertu des paragraphes 38(1) et 39(1) de la Loi.

La pertinence des dispositions sur les gains en capital de la Loi pour les versements de non-concurrence a été examinée dans l'affaire Fortino, précitée, où la juge Lamarre a déclaré :

De fait, les appelants ont reçu un montant en vue de ne pas exploiter leur entreprise dans certaines régions pendant un certain temps. En acceptant de faire pareille promesse, ils ont renoncé à une source possible de revenu. Loblaws acquérait dans un certain sens un droit des appelants que ceux-ci possédaient auparavant contre elle. Les immobilisations des appelants étaient dans un certain sens stérilisés.

Je conclus donc que les sommes versées aux appelants par Loblaws en vertu des ENC étaient plutôt de la nature de rentrées de capital et ne constituaient pas un revenu provenant d'une source productive au sens de l'article 3[16]. (Les italiques sont de moi.)

Je suis d'accord avec ce raisonnement et je l'adopte dans le cadre des appels qui nous occupent. La situation factuelle dans l'affaire Fortino reflète exactement la présente.

[18]          L'appelant affirme également que l'expression « droits de quelque nature qu'ils soient » ne va pas jusqu'à englober la définition de « biens » . Comme il a été établi plus haut, le terme « biens » ne peut être interprété sans tenir compte de la définition élargie donnée au paragraphe 248(1). Il est clair que le législateur voulait définir le mot « biens » de façon aussi large que possible. La théorie de la propriété dite de l' « ensemble des droits » se rapporte à l'incidence de la propriété et ne résout rien quant à la définition des biens en tant que tels. Le contexte d'un droit de toute nature qui est utilisé pour la définition de « biens » dans la Loi ne justifie pas la théorie de l'appelant selon laquelle cette expression ne définirait pas le bien en tant que tel mais les droits de propriété. Le syntagme complet est : « les droits de quelque nature qu'ils soient, les actions ou les parts » . Si l'expression « les droits de quelque nature qu'ils soient » ne désignait pas la définition de « biens » mais les droits de propriété, elle ne serait pas regroupée avec d'autres mots définissant un bien.

[19]          L'appelant n'a pas aliéné son talent, ses compétences et ses connaissances tels qu'il les avait déployés dans l'exploitation d'une entreprise de fabrication de bouteilles. J'estime que ce serait contraire à l'ordre public. Il a aliéné de nombreux droits, y compris celui de faire concurrence. Ces droits-là, il les a vendus. Le produit de la vente de ces droits comprenait également le versement d'un paiement pour les actions, sa part dans les innovations, l'information confidentielle et le droit de solliciter d'anciens employés. L'acheteur a acquis la promesse de l'appelant de ne pas faire concurrence et, ce faisant, son immobilisation, soit, en fin de compte, l'entreprise de fabrication de bouteilles. La convention d'achat d'actions a établi une obligation juridique exécutable en faveur de l'acheteur. Les versements effectués en vertu de l'entente de non-concurrence faisaient partie du prix convenu d'achat des actions. La première tranche de 1 million de dollars a été traitée comme faisant partie du prix d'achat des actions. Comment pourrait-on ne pas considérer ces paiements comme étant de la nature d'une immobilisation? Le droit de mener des affaires a été traité comme une immobilisation et je renvoie à l'affaire M.N.R. v. Dominion Natural Gas Co., précitée.

[20]          Subsidiairement, l'appelant affirme que, si l'expression « droits de quelque nature qu'ils soient » élargit effectivement la définition en common law, ce n'est que pour inclure des droits qui ont des caractéristiques similaires à celles des biens. L'avocat renvoie à une quinzaine de causes où les tribunaux ont interprété l'expression « droits de quelque nature qu'ils soient » dans la définition de « biens » au paragraphe 248(1) et la Loi de l'impôt sur le revenu. Il conclut que les « droits » constituaient soit un bien, soit un droit ayant force exécutoire à l'endroit d'une personne en particulier.

[21]          À mon avis, comme je l'ai dit plus haut, la définition de « biens » au paragraphe 248(1) n'est pas fondée sur la common law ni limitée par elle. L'appelant n'a pas aliéné ou vendu son droit de travailler. Il a aliéné le droit de faire concurrence à l'acheteur. Il s'agit d'une immobilisation très réelle, et il s'est engagé par un contrat ayant force exécutoire.

[22]          La dernière thèse de l'appelant est que, si le droit de faire concurrence est un « bien » , l'appelant ne l'a pas aliéné. J'estime que l'appelant n'a pas renoncé à son droit de travailler et de gagner un revenu, pas plus qu'il ne l'a aliéné. Ce qu'il a aliéné, c'est son droit de fabriquer des bouteilles en plastique en concurrence avec l'acheteur. En contrepartie de la disposition de ce droit, il a reçu un versement qui est inextricablement lié au paiement des actions et autres droits mentionnés plus tôt, mais ce fait est dénué de pertinence, puisque les parties ont convenu que l'article 42 ne s'applique pas. L'appelant a aliéné son droit de faire concurrence par le biais d'une clause limitant ses actions. En règle générale, il est impossible d'aliéner un droit de toute autre façon. Si l'on limitait la définition de « disposition » de la façon suggérée par l'appelant, l'effet en serait que, même si les droits étaient considérés comme des biens, ceux-ci n'auraient pu être aliénés conformément à la Loi.

[23]          À mon avis, la quasi-absence de jurisprudence pertinente à cet égard s'explique par l'existence du Bulletin d'interprétation IT-330R, selon lequel un revenu lié à une entente de non-concurrence serait un bien en immobilisation; les contribuables ont traité ce genre de revenu comme un gain en capital.

[24]          Je décrète que l'appelant a aliéné un bien au sens des articles 38 et 39, et que les versements sont des gains en capital imposables. Les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de novembre 2001.

« C.H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de juillet 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1]           C.C.I., no 92-2407 (IT)G, 5 novembre 1996 (97 DTC 55).

[2]           Les faits dans l'affaire Fortino étaient certes similaires à ceux de la cause qui nous occupe, mais l'enjeu était totalement différent. En effet, la seule question dont la juge Lamarre devait traiter, c'était de savoir si les versements constituaient un revenu d'une source au sens de l'article 3 de la Loi. Or, d'après elle, les versements en vertu de l'entente de non-concurrence ne constituaient pas un revenu d'une source au sens de l'article 3. Dans sa remarque incidente, elle affirme qu'il s'agissait plutôt d'une rentrée de fonds, mais que ce n'était pas là l'objet du litige.

[3]           [1988] 2 All E.R. 947 (C.A.).

[4]           91 ATC 4808 (Haute Cour d'Australie).

[5]           [1982] 1 C.F. 813 (82 DTC 6073).

[6]           Même si la plaidoirie écrite de l'intimée aborde cette question, les parties ont convenu que l'article 42 de la Loi ne comptait pas parmi les objets du litige.

[7]           1940 CarswellNat 43 (C.S.C.).

[8]           [1986] 1 R.C.S. 209 (1986 CarswellNat 236 ).

[9]           (1986), 5 L.J. (N.S.) ch. 87, p. 98.

[10]          [1992] 3 C.F. 488 (1991 Carswell Nat 308).

[11]          La Capitale, cie d'assurance générale c. R., C.A.F., no A-612-95, 6 février 1998 (1998 CarswellNat 1182).

[12]          Rapistan Canada Ltd. c. M.R.N., [1974] 1 C.F. 739 (1974 CarswellNat 191) (C.A.F.); Slobodrian c. R., C.C.I., no 97-812(IT)I, 15 mai 1998 ( 1998 CarswellNat 808).

[13]          MFC Bancorp Ltd. c. R., C.C.I., no 97-2105(IT)G, 18 août 1999 (1999 CarswellNat 1640); Rapistan, précité.

[14]          M.N.R. v. Dominion Natural Gas Co., précité.

[15]          Cumberland Investments Limited c. La Reine, C.A.F., no A-228-73, 17 juin 1975 ( 75 DTC 5309).

[16]          Décision confirmée par la Cour d'appel fédérale (C.A.F., no A-950-96, 14 décembre 1999 (2000 DTC 6060)).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.