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Date: 20010403

Dossier: 98-1040-UI

ENTRE :

ASHRAF MIA,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Charron, C.C.I.

[1]            Cet appel a été entendu à Montréal (Québec), le 13 décembre 2000, dans le but de déterminer si l'appelant exerçait un emploi assurable, au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la "Loi") du 18 juin 1996 au 5 septembre 1997, lorsqu'il était au service de Khullar Gourmet Foods Ltd., le "payeur".

[2]            Par lettre du 4 août 1998, l'intimé informa l'appelant que cet emploi n'était pas assurable, pour le motif qu'il n'existait pas de relation employeur-employé entre le payeur et lui durant la période en litige.

Exposé des faits

[3]            Les faits sur lesquels s'est fondé l'intimé pour rendre sa décision sont énoncés au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel comme suit :

"a)            Durant la période en litige, l'appelant était citoyen du Bangladesh et travailleur étranger au Canada. (admis)

b)             L'appelant est assujetti aux lois de l'immigration qui oblige un étranger à obtenir un permis de travail pour avoir le droit de travailler au Canada. (admis)

c)              L'appelant a obtenu un premier permis de travail ouvert au Canada, émis par Emploi et Immigration Canada, pour la période du 17 janvier 1996 au 17 juin 1996. (admis)

(d)            L'appelant a obtenu un 2ième permis de travail au Canada valide pour la période du 21 novembre 1997 au 20 novembre 1998. (admis)

(e)            Durant la période en litige, l'appelant travaillait pour le payeur sans posséder de permis de travail émis par Emploi et Immigration Canada. (admis)

(f)             Durant la période en litige, l'appelant ne peut être considéré comme "employé" ni avoir passé un contrat de louage de services valable auprès du payeur. (nié)"

[4]            L'appelant a reconnu la véracité de tous les alinéas du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel, sauf ceux qu'il a niés, ainsi qu'il est indiqué entre parenthèses, à la fin de chaque alinéa.

Témoignage de Ashraf Mia

[5]            Cet individu est actuaire-comptable de profession et arrive au Canada au mois de juillet 1993, avec le statut de réfugié politique au sens de la Convention (pièce A-1). Il revendique un statut de réfugié politique le 16 avril 1996 et la section du statut de réfugié décide qu'il est réfugié au sens de la Convention le 18 avril 1996. Il ne parle pas français et ne connaît pas notre système. Tout est nouveau pour lui et il ne connaît personne ici, sauf quelques personnes de sa communauté. Il croit qu'une fois accepté, tout étranger n'a pas besoin de permis de travail. Il apprend bientôt qu'il doit faire une demande de statut d'immigré permanent, mais ignore qu'il doit renouveler son permis de travail quand il découvre que ce dernier est révolu depuis un an avant de faire une nouvelle demande. Il passe l'hiver suivant très misérablement, n'ayant pas de travail pour assurer sa subsistance, ni de prestations d'assurance-chômage.

[6]            Pour comble de malheur, une grève des postes sévit à cette époque et il ne reçoit que deux mois après avoir fait une demande de nouveau permis de travail, celui qu'il sollicite pour la période du 21 novembre 1997 au 20 novembre 1998. L'appelant a cru de bonne foi être détenteur d'un tel permis du 17 janvier 1996 au 17 juin 1996, comme il apparaît à la pièce I-1. Ses proches amis lui disent que, maintenant qu'il est juste réfugié, il "est comme d'autres personnes, vous pouvez travailler, vous n'avez aucun souci comme avant quand vous n'avez pas de papiers et tout ça". Le document produit comme pièce I-1 et intitulé "Permis de travail" est illisible à certains endroits, mais semble vouloir dire: "Ce document ne confère aucun statut". L'appelant n'a reçu aucune lettre l'informant que son permis de travail était périmé.

Témoignage de Lyne St-Jacques

[7]            Cette dame est agente à la clientèle au Développement des ressources humaines du Canada, assurance-emploi. Ses tâches consistent à recevoir les clients qui veulent devenir prestataires d'assurance-emploi. Elle rencontre l'appelant dans le cadre de ses fonctions et lui demande pourquoi il n'avait pas de permis de travail pour la période en litige. Il répond qu'il a oublié de s'en occuper : "Bien qu'il venait de recevoir un autre permis de travail pour les périodes après les périodes dont on avait besoin et qu'il avait besoin d'une lettre comme quoi qu'il ne pouvait pas se qualifier à cause du permis de travail manquant pour le bien-être social".

Témoignage de Lorraine Pilon

[8]            Cette dame est agente d'interprétation de la loi et fait partie du département de l'assurabilité à Revenu Canada. Elle a communiqué avec l'appelant le 10 février 1998 et lui a demandé s'il avait travaillé sans permis de travail, durant la période en litige, et il a répondu dans l'affirmative. Elle lui demande pour quelle raison il n'avait pas de permis et ce dernier répond : "C'était par négligence". La période durant laquelle l'appelant a travaillé sans permis dépassait une année.

Analyse des faits en regard de la Loi

[9]            Durant la période en litige, l'appelant était citoyen du Bengladesh et travailleur étranger au Canada. Comme tel, il était assujetti aux lois et règlements de l'immigration qui obligent un étranger à obtenir un permis de travail pour avoir le droit de travailler au Canada. L'appelant a obtenu un premier permis pour la période du 17 janvier au 17 juin 1996 et un autre du 21 novembre 1997 au 20 novembre 1998, mais n'en avait pas du 18 juin 1996 au 20 novembre 1997, alors qu'il travaillait pour le payeur. L'intimé a décidé que l'appelant ne peut être considéré comme employé, ni avoir conclu un contrat de travail avec lui. En effet, l'article 18 du Règlement sur l'immigration de 1978 se lit ainsi :

"18. (1)    Sous réserve du paragraphe 19(1), nul ne doit, autre qu'un citoyen canadien ou qu'un résident permanent, prendre ou conserver un emploi au Canada sans un permis de travail en cours de validité.

(2)                            Une personne titulaire d'un permis de travail en cours de validité ne peut conserver un emploi au Canada que si elle respecte toutes les conditions du permis."

[10]          L'appelant plaide sa bonne foi en se basant sur l'arrêt Still c. M.N.R. [1998] 1 C.F. 549. Ce principe a été édicté par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire ci-dessus en novembre 1997. Mme Still a immigré au Canada (Ontario) et a demandé le statut de résidente permanente. Le 22 septembre 1991, des fonctionnaires du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada lui ont délivré le document suivant :

"[TRADUCTION] Les présentes attestent que, concernant la personne nommée ci-dessous, une recommandation a été envoyée au gouverneur en conseil du Canada pour l'octroi d'une dispense en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.

KATHLEEN STILL

En attendant l'approbation du gouverneur en conseil et pourvu qu'il soit satisfait à toutes les autres exigences, la personne susnommée se verra accorder le statut de résident permanent du Canada."

[11]          Mme Still a compris que ce document lui donnait à ce moment-là, et sans aucune autre démarche de sa part, le droit de travailler au Canada.

[12]          En l'espèce, l'appelant savait ou aurait dû savoir qu'un permis de travail en cours de validité lui était nécessaire pour prendre et conserver un emploi au Canada. Tout comme dans l'affaire Polat c. M.R.N. (4 décembre 1997, A-31-97 (C.A.F.) et 96-402(UI) (C.C.I.), 17 mars 1998), l'appelant avait déjà obtenu dans le passé un permis de travail (période du 29 septembre 1994 au 24 juin 1995). L'obtention d'un premier permis de travail est significative parce que cela indique que l'appelant savait qu'à son expiration il devrait en obtenir un nouveau avant de prendre ou conserver un emploi. Au surplus, il admet qu'il a négligé d'obtenir un autre permis durant la période en litige.

[13]          Au surplus, l'intimé soumet que la question de la bonne ou de la mauvaise foi n'est par pertinente, en droit civil québécois, afin de déterminer si un contrat d'emploi interdit par une loi est nul dans le contexte d'un litige en assurance-chômage. Dans l'affaire Still (supra), la Cour d'appel fédérale donnait cet avertissement : "nous ne saurions perdre de vue le fait que les affaires émanant du Québec doivent être tranchées en vertu des dispositions relatives à l'illégalité qui figurent au Code civil du Québec".

[14]          Les dispositions pertinentes du Code civil sont les suivantes :

"1412 C.c.Q. L'objet du contrat est l'opération juridique envisagée par les parties au moment de sa conclusion, telle qu'elle ressort de l'ensemble des droits et obligations que le contrat fait naître.

1413 C.c.Q. Est nul le contrat dont l'objet est prohibé par la loi ou contraire à l'ordre public.

1417 C.c.Q. La nullité d'un contrat est absolue lorsque la condition de formation qu'elle sanctionne s'impose pour la protection de l'intérêt général.

1418 C.c.Q. La nullité absolue d'un contrat peut être invoquée par toute personne qui y a un intérêt né et actuel; le tribunal la soulève d'office.

Le contrat frappé de nullité absolue n'est pas susceptible de confirmation

1422 C.c.Q. Le contrat frappé de nullité est réputé n'avoir jamais existé.

Chacune des parties est, dans ce cas, tenue de restituer à l'autre les prestations qu'elle a reçues."

[15]          L'une des conditions essentielles de la validité d'un contrat est l'existence d'un objet qui ne soit pas prohibé par la loi ou contraire à l'ordre public. Le Code civil reconnaît qu'un contrat dont l'objet est prohibé par la loi ou contraire à l'ordre public est nul et sans effet. Il prévoit explicitement que la nullité du contrat est absolue lorsque la condition de formation qu'elle sanctionne s'impose pour la protection de l'intérêt général et ajoute que le contrat frappé de nullité absolue n'est pas susceptible de confirmation.

[16]          Le juge Jean-Louis Beaudoin dans son livre Les Obligations énonce que "l'illiceité de l'objet est sanctionnée par une nullité absolue, puisque l'ordre public est en jeu". Dans l'affaire Saravia c. 101482 Canada inc. [1987] R.J.Q. 2658 (C.P.), la Cour provinciale a statué dans ce sens : "The Immigration Act 1976 is a statute of public order, and a contract, knowingly or not, made in breach of one or many of its sections will be void and null".

[17]          La Loi sur l'immigration est une loi d'ordre public qui vise la protection de l'intérêt général. Elle vise à réglementer qui peut entrer et demeurer au Canada.

[18]          Donc en vertu du droit civil en vigueur au Québec, le contrat de travail conclu, de bonne ou de mauvaise foi, par une personne non citoyenne canadienne et non résidente permanente qui ne détient pas de permis de travail valide est nul et sans effet. (Saad c. M.R.N. (9 juillet 1997) Ottawa 96-1719(UI) (C.C.I.) et Kante c. M.R.N. (23 mai 1997) Ottawa 94-1056 et 95-1153(UI) (C.P.I.)).

[19]          Que ce soit en vertu du principe de common law édicté dans l'affaire Still (supra) et à son application dans l'affaire Polat (supra) ou en vertu du Code civil du Québec, le contrat de travail conclu entre l'appelant et le payeur pour la période en litige est nul.

[20]          En effet, il incombe à l'appelant de faire la preuve qu'il était détenteur d'un permis de travail valide et ne l'a pas fait.

[21]          En conséquence, l'appel est rejeté et la décision de l'intimé est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour d'avril 2001.

" G. Charron "

J.S.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        98-1040(UI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Ashraf Mia et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 13 décembre 2000

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge suppléant G. Charron

DATE DU JUGEMENT :                      le 3 avril 2001

COMPARUTIONS :

Avocat pour l'appelant :                      Me Gilbert Nadon

Avocat pour l'intimé :                          Me Vlad Zolia

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                       Me Gilbert Nadon

                                Étude :                     Campeau Ouellet Nadon Barabé Cyr et al.

                                                                Montréal (Québec)

Pour l'intimé :                                         Morris Rosenberg

                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

98-1040(UI)

ENTRE :

ASHRAF MIA,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 13 décembre 2000 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge suppléant G. Charron

Comparutions

Avocat de l'appelant :                Me Gilbert Nadon

Avocat de l'intimé :                    Me Vlad Zolia

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour d'avril 2001.

" G. Charron "

J.S.C.C.I.


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