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Date: 20020123

Dossier: 2001-1179-IT-I

ENTRE :

GERALD MARTIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Miller, C.C.I.

[1]            Gerald Martin en appelle, sous le régime de la procédure informelle, de la décision du ministre de ne pas permettre la déduction des pertes agricoles déclarées pour les années 1996, 1997 et 1998. Le ministre ne permet pas la déduction de ces pertes parce que M. Martin n'avait pas d'attente raisonnable de profit relativement à son verger à Naramata, en Colombie-Britannique.

[2]            M. Martin est déménagé dans la vallée de l'Okanagan en 1975. Il a indiqué que, malgré son poste d'agent de la GRC, il désirait depuis longtemps faire un retour à l'agriculture et s'intéressait donc de près à l'arboriculture de la région de l'Okanagan. De 1978 jusqu'au début des années 1980, il a donné un coup de main à d'autres dans le domaine, apprenant tout ce qu'il a pu sur l'arboriculture, ce qui l'a amené à acquérir lui-même environ quatre acres de terre en 1981. Il a également fait l'acquisition de matériel usagé, soit un tracteur, un pulvérisateur, une tondeuse et une cueilleuse mécanique. Il a remplacé cette dernière après douze ans. M. Martin est demeuré agent de la GRC à temps plein jusqu'en 1987, année où il a pris sa retraite. Les dix-huit derniers mois durant lesquels il exerçait ce poste, il était affecté à Burnaby, en Colombie-Britannique, où il avait un appartement; il faisait la navette entre Burnaby et Okanagan.

[3]            M. Martin a suivi un cours de culture de vergers de six semaines et a indiqué qu'au fil des ans, lui et son épouse avaient assisté à des séminaires locaux. M. Martin n'a présenté aucun plan pour les premières années, ni pour aucune période d'exploitation du verger.

[4]            M. Martin s'est donné beaucoup de mal pour décrire tous les risques et toutes les embûches liés à l'exploitation d'une entreprise agricole, entre autres les prix imprévisibles des fruits, le matériel coûteux, les vaporisations coûteuses et nocives, les mauvais conseils des stations fruitières, les mauvais systèmes de mise en marché, les coûts élevés des méthodes de mise en marché de rechange, la grêle, les coûts de la replantation à titre de solution de rechange qui s'avéraient si élevés qu'ils étaient non viables, les récoltes semestrielles, la destruction des récoltes par les animaux sauvages, le coût du clôturage, la gelée hâtive, etc. Après avoir écouté la liste d'explications possibles de l'échec de l'exploitation d'un verger dressée par M. Martin, il m'a été facile de comprendre pourquoi, en plus de vingt ans, il n'avait jamais réalisé de profit. En effet, il m'a convaincu qu'il était pratiquement impossible de survivre avec quelques acres seulement. Dans les années 1990, le revenu annuel brut de M. Martin provenant du verger était en moyenne de 4 500 $ environ, alors que ses dépenses atteignaient en moyenne 23 000 $ environ. Le revenu, les dépenses et les pertes au cours de 1996, de 1997 et de 1998 étaient les suivants :

Année

Revenu brut

Dépenses

(Perte)

1996

6 622 $

29 956 $

(23 334 $)

1997

3 891 $

25 669 $

(21 778 $)

1998

4 643 $

25 644 $

(21 001 $)

[5]            M. Martin a dû se débrouiller avec ce qu'il a décrit comme du matériel « vétuste, mais encore fonctionnel » . Il a manifestement travaillé fort à la culture de son verger puisqu'il s'occupait de tout lui-même, sauf lorsqu'il ne se sentait pas bien.

[6]            M. Martin possédait environ 4,3 acres, bien que seules 3,3 produisaient des fruits. Il a songé à replanter une acre supplémentaire, mais a opté pour la qualité plutôt que la quantité. Le principe de base semble être la portée du plan d'affaires de M. Martin au cours des deux ou trois dernières années. Il a expliqué fièrement qu'il avait eu la meilleure récolte de poires du pays en 1999 et que, pourtant, il avait essuyé une perte d'environ 10 000 $.

[7]            M. Martin a présenté les prévisions de revenus pour les prochaines années, prévisions qui affichaient une augmentation stable des revenus et une baisse constante des dépenses. Il semble que ces prévisions aient été préparées dans le cadre de la présente cause plutôt que d'un plan d'affaires réel. M. Martin a admis avoir été incapable d'accroître ses emprunts puisque les banques ne sont pas disposées à prêter à des gens de plus de 65 ans. Il n'a fourni aucune copie des données qu'il aurait pu présenter à la banque.

[8]            L'impression générale qu'a donnée M. Martin est celle d'un homme plein d'espoir rêvant de devenir un arboriculteur prospère, mais les caprices de l'industrie ont rendu ce succès économique impossible jusqu'ici. Je ne doute cependant pas que la capacité de travailler la terre est un exploit auquel M. Martin accorde une grande importance. La question est de savoir si sa passion pour l'exploitation générale du verger est une entreprise ou un passe-temps.

[9]            Avant que les parties ne débattent de ce point, le représentant de l'appelant a soulevé une question préliminaire. Il a déclaré que la renonciation signée par M. Martin pour l'année d'imposition 1996 n'était pas valide puisqu'elle ne faisait référence qu'aux revenus et aux dépenses liés à l'exploitation agricole, alors que l'Agence des douanes et du revenu du Canada enquêtait sur des dépenses personnelles non visées par la renonciation. Je n'accepte pas cet argument. Lorsqu'on a avisé l'appelant que les revenus et dépenses liés à l'exploitation agricole étaient en litige, on n'a pas empêché l'intimée de déterminer que certaines dépenses n'étaient pas liées à l'exploitation agricole. Bien que M. Martin ait révoqué sa renonciation, le ministre a quand même augmenté la cotisation au cours de la période de six mois permise par le paragraphe 152(4.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[10]          Pour en revenir à la question principale, qui consiste à déterminer si l'exploitation de M. Martin constitue une entreprise ou un passe-temps, il est utile de répéter la description qu'a faite le juge en chef Dickson des trois catégories d'agriculteur dans l'affaire Moldowan c. Sa Majesté La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 (77 DTC 5213) :

À mon avis, la Loi de l'impôt sur le revenu envisage dans son ensemble trois catégories d'agriculteur :

(1)            le contribuable qui peut raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel. Ce contribuable, dont l'agriculture est le gagne-pain, est exempté de la limite imposée par le par. 13(1) pour les années où il subit des pertes provenant de son exploitation agricole;

(2)            le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain mais pour qui l'exploitation d'une ferme est une entreprise secondaire. Ce contribuable a droit aux déductions prévues au par. 13(1) au titre des pertes provenant d'une exploitation agricole;

(3)            le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain et qui poursuit une activité agricole comme passe-temps. Les pertes de ce contribuable provenant de son exploitation agricole qui ne constitue pas une entreprise, ne sont pas déductibles.

[11]          En effet, ces trois catégories sont l'agriculteur à temps plein, l'agriculteur à temps partiel exploitant une entreprise secondaire et l'agriculteur amateur. Le juge en chef adjoint Bowman s'exprime ainsi dans l'affaire Kaye c. Sa Majesté La Reine, C.C.I., no 97-2772(IT)I, 9 avril 1998, à la page 2 (98 DTC 1659, à la page 1660) :

[...] je préfère formuler ainsi la question : « Y a-t-il une entreprise véritable? » C'est une question plus générale qui, je crois, revêt plus de sens et qui, du moins en ce qui me concerne, mène à une série de questions et de réponses plus concluantes. Il ne fait pas de doute qu'elle englobe la question du caractère raisonnable de l'attente de profit du contribuable, mais elle va aussi plus loin. Comment peut-on dire qu'un entrepreneur faisant le forage de puits d'exploration a une attente raisonnable de profit et qu'il exploite une entreprise quand on connaît le très faible taux de succès de ce genre d'entreprise? Pourtant, personne ne conteste le fait que les compagnies du genre exploitent une entreprise. C'est le caractère commercial de l'entreprise, révélé par sa structure, qui en fait une entreprise. L'intention subjective de faire de l'argent entre certes en ligne de compte, mais ce n'est pas le facteur déterminant, bien que l'absence d'une telle intention puisse nuire à l'assertion qu'une activité est une entreprise.

[12]          Bien que M. Martin soit voué à son verger, je ne considère pas l'exploitation comme une exploitation agricole à but commercial sérieux. M. Martin a reconnu ne pouvoir réaliser de profit dans le cadre d'une relation continue avec les stations fruitières, mais l'autre solution, qui serait d'établir ses propres kiosques de fruits, était selon lui beaucoup trop coûteuse. Comme le représentant de M. Martin l'a indiqué dans sa plaidoirie, M. Martin se trouve dans une impasse. Dans les faits, il est coincé dans une mauvaise affaire. Bien que certains éléments semblent indiquer qu'il s'agit d'une entreprise, par exemple l'acquisition d'une formation minimale, un certain investissement de capitaux et une entente contractuelle avec une station fruitière, une vue d'ensemble de la situation nous permet de constater que ces 3,3 acres représentent un passe-temps plutôt qu'une entreprise pour M. Martin. Il a passé beaucoup de temps sur son verger après sa retraite. Cependant, compte tenu du capital investi, principalement dans du matériel usé, une expectative de revenu n'est pas fondée. Comme l'a déclaré le juge Strayer dans l'affaire Mohl c. M.R.N., [1989] A.C.F. no 307 :

Il semble maintenant établi, à la suite de l'arrêt Moldowan, Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, à la page 487, de la Cour suprême du Canada tel qu'il a été récemment interprété par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Sa Majesté la Reine c. Morrissey, (1988) 89 D.T.C. 5080, que pour qu'une personne puisse prétendre que l'agriculture constitue une principale source de revenu, elle doit démontrer non seulement qu'elle s'y est engagée sérieusement pour ce qui est du temps qu'elle y a consacré et de l'argent qu'elle y a investi, mais également qu'elle pouvait raisonnablement s'attendre à en tirer des bénéfices appréciables. J'emploie l'expression « bénéfices appréciables » parce qu'il ressort de l'arrêt Morrisey qu'on ne peut ignorer l'ampleur des bénéfices anticipés et que cela signifie selon moi que l'on doit tenir compte des montants relatifs que le contribuable compte tirer de l'agriculture et d'autres sources. À moins que le montant que le contribuable s'attend raisonnablement à tirer de l'agriculture soit important par rapport aux autres sources de revenu, l'entreprise agricole sera au mieux considérée comme une « entreprise secondaire » à laquelle la restriction imposée aux pertes s'appliquera, en vertu du paragraphe 31(1).

[13]          M. Martin n'a jamais réalisé de profit, et les prévisions de revenus présentées aux fins du présent procès ne justifient aucune attente de profits appréciables, compte tenu de l'importance du verger. Il s'agit d'une petite exploitation, faisant appel à du matériel usé, au sein d'un marché risqué et incertain. Les prévisions de dépenses réduites et de revenus accrus ne concordent pas avec les faits. Encore une fois, comme le juge en chef adjoint Bowman l'a indiqué dans l'affaire Kaye :

Si vous voulez qu'on vous traite comme un homme d'affaires, agissez en homme d'affaires.

L'absence de plan de la part de M. Martin, ses prévisions irréalistes, ses pertes financières continues et le manque de préparation manifeste pour les risques inhérents à l'arboriculture, conjugués au fait que le verger a une petite superficie, suggèrent une approche peu commerciale face à l'agriculture. M. Martin n'a rien avancé de concret qui prouve qu'un verger de 3,3 acres puisse un jour être exploité de façon rentable. En effet, comme il a été mentionné plus tôt, son témoignage soutenait la conclusion qu'un profit était impossible. M. Martin réalisait son ambition de « retourner à l'agriculture » ; il n'exploitait pas une entreprise et ne peut donc pas déduire de perte d'entreprise.

[14]          Je rejette les appels.

                Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de janvier 2002.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 25e jour de septembre 2002.

                         

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-1179(IT)I

ENTRE :

GERALD MARTIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 14 janvier 2002 à Kelowna (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge Campbell J. Miller

Comparutions

Représentant de l'appelant :                                                Robert Reisig

Avocate de l'intimée :                                                           Me Jasmine Sidhu

JUGEMENT

Les appels interjetés à l'encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 sont rejetés selon les motifs du jugement ci-joints.

                Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de janvier 2002.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 25e jour de septembre 2002.

                         

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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