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Date : 20000630

Dossier : 1999-3992-EI

ENTRE :

AU GRAND BAZAR DE GRANBY INC.

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            La preuve a établi que la compagnie " Au Grand Bazar de Granby Inc. " exploitait une très grande surface pour la vente de vêtements de sports et d'équipements. Il s'agit d'un très grand magasin au point qu'il a été décrit comme pratiquement unique en son genre au Québec.

[2]            Madame Denise Grondin détenait 99 pour-cent des actions votantes et ses fils Pierre et Mario détenaient l'autre 1 pour-cent. Les actions participatives étaient la propriété des frères Grondin.

[3]            Il s'agissait d'une entreprise familiale créée par l'époux de Denise Grondin et père de Mario et Pierre en 1976. L'entreprise a évolué de façon normale au fil des ans. Mario et Pierre Grondin ont commencé à y travailler dès leur très jeune âge et cela, tout au cours de leurs études qu'ils ont écourtées pour y faire carrière.

[4]            À la suite du décès de leur père en 1992, les fils Grondin ont vu leurs responsabilités augmenter considérablement. L'entreprise a alors connu un essor très important s'expliquant en très grande partie par leur détermination et enthousiasme.

[5]            Se décrivant comme co-propriétaires du commerce, Mario et Pierre Grondin ont expliqué que l'entreprise était administrée et gérée dans l'harmonie totale avec leur mère qui participait à toutes les décisions importantes.

[6]            Reconnaissant qu'ils avaient généralement des idées et projets beaucoup plus progressistes et risqués que leur mère plutôt conservatrice, ils ont été généreux et respectueux à l'endroit de leur mère à qui ils vouent manifestement de très nobles sentiments.

[7]            Cette relation privilégiée avec leur mère a fait en sorte que cette dernière a toujours été étroitement associée à toutes les grandes décisions. Sans doute très fière de ses deux fils et leur faisant totalement confiance, la preuve a démontré que madame Grondin, de tempérament plutôt prudente, n'avait jamais pour autant ralenti ou retardé l'ardeur et l'ambition de ses fils pour l'expansion du commerce.

[8]            Dans les faits, je crois que ces derniers ont toujours eu carte blanche pour mettre de l'avant leurs idées, tant au niveau du fonctionnement du magasin qu'au niveau des divers projets d'expansion.

[9]            La prépondérance de la preuve a démontré qu'il s'agissait sans aucun doute d'un véritable modèle d'organisation d'une entreprise familiale impliquant plusieurs membres de la même famille.

[10]          L'âme de cette entreprise familiale était, sans contredit, très principalement l'implication des deux frères Grondin. Ils dirigeaient ensemble cette entreprise avec doigté et respect à l'endroit de leur père et mère qui ont permis que le magasin devienne ce qu'il est devenu.

[11]          La preuve a démontré d'une manière non équivoque leur statut particulier dans l'entreprise malgré le pourcentage très marginal des actions votantes qu'ils détenaient. Il n'y a aucun doute qu'ils avaient et ont toujours le contrôle de facto de cette entreprise.

[12]          La détermination dont il est fait appel, a résulté de l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'où ce Tribunal ne peut intervenir à moins qu'une prépondérance de la preuve permette de conclure, dans un premier temps, qu'il y a eu une ou des erreurs manifestes.

[13]          En l'espèce, la preuve a été déterminante à cet égard. En effet, l'intimé a fait témoigner madame Sévigny, en sa qualité de responsable du dossier. Elle a essentiellement indiqué que le témoignage des frères Grondin avait été une répétition des faits portés à son attention lors de l'étude du dossier.

[14]          Or, la preuve a révélé que les frères Grondin prenaient eux-mêmes les décisions de payer des bonis et cela quant au nombre, à leur période mais aussi et surtout quant à leur importance.

[15]          La preuve a révélé que les frères Grondin avaient chacun reçu plus de 80 000 $ en 1998 et plus de 92 000 $ en 1999 à titre de salaire et de boni.

[16]          La preuve a établi que les frères Grondin fixaient eux-mêmes toutes les conditions et modalités de l'exécution de leur travail.

[17]          La preuve a révélé que madame Grondin, détentrice de 99 pour-cent des actions de la compagnie n'avait jamais été contacté pour compléter l'enquête.

[18]          La preuve a démontré que l'intimé avait en sa possession et a consulté des statistiques sur le salaire payé à des personnes oeuvrant dans le commerce du détail, lesquels sont à l'effet que les salaires payés pour ce genre de travail sont très nettement inférieurs aux revenus que touchaient les frères Grondin.

[19]          Ce sont là des éléments fondamentaux auxquels pourraient en être ajoutés plusieurs autres secondaires. Ces faits sont largement suffisants pour conclure que l'intimé n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judicieuse et irréprochable. En effet, de tels faits commandaient une conclusion tout à fait contraire à celle retenue par l'intimé.

[20]          En effet, comment peut-on conclure de façon raisonnable que des personnes oeuvrant dans le domaine de la vente au détail n'ayant aucun lien de dépendance avec leur employeur fixent et déterminent eux-mêmes leurs propres conditions de travail ?

[21]          Comment peut-on prétendre que des tiers non liés à leur employeur pourrait décider eux-mêmes de leur traitement en fonction des performances de l'entreprise qui les emploie ? Certes, il peut exister des situations où des tiers bénéficient d'avantages, de bonus, de commissions, etc. en fonction des rendements, mais les barèmes sont pré-établis par l'entreprise et jamais par les bénéficiaires de ces primes au rendement.

[22]          Je conclus donc que l'intimé n'a pas adéquatement utilisé son pouvoir discrétionnaire en déterminant que Pierre et Mario Grondin avaient bénéficié d'un contrat de travail semblable à celui qu'aurait pu avoir des personnes n'ayant pas de lien de dépendance.

[23]          La prépondérance de la preuve est à l'effet que Pierre et Mario Grondin ont profité et bénéficié d'avantages et privilèges dont la seule justification était le lien de dépendance. N'eut été de ce lien de dépendance, ils n'auraient pu espérer des conditions de travail aussi avantageuses. Conséquemment, le travail exécuté par les frères Grondin doit être exclu des emplois assurables conformément à la Loi.

[24]          Pour ces motifs l'appel est accueilli.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juin 2000.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        1999-3992(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Au Grand Bazar de Granby Inc. et M.N.R.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      SHERBROOKE (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 13 juin 2000

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                      le 30 juin 2000

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :                        Me Richard Généreux

Avocate de l'intimé :                            Me Diane Lemery

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

                                Nom :                       Me Richard Généreux

                                Étude :                     Généreux Côté

                                Ville :                       Drummondville (Québec)

Pour l'intimé :                                         Morris Rosenberg

                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                Ottawa, Canada

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