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Date: 20011026

Dossiers :2001-762-IT-I

ENTRE :

LINDA BEAULIEU,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel portant sur les années d'imposition 1997 et 1998. L'appel est relatif à l'imposition ou non d'une pension alimentaire et aux conséquences en découlant tant au niveau du crédit pour la taxe sur les produits et services (" T.P.S. ") que sur les prestations fiscales pour enfants pour les mêmes années.

[2]            Les faits pris pour acquis par l'intimée pour établir et maintenir les avis de nouvelles cotisations, les avis de prestations fiscales pour enfants et les avis de nouvelles déterminations ne sont pas contestés. Les faits admis sont les suivants :

a) l'appelante et monsieur Serge Perreault se sont épousés le 4 octobre 1980;

b) l'appelante et monsieur Serge Perreault ont eu de leur union deux enfants :

i) Rémy, né le 18 novembre 1981,

                                ii)                 Stéphanie, née le 4 avril 1986;

c) l'appelante et monsieur Serge Perreault vivent séparés l'un de l'autre depuis le 2 décembre 1993;

d) un jugement de divorce daté du 29 mai 1995 a été prononcé entre l'appelante et monsieur Serge Perreault et a pris effet le trente et unième jour suivant la date dudit jugement;

e) suite au jugement de divorce de la Cour supérieure daté du 29 mai 1995, et prononcé par l'honorable juge Gaétan Pelletier, J.C.A., ce dernier a entériné et rendu exécutoire la convention signée par l'appelante et monsieur Serge Perreault le 3 mai 1995 :

i) l'appelante obtient la garde des deux enfants,

ii) monsieur Serge Perreault est condamné à verser à l'appelante une somme hebdomadaire de 197,89 $, au titre de pension alimentaire pour enfants,

iii) les contributions financières ne seront pas imposables ni déductibles pour les parties;

[3]            La preuve de l'appelante a été constituée de son témoignage, de celui de son ex-époux et du dépôt des pièces (A-1) et (I-1).

[4]            La pièce A-1 résume très bien l'essentiel du témoignage de l'appelante, d'où il y a lieu d'en reproduire le contenu.

...

Votre Honneur,

J'aimerais, avait que nous procédions à cette audition, si vous me le permettez, rappeler certains faits qui pourraient vous aider et également m'aider lors de votre jugement dans cette cause qui est mienne.

Même si on dit que nul ne peut être ignorant de la loi, vous savez très bien votre Honneur, que chaque individu ne peut être au courant de tous les détails concernant tous les points juridiques des lois qui nous gouvernent. C'est pourquoi, lors de l'exercice de monter une convention pour mon divorce d'avec M. Serge Perreault, celui-ci s'est prévalu les services du notaire Me Nadine Rioux.

Étant à cette époque et encore aujourd'hui peu fortunée, parce qu'en chômage, M. Perreault proposa celle-ci pour régler les détails légaux. Dans son choix de Me Rioux, je lui ai fais confiance d'autant plus qu'il se proposait de payer la note de service.

Mon seul but, votre Honneur, lorsque nous avons établi les différentes clauses inscrites dans cette convention, était le bien être présent et futur de nos enfants communs soit Rémy, alors âgé de 13 ans et de Stéphanie qui avait alors 8 ans.

Il faut comprendre votre Honneur, que Monsieur Perreault, travaille pour le CN et que cette société est reconnue comme ayant toujours payé des salaires plus élevés que la normalité. Celui-ci possède donc, un excellent fond de pension et un excellent régime des rentes du Québec. De plus, votre honneur, Monsieur a toujours gardé secret un montant indéterminé dans un fond REER, et qu'il serait bon que je puisse en connaître la teneur.

J'avais donc, votre Honneur, renoncée à l'époque de partager ces montants et cela sans comprendre mes droits légaux et l'implication, et que Me Rioux, n'a jamais fait état de mes pertes de droits de recours à ces montants. De plus, votre Honneur, il avait proposé une généreuse pension alimentaire aux enfants, qu'il s'est aussitôt empressé de ramener à la baisse suite à un autre jugement. Il était également convenu, votre Honneur, que Monsieur, prenait les enfants, grosso modo, pour 1 mois durant l'année et cela en combinant la période estivale et la période des fêtes.

Pendant près de 5 ans, Monsieur Perreault, a respecté la clause de non déduction et ce en suivant la convention. Bien entendu, selon mon entendement, nous étions en règle vis-à-vis de la Loi sur l'impôt et de plus depuis 1995, je faisais préparer mes rapports d'impôt par la firme H & R Block, et ce dans le but de m'assurer de ma conformité aux lois.

De plus, votre Honneur, j'aimerais apporter à votre attention, que cette convention qui fut signée de bonne foi et fut entérinée par l'Honorable Gaétan Pelletier J.C.S.

Si cette convention contenait des points contradictoires à la Loi sur l'impôt, comment ont-ils pu échapper à l'Honorable Juge qui a prononcé le jugement de divorce?

Selon, également, le jugement de l'Honorable Juge de la Cour Supérieure, Gaétan Pelletier, celui-ci ordonnait, entérinait et rendait exécutoire la convention signée entre les deux parties.

Donc :

1) Cette convention contiendrait des clauses contradictoires avec la Loi sur l'impôt.

2) M. Perreault, dans les quatre dernières années, ne s'est pas conformé à sa prise en charge des enfants les fins de semaines 1 fois sur deux, ni durant les vacances comme citée auparavant.

3) M. Perreault, a fait varier son salaire dans le but d'une baisse de pension et qu'ensuite, il aurait fait rajuster celui-ci à la hausse.

4) Cette non prise en charge des enfants, m'a occasionnée un préjudice monétaire important, un préjudice moral et physique important, car j'avais la garde des enfants à plein temps sans possibilité de repos aucune.

5) Ma renonciation aux partages du patrimoine, (4 ans de vie commune et 15 ans de vie commune après mariage), de sa pension du CN, de son RRQ et de son fond REER, était conditionnel à l'application intégrale des clauses de la convention.

En conclusion, votre Honneur, je crois avoir été bernée, manipulée et de plus mis dans l'ignorance de mes droits par M. Perreault et Me Rioux.

...

[5]            Quant à la pièce I-1, il s'agit du jugement de divorce, lequel a été prononcé par l'honorable juge Gaétan Pelletier, le 29 mai 1995. Le jugement entérinait la convention intervenue entre les parties, laquelle prévoyait à la rubrique intitulée " contributions financières ", spécifiquement ce qui suit :

1. - Le défendeur versera à la défenderesse pour les enfants, Rémy et Stéphanie PERREAULT une pension alimentaire de CENT QUATRE-VINGT-DIX-SEPT DOLLARS et QUATRE VINGT-NEUF CENTS (197,89 $) par semaine à tous les vendredi de chaque semaine, de plus les autres frais supplémentaires (équipements, sports, bicyclette etc.) seront partagés comme suit : 70% payable par le père et 30% payable par la mère.

2. - Cette pension alimentaire sera indexée à chaque année à la date d'anniversaire de la signature de cette convention, de la façon prévue à l'article 590 du Code Civil du Québec et ce à compter de l'an prochain à la date de la signature des présentes.

3. - Cette pension sera réajustée lorsque l'un des enfants atteindra l'âge de vingt-cinq (25) ans accompli ou que cet enfant aura terminé ses études et ne résidera plus avec sa mère et sera en mesure de subvenir à ses propres besoins.

4. - Advenant le décès de l'un des enfants avant l'âge de vingt-cinq (25) ans, la pension alimentaire devra être réajustée. Par contre advenant que l'un des enfants devienne invalide pour ne pas être en mesure de subvenir à ses besoins avant l'âge de vingt-cinq (25) ans, la pension alimentaire qui est versée pour son bénéfice devra continuer de lui être versée tant et aussi longtemps que durera son invalidité.

5. - Ces contributions financières ne seront pas imposables ni déductibles pour les parties.

[6]            Du divorce, l'ex-conjoint de l'appelante a respecté l'esprit et la lettre de la convention entérinée en ne déduisant pas de ses revenus annuels le montant versé à l'appelante, à titre de pension alimentaire.

[7]            Suite à des changements majeurs dans sa capacité de payer, il a initié des procédures pour obtenir une diminution de pension alimentaire. Lors de ces procédures, ses nouveaux procureurs lui ont indiqué que le montant qu'il payait à son ex-épouse, à titre de pension alimentaire, depuis le jugement du divorce, était pleinement déductible de ses revenus et ce, malgré la clarté et l'engagement stipulé à la convention en date du 3 mai 1995.

[8]            L'ex-conjoint de l'appelante a donc réclamé et obtenu de l'intimée, les remboursements auxquels il avait droit, le tout ayant évidemment pour effet que l'appelante fut, par la suite, cotisée pour les revenus additionnels non déclarés et du même coup, pénalisée pour le crédit sur la T.P.S. ainsi que sur le montant de prestations fiscales pour enfants auxquelles elle avait droit.

[9]            Bien que je n'aie ni l'autorité, ni la compétence pour me prononcer sur la qualité et les effets de la convention civile intervenue entre les parties, je suis d'avis que la convention liait les parties. L'appelante a expliqué qu'il s'agissait d'une convention ayant pour but et effet de régler l'ensemble des conséquences financières et matérielles découlant de leur divorce. Elle a aussi insisté sur le fait qu'il s'agissait-là d'une considération fondamentale, faute de quoi, elle n'aurait pas donné son assentiment.

[10]          Il s'agit là d'une question fort importante, voire même fondamentale pour l'appelante; néanmoins ce Tribunal n'a aucune compétence pour s'ingérer dans ce litige de nature essentiellement civile. En effet, je dois disposer du présent appel essentiellement à partir des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi "), applicable lors des années en litige; à cet égard, il ne fait aucun doute que les montants que l'appelante a reçus constituaient bel et bien au sens de la Loi, des montants imposables, le tout conformément aux alinéas 56(1)b) et 56(1)c) de la Loi.

[11]          La Loi et la jurisprudence sur les articles pertinents sont à l'effet que même si une convention est très claire et ne prête à aucune confusion, les paiements que recevait l'appelante devaient être ajoutés à ses revenus, avec toutes les incidences au niveau du crédit de la T.P.S. et sur les prestations fiscales pour enfants.

[12]                 L'obligation de s'imposer sur une pension alimentaire est établie par la Loi de l'impôt; il est impossible de s'y soustraire, même si un juge de la Cour supérieure le décide ainsi, des suites de l'entérinement d'une convention dûment signée par les parties.

[13]          Ainsi, ce qui est le cas en l'espèce, même si la convention édictait que le montant payable à titre de pension alimentaire ne serait pas déductible pour le débiteur et non imposable pour la créancière, la jurisprudence a édicté qu'un tel jugement était sans effet face aux dispositions de la Loi puisque les critères de déductibilité et d'imposition sont établis par les lois fiscales et non par les tribunaux ou par convention. Ainsi une convention peut avoir plein effet au niveau des parties signataires, mais sans effet quant à l'application des dispositions fiscales qui doivent être en tout temps respectées.

[14]          À cet égard, il y a lieu de reproduire le paragraphe [13] d'un jugement rendu par l'honorable juge Mogan dans l'affaire Bates c. Canada, [1998] A.C.I. no 660(Q.L.).

Le M.R.N. peut-il être lié par l'ordonnance du protonotaire principal? À mon avis, il ne le peut pas. Dans l'affaire Sigglekow v. The Queen, 85 DTC 5471, un jugement conditionnel exigeait d'un époux qu'il paie à son épouse la somme de 20 $ toutes les semaines, "non imposable". L'épouse n'avait pas inclus ces paiements de 20 $ dans le calcul de son revenu. Se prononçant contre la contribuable (l'épouse) dans l'appel en matière d'impôt sur le revenu, le juge en chef adjoint Jerome a dit à la page 5473 :

Tant le jugement de première instance que l'arrêt de la Cour d'appel dans l'affaire Sills ont décidé que l'assujettissement à l'impôt ne découle pas d'un accord de séparation ou d'une ordonnance de la Cour. L'article 56 prévoit que toute somme reçue doit être incluse dans le revenu. [...]

[...]

[...] En l'espèce, la question est encore plus claire parce que M. Sigglekow a effectué les paiements précisément en exécution d'une ordonnance de la Cour, exception faite, bien entendu, des sommes pouvant se rapporter à l'expression "non imposable", ayant naturellement choisi de ne pas en tenir compte. Compte tenu du raisonnement de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Sills, il ne fait pas de doute que ces sommes réellement reçues par la défenderesse sont précisément visées par l'article 56, et celle-ci aurait dû les inclure dans son revenu pour les années d'imposition 1975, 1976 et 1977. La nouvelle cotisation du Ministre reposait sur ce fondement et était, à mon avis, entièrement justifiée.

À mon avis, le juge en chef adjoint Jerome a correctement résumé l'état du droit en disant que l'assujettissement à l'impôt ne découle pas d'un accord de séparation ou d'une ordonnance d'un tribunal. L'assujettissement à l'impôt est établi par les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, et plus particulièrement par l'article 56

L'honorable juge Mogan poursuit au paragraphe 16 :

La cour supérieure d'une province a compétence pour ordonner que des paiements de pension alimentaire pour un conjoint ou des enfants soient faits à la rupture d'un mariage. Cette compétence n'inclut pas le pouvoir de déterminer le caractère imposable ou non de ces paiements aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu. Une fois que la cour supérieure d'une province a ordonné que des paiements de pension alimentaire s'effectuent à la rupture d'un mariage, le caractère imposable ou non de ces paiements sera déterminé en fonction des conditions énoncées aux alinéas 56(1)b) et 56(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu...

[15]          Depuis le 1er mai 1997, toutes les ententes relatives aux questions alimentaires sont assujetties à de nouvelles règles fiscales ainsi qu'à de nouvelles règles de fixation de pension alimentaire pour enfants, lesquelles sont déterminées par la Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances des ententes familiales, la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et la Loi sur la marine marchande du Canada.

[16]          Pour toutes ces raisons, l'appel doit être rejeté.

Signé à Ottawa, Canada ce 26e jour d'octobre 2001.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                 2001-762(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                Linda Beaulieu et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Matane (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 25 septembre 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                 l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                         le 26 octobre 2001

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :                         L'appelante elle-même

Avocat de l'intimée :                 Me Dany Leduc

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Pour l'intimée :                                Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

2001-762(IT)I

ENTRE :

LINDA BEAULIEU,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 25 septembre 2001, à Matane (Québec), par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Pour l'appelante :                               L'appelante elle-même

Avocat de l'intimée :                          Me Dany Leduc

JUGEMENT

          L'appel de la détermination des prestations fiscales pour enfants établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années de base 1997 et 1998 est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour d'octobre 2001.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

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