Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20010417

Dossier: 2000-3509-EI,

2000-4053-CPP

ENTRE :

ACADEMY OF ARTISANS,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifsdu jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            Les présents appels sont interjetés en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada à l'encontre des décisions selon lesquelles Cheryl Hailstone exerçait un emploi ouvrant droit à pension et assurable du 1er septembre 1998 au 26 juin 1999.

[2]            L'affaire est unique, et je peux formuler ma conclusion dès le début. La voici : je n'ai jamais rien vu qui ressemble moins à une relation employeur-employé que la relation qui existait entre Mme Hailstone et l'appelante, que j'appellerai l'Academy.

[3]            L'Academy est un organisme quelque peu inhabituel. Elle a été créée par Dahlia Organ, dont l'époux est indépendant de fortune, et elle est la propriété de Mme Organ et de M. Don Colvin. La preuve n'indique pas clairement si elle est un organisme sans but lucratif, mais elle n'est pas exploitée avec un souci de rentabilité. M. Colvin a décrit sa création et son exploitation comme un travail fait par plaisir. Je suis d'accord avec lui. L'objectif principal de l'Academy semble être de tenir un établissement où des gens - enfants, adolescents ou adultes - peuvent étudier des sujets comme la peinture, la poterie, la photographie, le tricot, la production de vitrail et une variété d'autres activités artisanales. La question de savoir si un cours d'artisanat en particulier sera offert dépend de celle de savoir si un professeur est disponible. Les professeurs s'absentent parfois pendant des mois lorsqu'ils sont occupés ailleurs. Lorsqu'ils sont à nouveau libres, on forme une classe s'il y a suffisamment d'élèves intéressés.

[4]            Les élèves s'engageront à suivre un nombre précis de cours. Habituellement, une matière ou un artisanat particulier sera prévu, mais les élèves peuvent passer à une autre matière. Si un élève manque une classe, il obtiendra un crédit et pourra se présenter à un autre moment. Les élèves apportent leur propre matériel.

[5]            La relation avec les professeurs est aussi peu structurée que celle avec les élèves. Les professeurs ne sont pas supervisés. Ils déterminent le contenu de leurs cours. Ils sont libres de modifier l'heure de leurs cours en en discutant avec les élèves et sans consulter l'Academy, bien qu'ils doivent s'assurer de la disponibilité d'un studio. Ils sont libres de donner des cours privés à des élèves qui sont aussi inscrits à l'Academy, ce qu'ils peuvent faire chez eux ou à l'Academy, auquel cas ils paieront pour la location du studio. Les ententes financières sont également variées et informelles. Dans un cas, il s'agit de l'Academy et du professeur qui partagent le prix d'un billet d'avion de la Colombie-Britannique. Dans un autre, il s'agit de fournir un studio.

[6]            La même attitude de laissez-faire ressort clairement dans le cas de Mme Hailstone. Elle est libre de changer l'heure de ses cours et serait libre de les donner chez elle. Elle reçoit 35 $ l'heure si elle a quatre élèves et proportionnellement moins s'il y a moins d'élèves. Si personne ne se présente, elle n'est pas payée. Elle décide du contenu de ses cours. Elle n'est soumise à aucun contrôle ni à aucune supervision de la part de l'Academy.

[7]            Mme Hailstone est une artiste. Elle enseigne pour le conseil scolaire du district de Toronto où, contrairement à l'entente avec l'Academy, elle est soumise aux même règles que les professeurs du système d'écoles publiques.

[8]            À l'Academy, elle fournit son propre matériel, comme le papier et les pinceaux. Elle croyait qu'elle pouvait être remboursée par l'Academy pour le matériel utilisé dans les cours, même si cela ne s'est jamais produit selon son souvenir.

[9]            Mme Hailstone est également une portraitiste qui peint sur commande. Elle expose parfois ses oeuvres à l'Academy.

[10]          Les hypothèses invoquées par l'intimé sont les suivantes :

                [TRADUCTION]

a)              l'appelante dirige une école d'art;

b)             la travailleuse est une professeure des beaux-arts agréée;

c)              la travailleuse a été embauchée par l'appelante afin de donner des cours d'art à temps partiel aux élèves de l'appelante;

d)                    la travailleuse était payée à l'heure par l'appelante;

e)              les services étaient fournis par la travailleuse dans les locaux de l'appelante;

f)              l'appelante fournissait les installations, l'ameublement et le matériel requis par la travailleuse pour dispenser les services;

g)             la travailleuse était rémunérée à l'heure par l'appelante;

h)             l'appelante remboursait la travailleuse pour les fournitures que celle-ci apportait pour dispenser les services;

i)               la travailleuse était tenue de suivre l'horaire de l'appelante;

j)               la travailleuse était tenue de se conformer aux politiques et aux procédures de l'appelante;

k)              la travailleuse dispensait les services personnellement à l'appelante.

[11]          Certaines des hypothèses sont manifestement erronées.

f)                     est discutable, au mieux. Les élèves apportaient leur propre matériel, et Mme Hailstone fournissait le sien;

h)             est erronée. Rien n'a jamais été remboursé à la travailleuse, même si elle pensait que c'était possible si elle le demandait. Que ce fait soit vrai ou non, il ne permet pas de trancher la question en litige. C'est une chose d'affirmer qu'un entrepreneur indépendant fournit ses propres outils, comme un marteau et une scie. C'est très différent d'affirmer que si le client paie pour du matériel employé dans le cadre de l'exercice de fonctions prévues par contrat, cela transforme l'entrepreneur en employé;

i) et j) ont été catégoriquement niées par Mme Hailstone et M. Colvin. Mme Hailstone n'était certainement pas tenue de suivre l'horaire de l'appelante, et il n'y avait ni politiques ni procédures.

[12]          Le critère composé de quatre parties intégrantes énoncé dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025) (C.A.F.) nous est familier à tous. Dans cette affaire, la propriété des instruments de travail, le contrôle, la possibilité de profit et le risque de perte ainsi que l'intégration sont les quatre éléments qui doivent former un critère unique. De toute évidence, aucun des éléments ne peut prédominer. Chacun doit se voir accorder son poids approprié dans le contexte d'une affaire particulière.

[13]          Il existe un risque, dans les affaires comme celle en l'espèce, de s'attarder à effectuer un examen excessivement minutieux des quatre éléments et d'oublier que l'objet de l'enquête est de déterminer la véritable nature de la relation dans son ensemble.

[14]          Il ne fait aucun doute qu'à l'examen de l'affaire il soit possible de trouver, dans la relation entre Mme Hailstone et l'Academy, la trace de facteurs pouvant exister dans une situation d'emploi ordinaire. Par exemple, elle enseigne dans le studio de l'Academy. Elle est payée à l'heure. La relation pourrait probablement prendre fin si la travailleuse se comportait de manière inopportune, par exemple, si elle frappait des élèves ou se présentait ivre en classe. Ses services sont importants dans le cadre des activités de l'Academy. Ainsi, il est possible de dire qu'il existe des traces des quatre éléments du critère énoncé dans l'affaire Wiebe.

[15]          Toutefois, cela reviendrait à s'accrocher à des chimères, et de tels arguments ne tiennent pas debout. Même si l'on examinait chacun des éléments individuellement (ce que l'on n'est pas censé faire, je le sais), de façon réaliste, les critères ne sont pas respectés. Il n'y a pas du tout de contrôle. Mme Hailstone fournit son propre matériel, dans l'état où il est. Sa rémunération dépend du nombre d'élèves qui se présentent. Si personne ne se présente ou si sa façon d'enseigner est si mauvaise que personne ne s'inscrit, elle ne gagne rien. Sa position est au mieux précaire. Cela pourrait être mis en contraste avec la situation habituelle d'enseignement dans une école secondaire ou une université, où la rémunération ne dépend pas du nombre d'élèves et où, peu importe si un professeur est incompétent, son salaire continue d'être versé et, en pratique, il ne peut pas être congédié. Pour ce qui est du critère de l'intégration, je ne vois pas quelle direction il indique. Bien entendu, l'école ne pourrait pas fonctionner sans professeur, mais cela serait également vrai, que les professeurs soient engagés tant aux termes d'un contrat de travail que d'un contrat d'entreprise. Le critère d'intégration est, dans la plupart des cas, au mieux non concluant et difficile à appliquer et, au plus, peu utile.

[16]          Outre la tentative plutôt peu édifiante de faire l'analyse détaillée du critère composé de quatre parties intégrantes, si on recule de quelque pas et qu'on regarde la forêt plutôt que les arbres, quelle image obtient-on? Certainement pas une école conventionnelle où les gens sont embauchés pour enseigner un programme déterminé à l'avance de 9 h à 16 h. Au contraire, l'Academy est une organisation ou un établissement à l'intérieur duquel des esprits artistiques libres peuvent en fait poursuivre leurs projets artistiques et en même temps augmenter modestement leur revenu tout en attendant qu'une autre occasion se présente. Les personnes comme Mme Hailstone sont clairement des travailleurs indépendants. Le fait de tenter de qualifier sa relation avec l'Academy comme une relation employeur-employé n'est pas réaliste.

[17]          Les appels sont accueillis et les décisions selon lesquelles Mme Hailstone exerçait un emploi assurable et ouvrant droit à pension pour l'appelante sont annulées.

Signé à Vancouver, Canada, ce 17e jour d'avril 2001.

" D. G. H. Bowman "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 30e jour d'octobre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3509(EI)

2000-4053(CPP)

ENTRE :

ACADEMY OF ARTISANS,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appels entendus le 3 avril 2001 à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Représentant de l'appelante :                Don Colvin

Avocate de l'intimé :                            Me Jocelyn Espejo Clarke

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels soient accueillis et que les décisions du ministre du Revenu national rendues en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada selon lesquelles Mme Hailstone exerçait un emploi assurable et ouvrant droit à pension pour l'appelante du 1er septembre 1998 au 26 juin 1999 soient annulées.

Signé à Vancouver, Canada, ce 17e jour d'avril 2001.

" D. G. H. Bowman "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour d'octobre 2001.

Martine Brunet, réviseure


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.