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Date: 20010319

Dossier : 2000-2873-IT-I

ENTRE :

JOHANNE MAURICE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel portant sur l'année d'imposition 1998. La question en litige consiste à déterminer si la somme de 31 668 $, versée par la Société de l'assurance automobile du Québec ( « SAAQ » ) pour aide personnelle à domicile, et reçue par l'appelante en sa qualité de personne rendant ces services d'aide, doit être incluse pour l'année d'imposition 1998, dans le calcul du revenu imposable de l'appelante à titre de travailleur indépendant.

[2]            Pour établir l'avis de cotisation, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a notamment pris pour acquis les faits suivants :

a)              au mois de février 1982, l'appelante donna naissance à une fille (Annie);

b)             le 1er janvier 1983, Annie fut victime d'un accident routier ce qui laissa l'enfant lourdement handicapée pour la vie;

c)              compte tenu des séquelles permanentes subies par Annie, cette dernière a droit à un remboursement des frais de l'aide personnelle à domicile en vertu de l'article 79 de la Loi sur l'assurance automobile du Québec;

d)             la Société peut, dans les cas prescrits par règlement, remplacer le remboursement de frais par une allocation hebdomadaire équivalente. Le règlement 4.3 du Chapitre 1 de la Loi sur l'assurance automobile du Québec se lit ainsi : « Sauf dans le cas où la Société assume les frais d'hébergement d'une victime dans un établissement, le montant du remboursement des frais de l'aide personnelle à domicile peut être remplacé par une allocation hebdomadaire équivalente, à la condition que la victime fournisse à la Société les pièces permettant d'identifier la personne qui rendra les services d'aide personnelle à domicile et attestant les frais pour ces services » . L'appelante reçoit maintenant cette allocation hebdomadaire équivalente au remboursement des frais de l'aide personnelle à domicile;

e)              Annie étant handicapée mentalement et physiquement ne peut pas gérer les revenus provenant de la SAAQ;

f)              L'article 83.27 de la Loi sur l'assurance automobile du Québec permet que les indemnités obtenues en vertu de l'article 79 de cette même loi soient versées à un tuteur ou à un curateur lorsque la victime n'est pas en mesure de gérer les sommes elle-même alors que l'article 83.24 permet que ces mêmes indemnités soient versées directement à l'aide à domicile à la demande de la victime;

g)             En conséquence, la SAAQ émet les chèques libellés au nom de l'appelante qui est d'une part, la tutrice légale de sa fille Annie et d'autre part la personne qui rend les services d'aide personnelle à domicile;

h)             La SAAQ verse à l'appelante, en sa qualité de tutrice, la somme de 440 $ par 14 jours comme indemnité fixe. Cette somme ne peut être dépensée et doit obligatoirement être mise de côté pour l'enfant jusqu'à sa majorité;

i)               De plus, l'appelante, en sa qualité de personne rendant les services d'aide à Annie, reçoit la somme de 614 $ par semaine en allocation pour aide personnelle à domicile. Ce montant est établi selon un relevé annuel envoyé à la SAAQ par l'appelante et dans lequel elle spécifie en détail les services que sa fille requiert à cause de son handicap;

j)               Les sommes versées sous forme de remboursement ou d'allocation visent à payer des dépenses d'aide à domicile encourues pour des personnes qui, suite à un accident sont dans un état physique ou psychique qui requiert de l'aide à domicile pour l'accomplissement des activités essentielles de leur vie quotidienne;

k)              Cette aide personnelle ne sert pas à rembourser les coûts de biens achetés pour l'usage de la victime ou pour des transformations effectuées pour l'adaptation du domicile (coûts faisant l'objet de remboursements additionnels) mais est une compensation pour services rendus;

l)               Les sommes reçues de la SAAQ doivent être distribuées à des tiers en contrepartie de l'aide qu'ils fournissent et ces derniers doivent s'imposer sur ces revenus à titre de rémunération pour les services rendus soit à titre de revenu d'emploi ou de revenu d'entreprise et cette règle s'applique également dans un cas où c'est un parent qui fournit les services d'aide;

m)             Les montants reçus de la SAAQ par l'appelante ont aussi servi pour défrayer des dépenses payées pour des services rendus par des tiers (camps, garderies, gardiennes, etc.);

n)             Ces sommes payées à des tiers et supportées par des pièces justificatives furent acceptées par le Ministre comme dépenses déductibles du revenu d'entreprise de l'appelante.

[3]            L'appelante a-t-elle rendu, à domicile, des services d'aide et de soutien à son enfant en tant que travailleuse indépendante au point que les montants reçus, en vertu de l'article 79 de la Loi sur l'assurance automobile, doivent être inclus à son revenu à titre de revenu d'entreprise ? L'intimée soutient que cette allocation annuelle de plus de 30 000 $ aurait pu être allouée ou attribuée à des tiers en contrepartie des soins, de l'aide et du soutien fournis à Annie. Le Ministre soutient dans cette hypothèse que les paiements auraient constitué des revenus soit à titre de revenus d'emploi, soit à titre de revenus d'entreprise. S'appuyant sur cette prémisse, il conclut que le raisonnement s'applique également si le père ou la mère décide d'assumer la responsabilité de tous les soins requis par son enfant handicapé.

[4]            L'appelante a reçu une allocation annuelle de 31 668 $ pour l'année d'imposition 1998, pour les soins et entretien de sa fille Annie; elle a choisi de s'occuper elle-même de sa fille. Le Ministre a déterminé qu'il s'agissait là d'un revenu imposable. Dans les faits, l'appelante a fait certains déboursés à même l'indemnité, d'où le Ministre l'a qualifiée pour les fins du dossier de travailleuse autonome; ceci a eu pour effet de permettre à cette dernière de soustraire un montant de 17 817,92 $, laissant un solde imposable de 13 850,08 $. Les dépenses qui furent admises se détaillent comme suit : (pièce A-1, onglet 7)

                ...

                Gardienne (19 samedis x 12 heures x 3 $)                                                                           684,00 $

                Repas de la gardienne                                                                                                                          190,00

                Transport de la gardienne (19 x 12 km x 3 $)                                                     54,72

                Maison Caméléon de l'Estrie Inc. (21 semaines)                                                              2 258,00

                Transport pour la Maison Caméléon (42 x 86 km x 0,24 $)                              866,68

                Vacances (2 semaines)                                                                                                         745,00

                Transport (400 km x 0,24 $)                                                                                                  96,00

                Repas                                                                                                                                                      40,00

                Gardienne (24 heures x 52 semaines)                                                                                 3 744,00

                Transport de la gardienne (12 km x 52 sem. x 0,24 $)                                       149,76

                Repas de la gardienne                                                                                                         520,00

                Gardienne (260 jours x 25 $)                                                                                                                 6 500,00

                Transport de la gardienne                                                                                                   149,76

                Repas de la gardienne (7 $ x 260 jours)                                                                              1 820,00

                Total des dépenses déductibles de l'allocation imposable                            17 817,92 $

[5]            Le Ministre a donc déterminé que le reliquat de 13 850 $ constituait un revenu imposable entre les mains de l'appelante qui a choisi de se consacrer et de s'investir complètement pour s'occuper de son enfant handicapé.

[6]            L'appelante a témoigné à l'effet que l'état physique et intellectuel de son enfant, âgée de 18 ans depuis février 2000, avait les réactions d'un enfant de cinq ans, nécessitant une attention et surveillance de 24 heures par jour, sept jours/semaine.

[7]            Elle a décrit toutes les exigences de son choix de voir à la garde et à l'entretien de son enfant. Refusant de la confier à des tiers, elle a expliqué qu'elle aimait sa fille et voulait s'y consacrer totalement et cela au détriment de sa propre vie, eu égard aux nombreuses contraintes et obligations. Elle a aussi indiqué placer l'intérêt et le mieux-être de sa fille au-dessus de tout, y compris sa vie de couple et la sienne.

[8]            L'appelante a aussi fait témoigner deux autres mères ayant les mêmes préoccupations avec leur enfant aussi lourdement handicapé, nécessitant des soins importants 24 heures par jour, sept jours/semaine.

[9]            Dans les deux cas, les dames recevaient la même indemnité que l'appelante et toutes deux ont reçu un écrit de Revenu Canada à l'effet que les sommes versées pour les soins et entretien de leur enfant n'étaient pas imposables. Il y a lieu de reproduire le contenu de ces deux lettres :

(Pièce A-8)

                                                                                                Le 12 avril 1996

Mme Jacqueline Shea                                                           Numéro de compte

478 MC Manamy                                                   261 130 371

                SHERBROOKE QC J1H 2M5

                Madame,

                Objet : Prestations reçues de la S.A.A.Q.

                Suite à votre lettre du 3 avril 1996, nous vous confirmons que les prestations reçues de la S.A.A.Q. pour prendre soin de votre enfant ne sont pas imposables en vertu de l'alinéa 81(1)g.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

                De plus ces montants ne sont pas considérés dans le calcul du revenu net aux fins du crédit pour la T.P.S. et de la prestation fiscale pour enfant. Aucun feuillet n'est émis pour ce genre de paiement.

                Enfin le revenu d'intérêt provenant des prestations de la S.A.A.Q. n'est imposable qu'à partir du moment où le bénéficiaire atteint l'âge de 21 ans et ce, en vertu de l'alinéa 81(1)g.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Vous trouverez ci-joint une copie du Bulletin d'Interprétation 365R2 pour plus de détails.

                Nous espérons que ces renseignements seront satisfaisants.

               

(Pièce A-9)

                                                                                                Le 12 avril 1996

Mme Huguette Joly                                                              Numéro de compte

105-944 RUE THIBAULT                                     234 295 681

                ASCOT QC J1H 5Z4

                Madame,

                Objet : Prestations reçues de la S.A.A.Q.

                Suite à votre lettre du 3 avril 1996, ainsi qu'à notre conversation téléphonique du 9 avril dernier, nous vous confirmons que les prestations reçues de la S.A.A.Q. pour prendre soin de votre fils ne sont pas imposables en vertu de l'alinéa 81(1)g.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

                De plus ces montants ne sont pas considérés dans le calcul du revenu net aux fins du crédit pour la T.P.S. et de la prestation fiscale pour enfant. Aucun feuillet n'est émis pour ce genre de paiement.

                Enfin le revenu d'intérêt provenant des prestations de la S.A.A.Q. n'est imposable qu'à partir du moment où le bénéficiaire atteint l'âge de 21 ans et ce, en vertu de l'alinéa 81(1)g.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Vous trouverez ci-joint une copie du Bulletin d'Interprétation 365R2 pour plus de détails.

                Nous espérons que ces renseignements seront satisfaisants.

               

                ...

[10]          Il n'y a aucun doute que si un tiers avait reçu l'indemnité de la SAAQ, il se serait agi d'un montant imposable au même titre que tout revenu.

[11]          Le fait que l'indemnité ait été payée à la mère qui a choisi de s'occuper elle-même de son enfant affecté d'une très grave incapacité peut-il transformer l'indemnité en revenu imposable ?

[12]          Pour justifier la cotisation, l'intimée a décrit l'appelante, pour les fins de son emploi du temps quant aux soins et à la garde de son enfant, comme une travailleuse autonome ou même, ce qui a scandalisé, avec raison, le procureur de l'appelante, comme une entrepreneur.

[13]          Le procureur de l'appelante a aussi plaidé qu'elle n'avait jamais choisi la situation qui lui avait été imposée par un dramatique accident de la route; il a indiqué qu'elle avait des obligations légales face à son enfant, lesquelles étaient prévues par les articles du Code civil du Québec.

[14]          Son procureur a, par contre, fait un parallèle entre l'appelante et l'entrepreneur pour démontrer qu'il était tout à fait inacceptable de considérer l'appelante comme une travailleuse autonome et comme entrepreneur. Pour illustrer cette réalité, il a soutenu que l'appelante n'avait aucune expectative de profit, qu'elle n'avait aucun risque de perte et aucune chance de profit dans l'exercice du temps consacré à son enfant.

[15]          Finalement, il a soutenu qu'il ne s'agissait aucunement d'un revenu au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) en ce qu'il ne s'agissait pas d'un revenu d'emploi, ni d'un revenu d'entreprise et encore moins d'un revenu d'un bien.

[16]          De son côté, l'intimée a reconnu la particularité humanitaire du dossier requérant une profonde compassion. Au-delà de l'approche humanitaire, l'intimée a soutenu que l'appelante avait librement choisi de s'occuper de son enfant et que cette décision avait pour conséquence de faire d'elle une travailleuse autonome pour les fins de l'entretien et des soins requis par la garde de son enfant.

Dispositions législatives pertinentes

[17]          L'article 79 de la Loi sur l'assurance automobile prévoit ce qui suit :

79.            A droit à un remboursement des frais qu'elle engage pour une aide personnelle à domicile, la victime qui, en raison de l'accident, est dans un état physique ou psychique qui nécessite la présence continuelle d'une personne auprès d'elle ou qui la rend incapable de prendre soin d'elle-même ou d'effectuer sans aide les activités essentielles de la vie quotidienne.

               

                Ce remboursement est effectué sur présentation de pièces justificatives et selon les normes, conditions et maximums prescrits par règlement. Il ne peut toutefois excéder 555 $ par semaine.

                La Société peut, dans les cas prescrits par règlement, remplacer le remboursement de frais par une allocation hebdomadaire équivalente.

[18]          Les articles 83.24 et 83.27 prévoient dans quels cas le paiement de l'indemnité de l'article 79 peut être fait directement à un tiers :

83.24        Les frais visés aux articles 79, 83, 83.1, 83.2, 83.7 ainsi que le coût de l'expertise visée à l'article 83.31 peuvent être payés, à la demande de la victime, directement au fournisseur.

83.27        Lorsqu'une personne ayant droit à une indemnité est incapable, la Société doit verser cette indemnité à son tuteur ou à son curateur, selon le cas, ou, à défaut, à une personne que la Société désigne; celle-ci a les pouvoirs et les devoirs d'un tuteur ou d'un curateur, selon le cas.

[19]          Par ailleurs, l'alinéa 81(1)q) de la Loi prévoit ce qui suit :

81(1)        Sommes à exclure du revenu — Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

...

q)             Indemnités provinciales — une somme versée à un particulier à titre d'indemnité en vertu d'une disposition, précisée par règlement, de la législation provinciale.

[20]          Cette disposition renvoie à l'article 6501 du Règlement de l'impôt sur le revenu :

6501.       Aux fins de l'alinéa 81(1)q) de la Loi, « disposition prescrite de la loi d'une province » désigne

...

j)               pour ce qui est de la province de Québec

(i)             les articles 5, 5b et 14 de la Loi de l'indemnisation des victimes d'actes criminels, S.Q. 1971, ch. 18, et

(ii)            les articles 13 et 26, le paragraphe 37(1) et les articles 44 et 54 de la Loi sur l'assurance-automobile, S.Q. 1977, ch. 68;

[21]          Il s'agit de déterminer dans quelle mesure les sommes versées à l'appelante en vertu de l'article 79 de la Loi sur l'assurance automobile doivent être incluses à son revenu pour l'année d'imposition 1998. L'alinéa 3a) de la Loi prévoit les sommes à inclure au revenu d'un contribuable dans les termes suivants :

3.              Revenu pour l'année d'imposition — Pour déterminer le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, pour l'application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer :

a)             le calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l'année (autre qu'un gain en capital imposable résultant de la disposition d'un bien) dont la source se situe au Canada ou à l'étranger, y compris, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien; [italiques ajoutés]

[22]          L'article 56 de la Loi prévoit également des sommes qui, bien que ne faisant pas partie de celles expressément visées à l'alinéa 3a), doivent néanmoins être prises en compte aux fins de déterminer le revenu d'un contribuable. Il s'agit, par exemple, des sommes reçues à titre de prestation d'assurance-emploi (alinéa 56(1)a)) ou encore à titre de bourse d'études ou de perfectionnement (alinéa 56(1)n)).

[23]          Les sommes versées au bénéfice d'une victime de la route en vertu de l'article 79 de la Loi sur l'assurance automobile le sont en tant que compensation pour un préjudice corporel. À ce titre, bien qu'elles ne soient pas visées par l'exemption de l'alinéa 81(1)q) de la Loi, elles ne sont pas à inclure au revenu de la personne en bénéficiant, aucune disposition, que ce soit l'alinéa 3a) ou l'article 56, ne prévoyant spécifiquement leur inclusion. Au surplus, les revenus produits à même ces sommes avant que la personne bénéficiaire ait atteint l'âge de 21 ans sont également exempts d'impôt, selon les prescriptions des alinéas 81(1)g) et g.1).

[24]          La question qui se pose en l'espèce est celle de déterminer si, bien que non imposables pour le bénéficiaire de la SAAQ, ces sommes doivent être incluses au revenu du parent ou du tuteur qui les reçoit en compensation des soins prodigués de façon quotidienne. Selon l'argument du Ministre, c'est à titre de revenu d'entreprise que l'appelante a reçu les montants versés en vertu de l'article 79 de la Loi sur l'assurance automobile, et c'est à ce titre qu'elle doit les inclure à son revenu. Avec égard, cette interprétation ne peut être retenue.

[25]          La Loi ne prévoit aucune définition spécifique de la notion d'entreprise. Le paragraphe 248(1) de la Loi, précise cependant diverses activités qui sont incluses dans cette notion :

248(1)      Définitions ¾ Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« entreprise » Sont compris parmi les entreprises les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit et, sauf pour l'application de l'alinéa 18(2)c), de l'article 54.2, du paragraphe 95(1) et de l'alinéa 110.6(14)f), les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial, à l'exclusion toutefois d'une charge ou d'un emploi. [italiques ajoutés]

[26]          C'est généralement par opposition à la notion d'emploi que la jurisprudence définit la notion d'entreprise. L'arrêt de principe en cette matière est celui rendu par la Cour fédérale d'appel dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Canada, [1986] 3 C.F. 553. Selon les motifs rendus par le juge MacGuigan, le critère à retenir est composé de quatre parties intégrantes ¾ en l'occurrence, 1) le contrôle; 2) la propriété des instruments de travail; 3) la possibilité de profit; et 4) le risque de perte ¾ de sorte que l'ensemble des éléments qui composent la relation des parties est pris en compte (aux pages 559-560). La Cour a également retenu le critère d'organisation ou d'intégration, qui consiste à déterminer si une personne et son travail sont partie intégrante de l'entreprise du commettant, dans la mesure où il est envisagé du point de vue de l'employé et non de celui de l'employeur (à la page 563).

[27]          Sur la base de ces motifs, il sera généralement conclu que la personne qui agit sous le contrôle d'un commettant quant à son horaire de travail et quant à la façon dont elle l'effectue, qui ne détient généralement pas la propriété des instruments qui servent à son travail, qui reçoit un salaire déterminé ¾ par opposition à un bénéfice incertain ¾ et qui est partie intégrante des activités de son commettant, est un employé. Au contraire, la personne qui effectue ses tâches selon ses propres règles, sans rendre de comptes quant à la façon dont elle les exécute ou quant à son horaire, qui encoure un risque quant au bénéfice qu'elle retire de son travail, à savoir perte ou profit, et qui n'est pas partie intégrante de l'entreprise de son commettant, sera généralement considérée comme un entrepreneur indépendant.

[28]          L'appelante n'était pas une employée au sens du critère déterminé par l'arrêt Wiebe Door Services (précité), puisqu'elle était parfaitement autonome dans sa façon d'exécuter ses tâches, travaillait dans son propre environnement avec ses propres outils et n'était aucunement partie de l'entreprise d'un tiers. L'appelante n'était pas non plus un entrepreneur indépendant au sens de la jurisprudence principalement du fait que, bien qu'autonome dans l'exécution de ses tâches, elle n'était pas libre d'organiser son temps comme elle l'entendait en raison des besoins spécifiques et continus de sa fille et que son supposé profit potentiel était fixé à l'avance et ne dépendait aucunement de ses efforts.

[29]          En l'absence d'un lien juridique tel que permet de l'établir la jurisprudence, il n'est pas loisible à la Cour de conclure à l'existence d'un tel lien en fonction de ce que la seule réalité économique pourrait permettre de conclure. En effet, la Cour suprême a statué dans Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, « qu'en l'absence d'une disposition expresse contraire de la Loi ou d'une conclusion selon laquelle l'opération en cause est un trompe-l'oeil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale. » (page 641, italiques ajoutés)

[30]          Il existe par ailleurs une jurisprudence abondante distinguant entre l'exploitation d'une entreprise et l'exercice d'une activité personnelle, en fonction de la recherche de profit. Selon les termes de la Cour fédérale d'appel dans l'arrêt Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73, une telle situation se présente lorsque l'activité procure au contribuable « une satisfaction ou des avantages personnels, notamment sur le plan psychologique. [...] Même si ces activités peuvent parfois être poursuivies comme s'il s'agissait d'une entreprise, les tribunaux ont généralement décidé qu'elles visaient avant tout des fins personnelles. Le désir de réaliser un bénéfice dans ce genre de situation n'est rien de plus qu'un voeu pieux ou un rêve impraticable et ne constitue qu'une intention secondaire liée à l'activité. » (page 97, italiques ajoutés). C'est à cette même distinction que le juge Major de la Cour suprême du Canada référait dans l'arrêt Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, dans les motifs suivants, aux pages 300-301 :

... Il est depuis longtemps reconnu que ce ne sont pas tous les « accroissements de la richesse » qui entrent dans le calcul du revenu. Même si les héritages et les dons entraînent un « accroissement de la richesse » , ils ne sont toutefois pas assujettis à l'impôt parce qu'ils ne constituent pas un revenu tiré d'un emploi, d'un bien ou d'une entreprise. Les bénéfices provenant d'un passe-temps ont pour effet d'accroître la richesse, mais eux non plus ne sont pas assujettis à l'impôt pour la même raison. [italiques ajoutés]

[31]          En l'espèce, l'appelante a choisi d'assumer elle-même la responsabilité de sa fille, non pour les bénéfices pécuniaires qu'elle pouvait en retirer, mais pour s'acquitter de son obligation alimentaire, estimant à raison, qu'elle était la personne la mieux qualifiée pour s'occuper de son enfant. Les bénéfices provenant de cette activité maternelle familiale ne sont pas plus imposables que le seraient les bénéfices provenant d'un passe-temps, ou tout simplement des montants que versent certains époux à leurs conjoints sans travail pour voir aux divers besoins de la famille.

[32]          Pour ces motifs, j'accueille l'appel, sans frais.

Signé à Ottawa, Canada ce 19e jour de mars 2001.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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