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Date: 20010810

Dossier: 96-1998-IT-I

ENTRE :

DIANE MARCIL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(prononcés oralement à l'audience le 10 février 2000 à Montréal (Québec) et modifiés pour plus de clarté)

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Madame Diane Marcil conteste des cotisations établies par le ministre du Revenu national (ministre) à l'égard des années d'imposition 1991 et 1992. Le ministre a inclus dans le revenu de madame Marcil des montants de pension alimentaire de 6 000 $ pour 1991 et de 10 051 $ pour 1992 qui avaient été versés à ses deux enfants. Madame Marcil soutient que les cotisations sont mal fondées au motif que les sommes en question ne doivent pas être incluses dans son revenu parce qu'elle ne les a pas reçues. Il n'y a pas de litige quant aux montants eux-mêmes indiqués dans les cotisations.

Les faits

[2]            Au début de l'audience, les faits suivants énoncés dans la Réponse à l'avis d'appel ont été admis par le représentant de madame Marcil :

18.            Pour établir les cotisations en litige, le ministre a tenu pour acquis, entre autres, les faits suivants:

a) L'appelante s'est mariée en 1973 avec M. Claude Berardelli. Deux enfants sont nés de ce mariage, le premier en 1977 et le second en 1979.

b) En 1987, l'appelante a entrepris des procédures de divorce.

d) Le 27 juin 1991, la Cour supérieure du Québec a rendu jugement, prononçant le divorce, et donnant acte à un consentement relatif aux mesures accessoires qui était intervenu dans les termes suivants, le même jour:

                " 5. À compter de la signature de la présente convention, le défendeur paiera à titre de pension alimentaire au bénéfice exclusif de chacun des deux (2) enfants MARTIN BERARDELLI ET ALEXANDRE BERARDELLI, la somme de cinq cent dollars (500,00$) chacun, mensuellement, par chèques à l'ordre de chacun en date du 1er jour de chaque mois, et ce à compter du 1er juillet 1991; "

f) L'ancien conjoint de l'appelante a fait défaut à l'égard de plusieurs versements de pension alimentaire et c'est l'appelante qui, alors, a entrepris des démarches de recouvrement auprès du Percepteur des pensions alimentaires du Québec.

[3]            Madame Marcil a témoigné lors de l'audience et la preuve révèle que les enfants nés du mariage étaient, durant les années pertinentes, mineurs et qu'ils n'étaient pas intervenus dans le consentement relatif aux mesures accessoires du 27 juin 1991. On a déposé comme pièces certains chèques émis par l'ancien conjoint de madame Marcil et payables à Martin et à Alexandre. Certains de ces chèques avaient été endossés par les enfants et déposés dans un compte ouvert à leur nom : " Alexandre et Martin in trust ". Les personnes autorisées à tirer des chèques sur ce compte étaient à la fois les deux enfants et leur mère. Cette dernière a aussi confirmé que ses deux enfants avaient une carte de guichet automatique qui leur permettait d'avoir accès à l'argent qui leur avait été versé par leur père.

[4]            Madame Marcil a aussi reconnu qu'elle exerçait un contrôle parental sur ses enfants quant à l'usage fait de l'argent qui était déposé dans le compte des enfants. Toutefois, elle a reconnu qu'elle devait parfois négocier avec eux quant à l'utilisation de cet argent, qui devait principalement servir aux activités scolaires, à l'achat de lunchs à l'école et à l'acquisition de livres et de vêtements.

[5]            Madame Marcil a aussi affirmé que les 500 $ reçus par chacun des enfants de leur père n'étaient pas suffisants pour répondre à tous leurs besoins. Elle a évalué ces besoins à environ 1 500 $ par mois.

Analyse

[6]            L'alinéa 56(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi), dans sa version applicable au cours des années 1991 et 1992, édictait ce qui suit :

56(1) Sans restreindre la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition,

b) toute somme reçue dans l'année par le contribuable, en vertu d'un arrêt, d'une ordonnance ou d'un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, des enfants issus du mariage ou à la fois du bénéficiaire et des enfants issus du mariage, si le bénéficiaire vivait séparé en vertu d'un divorce, d'une séparation judiciaire ou d'un accord écrit de séparation du conjoint ou de l'ex-conjoint tenu de faire le paiement, à la date où le paiement a été reçu et durant le reste de l'année.

                                                                                                [Je souligne.]

[7]            Donc, la première question à trancher est la suivante : est-ce que les sommes incluses par le ministre satisfont aux conditions d'assujettissement à l'impôt énoncées à cet alinéa? La preuve révèle que ces sommes n'ont pas été reçues par madame Marcil mais l'ont plutôt été par ses enfants. Elles ont été versées par le père conformément à une ordonnance rendue par la Cour supérieure. L'argent appartenait aux enfants et le fait que madame Marcil ait pu exercer un pouvoir parental sur ses enfants quant à l'usage de cet argent ne veut pas dire que, aux fins de la Loi, il doit être considéré comme ayant été reçu par elle.

[8]            Dans son argumentation devant la Cour à l'appui de sa position, la procureure de l'intimée a surtout insisté sur l'application du paragraphe 56.1(1) de la Loi qui édicte :

56.1(1) Prestation alimentaire.

(1) Dans le cas où il intervient, après le 6 mai 1974, un arrêt, une ordonnance, un jugement ou un accord écrit visé à l'alinéa 56(1)b), c) ou c.1), ou une modification s'y rapportant, qui prévoit le paiement périodique d'un montant

a) soit à un contribuable par une personne qui est, selon le cas:

(i) le conjoint actuel ou ancien du contribuable,

(ii) si le montant est payé en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent après le 10 février 1988 en conformité avec la législation d'une province, un particulier de sexe opposé

(A) qui, avant la date de l'ordonnance, vivait avec le contribuable dans une situation assimilable à une union conjugale,

(B) ou qui est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du contribuable,

b) soit au profit du contribuable, d'enfants confiés à sa garde ou à la fois du contribuable et de tels enfants,

tout ou partie du montant, une fois payé, est réputé, pour l'application des alinéas 56(1)b), c) et c.1), payé au contribuable et reçu par celui-ci.

[9]            La procureure de l'intimée a produit plusieurs décisions rendues par les tribunaux et portant sur l'application de l'article 56.1. On peut constater que différentes approches ont été adoptées. L'une d'elles est celle du juge Beaubier dans Kirchner c. Canada, [1992], A.C.I. no 571. Dans cette affaire, le contribuable avait versé une pension alimentaire directement à sa fille, étudiante à l'université. Après avoir cité le début du paragraphe 60.1(1), voici ce que dit le juge Beaubier aux pages 2 et 3 :

Il est évident que le texte au début du paragraphe 60.1(1) régit ce qui suit dans le sous-alinéa. Ce texte exige que le décret, l'ordonnance, le jugement ou l'accord écrit soit celui décrit dans l'alinéa 60b), c) ou c.1). Tous ces alinéas mentionnent que le paiement en cause doit être effectué à un bénéficiaire qui est une personne autre que l'enfant du contribuable.

En l'espèce l'appelant veut déduire des paiements faits directement à l'enfant du contribuable en se prévalant du paragraphe 60.1(1). Le libellé introductif de ce paragraphe ne confère pas au contribuable un tel droit.

[10]          Dans aucune des décisions qui m'ont été soumises n'a-t-on adopté cette approche du juge Beaubier, mais dans aucune non plus ne l'a-t-on commentée pour la désapprouver. Dans certaines d'entre elles on a présumé que l'article 60.1 pouvait s'appliquer dans de telles circonstances, mais on distinguait alors entre les cas où l'enfant était confié à la garde de la mère et ceux où elle n'en avait plus la garde. Par exemple, telle est l'approche adoptée par ma collègue la juge Lamarre Proulx dans Greg Guardo c. M.N.R., 89-1 660(IT)I, ainsi que par le juge Pinard de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada dans la même affaire, 99 DTC 5026.

[11]          L'approche adoptée par le juge Beaubier dans l'affaire Kirchner (précitée) m'apparaît bien fondée. Elle me semble être en harmonie avec le but recherché par le législateur lorsqu'il a adopté en 1974 l'article 56.1, ce but étant de s'assurer que les paiements faits à des tiers pour le bénéfice du conjoint ou des enfants du conjoint seraient, pour l'application de l'alinéa 56(1)b), réputés être reçus par le conjoint. Ce but poursuivi par le législateur se trouve énoncé explicitement dans les notes techniques qui accompagnaient les modifications de 1982 et de 1992. Dans le recueil de David M. Sherman, Income Tax Act, Department of Finance, Technical notes, 6e édition Carswell, à jour au mois de septembre 1994, on retrouve aux pages 314 et 315 le passage suivant relatif aux modifications de 1982 :

Section 56.1 treats certain alimony and maintenance payments made to third parties for the benefit of a taxpayer (or children in the custody of the taxpayer) as having been received by the taxpayer.

Un libellé similaire se retrouve dans la note technique relative aux modifications de juin 1992 :

Section 56.1 treats certain alimony and maintenance payments made to third parties for the benefit of an individual who is a taxpayer's spouse, former spouse, common-law spouse or a person who is a parent of a taxpayer's child (or for the benefit of children in the custody of such an individual) . . . .

[12]          À la lecture de ces notes techniques, on voit que ce qui était visé c'était les paiements faits à des tiers pour le bénéfice du conjoint et des enfants. On ne visait pas à imposer entre les mains du conjoint les sommes qui pouvaient pu être versées directement aux enfants du conjoint. Si on avait voulu viser de tels paiements, on aurait pu l'énoncer clairement à l'article 56.1. Selon moi, l'intention du Parlement n'a jamais été de les viser. À mon avis, l'interprétation de l'article 56.1 qui est la plus conforme à l'intention du législateur est celle selon laquelle il ne faut pas appliquer cet article à des sommes versées directement à des enfants, qu'ils soient mineurs ou majeurs.

[13]          Au cours de sa plaidoirie, la procureure de l'intimée avait demandé : " Mais quelle serait alors l'utilité de l'article 56.1 si on excluait les paiements faits aux enfants et incluait uniquement ceux faits à des tiers? " J'aimerais citer comme exemple une décision où l'article 56.1 reçoit pleinement son application. Il s'agit de celle rendue par la juge Lamarre Proulx dans l'affaire Perrie c. Canada, [1999] A.C.I. no 610. Là, on avait prévu le versement d'une pension alimentaire de 1 550 $ par mois, payable par l'appelant de la façon suivante : 1) en retenant mensuellement sur ce montant les sommes nécessaires pour qu'il acquitte lui-même notamment les redevances hypothécaires relatives au domicile conjugal et les taxes foncières et 2) en remettant à son ex-épouse à l'avance, le premier de chaque mois, tout solde non autrement exigible du montant de 1 550 $. La juge Lamarre Proulx a conclu que c'était le paragraphe 60.1(1) qui s'appliquait.

[14]          Pour ces motifs, l'appel de madame Marcil est accueilli avec dépens et les cotisations pour les années 1991 et 1992 sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que les sommes versées aux deux enfants de madame Marcil doivent être exclues du revenu de celle-ci.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour d'août 2001.

" Pierre Archambault "

J.C.C.I.

NO DU DOSSIER DE LA COUR :                        96-1998(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 DIANE MARCIL

                                                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    le 7 février 2000

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                                         L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :                                                      le 16 février 2000

COMPARUTIONS :

                Pour l'appelante :                                  Jean-Michel Prieur

                Pour l'intimée :                                                       Me Suzanne Morin

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

                Pour l'appelant(e) :

                                                Noms :                    

                                                Étude :                    

                Pour l'intimé(e) :                                                    Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada

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