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Date: 19990601

Dossier: 98-924-UI

ENTRE :

VILLE DE MERRITT,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

LANCE THATCHER,

intervenant.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1]            La question en litige dans cet appel consiste à décider si l'intervenant, Lance Thatcher, exerçait un emploi assurable quand il travaillait à titre de pompier à temps partiel pour la ville de Merritt dans la province de la Colombie-Britannique. Le 20 juillet 1998, Revenu Canada a décidé que Lance Thatcher exerçait un emploi à titre de pompier aux termes d'un contrat de louage de services et que son emploi exercé pour la ville de Merritt était assurable. La ville de Merritt a interjeté appel devant cette Cour de la décision en question et Lance Thatcher est intervenu dans l'appel.

[2]            Dans son avis d'appel, l'appelante a adopté la position selon laquelle l'intervenant n'était pas un employé de la ville de Merritt. Dans sa réponse à l'avis d'appel, l'intimé a concédé l'appel pour la raison que l'intervenant n'était pas employé par l'appelante dans un emploi assurable en vertu de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la « Loi sur l'AE » ), mais qu'il s'agissait d'un emploi exclu au sens de l'alinéa 5(2)h) de la Loi sur l'AE et de l'alinéa 7e) du Règlement sur l'assurance-emploi. Dans son avis d'intervention, l'intervenant a déclaré être un employé de l'appelante. Dans la réponse à l'avis d'intervention, l'intimé a de nouveau concédé l'appel et a déclaré que l'intervenant n'était pas employé par l'appelante. Le résumé des actes de procédure énoncé ci-dessus démontre que l'appelante et l'intimé sont d'accord en s'opposant à la prétention de l'intervenant au statut d'employé.

[3]            Au début de l'audience, les parties ont soumis des représentations sur les questions de savoir si l'intervenant avait qualité pour intervenir vu que l'appel avait été concédé et, dans l'affirmative, à qui incomberait le fardeau de la preuve? Dans les circonstances exceptionnelles de cette cause, j'ai décidé que l'intervenant avait cette qualité et que le fardeau de la preuve lui incombait. La période en cause est celle du 1er décembre 1996 au 30 novembre 1997.

[4]            La ville de Merritt (8 000 habitants) est à environ 100 kilomètres au sud de Kamloops à l'intersection de trois ou quatre routes. Elle bénéficie des services d'un chef des pompiers à plein temps qui reçoit un salaire, et d'environ 30 pompiers volontaires qui sont divisés en un peloton A et un peloton B. Les pelotons se relaient de façon hebdomadaire pour être en disponibilité. Seul le peloton en disponibilité répondrait dans le cas d'un petit feu, mais, dans le cas d'un grand feu, tous les pompiers seraient appelés. On appelle souvent les pompiers dans les cas d'accidents de véhicules automobiles sur les routes provinciales en dehors du territoire occupé par l'appelante.

[5]            L'intervenant est devenu pompier volontaire en octobre 1996. Lui-même et les autres pompiers assistent à une séance de formation de deux heures chaque lundi soir. Il n'est pas exigé d'assister aux séances de formation, mais il est important d'apprendre les procédures de lutte contre l'incendie, de sauvetage et de premiers soins. Il faut également savoir comment utiliser le matériel standard. Au cours de la période en cause, l'intervenant a manqué quelques-unes, mais pas un grand nombre, de ces séances de formation. Il a dit qu'on enseignait aux pompiers à respecter les priorités suivantes : (i) le sauvetage de vies humaines; (ii) la suppression de l'incendie; (iii) la protection des immeubles environnants; (iv) leur propre protection.

[6]            La pièce A-2 est une copie du règlement no 1488 du règlement de l'appelante qui concerne son service d'incendie et de sauvetage. L'annexe « B » de ce règlement est un code de conduite auquel chaque pompier doit se conformer, mais le code ne prévoit aucune pénalité pour non-conformité. L'annexe « C » fait état de la rémunération accordée aux membres du service d'incendie et de sauvetage de l'appelante en fonction de leur rang, de leurs années de service et des matières terminées dans le programme de certification offert par le Justice Institute of British Columbia Fire Academy Volunteer Firefighters. La rémunération est exprimée en dollars de l'heure; à titre d'exemple, la rémunération d'un pompier ordinaire est établie en fonction de l'échelle suivante :

Poste

Traitement de

base

5 années +

5 matières

ou 10 matières

10 années +

5 matières

ou 15 matières

10 années +

10 matières

ou 20 matières

Pompier

10,50 $

11,00 $

11,50 $

12,00 $

À l'annexe « C » se trouvent les trois notes en bas de page suivantes qui établissent certaines limites quant à la rémunération :

                [TRADUCTION]

2.              Les membres du Merritt Fire and Rescue Department reçoivent une indemnité de rappel d'au moins deux heures pour tous les appels reçus entre 22 h et 7 h.

3.              L'horaire de disponibilité pour les fins de semaine d'été commence en mai (fin de semaine de la fête de Victoria) et se termine en septembre (fin de semaine de la fête du Travail) chaque année. La rémunération des membres en disponibilité selon l'horaire en question est payée au taux de 20,00 $ par jour, par homme. Le nombre maximal de personnes en disponibilité ne doit pas dépasser cinq (5) membres.

4.              Les appels de sauvetage seront payés seulement quand la réponse s'effectue à l'intérieur des limites municipales.

[7]            À titre de pompier volontaire, l'intervenant porte constamment un téléavertisseur. Il n'est pas obligé de répondre à un appel sur son téléavertisseur. Pour n'importe quelle raison, il peut décider de ne pas y répondre, et le fait qu'il n'y a pas répondu n'affectera pas son statut de pompier. S'il décide d'y répondre, il sera payé à son taux horaire standard à partir du moment où il répond jusqu'à celui où l'officier responsable lui dira de faire relâche. L'intervenant a affirmé qu'en moyenne 10 à 12 pompiers volontaires répondraient à un appel, mais que, si un appel était effectué au milieu d'un jour ouvrable ordinaire (du lundi au vendredi), le nombre de ceux qui y répondraient pourrait être aussi petit que deux ou trois. Selon la note en bas de page no 4 de l'annexe « C » (précitée), les pompiers volontaires sont payés pour les appels de sauvetage seulement quand la réponse s'effectue à l'intérieur des limites de la ville. Par conséquent, en général, moins de pompiers bénévoles répondent quand un appel de sauvetage provient de l'extérieur de la ville.

[8]            La pièce A-3 contient certaines statistiques. En 1997, il y a eu 64 appels de sauvetage et 133 alertes incendie. L'intervenant a estimé qu'il aurait répondu à environ 50 alertes incendie et moins de 10 appels de sauvetage. Il existe une association de pompiers volontaires pour la ville de Merritt. Le secrétaire-trésorier de l'association conserve une feuille de réponse indiquant quels pompiers ont répondu à chaque appel et combien de temps chaque pompier était de service après avoir répondu à un appel spécifique. Ces feuilles de réponse montrent également la présence aux séances de formation du lundi soir. Elles sont envoyées chaque mois à l'hôtel de ville où un employé additionne les heures de service pour chaque pompier, applique le taux horaire correspondant pour chaque pompier et calcule le montant global dû à chaque pompier volontaire pour ce mois en particulier.

[9]            L'appelante émet ensuite un chèque au montant global pour le mois en question, payable à la City of Merritt Fire/Rescue Department qui est le nom du compte en banque que détient l'Association of Volunteer Fire Fighters. C'est l'Association qui émet les chèques de paye mensuels aux pompiers volontaires, mais elle déduit pour chaque pompier une somme annuelle (300 $) à titre de droit d'adhésion à l'Association. À la fin de chaque année, aux fins d'impôt sur le revenu, l'appelante émet un formulaire T-4 à chaque pompier basé sur les renseignements inscrits sur les feuilles de réponse préparées par le secrétaire-trésorier de l'Association.

[10]          Richard Finley, chef des pompiers de la ville de Merritt, a témoigné à titre de témoin de l'appelante. Il occupe ce poste depuis mars 1991. Il a déjà participé à une procédure disciplinaire mais aucun pompier volontaire n'a encore été congédié depuis qu'il exerce ces fonctions. Si un des pompiers volontaires avait été congédié, c'est lui qui aurait pris la décision. En ce qui a trait à la note en bas de page no 3 de l'annexe « C » (précitée), il a affirmé que le fait d'avoir quelques pompiers en disponibilité durant les fins de semaine d'été assurait la disponibilité de quelqu'un pour répondre aux appels d'urgence durant les fins de semaine.

[11]          La pièce R-1 est un document daté du 22 mars 1999 (un mois avant l'audition de cet appel) qui établit les « Dispositions relatives aux absences autorisées » du Merritt Fire/Rescue Department. Il contient sept courtes déclarations de principe énonçant les conditions en vertu desquelles un congé sera accordé. Les quatre premiers articles se lisent comme suit :

                [TRADUCTION]

1.              À titre de membre actif du Merritt Fire/Rescue Department, la direction aimerait que l'on exige des membres qu'ils participent à un minimum de 75 % des pratiques et qu'ils répondent à un nombre raisonnable d'alertes incendie (on ne tient pas compte des appels de sauvetage à l'extérieur des limites de la ville).

2.              L'officier de peloton ou son remplaçant peuvent accorder une absence allant jusqu'à un mois, mais ne peuvent autoriser plus de deux absences dans une même année.

3.              Le Chef peut accorder une absence allant de 1 à 6 mois.

4.              Aucun membre ne peut se faire accorder des absences de plus de 6 mois au cours d'une période de trois années.

Le chef des pompiers, M. Finley, a déclaré que la pièce R-1 avait été rédigée pour satisfaire le désir de faire adopter une sorte de politique établie au sujet des absences. Selon l'ancienne politique, une personne était censée se faire congédier si elle avait manqué trois séances de formation d'affilée et trois appels d'affilée, mais aucune personne n'avait été congédiée en vertu de cette ancienne politique.

[12]          Pour que l'intervenant ait gain de cause, il doit satisfaire aux deux conditions suivantes : i) il exerçait un emploi à titre de pompier pour l'appelante aux termes d'un contrat de louage de services exprès ou tacite; ii) si c'était le cas, son emploi n'était pas exclu des emplois assurables en vertu du paragraphe 5(2) de la Loi sur l'AE.

[13]          À mon avis, l'intervenant ne peut avoir gain de cause dans cet appel parce qu'il ne satisfait à aucune des deux conditions. Quand une personne est employée en vertu d'un contrat de louage de services, elle a quelque obligation de répondre aux besoins de l'employeur. Cette obligation fait partie du « critère de contrôle » , à savoir si le payeur exerce un certain contrôle sur le travailleur. Les faits en l'espèce démontrent que l'appelante n'exerçait aucun contrôle sur l'intervenant quant à savoir si ce dernier répondrait à un appel donné. Il s'agit là d'un facteur important parce que l'unique but du Merritt Fire/Rescue Department est de répondre aux urgences au fur et à mesure qu'elles se présentent : soit éteindre le feu ou sauver une personne en détresse, soit faire les deux en même temps. Malgré l'urgence du but poursuivi par le Department, l'intervenant, à sa convenance, pouvait choisir de répondre à un appel du Department ou de ne pas y répondre; et il ne perdrait pas son statut de pompier volontaire à cause des choix qu'il faisait.

[14]          Que le degré de contrôle soit négligeable est évident dans le premier point de la pièce R-1 (précitée) qui établit en partie :

                [TRADUCTION]

... la direction aimerait que l'on exige des membres qu'ils participent à un minimum de 75 % des pratiques et qu'ils répondent à un nombre raisonnable d'alertes incendie...

Il n'existe aucune preuve, soit dans le témoignage verbal du chef des pompiers ou de l'intervenant soit dans les documents produits, selon laquelle un pompier volontaire ait été puni ou pénalisé d'une façon ou d'une autre parce qu'il n'avait pas participé à 75 % des pratiques ou qu'il n'avait pas répondu à un nombre raisonnable d'alertes incendie, quel qu'ait été ce nombre raisonnable.

[15]          Personne ne pourrait s'attendre à gagner sa vie du métier de pompier volontaire dans une municipalité aussi petite que Merritt (8 000 habitants) parce qu'il n'y aurait pas suffisamment d'appels de secours, rémunérés à l'appel, en une année. Selon la pièce A-3, durant les années 1996, 1997 et 1998, il y a eu chaque année environ 200 à 220 alertes incendie ou appels de sauvetage. Si chaque appel requérait trois heures de service, cela représenterait une moyenne de 630 heures de travail par année pour des alertes incendie et des sauvetages. Si l'on tient compte des deux pelotons, A et B, un pompier pourrait s'attendre à effectuer, suite à des appels, environ 315 heures de travail par année, ce qui lui ferait gagner environ 3 200 $ plus le temps des séances de pratique.

[16]          L'intervenant avait un emploi à temps plein en 1997 et il a exercé ses activités à titre de pompier volontaire durant ses moments de loisir, à tout le moins en ce qui concerne les séances de formation. Seuls les appels d'urgence pouvaient faire intrusion dans son emploi à temps plein et, au besoin, il pouvait choisir de ne pas répondre à de tels appels. Une personne doit posséder un intérêt fondamental à relever un défi excitant et à la possibilité d'aider en cas de crise avant de vouloir s'engager comme pompier volontaire. Les séances de formation se déroulent durant les soirées parce que l'activité elle-même ne peut assurer un gagne-pain. La municipalité offre une rémunération à titre de mesure incitative pour attirer des volontaires, étant donné le bénéfice évident que le public retire de ces services. L'activité d'un pompier volontaire ressemble à un loisir rémunéré. À mon avis, il ne s'agit pas d'un emploi exercé aux termes d'un contrat de louage de services.

[17]          Si je me trompais dans ma conclusion à l'effet que l'activité de l'intervenant à titre de pompier volontaire n'est pas un emploi exercé aux termes d'un contrat de louage de services, alors je conclurais qu'il s'agit d'un emploi exclu en vertu de l'alinéa 5(2)h) de la Loi sur l'AE et de l'alinéa 7(e) du Règlement sur l'assurance-emploi qui est libellé comme suit :

                7.              Sont exclus des emplois assurables les emplois suivants :

[...]

e)              l'emploi exercé par une personne chargée d'opérer un sauvetage, si celle-ci n'exerce pas régulièrement un emploi au service de l'employeur qui l'a embauchée à cette fin...

Eu égard aux objectifs du Merritt Fire/Rescue Department tel que les décrivent l'intervenant et le chef des pompiers, Richard Finley, un des objectifs du Department est d'effectuer des opérations de sauvetage pour toute personne en détresse. Par conséquent, je conclus que, si l'intervenant a été embauché par l'appelante à titre de pompier volontaire, cet emploi est exclu des emplois assurables en vertu de l'alinéa 7e) du Règlement.

[18]          Je suis appuyé dans ma conclusion par la décision de mon collègue, le juge Teskey, dans l'arrêt Ville de Whitchurch-Stouffville c. M.R.N., 14 avril 1993 (inédit), à l'effet que les pompiers volontaires de cette ville d'Ontario n'exerçaient pas d'emplois assurables pour la ville. L'appel est admis et la prétention de l'intervenant est rejetée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de juin 1999.

« M.A. Mogan »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 15e jour de novembre 1999.

Stephen Balogh, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

98-924(UI)

ENTRE :

VILLE DE MERRITT,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

LANCE THATCHER,

intervenant.

Appel entendu le 23 avril 1999 à Kamloops (Colombie-Britannique) par

l'honorable juge M.A. Mogan

Comparutions

Avocat de l'appelante :                         Me Kenneth R. Hauser

Avocate de l'intimé :                            Me Charlotte Coombs

Pour l'intervenant :                     L'intervenant lui-même

JUGEMENT

          L'appel de l'appelant en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi est admis et la décision du ministre relative à l'appel qui lui était adressé en vertu de l'article 91 de la Loi est annulée. La prétention de l'intervenant est rejetée.


Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de juin 1999.

« M.A. Mogan »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de novembre 1999.

Stephen Balogh, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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