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Date: 19981207

Dossier: 98-238-UI

ENTRE :

JOHANNE ASPIROT,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Charron, C.C.I.

[1]            Cet appel a été entendu à New Carlisle (Québec), le 7 octobre 1998, dans le but de déterminer si l'appelante a exercé un emploi assurable, au sens de la Loi sur l'assurance-chômage et de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ), durant les périodes du 18 juin au 15 septembre 1995, du 17 juin au 6 septembre 1996 et du 2 juin au 22 août 1997, lorsqu'elle était au service de Lisette Aspirot (la payeuse).

[2]            Par lettre du 23 décembre 1997, l'intimé informa l'appelante que cet emploi n'était pas assurable, parce qu'il y avait un lien de dépendance entre elle et la payeuse.

Exposé des faits

[3]            Les faits sur lesquels s'est basé l'intimé pour rendre sa décision sont énoncés au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel comme suit :

« a)           le payeur exploite, depuis plus de 20 ans, un poste d'essence avec dépanneur; (admis)

b)             l'appelante est la fille du payeur; (admis)

c)              l'appelante, son conjoint et leur fille née le 18 novembre 1995, demeurent avec les parents de l'appelante; (admis)

d)             elle ne paie pas de loyer ou pension; (admis)

e)              elle travaille pour le payeur depuis 18 ans; (admis)

f)              le commerce du payeur est situé à environ 400 mètres de la résidence du payeur; (admis)

g)             le commerce était ouvert 7 jours par semaine, de 8 h à 23 h; (admis)

h)             l'appelante était la seule employée rémunérée du payeur; (admis sauf à parfaire)

i)               le mari du payeur aidait aussi au dépanneur, mais sans rémunération (admis sauf à parfaire)

j)               l'appelante était rémunérée pour un nombre de semaines correspondant au minimum requis pour se qualifier à recevoir des prestations de chômage; (admis sauf à parfaire)

k)              le payeur prétend qu'elle engageait sa fille l'été car il y avait plus de travail; (admis sauf à parfaire)

l)               le chiffre d'affaire du payeur n'est pas plus élevé durant l'été que durant le reste de l'année; (admis sauf à parfaire)

m)             l'appelante prétend qu'elle ne peut travailler le reste de l'année afin de prendre soin de sa fille, alors qu'elle reçoit des prestations de chômage; (nié tel que rédigé)

n)             pour avoir droit à des prestations de chômage une personne doit être disponible à travailler; (nié tel que rédigé)

o)             le payeur prétend qu'elle fait le grand ménage de sa résidence l'été, soit durant la période où sa fille travaille au commerce, et d'autre part, elle explique que durant les 9 autres mois, elle travaille au commerce pendant que sa fille s'occupe de la maison alors que l'appelante prétend qu'elle travaillait au commerce avec sa mère. » (admis sauf à parfaire)

[4]            L'appelante a reconnu la véracité de tous les alinéas du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel, sauf ceux qu'elle a niés ou déclaré ignorer, ainsi qu'il est indiqué entre parenthèses, à la fin de chacun.

Témoignage de Lisette Aspirot

[5]            Lisette Aspirot tient un dépanneur et une station-service à Paspébiac avec son mari Joseph, depuis 1979. En 1980, les parents doivent recourir à l'aide de leur fille Johanne, à cause d'un surcroît de travail. Depuis le 20 octobre 1992, Joseph reçoit sa pension et travaille bénévolement pour Lisette. Cette dernière embauche d'autres personnes, au besoin, dont Léandre Deraiche. C'était au temps où les affaires étaient florissantes : des mois où l'on pouvait vendre jusqu'à 33 000 $ de gazoline. En 1995, les ventes oscillent entre 20 000 $ et 25 000 $; en 1996 et 1997, elles fluctuent entre 17 000 $ et 20 000 $; en 1998, entre 875 $ et 6 000 $. Heureusement, le dépanneur permet à la famille de survivre ... Durant les trois dernières années, Johanne n'a travaillé que 12 ou 13 semaines par année, tellement c'était ennuyeux. C'est d'ailleurs le nombre de semaines qu'elle travaille depuis 1981. Le commerce est ouvert de 8 h jusqu'à 23 h, sept jours par semaine. Johanne assume le quart de 8 h à 12 h et de 13 h à 17 h. Lisette bosse de 13 h à 21 h et Joseph de 17 h à 21 h. En cas d'absence de Johanne, Joseph la remplace de 8 h à 12 h. Pendant ses périodes de liberté, Joseph fait des réparations et rénovations au magasin ou à la maison ou coupe du bois de chauffage. Johanne est payée par chèques et prend congé les samedi et dimanche. La payeuse fait crédit à ses clients : certains paient à la semaine; certains au mois; les autres ne paient pas. Johanne s'occupe de la tenue des livres et du crédit. Quand Johanne travaille à la caisse, ce sont ses parents qui gardent son enfant, ou encore une de ses tantes. Le 12 décembre 1997, Lisette fait une déclaration écrite qui se lit comme ceci :

« Depuis 1979 que ma fille Johanne travaille au dépanneur. Depuis 1995, il avait été entendu que je l'embaucherais seulement pendant les vacances d'été, soit de juin à septembre de chaque année. J'aurais pu l'employer avant les vacances parce qu'il y avait du travail pour elle, mais l'entente était qu'elle travaille pendant les vacances. Elle travaillait du lundi au vendredi de 8 h à 17 h. Elle travaillait comme commis-caissière au dépanneur. En 1997, je l'ai engagée le 2 juin parce que je savais que ma fille aurait débuté ses cours le 25 août 1997 à Chandler, donc je l'ai mise à pied le 22 août 1997. Elle aurait pu travailler avant juin et après septembre de ses emplois de 1995, 1996 et 1997 (pièce I-1). »

Johanne est mise à pied par sa mère, alors qu'il y avait du travail, mais pour aller suivre son cours de coiffure. Johanne était la seule employée payée et la payeuse a l'intention de lui donner son commerce éventuellement. De toutes façons, la payeuse n'a qu'une autre fille qui ne montre aucun intérêt pour le magasin.

Témoignage de Johanne Aspirot

[6]            Johanne est coiffeuse, mais travaille parfois comme caissière au magasin de ses parents; elle s'occupe aussi des livres de compte, fait les commandes, s'occupe du crédit, place les marchandises sur les étagères, vend des billets de Loto-Québec, sert les clients, fait le ménage et récure le plancher. Johanne a eu une fille le 18 novembre 1996, qu'elle emmène avec elle au magasin, quand elle va travailler. Au besoin, elle en confie la garde à sa mère ou à ses deux tantes qui adorent l'enfant. Johanne habite chez ses parents et ne paie pas de pension. Quand elle ne travaille pas au magasin, elle fait l'entretien ménager de la maison, le reste de l'année. En 1995, Johanne a été témoin de l'assassinat de sa grand-mère par son fils et en est demeurée traumatisée, mais cela ne l'a jamais empêchée de travailler. Durant les périodes en litige, le conjoint de l'appelante demeure avec cette dernière chez ses beaux-parents, Lisette et Joseph. Il est parti le 2 décembre 1997.

Analyse des faits en regard de la Loi

[7]            L'intimé admet que l'appelante était liée à la payeuse par un contrat de louage de services. Pour cette raison, il n'allègue que le lien de dépendance au soutien de sa Réponse à l'avis d'appel. Il y a lieu de se demander maintenant si l'appelante aurait reçu un traitement aussi avantageux n'eût été de son lien de dépendance avec la payeuse.

[8]            En effet, le paragraphe 3(2) et l'alinéa 5(2)i) de la Loi se lisent en partie comme suit :

« (2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

c)              sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i)             la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii)            l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

[...] »

[9]            Or, selon l'article 251 Loi de l'impôt sur le revenu, les personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Lorsque des personnes sont liées entre elles, on ne saurait parler d'emploi assurable à moins que le ministre du Revenu national n'en soit autrement convaincu conformément au sous-alinéa 3(2)c)(ii) et l'alinéa 5(2)i) de la Loi ci-dessus.

[10]          La Cour d'appel fédérale a rendu plusieurs décisions importantes concernant l'application de l'alinéa 3(2)c) de la Loi.

[11]          Dans la première décision Tignish Auto Parts Inc. c. M.R.N. (185 N.R. 73) du 25 juillet 1994, la Cour cite le procureur de l'intimé dont elle partage l'opinion :

                « Souscrivant à l'arrêt Minister of National Revenue v. Wrights' Canadian Ropes Ltd., qui fait autorité, l'intimé prétend que, à moins que l'on établisse que le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances (comme il y est tenu aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi), a pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt ou a violé un principe de droit, la Cour ne peut intervenir. En outre, la Cour a le droit d'examiner les faits qui, selon la preuve, se trouvaient devant le ministre quand il est arrivé à sa conclusion, pour décider si ces faits sont prouvés. Mais s'il y a suffisamment d'éléments pour appuyer la conclusion du ministre, la Cour n'a pas toute latitude pour l'infirmer simplement parce qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Toutefois, si la Cour est d'avis que ces faits sont insuffisants, en droit, pour appuyer la conclusion du ministre, la décision de ce dernier ne peut tenir et la Cour est justifiée d'intervenir. »

[12]          Il se dégage donc quatre critères que la Cour canadienne de l'impôt peut appliquer pour décider si elle a droit d'intervenir :

                le ministre du Revenu national

1)              n'aurait pas tenu compte de toutes les circonstances;

2)              aurait pris en compte des facteurs dépourvus d'intérêt;

3)              aurait violé un principe de droit;

4)              aurait appuyé sa décision sur des faits insuffisants.

[13]          La Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Ferme Émile Richard et Fils Inc. (178 N.R. 361), du 1er décembre 1994, a résumé ainsi l'affaire Tignish Auto Parts Inc. :

« ... Ainsi que cette Cour l'a rappelé récemment dans Tignish Auto Parts Inc. c. ministre du Revenu national, l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt, lorsqu'il s'agit de l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii), n'est pas un appel au sens strict de ce mot et s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire. La Cour, en d'autres termes, n'a pas à se demander si la décision du Ministre est la bonne; elle doit plutôt se demander si la décision du Ministre résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Ce n'est que si la Cour en arrive à la conclusion que le Ministre a fait un usage inapproprié de sa discrétion, que le débat devant elle se transforme en un appel de novo et que la Cour est habilitée à décider si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l'employeur et l'employé s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance. »

[14]          L'appelante plaide que l'intimé n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pour exclure son emploi des emplois assurables. L'intimé n'a pas tenu compte de l'assassinat de sa grand-mère par son fils.

[15]          À ce sujet, l'honorable juge Isaac de la Cour d'appel fédérale rendant la décision de la Cour, dans l'arrêt Le Procureur général du Canada et Jencan Ltd. (1997) 215 N.R. 352, dit ceci :

« Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a toutefois commis une erreur de droit en concluant que, parce que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, il avait automatiquement le droit de contrôler le bien-fondé de la décision du ministre. Ayant conclu que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, le juge suppléant de la Cour de l'impôt aurait dû se demander si les autres faits qui avaient été établis au procès étaient suffisants en droit pour justifier la conclusion du ministre suivant laquelle les parties n'auraient pas conclu un contrat de louage de services à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. S'il existe suffisamment d'éléments pour justifier la décision du ministre, il n'est pas loisible au juge suppléant de la Cour de l'impôt d'infirmer la décision du ministre du simple fait qu'une ou plusieurs des hypothèses du ministre ont été réfutées au procès et que le juge en serait arrivé à une conclusion différente selon la prépondérance des probabilités. En d'autres termes, ce n'est que lorsque la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l'intervention de la Cour de l'impôt est justifiée. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un défaut qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. »

[16]          La preuve démontre qu'il est faux de prétendre que l'appelante est la seule employée à recevoir une rémunération : Léandre Deraiche travaillait pour un salaire.

[17]          La payeuse dit que depuis qu'elle travaille pour elle, Johanne n'a travaillé que 12 ou 13 semaines par année, soit le minimum requis pour se qualifier à recevoir des prestations d'assurance-chômage.

[18]          Au paragraphe 5k) de la Réponse à l'avis d'appel, Lisette dit qu'elle engageait sa fille l'été, car il y avait plus de travail. Dans sa déclaration (pièce I-1), elle affirme qu'elle aurait pu l'employer avant les vacances, parce qu'il y avait du travail pour elle, mais l'entente était qu'elle travaille pendant les vacances. En fait, le chiffre d'affaires de 1995 est à peu de chose près le même tout au long de l'année. Ce n'est qu'en 1998 qu'il dégringole.

[19]          L'appelante prétend qu'elle ne peut travailler le reste de l'année afin de prendre soin de sa fille, alors qu'elle reçoit des prestations d'assurance-chômage. En réalité, quand Johanne est mise à pied, sa mère prétend que c'est parce qu'il n'y a plus de travail, mais c'est faux : c'est pour lui permettre d'aller suivre son cours de coiffeuse.

[20]          Selon, la payeuse, Johanne s'occupe de la maison, pendant que sa mère travaille au commerce pendant neuf mois; Johanne s'occupe du dépanneur durant l'été, pendant que sa mère fait le grand ménage, prend des vacances et garde la fillette.

[21]          Considérant la preuve faite, les documents produits par les parties, il apparaît clair que l'intimé a tenu compte de presque toutes les circonstances, a éliminé les facteurs dépourvus d'intérêt, a suivi les principes de droit reconnus et appuyé sa décision sur des faits suffisants; considérant les contradictions multiples contenues dans la preuve; considérant que le reste de la preuve est suffisant pour justifier la décision de l'intimé à l'effet que les parties n'auraient pas conclu un tel contrat sans leur lien de dépendance, l'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de décembre 1998.

« G. Charron »

J.S.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        98-238(UI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Johanne Aspirot et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      New-Carlisle (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 7 octobre 1998

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge suppléant G. Charron

DATE DU JUGEMENT :                      le 7 décembre 1998

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :                                  Me G. Nadon

Pour l'intimé :                                         Me A. Saheb-Ettaba

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

                                Nom :                       Me G. Nadon

                                Étude :                     Campeau, Ouellet, Nadon, Barabé,

                                                                                Cyr, De Merchant, Bernstein,

                                                                                Cousineau, Heap, Palardy

                                                                                Montréal (Québec)

Pour l'intimé :                                         Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

98-238(UI)

ENTRE :

JOHANNE ASPIROT,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 7 octobre 1998 à New Carlisle (Québec) par

l'honorable juge suppléant G. Charron

Comparutions

Avocat de l'appelante :                                  Me G. Nadon

Avocat de l'intimé :                                       Me A. Saheb-Ettaba

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de décembre 1998.

« G. Charron »

J.S.C.C.I.


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