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Date: 20001112

Dossiers: 98-753-UI; 98-755-UI

ENTRE :

ALEXANDER MARCHAND, MARY BABIN,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

Intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Cain, C.C.I.

[1]            Les deux appelants travaillaient pour le même employeur dans des circonstances totalement différentes, mais ils ont accepté que les appels soient entendus en même temps, la preuve présentée devant s'appliquer à leurs appels respectifs selon les exigences du contexte, sans qu'il soit nécessaire de faire deux dossiers distincts.

APPEL D'ALEXANDER MARCHAND

[2]            L'appelant interjette appel contre le règlement de l'intimé en date du 8 mai 1998 qui indique que l'emploi qu'il a exercé pour Superior Contracting Ltd. (la " payeuse ") au cours des périodes allant du 27 mai 1991 au 18 juillet 1993, du 19 juillet 1993 au 4 mars 1994, du 28 mars 1994 au 30 juillet 1995 et du 31 juillet 1995 au 29 juin 1996 était non pas un emploi assurable mais un emploi exclu, car l'appelant et la payeuse avaient un lien de dépendance au sens de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage (la " LAC "), et que l'emploi qu'il a exercé pour la payeuse au cours de la période allant du 30 juin 1996 au 8 mars 1997 était non pas un emploi assurable mais un emploi exclu, car l'appelant et la payeuse avaient un lien de dépendance au sens de l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi (la " LAE ").

[3]            Toutes les périodes susmentionnées sont appelées ci-après les " périodes en question ".

[4]            L'intimé a fondé sa décision sur les hypothèses suivantes :

[TRADUCTION]

a)              la payeuse était une société qui avait été dûment constituée en vertu des lois de la province de Nouvelle-Écosse en 1983;

b)             à l'époque pertinente, les actions avec droit de vote en circulation de la payeuse appartenaient entièrement à Glenn Marchand, fils du travailleur;

c)              la payeuse exploite à longueur d'année une entreprise consistant à exécuter des contrats d'excavation, de terrassement, de dragage et d'aménagement;

d)             le garage de la payeuse était situé sur la propriété de l'appelant, et le bureau de la payeuse était situé dans la résidence personnelle de l'appelant;

e)              l'appelant n'était nullement indemnisé pour l'utilisation du garage ou à l'égard du bureau situé chez lui;

f)              durant les périodes en question visées par la LAC et par la LAE, la payeuse employait entre 30 et 50 travailleurs, selon le travail disponible;

g)             l'appelant joue un rôle dans l'exploitation de la payeuse depuis la constitution de celle-ci;

h)             durant les périodes en question visées par la LAC et par la LAE, les fonctions de l'appelant consistaient à s'occuper de l'excavatrice au besoin, à assurer une supervision en l'absence de Glenn Marchand et à passer prendre du matériel au besoin;

i)               l'appelant a supervisé d'autres travailleurs hors des périodes en question visées par la LAC et par la LAE, alors qu'il n'était pas inscrit dans le livre de paie et qu'il n'était pas rétribué à cet égard;

j)               l'appelant a rempli d'autres fonctions pour la payeuse hors des périodes en question sans être rétribué;

k)              l'appelant et la payeuse alléguaient tous deux que l'appelant devait être payé au taux de 15 $ l'heure, mais l'appelant recevait comme paie le même montant pour chaque semaine travaillée durant les périodes en question visées par la LAC et par la LAE, quel que soit le nombre de journées ou d'heures travaillées;

l)               tous les autres travailleurs de la payeuse remplissant des fonctions semblables à celles de l'appelant étaient payés à des taux inférieurs;

m)             tous les autres travailleurs étaient payés pour les heures effectivement travaillées;

n)             durant les périodes en question visées par la LAC et durant la période en question visée par la LAE, l'appelant n'a été inscrit dans le livre de paie de la payeuse que pour suffisamment de semaines et suffisamment d'heures, respectivement, pour être admissible à des prestations;

o)             l'appelant était lié à la payeuse au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

p)             l'appelant avait un lien de dépendance avec la payeuse;

q)             il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités de l'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelante et la payeuse auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[5]            L'appelant a admis les hypothèses a), b) et g), mais a nié toutes les autres hypothèses précitées.

FAITS

[6]            Sur le fondement de la preuve produite, la Cour tire les conclusions de fait qui suivent.

[7]            La payeuse exploitait une société de construction. Elle embauchait l'appelant pour qu'il travaille comme opérateur de machines et, au besoin, comme surveillant d'autres employés de la société. De temps en temps, la payeuse employait d'autres personnes qui étaient particulièrement qualifiées dans un secteur spécialisé de l'industrie de la construction. Ces personnes étaient payées plus que l'appelant, et leurs fonctions incluaient la surveillance d'autres travailleurs, dont l'appelant.

[8]            Glenn, le fils de l'appelant, était le seul actionnaire de la payeuse.

[9]            Les locaux de l'entreprise de la payeuse étaient situés sur un terrain appartenant à l'appelant. Il s'agissait d'un garage de construction, que la payeuse avait bâti à partir de matériaux d'occasion à un coût d'environ 8 000 $, et d'un bureau, qui était situé au sous-sol de la résidence personnelle de l'appelant et que la payeuse avait rénové pour accueillir du personnel et y placer du matériel.

[10]          L'appelant avait acheté le terrain, d'une superficie d'environ 27 acres, en 1952 pour 50 $. Exception faite de la partie avant de la propriété, où la résidence personnelle de l'appelant était située, le terrain était humide et marécageux. La payeuse a remblayé une superficie d'environ 200 pieds carrés sur laquelle elle a placé ledit garage et elle a remblayé une superficie suffisante pour y mettre ses camions et sa machinerie.

[11]          La payeuse ne payait pas de loyer ni d'impôt foncier pour ces superficies remblayées, mais elle payait bel et bien des taxes d'occupation pour cette partie du terrain et pour l'espace à bureau.

[12]          La payeuse utilisait la ligne téléphonique personnelle de l'appelant pour l'entreprise et payait tous les frais téléphoniques, y compris ceux de l'appelant. Lorsque le personnel du bureau était absent, l'appelant répondait au téléphone et recevait les livraisons, aussi bien lorsqu'il était employé que lorsqu'il ne l'était pas, et il transmettait des messages à la payeuse.

[13]          L'appelant et d'autres personnes travaillant de temps en temps pour la payeuse ramassaient du matériel pour la payeuse quand ils n'étaient pas inscrits dans le livre de paie et qu'ils se trouvaient être chez le fournisseur à qui le matériel avait été commandé. De plus, l'appelant faisait souvent des commissions précises pour l'entreprise quand il n'était pas employé, et ce, sans rétribution. Dans tous ces cas, il n'était pas remboursé de ses frais de transport. Il faut comprendre que l'entreprise était située à Arachat (Nouvelle-Écosse) et que la principale source d'approvisionnement en matériel était à Port Hawkesbury (Nouvelle-Écosse), soit environ 20 à 30 milles plus loin.

[14]          Glenn Marchand a témoigné qu'il tenait un registre des heures de travail de tous les employés, y compris l'appelant, mais aucun registre semblable n'a été consigné en preuve. Toutefois, au cours de l'interrogatoire principal, l'appelant a dit au sujet des périodes en question qu'il ne " pouvait avoir toutes les dates ", c'est-à-dire qu'il ne pouvait travailler quand le temps était inclément ou quand on n'avait pas besoin de lui comme opérateur.

DÉCISION

[15]          Dans l'arrêt Hickman Motors Limited c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, la Cour suprême du Canada a énoncé les principes à appliquer lorsqu'une personne conteste les hypothèses formulées par le ministre du Revenu national (le " ministre "). Dans cette affaire, la Cour s'est penchée sur les hypothèses formulées par le ministre pour établir une cotisation fiscale. Les principes énoncés s'appliquent tout autant aux hypothèses formulées par l'intimé dans une décision rendue en application de la Loi sur l'assurance-chômage.

[16]          Voici un résumé de ces principes :

                1.              Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme en matière de preuve est la prépondérance des probabilités et que, à l'intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve.

                2.              En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions et la charge initiale de " démolir " les hypothèses formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable. Le fardeau initial consiste seulement à " démolir " les hypothèses exactes qu'a formulées le ministre, mais rien de plus.

                3.              L'appelant s'acquitte de cette charge initiale de " démolir " les hypothèses du ministre lorsqu'il présente au moins une preuve prima facie et il est établi en droit qu'une preuve non contestée ni contredite " démolit " les hypothèses du ministre.

                4.              Lorsque l'appelant a "démoli" les hypothèses du ministre, le fardeau de la preuve passe au ministre qui doit réfuter la preuve prima facie faite par l'appelant et faire la preuve des hypothèses.

                5.              Lorsque le fardeau est passé au ministre et que celui-ci ne produit absolument aucune preuve, le contribuable est fondé à obtenir gain de cause.

[17]          Une preuve prima facie est étayée d'éléments soulevant un tel degré de probabilité en sa faveur que, si elle est jugée digne de foi, elle doit être acceptée par la cour, à moins qu'elle ne soit réfutée ou que le contraire ne soit prouvé. À la différence de la preuve prima facie, dans le cas d'une preuve concluante, il ne peut y avoir une conclusion autre que celle à laquelle mène cette dernière.

[18]          La jurisprudence relative aux principes régissant les opérations entre parties ayant un lien de dépendance en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada a été examinée à fond dans le jugement de notre cour, Parill c. Canada (ministre du Revenu national — M.R.N.), [1996] A.C.I. no 1680, numéros de dossier de la Cour 95-2644(UI) à 95-2649(UI) inclusivement, soit un jugement du juge Cuddihy qui a été confirmé par la Cour d'appel fédérale, (1998) A.C.F. no 836, DRS 98-16759.

[19]          Le savant juge a conclu d'un examen de la jurisprudence pertinente que des parties ont entre elles un lien de dépendance lorsque la contrepartie prédominante, l'intérêt global ou la méthode utilisée équivaut à un mécanisme qui est loin de caractériser une démarche que l'on pourrait qualifier d'indépendante entre des parties sans lien de dépendance traitant les unes avec les autres. Il a également dit que des parties ont un lien de dépendance si une même personne dirige les négociations de deux parties à une opération, si les parties à une opération agissent de concert sans intérêts distincts ou si l'une ou l'autre partie à une opération exerçait une influence ou un contrôle sur l'autre ou avait le pouvoir de le faire. Il en sera de même si les rapports des parties ne sont pas conformes à l'objet et à l'esprit de la loi et n'indiquent pas une juste participation dans le jeu normal des forces économiques du marché. (Voir Le Procureur général du Canada c. Rousselle, C.A.F., no A-1243-88, 31 octobre 1990 (124 N.R. 339.)

[20]          Le juge Cuddihy de la Cour canadienne de l'impôt a conclu que l'existence d'un ou de plusieurs facteurs non conformes au processus normal de négociation entre l'employeur et l'employé et non conformes à l'objet et à l'esprit de la loi sera fatale dans l'application du critère du lien de dépendance.

[21]          Une structuration de salaires non conforme à ce à quoi l'on pourrait s'attendre dans le cas d'une véritable relation entre parties sans lien de dépendance ne satisfait pas au critère. Une structuration de salaires doit correspondre au jeu normal réel des forces économiques du marché, sans qu'interviennent des arrangements ou opérations non conformes à l'objet et à l'esprit de la loi, soit la LAC et la LAE.

[22]          L'appelant n'a pas présenté assez d'éléments pour établir une preuve prima facie de manière à démolir les hypothèses c), d), e), h), j), k), m), n) et o).

[23]          Pour ce qui est de l'hypothèse f), la payeuse n'a jamais employé plus de 15 personnes à la fois durant son exploitation, mais cette hypothèse n'a pas d'importance.

[24]          Les éléments de preuve présentés au sujet de l'hypothèse i) ne démolissent pas cette hypothèse. L'appelant a témoigné que, de temps en temps, il se rendait aux divers chantiers de l'entreprise de la payeuse bien qu'il n'était pas employé et il a témoigné que, de temps en temps, il allait chercher de quoi manger le midi pour des travailleurs employés sur un chantier bien qu'il ne travaillait pas. Comme je l'ai dit précédemment, il prenait des appels d'affaires chez lui pour l'entreprise, faisait des commissions de temps en temps pour la payeuse et passait prendre du matériel lors de déplacements privés sans être rétribué.

[25]          Au sujet de l'hypothèse 1), la preuve est que tous les travailleurs embauchés pour remplir des fonctions semblables à celles de l'appelant étaient payés au même taux, preuve que la Cour accepte et qui démolit cette hypothèse.

[26]          Il est clair que, en rendant son règlement, l'intimé a pris en compte le fait que l'appelant était embauché à un taux horaire de 15 $, soit le taux courant pour un opérateur de machines, mais qu'il fournissait un terrain et des bâtiments sans demander de loyer, qu'il recevait une rétribution à ce taux pendant des périodes où il ne travaillait pas en fait, qu'il fournissait des services hors des périodes effectives de travail sans être rétribué et qu'il était systématiquement employé année après année pendant des périodes correspondant exactement à ce qui était nécessaire pour être admissible à des prestations.

[27]          L'intimé a probablement conclu que la méthode qui avait été utilisée pour déterminer la rétribution à laquelle l'appelant devrait avoir droit n'était pas typique de ce à quoi l'on pourrait s'attendre de parties sans lien de dépendance et que les rapports entre l'appelant et la payeuse n'étaient pas conformes à l'objet et à l'esprit de la LAC et de la LAE et n'indiquaient pas une juste participation dans le jeu normal des forces économiques du marché. Il a probablement conclu que la payeuse n'aurait jamais pu négocier un tel arrangement financier avec un étranger.

[28]          La Cour d'appel fédérale a, dans l'affaire Le Procureur général du Canada c. Jencan Ltd., [1998] 1 C.F. 187 (215 N.R. 352), énoncé les critères en fonction desquels la Cour canadienne de l'impôt doit exercer sa compétence à l'égard d'appels relatifs à des prestations d'assurance-emploi refusées par le ministre du Revenu national (le " ministre ") lorsque le payeur et l'appelant sont des personnes liées et que le ministre a déterminé qu'il y avait un lien de dépendance. Ces critères peuvent être résumés comme suit :

                1.              En exerçant sa compétence, la Cour doit faire preuve d'un degré élevé de retenue judiciaire dans l'examen du règlement de la question qu'a fait le ministre. Bien que la Cour ait le pouvoir de trancher des questions de droit et de fait, sa compétence est circonscrite.

                2.              Quoique la procédure soit désignée par le terme " appel ", en réalité elle s'apparente plus à un contrôle judiciaire, la Cour devant déterminer non pas si le règlement du ministre était bien fondé, mais plutôt s'il résultait d'un exercice approprié du pouvoir discrétionnaire du ministre.

                3.              L'omission de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes comme l'exige la Loi sur l'assurance-chômage ou la Loi sur l'assurance-emploi ou la prise en considération de faits non pertinents représenterait un exercice inapproprié de ce pouvoir discrétionnaire. Si le ministre avait agi de mauvaise foi ou pour un motif inapproprié, le résultat serait le même.

                4.              La Cour n'a pas le droit de substituer sa propre décision à celle du ministre du simple fait qu'elle serait arrivée à une conclusion différente sur la foi des faits sur lesquels le ministre s'était fondé. Toutefois, comme la partie appelante n'est pas dans le secret de la décision du ministre et a la charge de prouver le bien-fondé de sa cause, elle a le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve pour contester les hypothèses de fait invoquées par le ministre. Si, après avoir examiné l'ensemble de la preuve, la Cour conclut que les faits sur lesquels le ministre s'était appuyé sont insuffisants en droit pour étayer le règlement fait par le ministre, la Cour est fondée à scruter ce règlement et, si elle le juge juridiquement défectueux, elle est fondée à intervenir.

                5.              Une hypothèse de fait réfutée au procès ne représente pas nécessairement un défaut rendant le règlement du ministre contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse du reste de la preuve. La Cour doit franchir une autre étape et se demander si, sans la ou les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il y a suffisamment d'éléments de preuve pour étayer le règlement du ministre.

                6.              Bref, pour qu'il soit conclu que le règlement du ministre est insuffisant en droit, l'appelant doit établir que le ministre a agi de mauvaise foi ou dans un but ou pour un mobile illicites, qu'il n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes comme l'exigent le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la LAC et l'alinéa 5(3)b) de la LAE ou qu'il a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[29]          La Cour est convaincue que l'intimé n'a pas agi de mauvaise foi ou pour un motif inapproprié et qu'il a tenu compte des considérations pertinentes mentionnées précédemment. Bien que l'appelant ait démoli l'hypothèse l) et que cela aurait été important s'il s'était agi du seul facteur, la Cour est convaincue que les hypothèses restantes sont suffisantes pour étayer le règlement de l'intimé. L'intimé ayant exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière impartiale, notre cour ne peut intervenir.

[30]          L'appel de l'appelant est rejeté, et le règlement de l'intimé est confirmé.

APPEL DE MARY BABIN

[31]          L'appelante interjette appel contre un règlement de l'intimé en date du 31 mars 1998 qui indique que l'emploi qu'elle a exercé pour Superior Contracting Ltd., la " payeuse ", au cours des périodes allant du 18 avril 1994 au 19 avril 1995, du 22 mai 1995 au 5 janvier 1996 et du 22 avril au 29 juin 1996 n'était pas un emploi assurable, l'appelante n'exerçant pas un emploi en vertu d'un contrat de louage de services au sens de la LAC, et que l'emploi qu'elle a exercé pour la payeuse au cours de la période allant du 30 juin 1996 au 31 mai 1997 n'était pas un emploi assurable, l'appelante n'exerçant pas un emploi en vertu d'un contrat de louage de services au sens de la LAE; toutes ces périodes sont appelées ci-après les " périodes en question ".

[32]          L'intimé a fondé sa décision sur les hypothèses suivantes :

[TRADUCTION]

a)              l'appelante était une société dûment constituée sous le régime des lois de la province de Nouvelle-Écosse en 1983;

b)             la payeuse exploite à longueur d'année une entreprise consistant à exécuter des contrats d'excavation, de terrassement, de dragage et d'aménagement;

c)              l'appelante a fourni des services pour la payeuse depuis 1988;

d)             l'appelante fournissait des services de tenue de livres à la payeuse;

e)              l'appelante évaluait la charge de travail et déterminait quand elle fournirait les services pour la payeuse;

f)              l'appelante consignait elle-même ses heures de travail, qui n'étaient pas vérifiées par la payeuse;

g)             l'appelante n'était pas supervisée ou surveillée dans l'exercice de ses fonctions;

h)             l'appelante était payée au taux de 10 $ l'heure et recevait une paie de vacances;

i)               l'appelante avait conclu des conventions de travail à peu près semblables avec deux autres sociétés de la région;

j)               l'appelante fonctionnait à la manière d'un travailleur autonome;

k)              l'appelante était libre d'organiser son temps en cas de conflit d'horaires concernant les travaux à accomplir pour la payeuse et les travaux à accomplir pour les autres sociétés;

l)               la payeuse n'avait pas la priorité lorsqu'il s'agissait de retenir les services de l'appelante;

m)             l'appelante et la payeuse n'étaient pas liées par un contrat de louage de services.

[33]          L'appelante a admis les hypothèses a), c) et h), mais a nié toutes les autres hypothèses précitées.

FAITS

[34]          Sur le fondement de la preuve produite, la Cour tire les conclusions de fait qui suivent.

[35]          L'appelante avait été embauchée par la payeuse comme teneuse de livres et employée de bureau à temps partiel en octobre 1988. Sa première tâche avait été de convertir le système manuel de la payeuse en système informatisé.

[36]          La payeuse fournissait à l'appelante un bureau ainsi que tous les instruments de travail nécessaires pour l'exercice des fonctions de l'appelante. Lorsqu'elle était employée, l'appelante accomplissait tout le travail de bureau, c'est-à-dire que, notamment, elle dactylographiait des lettres et des contrats, s'occupait de la paie, effectuait des dépôts, établissait des factures et réglait tous les comptes impayés.

[37]          La payeuse laissait s'accumuler la plupart des travaux d'écriture et de facturation de manière à pouvoir embaucher l'appelante pour toute une semaine à la fois. Dans l'intervalle, cependant, le seul actionnaire et président de la payeuse, Glenn Marchand (" M. Marchand "), effectuait lui-même certains de ces travaux au besoin, notamment pour ce qui était de la paie hebdomadaire. Il déterminait quand il y avait suffisamment de travail et faisait alors entrer l'appelante.

[38]          Concernant ses services, l'appelante avait entrepris d'accorder le premier choix à la payeuse. Lorsqu'elle n'était pas employée par la payeuse, elle travaillait pour d'autres sociétés, sur appel, mais uniquement pour aider le personnel de ces autres sociétés à inscrire des données. Le travail qu'elle accomplissait pour d'autres employeurs n'était pas semblable à celui qu'elle accomplissait pour la payeuse.

[39]          L'appelante était payée au taux de 10 $ l'heure et consignait elle-même ses heures de travail. Glenn Marchand, soit le seul actionnaire de la payeuse, était habituellement au bureau lorsque l'appelante arrivait et il y était parfois durant la journée et quand l'appelante partait à la fin de la journée.

DÉCISION

[40]          La preuve confirme les hypothèses b) et d), qui avaient initialement été niées simplement parce que des explications supplémentaires étaient nécessaires.

[41]          Les éléments présentés pour démolir les hypothèses e), i), j), k) et l) établissent une preuve prima facie qui n'a pas été réfutée par l'intimé. Conformément à l'arrêt Hickman Motors Limited précité, ces hypothèses sont démolies.

[42]          Pour ce qui est des hypothèses f) et g), l'entreprise de la payeuse était telle que M. Marchand devait s'absenter du bureau de temps en temps, de sorte que l'appelante n'était pas personnellement supervisée ou surveillée. Toutefois, M. Marchand lui donnait des directives, et le fait qu'elle a été employée pendant une longue période indique qu'il était satisfait de son travail. Des employés de petites sociétés sont souvent laissés à eux-mêmes dans l'exercice de leur emploi, sans supervision ou surveillance directe, mais ce seul fait ne change rien à leur statut d'employés.

[43]          La Cour conclut qu'il existait un contrat de louage de services; l'appel est accueilli, et le règlement de l'intimé est infirmé.

Signé à Rothesay (Nouveau-Brunswick), ce 12e jour de novembre 2000.

" Murray F. Cain "

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de mai 2001.

Mario Lagacé, réviseur

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