Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date :19971007

Dossiers : 95-2371-UI; 95-116-CPP

ENTRE :

MULLIN BROS. LIMITED,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1]            L'appelante est une petite compagnie de camionnage du Sud de l'Ontario qui a été créée en 1986 par M. Kim Mullin et son frère. Vers 1991, Kim Mullin a racheté les actions de son frère, si bien que, à partir de 1991, il a été le seul actionnaire de l'appelante. À la fin de 1992, l'appelante était propriétaire de cinq camions. Deux des camions étaient loués à la Brockelbank Trucking (" Brockelbank "), et les trois autres étaient conservés par l'appelante pour fins de camionnage local.

[2]            Le camionnage local consistait à transporter du bétail, ainsi que du foin, de la paille et du gravier. Les deux camions loués à la Brockelbank étaient utilisés pour fins de camionnage sur de longues distances, habituellement vers des destinations de l'Ouest du Canada comme Calgary et Edmonton. Apparemment, la Brockelbank était une assez grosse entreprise : elle avait ses propres tracteurs et remorques, son propre répartiteur ainsi que des relations d'affaires un peu partout au Canada et aux États-Unis. Les deux camions que l'appelante louait à la Brockelbank n'étaient que des camions tracteurs de remorques. La Brockelbank fournissait les remorques ainsi que le chargement, et son répartiteur donnait des instructions aux chauffeurs des deux camions de l'appelante pour ce qui est de la destination et du chargement. L'appelante ne fournissait à la Brockelbank que les tracteurs et les chauffeurs.

[3]            Avant le 1er janvier 1993, l'appelante avait considéré tous ses chauffeurs comme des employés et avait effectué les retenues à la source habituelles aux fins de l'impôt sur le revenu, de l'assurance-chômage et du Régime de pensions du Canada. Pour ce qui est de la période commençant le 1er janvier 1993, Kim Mullin était arrivé à la conclusion que les chauffeurs qu'il fournissait à la Brockelbank avec ses deux tracteurs étaient en fait non pas des employés de l'appelante, mais des entrepreneurs indépendants. Donc, l'appelante avait cessé d'effectuer les retenues à la source pour les chauffeurs conduisant les deux tracteurs loués à la Brockelbank. Après une vérification, le ministre du Revenu national avait pour sa part conclu que les chauffeurs conduisant les deux tracteurs en question étaient en fait des employés de l'appelante et non des entrepreneurs indépendants. Une évaluation avait été établie à l'égard de l'appelante au titre des retenues à la source qui auraient par ailleurs été effectuées pour ces chauffeurs. Le présent appel a été interjeté par l'appelante à l'encontre de cette évaluation.

[4]            La seule question est de savoir si les chauffeurs qui conduisent les camions loués à la Brockelbank sont des employés de l'appelante ou des entrepreneurs indépendants. Afin de déterminer le statut des chauffeurs, il est nécessaire d'examiner la relation commerciale existant entre la Brockelbank et l'appelante. Lorsque la Brockelbank avait besoin d'un des tracteurs de l'appelante pour tirer une de ses remorques, son répartiteur téléphonait à l'appelante pour lui dire, par exemple, que l'entreprise avait une remorque à faire tirer jusqu'à Calgary. Kim Mullin offrait alors le voyage à un de ses chauffeurs affectés au camionnage sur de longues distances, et le chauffeur pouvait accepter le voyage ou non. M. Mullin a souligné dans son témoignage qu'un chauffeur pouvait refuser un voyage pour toute raison personnelle. S'il acceptait le voyage, le chauffeur apportait le tracteur de l'appelante à la Brockelbank, prenait la remorque et entreprenait le voyage. Si le premier chauffeur n'acceptait pas le voyage, M. Mullin l'offrait aux autres chauffeurs, à tour de rôle, jusqu'à ce que l'un d'eux accepte de faire le voyage.

[5]            Le répartiteur de la Brockelbank donnait alors des instructions au chauffeur concernant le chargement et la destination et concernant les délais dont la partie recevant le chargement pouvait avoir besoin afin de réunir des personnes pour le déchargement de la remorque. Au retour, le chauffeur remettait son rapport à la Brockelbank, soit un carnet de route indiquant le nombre de milles parcouru, le carburant consommé et tout autre renseignement pertinent. La Brockelbank réglait l'appelante le 15 et le 30 de chaque mois, payant 90 ¢ du mille pour chaque voyage. M. Mullin a expliqué au sujet du nombre de milles qu'il s'agissait en fait d'un nombre établi pour chaque destination principale, par exemple 2 150 milles de Toronto à Calgary et 2 275 milles de Toronto à Edmonton. En d'autres termes, le choix de l'itinéraire pour un voyage entre Toronto et Calgary n'importait pas vraiment, car, pour ce genre de voyage, la Brockelbank payait à l'appelante 90 ¢ du mille pour le nombre de milles établi, soit 2 150 milles entre Toronto et Calgary.

[6]            Si, pour le voyage de retour, la Brockelbank donnait des instructions au chauffeur pour qu'il fasse un détour, par exemple aux États-Unis, pour prendre un chargement, la Brockelbank fournissait à l'appelante des renseignements supplémentaires indiquant à quels endroits le camion devait s'arrêter pour prendre un chargement pour le retour et livrer la cargaison à tel ou tel endroit dans l'Est du Canada. Quoi qu'il en soit, la seule rétribution versée par la Brockelbank à l'appelante était les 90 ¢ du mille pour chaque voyage fait avec tel ou tel camion.

[7]            Avec cet argent, l'appelante payait tous les coûts de fonctionnement du camion comme les frais d'huile et d'essence et les frais de réparation et d'entretien. L'appelante payait également le chauffeur selon le nombre de milles parcouru plutôt que selon un taux horaire, par opposition à ce qu'il en était dans le cas d'un chauffeur conduisant les camions que l'appelante gardait en Ontario pour le transport local de bétail, de foin et de gravier. Les chauffeurs conduisant des camions en Ontario étaient uniquement payés à l'heure.

[8]            Pour ce qui est des chauffeurs conduisant les camions qui étaient loués à la Brockelbank et qui servaient au transport sur de longues distances, l'appelante fournissait à chaque chauffeur une caisse de dépenses courantes d'environ 500 $ pour chaque voyage. Cette petite caisse était utilisée pour des dépenses imprévues, par exemple qu'il fallait veiller à l'entretien du camion ou qu'il fallait faire un détour afin de prendre un chargement pour le voyage de retour en Ontario. Chaque chauffeur devait rendre compte de l'utilisation de la petite caisse à son retour, et tous les frais personnels étaient soustraits du paiement fait au chauffeur pour un voyage donné.

[9]            M. Mullin a souligné que, certes, il payait les chauffeurs selon le nombre de milles parcouru pour les voyages sur de longues distances, d'après le calcul du répartiteur de la Brockelbank, mais chaque chauffeur était libre d'accepter ou de refuser un voyage. M. Mullin ne pouvait ordonner à un chauffeur affecté au camionnage sur de longues distances d'accepter un voyage à Calgary, alors qu'il pouvait ordonner à un employé régulier qui était sur place, ici, en Ontario, de faire tel ou tel voyage sur une courte distance. En outre, M. Mullin interviewait d'abord les chauffeurs pour déterminer s'il voulait d'eux pour l'exploitation de son matériel, mais les chauffeurs devaient également être interviewés au bureau de la Brockelbank et passer un examen médical s'ils devaient faire de la conduite aux États-Unis, car c'était l'assureur de la Brockelbank qui déterminait si un chauffeur serait autorisé à conduire ou non.

[10]          M. Mullin a reconnu à l'audience que, de décembre 1992 à janvier 1993, il n'y avait eu aucun changement important dans la manière dont il traitait les chauffeurs conduisant les camions que l'appelante louait à la Brockelbank. Ces chauffeurs étaient payés selon le nombre de milles parcouru, au même taux pour chaque voyage. Ils conduisaient ses tracteurs, mais la destination était déterminée par le répartiteur de la Brockelbank. M. Mullin restait propriétaire des véhicules et fournissait une caisse de dépenses courantes pour chaque voyage. Il continuait à payer tous les frais de fonctionnement et d'entretien du camion et, dans des situations particulières, payait les dépenses spéciales du chauffeur comme les notes de motel et les frais de repas si le chauffeur était retardé en raison d'un problème quelconque concernant le camion ou la cargaison.

[11]          Appliquant les critères de base que sont (i) le contrôle, (ii) la propriété des instruments de travail et (iii) les chances de bénéfice et les risques de perte, je conclurais que les chauffeurs des camions loués à la Brockelbank étaient des employés de l'appelante et non des entrepreneurs indépendants. L'appelante exerçait un contrôle sur eux. M. Mullin pouvait déterminer quel chauffeur conduirait quel camion pour tel ou tel voyage sur une longue distance. Le fait que le répartiteur de la Brockelbank décidait de la destination et donnait des instructions au chauffeur de temps à autre au cours d'un voyage particulier ne changeait rien au fait que c'est l'appelante qui déterminait si un chauffeur donné serait autorisé à prendre tel camion pour tel voyage. Le critère du contrôle amène à penser qu'il s'agissait d'un emploi.

[12]          En ce qui a trait à la propriété des instruments de travail, les camions appartenaient tous à l'appelante. M. Mullin a dit qu'il devait être convaincu quant à la question de savoir si tel ou tel candidat serait autorisé à conduire un de ses camions. Cela est compréhensible, vu le coût des gros tracteurs nécessaires pour transporter de longues remorques sur les grandes routes. Les chauffeurs n'avaient pas à être mécaniciens. M. Mullin a décrit les deux endroits où il faisait entretenir ses camions, soit Feversham ou Barrie, en Ontario. Le critère de la propriété des instruments de travail amène à penser qu'il s'agissait d'un emploi.

[13]          En ce qui concerne les chauffeurs qui conduisaient les véhicules de l'appelante suivant les instructions du répartiteur de la Brockelbank, il n'y avait aucun risque de perte. Ils étaient payés au nombre de milles parcouru pour chaque voyage, et les frais d'exploitation du camion étaient acquittés par l'appelante. À l'instar des autres employés, ils recevaient donc une rétribution pour les services qu'ils fournissaient et ne couraient aucun risque de devoir prendre en charge des frais pouvant réduire cette rétribution et les placer en situation de perte. Le critère des chances de bénéfice et des risques de perte amène à penser qu'il s'agissait d'un emploi.

[14]          Ayant conclu que les trois critères de base amènent à penser qu'il s'agissait d'un emploi, j'en arrive à la conclusion que les chauffeurs en question étaient des employés de l'appelante et non des entrepreneurs indépendants. En conséquence, l'évaluation établie à l'égard de l'appelante au titre de retenues à la source est confirmée, et l'appel est rejeté.

Ottawa, Canada, le 7 octobre 1997.

M. A. Mogan

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 3e jour de juillet 1998.

Philippe Ducharme, réviseur

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