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Date: 19980727

Dossiers: 97-673-UI; 97-890-UI; 97-891-UI; 97-892-UI; 97-1025-UI

ENTRE :

BJ KANE ELECTRIC LTD., MICHEL PORTUGAISE,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

Intimé.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'appels interjetés à l'encontre de règlements du ministre du Revenu national (le " ministre ") en vertu de l'article 61 de la Loi sur l'assurance-chômage (la " LAC ") et de l'article 91 de la Loi sur l'assurance-emploi (la " Loi "). Ces règlements indiquaient que l'emploi que les quatre travailleurs énumérés ci-dessous exerçaient pour la BJ Kane Electric Ltd. (l'" appelante ") au cours des périodes mentionnées ci-dessous était un emploi assurable au sens de l'alinéa 3(1)a) de la LAC et de l'alinéa 5(1)a) de la Loi. Tous ces appels ont été entendus sur preuve commune.

                Travailleurs et périodes en cause :

Appels

97-673(UI)

97-890(UI)

97-891(UI)

97-892(UI)

97-1025(UI)

Travailleurs

Lance Larocque

Donald Downer

Gerald MacDonald

Michel Portugaise

Périodes

1er mai au 31 décembre 1996

1er avril au 30 avril 1996

1er avril au 30 avril 1996

1er janvier au 31 décembre 1995

[2]            Dans ses règlements, le ministre se fondait sur les hypothèses de fait énoncées au paragraphe 4 des réponses aux avis d'appel, réponses qui sont identiques pour chacun des appels, sauf en ce qui a trait aux périodes en cause. Par souci de commodité, je ne reproduirai que les hypothèses de fait énoncées pour l'appel 97-673(UI). Elles se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

a)              l'appelante exploite une entreprise qui s'occupe d'installations et de réparations électriques;

b)             le travailleur avait été engagé comme électricien par l'appelante;

c)              le travailleur fournissait des services aux clients de l'appelante;

d)             le travailleur était payé à l'heure par l'appelante;

e)              tous les articles et matériaux nécessaires pour les installations et réparations électriques étaient fournis au travailleur par l'appelante, sans frais pour le travailleur;

f)*            l'appelante fournissait un véhicule au travailleur;

g)             le travailleur ne pouvait réaliser un bénéfice ou subir une perte par suite de l'exécution des services pour l'appelante;

h)             le travail accompli par le travailleur était assujetti à une inspection et à une approbation de la part de l'appelante;

i)**           pour 1994 et 1995, le travailleur a déclaré son revenu comme revenu d'emploi;

j)**            pour 1994 et 1995, le travailleur n'a pas déclaré de revenu d'un travail indépendant;

k)**           pour 1994 et 1995, le travailleur a reçu des prestations d'assurance-chômage fondées sur le revenu d'emploi;

l)               le travailleur faisait partie intégrante de l'entreprise de l'appelante puisque cette dernière est un entrepreneur en électricité et que le travailleur avait été engagé comme électricien;

m)             le travailleur ne se présentait pas comme étant un travailleur indépendant et ne faisait aucune publicité ou promotion indiquant qu'il était un travailleur indépendant;

n)             le travailleur exerçait un emploi pour l'appelante en vertu d'un contrat de louage de services.

[3]            M. Brian Kane et son épouse, Mme Heather Kane, qui sont les seuls actionnaires de l'appelante, ont témoigné. Ils n'ont admis que les alinéas 4a), d) et f) précités. Ils ont nié toutes les autres allégations. Personne d'autre n'a témoigné.

[4]            Durant les périodes en cause, l'appelante venait de commencer à exploiter une entreprise d'électricité. M. Kane, qui est lui-même électricien accrédité, avait précédemment travaillé dix ans pour une compagnie d'électricité.

[5]            L'appelante avait commencé à traiter avec les travailleurs après avoir conclu un contrat avec Business Depot. Comme M. Kane ne pouvait exécuter le contrat lui-même, il avait bel et bien contacté les travailleurs. Aucun contrat écrit n'avait été signé. Dans le cas de Lance Larocque, une entente avait été conclue avec lui en sa qualité de propriétaire d'Alexandre Electric. Un certificat d'indemnisation a été déposé sous la cote A-1. Ce certificat est signé de la main de M. Larocque et est daté du 17 mai 1996. Il se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Certificat d'indemnisation

La présente certifie qu'Alexandre Electric et moi avons conclu avec la Kane Electric Ltd. un arrangement contractuel en vertu duquel nous exécuterons des travaux particuliers pour la Kane Electric et serons payés pour ce travail une fois que tous les travaux auront été achevés d'une manière jugée satisfaisante ou, si les parties en conviennent, une fois que des phases particulières du travail auront été achevées.

Nous ne travaillerons pas comme employés de la Kane Electric et, sur les sommes payées pour le travail, la Kane Electric ne retiendra aucun impôt sur le revenu, cotisation de Régime de pensions du Canada ou cotisation d'assurance-emploi.

Le travail sera accompli sur un chantier, et nous serons responsables envers la Kane de l'achèvement des travaux selon les spécifications déterminées par elle. Le travail ne sera pas exécuté sous la surveillance directe d'un employé de la Kane Electric, mais sera assujetti à une inspection et à une approbation de la part de la Kane Electric.

Nous travaillerons comme entrepreneurs indépendants et ne serons pas couverts par une assurance-responsabilité générale de la Kane Electric. Nous aurons notre propre assurance-responsabilité d'entrepreneur général et notre propre assurance contre les accidents du travail.

Signé ce 17e jour de mai 1996.

L Larocque

[6]            Les travailleurs étaient payés à l'heure, selon un taux pouvant aller de 16 $ à 20 $ l'heure. Tous étaient des électriciens agréés, et la rétribution était établie suivant ce qui était payé dans ce secteur d'activité. Les travailleurs étaient payés toutes les semaines, selon le nombre d'heures qu'ils avaient travaillées.

[7]            Le bureau de l'appelante était situé chez les Kane. Aucun travailleur n'avait à s'y présenter. Tous les jours, les travailleurs se rendaient directement sur le chantier auquel M. Kane les avait affectés. M. Kane a dit qu'il était habituellement en contact avec le surveillant général et qu'il allait sur le chantier deux ou trois fois par semaine. Sinon, il travaillait à d'autres projets.

[8]            Les heures de travail étaient déterminées par le calendrier donné par le client. M. Kane a dit qu'il ne vérifiait pas l'heure à laquelle les travailleurs commençaient ni l'heure à laquelle ils finissaient. Il n'y avait pas d'horaire fixe. Les travailleurs n'avaient qu'à dire à M. Kane combien d'heures ils avaient travaillées pour être payés.

[9]            Les travailleurs étaient responsables du travail accompli et, d'après les témoins, il leur incombait de corriger tous défauts à leurs propres frais. Ce fait semblait être corroboré par les réponses écrites de M. Lance Larocque (en date du 27 janvier 1997) à un questionnaire qui lui avait été envoyé par Revenu Canada le 16 décembre 1996; cela fait partie de la pièce A-1.

[10]          Les travailleurs fournissaient leur propre matériel, sauf les gros outils électriques, qui étaient loués par l'appelante et facturés au client. En outre, l'appelante fournissait occasionnellement une fourgonnette aux travailleurs. La valeur des outils d'Alexandre Electric était d'environ 900 $ au mois de décembre 1996 (voir les réponses au questionnaire mentionné précédemment).

[11]          Bien que cela ne soit pas arrivé, il semble que les travailleurs pouvaient, travailler pour d'autres entrepreneurs, pourvu qu'ils respectent l'obligation qu'ils avaient de terminer leur contrat avec l'appelante dans les délais déterminés.

[12]          M. Kane a déclaré dans son témoignage que, durant les périodes en cause, il n'avait pas les ressources financières pour recruter des employés. Lorsque l'appelante avait obtenu le contrat de Business Depot, M. Kane avait retenu les services d'électriciens au tarif normal dans ce secteur d'activité, sans autre forme de rémunération (ce qui est corroboré par les réponses de Lance Larocque au questionnaire précité), car il lui fallait de l'aide pour de courtes périodes seulement. Maintenant que son entreprise a pris de l'expansion, il possède des outils plus puissants et a quelques employés, dont un électricien, qui est également payé à l'heure (20 $ l'heure).

Analyse

[13]          La question que je dois examiner est de savoir si, durant les périodes en cause, les travailleurs exerçaient un emploi pour l'appelante en vertu d'un contrat de louage de services au sens de l'alinéa 3(1)a) de la LAC et de l'alinéa 5(1)a) de la Loi. Pour trancher cette question, les critères adoptés dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R.1 — soit le contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfice ou les risques de perte et l'intégration ou organisation, c'est-à-dire la question de savoir si les travailleurs oeuvraient pour leur propre entreprise ou pour celle de l'appelante — doivent être analysés de manière à définir la relation globale qui existait entre les parties.

[14]          Tout d'abord, je dois dire que je n'ai entendu que la version de l'appelante, soit une preuve qui pourrait évidemment avoir tendance à être intéressée. Toutefois, l'appelante a déposé sous la cote A-1 des documents signés de la main d'un travailleur, M. Lance Larocque, qui n'était pas présent à l'audience, soit des documents visant à corroborer la version de l'appelante. Je dois dire que, devant l'opposition de la représentante de l'intimé au dépôt de ces documents en preuve, j'avais accepté ces documents, mais je n'ai pas l'intention de me fonder beaucoup sur ces documents dans mon analyse, car on n'a pu contre-interroger M. Larocque, qui était absent. En outre, un des appels a été interjeté par un autre travailleur, M. Michel Portugaise. L'avis d'appel de ce dernier révèle également des faits favorables à la version de l'appelante, car M. Portugaise prétend qu'il n'était pas un employé durant la période en cause. M. Portugaise n'a toutefois pas comparu devant moi.

[15]          Compte tenu du fait que la propre façon de l'appelante de considérer après coup la relation existant avec les travailleurs n'est pas déterminante, j'essaierai maintenant d'accorder à tous les éléments de preuve dont j'ai été saisie le poids que peuvent dicter les circonstances, afin de décider si les travailleurs étaient des employés de l'appelante (voir le jugement Standing c. M.R.N., [1992] A.C.F. no 890 (C.A.F.)).

[16]          Pour ce qui est du contrôle exercé par l'appelante sur le travail accompli par les travailleurs, même si M. Kane ne surveillait pas de près le travail accompli par les travailleurs, il a fait remarquer qu'il allait sur le chantier deux ou trois fois par semaine pour vérifier le travail accompli. Il a également dit qu'il était régulièrement en contact avec le surveillant général du chantier. Il a en outre été admis par M. et Mme Kane que l'appelante était responsable envers le client de l'exécution globale du contrat. C'est l'appelante qui avait conclu un contrat avec le client et, en définitive, c'est elle qui avait une obligation de résultat. Certes, les deux témoins ont déposé qu'il incombait aux travailleurs de corriger tous défauts à leurs propres frais, ce qui semble être corroboré par M. Lance Larocque dans la pièce A-1, mais aucune preuve précise n'a été présentée sur ce point particulier. Je ne suis pas convaincue que cela soit déjà arrivé et, si cela est déjà arrivé, je ne suis pas convaincue que les travailleurs ont effectivement pris en charge le coût de leurs propres réparations.

[17]          Pour ce qui est des heures de travail, M. Kane a déclaré que les travailleurs n'avaient pas d'horaire fixe. Toutefois, leurs heures étaient déterminées par le calendrier donné par le client. L'appelante était responsable envers le client de faire exécuter le travail dans un certain délai. En ce sens, M. Kane examinait certainement l'horaire des travailleurs pour chaque contrat particulier. En outre, les travailleurs devaient déclarer le nombre d'heures qu'ils avaient travaillées pour être payés. Je conclus donc que l'appelante exerçait bel et bien un contrôle sur l'horaire des travailleurs.

[18]          En ce qui a trait au matériel, les travailleurs fournissaient leurs propres outils manuels, comme le font tous les électriciens, qu'il s'agisse d'employés ou d'entrepreneurs indépendants. Les outils plus puissants étaient loués par l'appelante.

[19]          En ce qui a trait à la rétribution, chaque travailleur était payé régulièrement, selon un taux horaire fixe qui avait été déterminé au moment de l'embauchage initial. Aucun autre avantage n'était accordé. La preuve n'indiquait pas que les travailleurs étaient en mesure de réaliser un bénéfice. En fait, c'est l'appelante qui courait la chance de réaliser un bénéfice sur les contrats qu'elle avait chaque année. De plus, je ne suis pas convaincue que les travailleurs couraient un risque de subir une perte. S'il y avait eu une perte, je ne suis pas convaincue qu'elle aurait été prise en charge par les travailleurs, alors qu'il est évident qu'une perte aurait été prise en charge par l'appelante, car cette dernière était responsable envers le client du travail accompli.

[20]          En ce qui concerne l'intégration des activités des travailleurs à l'entreprise de l'appelante, je ne suis pas convaincue sur la foi de la preuve que les travailleurs oeuvraient pour leur propre entreprise. C'est l'appelante qui a fourni le travail pour toute la période. Les travailleurs n'ont oeuvré pour personne d'autre au cours de cette période. L'appelante ne m'a pas convaincue que les travailleurs oeuvraient comme des personnes travaillant à leur compte.

[21]          Compte tenu de l'ensemble de ces divers facteurs, je suis d'avis que l'appelante n'a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que les travailleurs n'exerçaient pas un emploi en vertu d'un contrat de louage de services durant les périodes en cause. L'emploi exercé par les travailleurs était donc un emploi assurable en vertu de la LAC et de la Loi.

[22]          En conséquence, les appels sont rejetés, et les règlements du ministre sont confirmés.

Signé à Ottawa, Canada, le 27 juillet 1998.

" Lucie Lamarre "

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de septembre 1998.

Mario Lagacé, réviseur



*               Cet alinéa n'est pas inclus dans les réponses aux avis d'appel concernant les appels 97-890(UI) et 97-891(UI). Pour les appels 97-892(UI) et 97-1025(UI), l'alinéa f) se lit comme suit : Parfois, l'appelante fournissait un véhicule au travailleur.

**             Pour les appels 97-890(UI) et 97-891(UI), il est allégué que les travailleurs Downer et MacDonald ont déclaré un revenu d'emploi et ont reçu des prestations d'assurance-chômage pour 1994, 1995 et 1996. En ce qui concerne les appels 97-892(UI) et 97-1025(UI), il est allégué que le travailleur Portugaise a déclaré un revenu d'emploi pour 1994 et 1996 et a reçu des prestations d'assurance-chômage en 1994, en 1995 et en 1996.

1                87 DTC 5025.

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