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Date : 19971122

Dossier : 96-4163-IT-I

ENTRE :

SYLVIA MENDES-ROUX,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Léger, C.C.I.

[1]            L'appelante, qui est avocate, a exercé un emploi pour le Bureau de la traduction du Nouveau-Brunswick de 1987 à 1993, soit pendant une période de sept ans. Elle faisait fonction de coordonnatrice pour des interprètes judiciaires. Elle travaillait à Bathurst (Nouveau-Brunswick). Elle était chargée de former et d'évaluer des interprètes judiciaires et d'assurer la liaison entre les juges, les avocats, les interprètes judiciaires et le Bureau de la traduction.

[2]            En avril 1993, l'appelante avait demandé et obtenu un congé de maternité, soit un congé qu'elle a pris du 7 juin au 27 août 1993. Durant son congé, on l'avait informée, sans préavis ou discussion préalable, que le bureau de Bathurst du Bureau de la traduction allait être fermé et que le service de coordination de l'interprétation judiciaire allait être assuré à Fredericton à partir du 1er septembre 1993. On lui avait également dit qu'elle serait affectée à d'autres tâches mais que, toutefois, sa classification et son salaire resteraient inchangés. Enfin, en septembre 1993, elle s'était rendue au bureau de Bathurst pour travailler et on lui avait dit de se présenter au bureau de Fredericton, faute de quoi il serait mis fin à son emploi pour " abandon de poste ".

[3]            L'appelante nous a dit en fait que le directeur du Bureau de la traduction de la province, soit son supérieur hiérarchique immédiat, était quelqu'un de très rusé. Elle soupçonnait qu'il avait des raisons d'éprouver de l'appréhension à son égard et qu'il ne désirait pas qu'elle travaille pour lui.

[4]            On lui a demandé de préciser sa pensée à ce sujet. Elle était très émotive en présentant son témoignage, et l'avocate de l'intimée ne s'est pas opposé à ce que nous entendions le récit de ce démêlé. L'appelante nous a dit que, au cours de son emploi, elle avait découvert et signalé qu'un certain interprète judiciaire fraudait le Bureau de la traduction. Son supérieur hiérarchique immédiat, soit le directeur du Bureau de la traduction, avait dû s'occuper de cet employé et n'avait pas trouvé cela drôle.

[5]            L'appelante a allégué qu'il était ultérieurement apparu que le directeur lui-même était mêlé à des activités moins que convenables. Ces activités, qui entraient en conflit avec les fonctions du directeur, sont décrites dans une coupure de journal qui est jointe aux observations écrites de l'appelante, sous la cote K-2. L'appelante soutient que son patron craignait qu'elle puisse dénoncer ses activités illicites si elle continuait d'occuper le poste qu'elle occupait alors. L'appelante soutient que ledit directeur avait, pendant qu'elle était en congé, fait en sorte que le bureau de Bathurst soit transféré à Fredericton. Les allégations de l'appelante quant aux motifs qu'avait son patron pour transférer ledit bureau ne sont que des allégations et non des preuves. L'appelante allègue aussi que connaissant les obligations familiales qu'elle avait, le directeur savait qu'elle n'accepterait pas ou ne pourrait accepter une mutation à Fredericton.

[6]            La preuve révèle que l'appelante avait trois enfants en bas âge et que son époux, qui est avocat, exerçait le droit à Bathurst. La distance entre Bathurst et Fredericton est beaucoup trop grande pour que l'appelante puisse faire la navette quotidiennement et reste en mesure de répondre aux besoins de son époux et de ses enfants.

[7]            Après avoir entendu la preuve, notre cour considère qu'il est évident que le renvoi de l'appelante était injustifié.

[8]            Après avoir été renvoyée, l'appelante avait réclamé des dommages-intérêts à son ancien employeur pour l'injustice dont elle avait été victime et pour la perte d'avantages qu'elle avait subie.

[9]            Certains des avantages qu'elle avait perdus peuvent être résumés comme suit :

Régime de rente collectif      à moitié payé par l'employeur

Congés de maladie                payés par l'employeur

Vacances                payées par l'employeur

Régime de la Croix bleue      à moitié payé par l'employeur

Avantage lié au fait d'être membre d'un groupe (environ 2 300 $ par an)

Régime collectif d'assurance-vie pour elle-même, son époux et les trois enfants

Régime collectif d'assurance soins médicaux et soins dentaires pour elle-même, son époux et les trois enfants

Cotisations annuelles au Barreau acquittées par elle et remboursées par son employeur (environ 900 $ par an).

[10]          La preuve révèle que, étant avocat, l'époux de l'appelante avait négocié avec la province du Nouveau-Brunswick un règlement grâce auquel l'appelante avait reçu la somme de 25 376 $, conformément à une " décharge " signée le 30 septembre 1994.

[11]          Ladite décharge, dont le texte figure à la huitième page à partir de la fin des observations écrites de l'appelante, se lit comme suit :

[TRADUCTION]

JE SOUSSIGNÉE, SYLVIA MENDES-ROUX, de la ville de Bathurst, comté de Gloucester, province du Nouveau-Brunswick, pour la somme de un dollar (1 $) et d'autres contreparties de valeur dont j'accuse par les présentes réception et qui correspondent au paiement de dommages-intérêts spéciaux, dommages-intérêts généraux, frais juridiques et frais d'intérêt par Sa Majesté la Reine du chef de la province du Nouveau-Brunswick représentée par le ministre des Approvisionnements et Services (appelé ci-après le " ministre "), m'engage par les présentes à LIBÉRER À JAMAIS le ministre, ses successeurs et ayants droit de toutes prétentions de quelque nature, y compris en matière de frais et d'intérêts sur ces frais, que je peux faire valoir à l'encontre du ministre en raison de la cessation, en septembre 1993, de l'emploi que j'exerçais pour le Bureau de la traduction du ministère des Approvisionnements et Services.

                Je reconnais que ce paiement est effectué sans aveu de responsabilité de la part du ministre et promets de respecter le caractère confidentiel des détails prévus aux présentes.

                Daté à Bathurst (Nouveau-Brunswick) ce 30e jour de septembre 1994.

SIGNÉ, SCELLÉ ET REMIS

en la présence de :

(illisible)                  signé par Sylvia Mendes-Roux          

                SYLVIA MENDES-ROUX

[12]          Les termes importants de cette décharge sont les suivants :

pour la somme de un dollar (1 $) et d'autres contreparties de valeur [...]

[...] qui correspondent au paiement de dommages-intérêts spéciaux, dommages-intérêts généraux, frais juridiques et frais d'intérêt [...]

[...] en raison de la cessation [...] de l'emploi que j'exerçais pour le Bureau de la traduction [...]

[13]          Les détails du règlement ne sont énoncés dans aucun document. La province reconnaissait manifestement que la cause d'action de l'appelante était bonne puisqu'elle a payé à l'appelante la somme en question. Pour quelque raison, la province voulait que les détails du règlement restent confidentiels.

[14]          Le seul document qui jette quelque lumière sur la question est le relevé d'emploi (pièce " M ") joint aux observations écrites de l'appelante. Il s'agit d'une formule exigée par Revenu Canada et devant être remplie par l'employeur. En réponse à la question numéro 15, la rémunération assurable indiquée est de 745 $ pour une semaine. En réponse à la question numéro 17, concernant les " paiements ou avantages (autres que la paye normale) ", il est dit " paye de vacances de 1 610,40 $ (huit jours et quart) "; concernant les " autres sommes (préciser) ", il est dit " voir plus bas au numéro 22 — 25 376 $ ", et le passage en question se lit comme suit : " Observations/* Avant l'établissement du présent relevé, elle était en congé de maternité. **Elle a été renvoyée. Elle a présenté une demande de dommages-intérêts, et la demande a été réglée ".

[15]          Nous avons, outre cette note, le témoignage sous serment de l'appelante. L'appelante a dit qu'elle ne sait pas exactement de quelle manière on est arrivé au montant du règlement ou de quelle manière on l'a calculé. Elle nous a dit qu'elle croyait que ce montant était basé sur trois mois de salaire, sur la rémunération gagnée au titre des heures supplémentaires, sur les congés de maladie et sur la paye de vacances gagnée. Le salaire pour trois mois serait d'environ 8 900 $, et la paye de vacances, de 1 610,40 $, soit un total de 10 510,40 $. Les autres éléments n'ont pas été prouvés. L'appelante alléguait que la plupart des sommes qu'elle avait acceptées lui avaient été versées pour renvoi injustifié, perte d'avantages sociaux, frais juridiques, frais d'intérêt et douleur et souffrances. L'intimée n'a pas réfuté cette allégation.

[16]          L'intimée invoque le sous-alinéa 56(1)a)(ii) et le paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et soutient que la somme de 25 376 $ est une somme que l'appelante a reçue de la province du Nouveau-Brunswick à titre d'allocation de retraite au sens de ces dispositions de la Loi.

[17]          Le sous-alinéa 56(1)a)(ii) de la Loi se lit comme suit :

Sommes à inclure dans le revenu de l'année.

(1)            Sans préjudice de la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

a) Pensions, prestations d'assurance-chômage, etc. — toute somme reçue par le contribuable au cours de l'année au titre, ou en paiement intégral ou partiel :

[...]

(ii) d'une allocation de retraite, sauf s'il s'agit d'un montant versé dans le cadre d'un régime de prestations aux employés, d'une convention de retraite ou d'une entente d'échelonnement du traitement,

[...]

Le paragraphe 248(1) de la Loi définit comme suit l'expression " allocation de retraite " :

" allocation de retraite " Somme, sauf une prestation de retraite ou de pension, une somme reçue en raison du décès d'un employé ou un avantage visé au sous-alinéa 6(1)a)(iv), reçue par un contribuable ou [...]

[...]

b)             soit à l'égard de la perte par le contribuable d'une charge ou d'un emploi, qu'elle ait été reçue ou non à titre de dommages ou conformément à une ordonnance ou sur jugement d'un tribunal compétent.

[18]          Je vais examiner un par un les jugements que les parties m'ont cités.

[19]          Affaire Claude A. Vachon v. Her Majesty the Queen, [1996] 3 C.T.C. 2306D : dans cette affaire, le contribuable exerçait un emploi pour la D Inc. et, le 12 avril 1993, on avait mis fin à son emploi. Il avait accepté une somme forfaitaire de 5 000 $ en règlement total de toutes réclamations consécutives à la cessation de son emploi. La question était de savoir si le paiement de 5 000 $ était une allocation de retraite au sens du paragraphe 248(1). Le contribuable n'avait pas témoigné dans cette affaire. La décharge, déposée en preuve, libérait l'employeur de toute action à son encontre du fait de la cessation de l'emploi. La Cour avait déclaré que le montant de 5 000 $ était une allocation de retraite au sens de la Loi.

[20]          Affaire Hugh Merrins v. Her Majesty the Queen, [1995] 1 C.T.C. 111 : dans cette affaire, le contribuable avait été mis à pied en mai 1985. Il avait déposé un grief, cherchant à être réintégré dans ses fonctions pour violation des dispositions de la convention collective en matière d'ancienneté. Le 7 avril 1988, l'employeur avait consenti à payer au contribuable la somme de 60 000 $ pour mettre un terme aux procédures d'arbitrage. Le ministre avait considéré le paiement de 60 000 $ comme une " allocation de retraite " au sens du paragraphe 248(1) et avait inclus ce paiement dans le revenu du contribuable en vertu du sous-alinéa 56(1)a)(ii). Le contribuable en avait appelé, et la Cour avait statué que, sur la foi des faits de cette affaire, le montant reçu se rapportait à la perte de l'emploi et était donc imposable.

[21]          Affaire George Niles v. The Minister of National Revenue, [1991] 1 C.T.C. 2540 : dans cette affaire, un employé, mis à pied, avait déposé une plainte pour discrimination en vertu du Code des droits de la personne de l'Ontario. Après des négociations, les parties avaient réglé la réclamation, et l'employé s'était vu accorder 5 000 $ en règlement de sa réclamation pour perte d'emploi. On n'avait pas conclu qu'il y avait eu discrimination ni que le règlement pouvait avoir influé sur le caractère du paiement. La Cour avait statué que le montant était imposable à titre d'allocation de retraite.

[22]          Affaire John James Young v. The Minister of National Revenue, 86 DTC 1567 : dans cette affaire, l'appelant s'était vu adjuger des dommages-intérêts par voie d'ordonnance d'un tribunal, soit les sommes suivantes :

                                10 000 $ pour renvoi injustifié,

                                12 500 $ de dommages-intérêts exemplaires,

                                12 500 $ pour souffrances morales,

                                5 000 $ de frais.

[23]          Le ministre soutenait que l'ensemble de ces sommes était imposable à titre d'allocation de retraite. L'appelant n'avait pas témoigné. Les parties avaient convenu des faits précités. À l'avant-dernier paragraphe de sa décision, la Cour, rejetant l'appel, disait :

[...] il incombait à l'appelant de présenter quelque preuve documentaire ou testimoniale directe; de plus, l'appelant n'a pas examiné la question cruciale de la provenance des sommes en litige.

Forte de cette conclusion, la Cour avait déclaré que toutes les sommes étaient imposables.

[24]          Affaire Louis-Phillipe Bédard v. The Minister of National Revenue, [1991] 1 C.T.C. 2323 : dans cette affaire, l'appelant, qui travaillait pour Relais Jeune Est de Matane, avait été renvoyé injustement. Les motifs de la cessation de son emploi avaient été diffusés à la radio et à la télévision de l'endroit où il vivait. L'appelant, qui niait ces motifs, avait cherché à être réintégré dans ses fonctions et avait demandé une rétractation publique. Un arbitre avait été chargé de régler le différend, et le règlement intervenu prévoyait que l'appelant devait recevoir six mois de salaire ainsi qu'un montant de " 32 000 $ (net) à titre d'indemnité pour préjudice subi ". L'appelant soutenait que les 32 000 $ ne devaient pas être imposables puisqu'il les avait reçus comme indemnité pour perte économique et souffrances morales. L'intimé soutenait que le montant était directement lié à la perte de l'emploi de l'appelant et, ainsi, était imposable.

[25]          La Cour avait statué qu'une somme de 16 000 $ devait être incluse dans le revenu de l'appelant à titre d'indemnité reçue après la perte de l'emploi de l'appelant. Le reste représentait des dommages-intérêts pour diffamation qui n'entraient pas dans le cadre de la définition d'une allocation de retraite et qui n'étaient pas imposables en tant que tels. L'appel avait été accueilli en partie.

[26]          Le juge de la cour d'appel avait passé la preuve en revue d'une manière très détaillée et avait examiné tous les précédents qui lui avaient été cités. Dans les autres affaires, les décisions rendues étaient que les sommes étaient imposables parce qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir la véritable nature des paiements. Dans cette affaire, tout comme dans l'affaire en instance, il y avait une preuve testimoniale permettant à la Cour de déterminer la somme qui avait été payée pour perte d'emploi et les dommages-intérêts pour perte d'avantages sociaux, souffrances morales, intérêts et frais.

[27]          J'ai étudié d'une manière approfondie les jugements cités. J'ai aussi tenu compte des éléments de preuve présentés devant notre tribunal. Ayant pris en considération la preuve qui est avancée, notre cour conclut que l'appelante a établi que le règlement qu'elle a obtenu incluait une somme pour perte de salaire représentant environ trois mois de traitement pour heures supplémentaires, vacances et congés de maladie accumulés. Ces éléments sont imposables. Les autres sommes comme les dommages-intérêts pour souffrances morales et frais ne sont pas imposables parce qu'ils n'entrent pas dans la définition d'" allocation de retraite " figurant au paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[28]          Ayant considéré l'ensemble de la preuve, la Cour conclut qu'une proportion de 50 p. 100 de la somme de 25 376 $ a été reçue par l'appelante à titre " d'allocation de retraite " et est donc imposable. Le reste a été reçu par l'appelante à titre d'indemnisation pour préjudices et n'est pas imposable.

[29]          Par conséquent, l'appel est admis, et la question est renvoyée à l'intimée pour nouvelle cotisation, conformément aux conclusions énoncées précédemment.

Shenstone (Nouveau-Brunswick), le 22 novembre 1997.

" C. I. L. Léger "

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de mai 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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