Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19991118

Dossier: 1998-9-IT-G; 1998-8-GST-I

ENTRE :

LINO MASTROMONACO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1]            Les appels en instance ont été entendus ensemble sur preuve commune à Ottawa (Ontario), le 15 novembre 1999. L'appelant a témoigné et l'intimée a appelé John Cole, l'agent de perception chargé du dossier.

[2]            L'appelant a interjeté appel des cotisations établies à son égard en sa qualité d'administrateur au titre de l'impôt, des cotisations au Régime de pensions du Canada, des cotisations d'assurance-emploi, ainsi que de l'intérêt et des pénalités non payés par 969045 Ontario Ltd. (" 45 ") pour la période allant du 2 mars 1992 au 11 mars 1994, et dont le montant total s'élève à 48 896,81 $. Il interjette aussi appel d'une cotisation établie à son égard en sa qualité d'administrateur au titre de la TPS, ainsi que de l'intérêt et des pénalités non payés par 45 pour la période allant du 30 juin 1992 au 30 juin 1994, et dont le montant total s'élève à 25 504,51 $.

[3]            L'appelant semble avoir une cinquantaine d'années. Il a une maîtrise en administration des affaires; il est très actif dans le milieu des affaires depuis 28 ans. Il a possédé et exploité un certain nombre de sociétés dans diverses entreprises financières et de restauration au cours de ces années. Il a témoigné pendant deux heures environ; c'est un homme énergique et bien renseigné qui en impose par sa présence.

[4]            En janvier 1992, l'appelant était le commandité gérant d'une société comptant 27 commanditaires qui exploitait un immeuble à Ottawa sous une désignation sociale. La société a saisi les actifs de " Tycoon Restaurant ", qui louait des locaux dans son immeuble, pour loyer impayé. Le 31 janvier 1992, l'appelant s'est entendu avec Leslie Attwooll pour louer les locaux anciennement occupés par le restaurant. Leslie Attwooll a constitué 45 le 5 février 1992 pour exploiter le restaurant sous la raison sociale Razorback Rib Co. L'appelant a témoigné que, le 18 février 1992, il a personnellement versé un montant de 30 000 $ à Leslie Attwooll, qui s'est engagée à placer en fiducie pour lui 66 2/3 p. 100 des actions en circulation de 45 si le prêt de 30 000 $ n'était pas remboursé. L'appelant a déclaré qu'il avait été nommé secrétaire-trésorier de 45. Il a également accepté de prêter un autre montant de 75 000 $ pour permettre à 45 de fonctionner. La somme de 75 000 $ a été avancée au cours des quelques mois suivants.

[5]            Razorback Rib Co., qui avait obtenu un permis d'alcool temporaire, a organisé sa première réception le 14 février 1992, après être devenue propriétaire des locaux du restaurant. (L'appelant a ultérieurement antidaté l'acte de vente.) 45 a obtenu son permis d'alcool permanent le 19 février 1992.

[6]            En juin ou juillet 1992, Leslie Attwooll a abandonné le 45. L'appelant, agissant pour le compte du locateur, s'est rendu sur place et a découvert qu'aucun registre n'avait été tenu, que les stocks avaient disparu et que les créanciers, dont le gouvernement de l'Ontario (pour la taxe de vente), n'avaient pas été payés. Il a pris les actions qu'il possédait (66 2/3 p. 100) et a signé un certain nombre de documents, qu'il a antidatés au mois d'avril 1992, en sa qualité de président de 45. L'appelant a affirmé que c'est à ce moment-là qu'il a acquis 45 de Leslie Attwooll, ce qui laisse supposer qu'il est devenu propriétaire de toutes les actions en circulation; la Cour conclut qu'il dit vrai. La preuve indique qu'après avoir fait cette acquisition, en juin ou juillet 1992, l'appelant est devenu administrateur de 45.

[7]            L'intimée a soutenu que l'appelant était devenu un administrateur de fait de 45 le 18 février 1992, le jour où il a prêté le montant de 30 000 $. La Cour ne partage pas cet avis. Le document qui, l'appelant a-t-il admis, se rapporte à ce prêt, a été rédigé par son avocat et il indique expressément que l'appelant doit occuper le poste de secrétaire-trésorier. Si l'intention avait été de le nommer administrateur de 45 à l'époque, on en trouverait certainement une indication dans le document. En outre, il n'existe aucune preuve que l'appelant était un administrateur avant le départ de Leslie Attwooll.

[8]            Aux dires de l'appelant, il n'a jamais signé quelque document que ce soit, antidaté ou non, pour le compte de 45 avant le mois d'août 1992.

[9]            L'appelant a indiqué qu'il avait antidaté un bail de location des locaux de 45 au 14 février 1992 et un autre au 14 mai 1992. Il a signé les deux documents pour le compte du locateur et du locataire. Le premier bail accordait deux mois et demi de loyer gratuit (cette modalité est confirmée par la pièce A-1), le deuxième, quatre mois et demi de loyer gratuit, le premier paiement étant dû le 1er juillet 1992. En septembre 1992, l'appelant a démissionné comme commandité et a pris le restaurant au titre de sa participation dans la société. À peu près à la même époque, le Trust Royal a saisi l'immeuble pour défaut de paiement du prêt hypothécaire.

[10]          En dépit du fait que les stocks et l'argent de 45 avaient disparu, qu'aucun livre ni registre financier n'avait été tenu et que 45 devait de l'argent à ses créanciers, l'appelant a-t-il affirmé, il a continué d'employer le personnel de 45. Au nombre des employés figurait Steven Meabry, qui est devenu le directeur des services alimentaires de 45. L'appelant a par la suite embauché Howard Greenberg à titre d'administrateur financier, ainsi que Tim Johnson et Terri der Velden, à titre de chefs de l'exploitation. Une partie des montants visés par les appels en instance était déjà en souffrance et de nouveaux montants sont devenus payables après que l'appelant eut fait l'acquisition de 45. L'appelant a affirmé que la somme de 75 000 $ avait été prêtée pour payer le salaire des employés. Il a également soutenu que le gouvernement de l'Ontario l'avait obligé à reconstituer la totalité des ventes effectuées en 1992 aux fins de la taxe de vente (pièce A-4). C'est Howard Greenberg qui s'est acquitté de cette tâche.

[11]          On peut donc conclure que l'appelant savait pertinemment en août 1992 que 45 n'avait pas payé les taxes ni effectué les remises au titre des retenues visées par l'appel pour la période antérieure à août 1992 et qu'il a continué d'employer le personnel sur le salaire desquels les retenues n'avaient pas été faites. La comptabilité tenue par M. Greenberg est à ce point précise que l'appelant devait savoir durant l'année 1992 qu'aucun montant n'était versé au titre des cotisations établies. Il admet qu'il était administrateur de 45 après le mois de juillet. Il n'a cependant rien fait pour payer les montants en souffrance et pour empêcher d'autres manquements à cet égard en 1992. De même, il n'a pris aucune mesure en 1992 pour que 45 verse quelque montant au titre des cotisations établies, pas plus qu'en 1993 et en 1994.

[12]          L'appelant a indiqué qu'il avait été malade en 1993 et que, le 16 mars 1993, on lui avait enlevé une partie de l'intestin. Il a déclaré que, le 15 mars 1993, il s'est rendu à la Banque Royale pour donner à deux des trois gestionnaires confondus (MM. Johnson, Meabry et Greenberg) le pouvoir de signature sur le compte bancaire. Il a aussi signé une garantie ainsi qu'une subordination de réclamation de créance à la banque relativement à un prêt de 10 000 $ consenti à 45. Il a dit quelques fois que les gestionnaires étaient devenus des administrateurs et d'autres fois, il les a appelés des administrateurs de fait. La Cour a conclu qu'aucun des gestionnaires n'avait été nommé administrateur. Aucun document tel que des procès-verbaux, des avis de la Direction des personnes morales, des résolutions bancaires, des dossiers d'avocat ou tout écrit signé par l'un ou l'autre des gestionnaires n'a été produit au soutien de cette prétention. La Cour conclut également qu'aucun des gestionnaires n'était un administrateur de fait. Personne d'autre n'a témoigné à ce sujet, et aucun élément de preuve, hormis le témoignage intéressé de l'appelant, n'a été présenté à l'appui de cette thèse. L'appelant a été le seul administrateur de 45, du mois d'août 1992 jusqu'à la fin des périodes visées par les avis de cotisation.

[13]          Par conséquent, la question à laquelle il faut répondre après 1992 est celle de savoir si l'appelant était trop malade pour voir à faire effectuer les remises en question. Il a souffert de deux maladies et il a subi deux interventions chirurgicales :

1.              Le problème intestinal et la chirurgie du 16 mars 1993.

2.              Le traumatisme médullaire et la chirurgie du 3 octobre 1994.

Dans les deux cas, les symptômes de la maladie ont été débilitants et les interventions chirurgicales ont été suivies de longues périodes de rétablissement.

[14]          Il n'existe aucune preuve que l'une ou l'autre des maladies a eu une incidence sur ses facultés mentales. De même, il n'existe aucune preuve qu'il a pris quelque mesure que ce soit durant ou avant l'une ou l'autre des périodes de maladie, d'intervention chirurgicale ou de rétablissement pour que les paiements en question soient effectués. Au contraire, les détournements ont continué comme avant, sans interruption. Dans son témoignage, l'appelant n'a même pas indiqué qu'il avait pris des mesures pour empêcher ces détournements. Il a plutôt utilisé les nominations décrites au paragraphe [12] comme excuse. Toutefois, il n'a affirmé nulle part dans son témoignage avoir dit aux personnes désignées de faire les remises en question ou de payer les montants en souffrance. De même, il n'a affirmé nulle part dans son témoignage avoir pris des mesures pour que 45 effectue les remises à un moment ou à un autre. Il est manifeste qu'il a utilisé l'argent pour exploiter le restaurant en toute connaissance de cause.

[15]          La Cour est convaincue que l'appelant était au courant des obligations qui lui incombaient en sa qualité d'administrateur en vertu de la Loi sur la taxe d'accise et de la Loi de l'impôt sur le revenu et qu'il en comprenait le sens. Il n'a d'ailleurs jamais soutenu le contraire. Il comprenait également toutes les notions d'obligation et de fiducie et il savait que les montants en cause n'appartenaient pas à 45. Ces montants représentaient en fait les remises à effectuer pour le compte des employés ou de l'argent placé en fiducie. Il a pris sciemment la décision de ne pas effectuer les remises. S'appuyant sur la preuve dont elle dispose, la Cour conclut que l'appelant est devenu un administrateur légal de 45 le 1er août 1992. Elle conclut également qu'il n'était pas un administrateur de 45, de fait ou en droit, avant cette date.

[16]          La Cour conclut que, à compter du 1er août 1992, l'appelant, en sa qualité d'unique administrateur de 45, n'a pas agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté, pour prévenir le manquement de la part de 45 de verser les montants visés par les deux appels, qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. L'appelant a, délibérément et en toute connaissance de cause, conduit 45 à omettre de payer les montants dus. Les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les présents motifs du jugement.

[17]         Les frais entre parties sont adjugés à l'intimée relativement à l'appel en matière d'impôt sur le revenu. À ce titre, l'intimée a droit plus particulièrement à un mémoire de frais pour la préparation de l'audience ainsi qu'aux frais relatifs à une journée d'audience au titre de l'audience et de l'ordonnance sur l'état de l'instance du 28 juillet 1999 se rapportant à l'appel en matière d'impôt sur le revenu. Ces frais s'établissent à 1 400 $.

Signé à Ottawa, Canada ce 18e jour de novembre 1999.

" D. W. Beaubier "

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 22e jour de mai 2001.

Mario Lagacé, réviseur

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