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Date: 20010110

Dossier: 98-2814-IT-G

ENTRE :

GLEN E. MORRISON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1]            Les présents appels ont été entendus à Toronto (Ontario), le 27 novembre 2000. Ont témoigné l'appelant, Glen E. Morrison, la spécialiste en déclarations de l'appelant, Maria Elder, et le vérificateur de l'Agence des douanes et du revenu du Canada chargé du dossier, Winston Mathew John. Plusieurs pièces ont été déposées en preuve.

QUESTION

[2]            La question à trancher est celle de savoir si l'appelant peut déduire des pertes d'entreprise de 38 048 $ en 1993, de 45 490 $ en 1994 et de 56 389 $ en 1995 relativement à la présumée entreprise qu'il a exploitée à titre d'entreprise à propriétaire unique sous la raison sociale de Glen Lyn Import Export Company (l'" entreprise ").

FAITS

[3]            Les faits essentiels sont les suivants :

1.              À toutes les périodes pertinentes, l'appelant occupait au sein du gouvernement de l'Ontario le poste de directeur régional des ressources humaines. Son revenu d'emploi était à cet égard de 64 746 $ en 1993, de 64 298 $ en 1994 et de 69 927 $ en 1995. Il travaillait à temps plein, de 9 h à 17 h essentiellement, du lundi au vendredi.

2.              Glen Lyn Import Export a été enregistrée en avril 1992 sous le régime de la Loi sur les noms commerciaux, L.R.O. 1990, chap. B.17 dans sa version modifiée, et de la Loi sur les sociétés en commandite, L.R.O. 1990, chap. L16 dans sa version modifiée. L'entreprise avait été enregistrée à titre de société de personnes formée de l'appelant et de deux autres associés, mais l'appelant a déclaré qu'il l'avait exploitée à titre de propriétaire unique.

3.              Dans ses déclarations de revenu des années d'imposition 1992 à 1995, l'appelant fait état des revenus d'entreprise bruts et des pertes d'entreprise nettes indiqués ci-après :

Année

Revenu d'entreprise brut

Revenu d'entreprise net (pertes)

1992

785 $

(9 038 $)

1993

1 100 $

(38 048 $)

1994

9 884 $

(45 490 $)

1995

5 569 $

(56 389 $)

L'appelant a d'abord soutenu qu'une partie des dépenses à l'origine des pertes se rapportait à ses activités à titre d'agent immobilier et une autre partie, au travail qu'il avait accompli, en sa qualité d'employé du gouvernement de l'Ontario, dans le bureau qu'il avait aménagé au sous-sol de sa résidence. Toutefois, à l'audience, l'appelant a indiqué que la totalité ou presque des dépenses se rapportait à l'entreprise.

4.              L'appelant a été incapable de produire, au moment de la vérification et par la suite à l'audience, quelque facture ou reçu que ce soit pour étayer les dépenses dont il réclame la déduction. En outre, en ce qui concerne les années 1993 et 1994, l'appelant et la spécialiste en déclarations n'ont rien pu fournir d'autre qu'une description générale des dépenses. Pour l'année 1995, l'appelant a remis au vérificateur, pendant la vérification même, une ventilation manuscrite de ses dépenses, dont une version dactylographiée a été produite sous la cote R-2. Il convient de la reproduire intégralement :

[TRADUCTION]

Glen Everald Morrison

Bilan des activités commerciales

Glen Lyn Import Export

Du 01/01/95 au 31/12/95

Ventes                                                                                                     5 569,55 $

Coût des marchandises vendues

Stock au début de l'exercice                                11 650,00 $

Ajouter : achats                                     9 335,00

Total partiel                                                            20 985,00

Déduire : stock à la fin de l'exercice     0   

Coût des marchandises vendues       20 985,00                 20 985,00

Bénéfice brut                                                                              (15 415,45 $)

Dépenses

Frais professionnels                                             1 650,00

Publicité                                                     950,00

Frais de gestion et d'administration    960,00

Frais d'utilisation d'un véhicule         14 464,65

Assurance                                                                 285,90

Intérêt sur les dettes à long terme      3 795,00

Impôts, cotisations                                               1 525,60

Dépenses de bureau et
    affranchissement                                               2 255,90

Éclairage, chauffage, eau et
    téléphone                                                          3 135,66

Frais de déplacement                                           3 262,50

Carburant                                                               1 924,60

Frais de repas et de représentation    1 148,00

Entretien et réparations                        1 565,00

Ordinateur et autres équipements      2 425,00

Divers                                                     1 625,90

                                Total des dépenses                                    40 973,71           40 973,71 $

                                Revenu net (perte) de l'entreprise                                      (56 389,16 $)

5.              L'appelant a expliqué qu'il avait, à l'époque de la vérification, collaboré avec le vérificateur et que la raison pour laquelle il ne pouvait pas fournir de documents à l'appui de ses dépenses était qu'il avait été victime d'un vol à son domicile en février 1996. Il a expliqué qu'une personne s'était introduite dans sa maison en forçant la porte du garage, qu'il avait été obligée de remplacer. Il a déclaré que, parmi les objets qui avaient été volés dans le bureau situé au sous-sol, se trouvait une boîte qui contenait tous ses documents fiscaux, y compris les reçus permettant de justifier les dépenses qu'il cherchait à déduire. Le " résumé du rapport de police " produit sous la cote A-2 contient la liste des objets volés, soit : une scie à chaîne de 16 po et divers outils comme des perceuses, une équarrisseuse, des pinces, une scie circulaire manuelle, des clés, etc. Ne figure pas sur cette liste la boîte contenant les documents fiscaux et les reçus, mais l'appelant soutient que le mot " etc. " après le mot " clés " vise non seulement les autres outils, mais cette boîte aussi. Le rapport de sinistres - feu et vol déposé sous la cote A-3 indique que, en plus de certains outils, les voleurs ont emporté [TRADUCTION] " les documents fiscaux (boîte de 24 po sur 24 po) ". Ce même rapport indique également que le coût total de remplacement des articles volés s'établissait à 775,45 $. L'appelant a expliqué que, d'après son expérience comme agent de la police de l'agglomération urbaine, les voleurs ne font habituellement qu'entrer, saisir les articles qui leur tombent sous la main et sortir le plus vite possible. Ceux qui ont pénétré chez lui ont probablement cru que la boîte fermée hermétiquement, qui ressemblait à une boîte d'ordinateur, contenait réellement un ordinateur ou des accessoires d'ordinateur; cela expliquerait pourquoi ils n'avaient emporté que cette boîte (plus quelques outils) et non pas le téléviseur et l'ordinateur (qui était branché) qui se trouvaient tous deux dans le bureau du sous-sol. L'appelant a également déposé la pièce A-4, une " évaluation des stocks ", préparée par lui, qui indique les divers vêtements et articles de maquillage dont il faisait censément l'exportation.

6.              L'avocate de l'intimée a déposé la pièce R-1, qui contient diverses déclarations de revenu et cotisations ainsi que, à l'onglet 17, la lettre de Revenu Canada reproduite ci-après :

[TRADUCTION]

M. Glen Everald Morrison

48 - 2670, chemin Battleford                                               W. John

Mississauga (Ontario)                                                         Sec. 443-1-5

L5N 2S7                                                                  4e étage ouest

                                                                                                (416) 410-9641

Le 12 mars 1997

Objet : Examen de vos déclarations de revenu T1 pour les années

1993, 1994 et 1995

NAS : 441-968-021

Monsieur,

Nous vous remercions de votre lettre datée du 6 mars 1997. Nous n'avons pas encore reçu le formulaire T2029 (" Renonciation à l'application de la période normale de nouvelle cotisation ") dûment signé, en réponse à notre lettre du 27 février 1997. Nous établirons par conséquent relativement à votre déclaration de revenu T1 pour l'année 1993 une nouvelle cotisation dans laquelle la perte d'entreprise de 38 048 $ dont vous faites état sera refusée.

La perte d'entreprise pour l'année 1993 est refusée pour les motifs suivants :

a) Vous n'avez fourni aucune pièce justificative à l'appui des dépenses dont vous avez demandé la déduction.

b) Les dépenses ne semblent pas raisonnables dans les circonstances, au regard du revenu brut déclaré.

c) Vous n'avez aucune attente raisonnable de profit relativement à votre entreprise, puisque, depuis la création de celle-ci, les pertes d'entreprise dont vous avez demandé la déduction ont augmenté chaque année.

Vous avez déclaré que vous aviez été victime d'un vol à votre domicile et que vos documents fiscaux avaient disparu. C'est bien malheureux. Cependant, rien ne vous empêche d'obtenir des copies des factures des fournisseurs, des factures de vente, des relevés bancaires, des chèques payés, des documents hypothécaires et des documents de prêt, des relevés de cartes de crédit et des autres documents. Ainsi que nous l'indiquions dans notre lettre du 27 février 1997, si nous n'avons pas reçu, au plus tard le 1er avril 1997, copie des documents nécessaires pour procéder à la vérification des pertes d'entreprise de 45 490 $ et de 56 389 $ dont vous réclamez la déduction dans vos déclarations de revenu T1 des années 1994 et 1995 respectivement, ces pertes seront refusées.

Si vous désirez obtenir des éclaircissements ou des renseignements supplémentaires concernant l'examen auquel nous procédons, veuillez communiquer avec M. John au numéro de téléphone indiqué ci-dessus.

Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.

" Winston John "

W. John

Division de la validation et de l'exécution

En dépit de cette lettre, l'appelant n'a fait aucune démarche pour obtenir les pièces justificatives.

7.              Du fait principalement des pertes d'entreprise dont il a demandé la déduction, l'appelant a reçu les remboursements d'impôt suivants :

1992 - 5 557 $

1993 - 17 489 $

1994 - 18 611 $

1995 - 25 362 $

8.              L'appelant a soumis un plan d'affaires sous la cote A-1. Il n'a cependant produit aucun relevé des bénéfices et pertes projetés.

9.              L'appelant a réclamé la déduction de pertes locatives se situant entre 10 000 et 45 000 $ dans les années 1987, 1988, 1989 et 1990, et de " pertes de commission " d'environ 13 000 $ et 7 000 $ dans les années 1997 et 1998. L'entreprise d'exportation a cessé d'exister en 1996. L'appelant a déclaré qu'il avait cherché à développer son entreprise d'importation mais que celle-ci n'avait jamais véritablement pris son essor. Le bilan des activités commerciales de l'année 1995 (pièce R-2) indique que les ventes se sont élevées à 5 569,55 $ seulement, mais il indique aussi que l'appelant aurait vendu des stocks d'une valeur de 20 985 $.

ARGUMENTS

[4]            L'appelant prétend qu'il exploitait l'entreprise et que, s'il n'a pu produire les reçus demandés, c'est à cause du vol de ses documents fiscaux. L'avocate de l'intimée fait valoir que l'appelant ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve, que l'entreprise n'avait aucune attente raisonnable de profit et que, de toute façon, les dépenses dont l'appelant réclamait la déduction n'étaient pas raisonnables.

ANALYSE ET DÉCISION

[7]            Pour les motifs exposés ci-après, j'ai décidé que les présents appels doivent être rejetés avec dépens :

1.              L'appelant travaillait à temps plein pour le gouvernement de l'Ontario, ce qui occupait la plus grande partie de son temps. En conséquence, il n'avait pas beaucoup de temps à consacrer à l'entreprise.

2.              Le montant des ventes brutes de l'entreprise était très peu élevé au regard des dépenses dont l'appelant a demandé la déduction, et les pertes ont augmenté de manière continue de 1992 à 1995. Cela indique à tout le moins l'absence d'attente raisonnable de profit.

3.              L'appelant avait la charge d'établir que les nouvelles cotisations étaient erronées, et il ne s'en est pas acquitté.

4.              L'appelant n'a fourni aucune liste des frais engagés en 1993 et en 1994; si la boîte contenant les documents fiscaux a véritablement été volée, l'appelant aurait pu obtenir des copies des documents pour justifier les dépenses qu'il cherchait à déduire dans toutes les années en cause, comme on lui a conseillé de faire dans la lettre qui se trouve à l'onglet 17 de la pièce R-1.

[8]            Quoi qu'il en soit, aux termes du paragraphe 230(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, quiconque exploite une entreprise est obligé de tenir des registres et des livres de comptes. Je renvoie à l'arrêt Zalzalah c. Sa Majesté La Reine, C.F. 1re inst., no T-846-89, 28 juin 1995 ([1995] 2 C.T.C. 368), dans lequel la Cour fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 4 :

Le paragraphe 230(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit ainsi :

230(1)

Quiconque exploite une entreprise et quiconque est obligé, par ou selon la présente loi, de payer ou de percevoir des impôts ou autres montants doit tenir des registres et des livres de comptes (...) dans la forme et renfermant les renseignant (sic) qui permettent d'établir le montant des impôts payables en vertu de la présente loi, ou des impôts ou autres sommes qui auraient dû être déduites, retenues ou perçues.

5 Le demandeur reconnaît franchement qu'il n'a pas tenu de registres ou livres de comptes au cours des années d'imposition dont il s'agit. Cet aspect a également été soulevé au cours de l'instance introduite devant la Cour canadienne de l'impôt et Mme le juge Lamarre Proulx a déclaré que

le Ministre ne peut et ne devrait pas autoriser des déductions qui ne peuvent être établies à l'aide de preuves documentaires. Cela entraînerait l'administration de la Loi de l'impôt sur le revenu dans le domaine de l'arbitraire.

6 Je suis d'accord avec cette façon de considérer les choses. De la même façon, dans l'affaire Holotnak c. La Reine, le juge Cullen a examiné le sens de l'article 230 et déclaré ce qui suit :

L'article 230 de la Loi impose aux contribuables de tenir les registres et livres de compte voulus. Le terme " voulu " n'est pas défini, mais il semblerait que ces livres de compte soient obligatoirement de nature à appuyer toute déduction du contribuable aux fins de l'impôt.

La preuve du fait que les dépenses ont été engagées afin de gagner un revenu doit être faite par le contribuable (Wellington Hotel Holdings Limited c. M.N.R., 73 DTC 5391). Plus précisément, en ce qui concerne les cotisations, il incombe au contribuable de prouver que les hypothèses et les cotisations du ministre sont erronées (le juge Strayer dans Schwarz c. La Reine, 87 DTC 5274, qui citait Johnston c. M.N.R., [1948] R.C.S. 486). L'affaire Schwarz (précitée) traitait aussi d'un cas où les achats du demandeur n'étaient étayés par aucune pièce justificative. Comme l'explique le juge Strayer, il incombe au contribuable de prouver que la nouvelle cotisation du ministre du Revenu national est incorrecte, car c'est lui qui est le mieux placé pour prouver ce qui s'est effectivement passé.

5.              La valeur totale des articles volés a été évaluée à 607,33 $. En outre, la boîte de documents fiscaux, qui avait sûrement une certaine valeur pour l'appelant, n'est pas mentionnée dans le résumé du rapport de police.

6.              Le plan d'affaires et les autres plans y annexés sont essentiellement des documents de promotion qui ne reflètent pas la situation réelle. En outre, il a été impossible de déterminer avec certitude la date à laquelle les plans ont été préparés.

7.              L'appelant a cessé d'exploiter l'entreprise peu de temps après la vérification qui a donné lieu au rejet des pertes d'entreprise. Il se peut qu'il ait déclaré des pertes d'entreprise principalement dans le but d'obtenir des remboursements d'impôt et que, après avoir constaté que ces remboursements n'étaient plus possibles, il ait mis fin aux activités de l'entreprise.

8.              Le bilan des activités commerciales (pièce R-2) indique que les ventes s'élevaient à 5 569,55 $ seulement, mais il indique aussi que l'appelant aurait vendu des stocks d'une valeur de 20 985 $. Cet écart, conjugué à d'autres facteurs  comme le fait que l'entreprise était enregistrée à titre de société de personnes mais était exploitée à titre d'entreprise à propriétaire unique, le fait que la boîte contenant les reçus aux fins de l'impôt et autres a été volée mais pas le téléviseur et l'ordinateur qui se trouvaient pourtant bien à la vue dans le bureau, et la déduction de pertes locatives et de pertes de commission dans les autres années , ne joue pas en faveur de l'appelant.

9.              Il arrive qu'on accorde une période raisonnable de démarrage à une nouvelle entreprise. En l'espèce, cependant, les pertes ont augmenté chaque année et, compte tenu des autres facteurs mentionnés précédemment, il n'était pas raisonnable de considérer les années en cause comme une période de démarrage. Qui plus est, l'appelant a cessé d'exploiter l'entreprise en 1996 et n'a fourni aucune prévision des bénéfices futurs.

                Pour tous les motifs exposés précédemment, les appels sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de janvier 2001.

" T. O'Connor "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de juin 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

98-2814(IT)G

ENTRE :

GLEN E. MORRISON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 27 novembre 2000 à Toronto (Ontario) par

l'honorable juge Terrence O'Connor

Comparutions

Pour l'appelant :                                   l'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                           Me H. Annette Evans

JUGEMENT

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995 sont rejetés selon les motifs du jugement ci-joints.

          Les frais sont adjugés à l'intimée.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de janvier 2001.

" T. O'Connor "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de juin 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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