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Date: 20010118

Dossier: 1999-2401-GST-G

ENTRE :

HUGH W. ASHTON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bonner, C.C.I.

[1]            L'appelant interjette appel d'une cotisation établie en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ) relativement à l'omission de Ashton-Potter Limited ( « A-P » ) de remettre une taxe nette aux termes de la partie IX de la Loi. Le paragraphe 323(1) est ainsi rédigé :

Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l'exige le paragraphe 228(2) ou (2.3), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

[2]            L'appelant ne fait pas valoir que les éléments de responsabilité contenus au paragraphe 323(1) ne sont pas présents. Il se fonde plutôt sur la défense de diligence raisonnable prévue au paragraphe 323(3) de la Loi, qui est ainsi rédigé :

- l'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

En bref, l'appelant prétend qu'il a respecté la norme législative de prudence en se renseignant sur l'état de la TPS et les autres « responsabilités de l'administrateur » auprès de Thomas Silverman, le « responsable financier principal » de A-P. Les demandes de renseignements auraient été faites jusqu'à deux fois par semaine lorsque l'appelant et M. Silverman se rencontraient. L'appelant déclare que, sauf en une occasion, M. Silverman lui a assuré, jusqu'en mars 1993, que le compte de TPS de A-P était en règle. L'appelant a mentionné des éléments de preuve provenant de sources autres que M. Silverman, lesquels, selon lui, étayaient la croyance raisonnable selon laquelle A-P respectait les exigences de la Loi.

[3]            En examinant la question de savoir si un administrateur a fait preuve de soin, de diligence et d'habileté afin de prévenir une omission de remettre une taxe, les tribunaux ont avec une certaine constance donné effet au libellé de la disposition législative en reconnaissant que l'omission pouvait être prévenue uniquement avant qu'elle ne se produise. Ainsi, la première étape de toute analyse de l'applicabilité du paragraphe 323(3) consiste à déterminer le moment auquel se sont produites les omissions en cause. En l'espèce, la cotisation porte sur l'omission de A-P de remettre une taxe ainsi que sur les intérêts et la pénalité y relatifs pour ce qui est de neuf périodes de déclaration, la première étant celle se terminant le 30 juin 1992 et la dernière, celle se terminant le 12 avril 1993 à la suite de la faillite de A-P. Les déclarations et les remises devaient être produites dans les 30 jours suivant la fin des périodes de déclaration[1]. Même si la Cour doit essentiellement se pencher sur la prévention des omissions particulières ayant entraîné la cotisation, il est pertinent de faire remarquer que les problèmes de A-P, pour ce qui est de la remise de la TPS, ont commencé bien avant le mois de juin 1992. Le compte de TPS de A-P n'a pas été acquitté à l'échéance, en avril 1991. Les omissions de remettre la TPS à temps et les tentatives faites pour y remédier sont survenues régulièrement dans le cadre de la relation entre A-P et les autorités responsables de la TPS entre avril 1991 et la date de la faillite, le 13 avril 1993.

[4]            L'entreprise A-P a été fondée au début des années 30. L'un des fondateurs était le père de l'appelant. La compagnie exploitait une entreprise d'imprimerie. Au cours des années, l'entreprise de A-P s'est considérablement développée. L'un des principaux clients de A-P était Postes Canada. A-P imprimait des timbres ordinaires et des timbres commémoratifs en feuilles et en rouleaux et elle produisait des carnets de timbres. A-P imprimait également des étiquettes et des livres pour des clients commerciaux. L'entreprise était exploitée dans une usine de 80 000 pieds carrés, laquelle renfermait des bureaux et de l'équipement d'imprimerie. Au cours de la période pertinente, le nombre moyen d'employés variait de 200 à 220 personnes. Pendant la période allant de 1990 à 1993, les revenus annuels bruts de A-P étaient de l'ordre de 20 000 000 $.

[5]            En raison de sa formation et de son expérience, l'appelant avait toutes les qualités requises pour agir à titre d'administrateur de A-P. Il est entré au service de A-P en 1946, après avoir obtenu un baccalauréat en ingénierie de la University of Toronto. Il a gravi les échelons au sein de la compagnie. En 1960, il est devenu administrateur de A-P, et a conservé ce poste jusqu'à ce que la compagnie fasse faillite, en avril 1993. L'appelant est devenu président à la fin des années 60. En 1981, il a pris sa retraite en sa qualité de président et chef de la direction et est devenu président du conseil d'administration. Le successeur de l'appelant au poste de président était son fils, Hugh E. Ashton, qui a par la suite géré et contrôlé tous les aspects de l'entreprise de A-P. Bien que, en théorie, le poste de président du conseil d'administration que l'appelant occupait l'ait éloigné dans une certaine mesure de la gestion quotidienne, il n'y a pas de raison de supposer qu'une demande de renseignements ou une suggestion de l'appelant à son fils ou à un membre du personnel, à quelque niveau que ce soit, n'aurait pas été bien accueillie ou aurait été repoussée.

[6]            Au cours de la période allant de 1991 à 1993, A-P comptait quatre administrateurs au total. D'abord, il y avait l'appelant. Deuxièmement, il y avait Hugh E. Ashton, qui a agi comme administrateur tout au long de la période. Troisièmement, il y a eu Alexander Smith, qui est devenu administrateur en 1984 et qui a occupé ce poste jusqu'en septembre 1992, moment où il a démissionné. M. Smith était cadre supérieur d'une papeterie. Il était un administrateur externe, et n'avait pas investi dans A-P. Le quatrième administrateur, Ralph Walback, est entré au service de A-P en février 1992, à la suite de l'acquisition par A-P de la compagnie de M. Walback, Westport Press Limited ( « Westport » ), et de la fusion de A-P et de Westport.

[7]            Les administrateurs ne semblent pas avoir exercé leur pouvoir sur A-P de manière formelle. La dernière réunion des administrateurs de A-P correctement convoquée et constatée par un procès-verbal s'est tenue en février 1992, en vue de l'approbation de l'acquisition de Westport. Par la suite, des réunions informelles de deux ou trois personnes, soit des administrateurs, ont fréquemment eu lieu, mais sur une base irrégulière. M. Walback n'a été invité à aucune de ces réunions. À l'exception de quelques notes manuscrites prises par l'appelant en 1993, aucun procès-verbal ni aucune note de ce qui s'est dit au cours des réunions n'a été produit à l'audience. L'appelant a déclaré avoir pris des notes au cours d'années antérieures, mais elles avaient été perdues en raison de la confusion provoquée par la faillite. Ainsi, si l'on veut déterminer ce qui s'est produit au cours des réunions informelles des administrateurs qui ont eu lieu pendant les périodes de 1991 et de 1992, on ne peut compter que sur les souvenirs spontanés des témoins. Les souvenirs de l'appelant, au sujet des événements qui sont survenus au cours de cette période, étaient vagues, particulièrement lorsque est venu le temps de répondre aux questions posées au cours du contre-interrogatoire.

[8]            La période allant de 1991 à 1993 a été pour A-P caractérisée par la confusion au plan financier. Les conditions se détérioraient dans l'industrie de l'imprimerie au Canada en raison de la pression exercée par les syndicats et la concurrence étrangère. Les coûts augmentaient par suite des mesures adoptées par A-P afin d'être à la pointe du progrès technologique. Les ventes de A-P étaient à la baisse. La Westport a été acquise dans le but de renverser la situation, mais cette initiative s'est soldée par un échec.

[9]            Au cours de la période en question, A-P avait un service de la comptabilité composé de sept ou huit membres travaillant à plein temps. Au départ, le service était dirigé par un contrôleur, Wayne Stubbington. Thomas Silverman, un comptable agréé qui exerçait sa profession dans le secteur public, est devenu le vérificateur de la compagnie en 1987. Le rôle de M. Silverman s'est graduellement modifié. Sa participation directe aux opérations financières quotidiennes de A-P a augmenté. Après un certain temps, on a demandé à M. Stubbington de rendre compte à M. Silverman. En septembre 1992, M. Stubbington a été congédié, et M. Silverman s'est vu attribuer le titre de « responsable principal des finances » . M. Stubbington et ― par la suite ― M. Silverman ont fréquemment communiqué avec les fonctionnaires du service de recouvrement de la TPS de Revenu Canada, de juin 1991 à la date de la faillite de A-P. Les chèques devant servir à payer la TPS ont été envoyés, mais ils ont été retournés parce que le compte était insuffisamment alimenté, puis de nouveaux chèques ont été envoyés maintes et maintes fois. Les fonctionnaires du service de recouvrement des recettes n'ont traité qu'avec MM. Stubbington, Silverman et Bayne Smith. Les fonctionnaires de Revenu Canada n'ont à aucun moment tenté de communiquer avec l'appelant en ce qui concerne le problème de remise.

[10]          Au cours de la période allant de 1991 à 1993, A-P a connu des problèmes d'encaisse qui ont entraîné le retard des paiements devant être effectués à des fournisseurs de matières premières comme l'encre. Selon le témoin Bayne Smith, un commis aux comptes créditeurs chez A-P, quiconque y travaillant aurait été au courant du fait que la compagnie éprouvait des difficultés financières. M. Smith, lorsqu'on l'a interrogé au sujet des remises de TPS, a indiqué que [TRADUCTION] « comme dans le cas de tout autre vendeur, leur compte n'était jamais acquitté à l'échéance » . M. Smith a indiqué qu'il ne traitait directement avec aucun des administrateurs de A-P.

[11]          L'appelant a affirmé qu'il n'avait eu vent des problèmes concernant les remises de TPS que le 5 mars 1993. Il a indiqué dans son témoignage que, durant la période allant de 1991 à 1993, il se rendait à l'usine environ quatre fois par semaine et qu'il y rencontrait habituellement M. Silverman une ou deux fois par semaine. Il a indiqué que, au cours de certaines de ces rencontres, il avait posé des questions à M. Silverman au sujet de la TPS, de l'assurance-chômage et d'autres dettes envers le gouvernement. Selon l'appelant, M. Silverman lui avait répondu que tout allait bien, même si A-P avait été « en retard » pour un paiement en 1991. L'appelant a admis que, avant que M. Silverman devienne le responsable principal des finances, il avait posé des questions semblables à M. Stubbington. L'appelant a déclaré que, au cours de la réunion du 5 mars 1993, on l'avait informé du fait qu'il y avait des arriérés de retenues à la source, et qu'il avait demandé ce qu'il en était de la TPS. Il a affirmé que M. Silverman l'avait informé que les chiffres du gouvernement étaient erronés. Au cours de cette réunion, l'appelant a demandé un avis juridique relativement à l'assurance responsabilité.

[12]          Des trois administrateurs ayant témoigné à l'audition de l'appel, seul Alexander Smith a été un témoin impressionnant. M. Smith se rendait fréquemment à l'usine de A-P et, lorsqu'il s'y trouvait, il discutait de l'état de l'entreprise avec l'appelant. C'est à l'occasion de l'une de ces rencontres que des questions ont été posées à M. Silverman. M. Smith a indiqué qu'il n'avait jamais discuté de la TPS avec M. Silverman. Il a déclaré qu'il mettait fin aux rencontres en demandant s'il y avait des préoccupations au sujet des « comptes des administrateurs » , une expression qui était selon lui comprise par tous et qui faisait référence aux montants payables aux termes de lois contenant des dispositions semblables à l'article 323 de la Loi. Je suis disposé à croire que les demandes de renseignements que l'appelant aurait faites à M. Silverman étaient du même ordre, c'est-à-dire qu'il s'enquérait sur la responsabilité personnelle et non sur le respect de la Loi.

[13]          Je ne suis pas convaincu que M. Stubbington ou M. Silverman ait jamais rassuré l'appelant à l'égard de la remise à temps de la TPS. La version des événements présentée par l'appelant n'était pas étayée par les témoignages de MM. Stubbington et Silverman. L'avocat de l'appelant a laissé entendre que M. Silverman avait délibérément dissimulé les omissions relatives à la TPS afin de se protéger en tant que vérificateur de A-P. Je rejette cet argument, qui n'est qu'une spéculation sans fondement. Même si M. Silverman n'a pas été sincère avec l'appelant, il n'y a aucune raison de supposer que M. Stubbington ait menti à l'appelant en ce qui concerne la TPS, et il importe de se rappeler que les problèmes relatifs à la TPS ont commencé bien avant le congédiement de M. Stubbington.

[14]          Alexander Smith a indiqué dans son témoignage qu'il n'était pas disposé à s'appuyer sur l'assurance que M. Silverman lui avait donnée au sujet des « comptes des administrateurs » . Il a déclaré qu'il ne faisait tout simplement pas confiance à M. Silverman. Ses préoccupations au sujet de la responsabilité personnelle l'ont amené à démissionner de son poste d'administrateur le 4 août 1992. M. Smith était un ami intime de l'appelant. Il a fait part à l'appelant de ses préoccupations au sujet de la situation de la compagnie.

[15]          En février 1992, KPMG Peat Marwick Thorne a présenté un rapport qui avait été commandé par la banque de A-P. La banque avait remarqué avoir reçu des rapports financiers inconciliables et tardifs. Elle avait par conséquent cherché à se rassurer en demandant un avis indépendant sur la question de savoir si l'inventaire de A-P était évalué conformément aux principes comptables généralement reconnus (PCGR). Bien que la réponse ait été que [TRADUCTION] « nos procédés d'examen limités indiquaient que l'inventaire de la compagnie était, le 31 décembre 1991, correctement évalué aux termes des PCGR [...] » , le simple fait que la banque ait demandé un tel rapport rappelait la gravité des problèmes financiers de A-P.

[16]          En décembre 1992 pourtant, les services d'un autre consultant, Price Waterhouse, ont été retenus conjointement par A-P et sa banque afin d'examiner les opérations et la situation financière actuelle de A-P. Le rapport a été produit en janvier 1993. On peut notamment y lire ceci :

                                [TRADUCTION]

-                Durant la période de onze mois se terminant le 30 novembre 1992, la compagnie a considérablement augmenté ses emprunts bancaires et le niveau de financement de ses fournisseurs commerciaux.

-                La compagnie a ces derniers temps régulièrement dépassé sa marge de prêt bancaire.

-                Les politiques comptables de la compagnie portant sur la capitalisation de certains coûts ont fait en sorte que ces dépenses n'ont pas été incluses dans le calcul du revenu net au cours de la période visée.

-                La direction est d'avis que la compagnie a besoin d'un crédit de fonds de roulement d'au moins trois millions de dollars afin de financer le paiement de montants dus à des fournisseurs commerciaux et de réduire les emprunts bancaires aux niveaux permis par les formules de la banque relatives aux marges.

-                La compagnie a actuellement des modalités de livraison contre remboursement avec des fournisseurs commerciaux essentiels.

-                Nous estimons que la compagnie viole actuellement ses conventions d'endettement au titre du ratio d'endettement.

-                La compagnie n'a pas les ressources adéquates en ce qui concerne le poste de gestionnaire financier principal. Actuellement, la gestion financière est assumée à temps partiel par le vérificateur externe de la compagnie.

[17]          L'avocat de l'appelant a mentionné, dans sa plaidoirie, une partie du rapport qui indiquait que le compte de TPS de A-P enregistrait un paiement en trop de 73 730 $ au 30 novembre 1992. On notera toutefois que le rapport a précisé qu'il était basé sur les renseignements fournis par Price Waterhouse. La source de ces renseignements était probablement Thomas Silverman. On ne peut raisonnablement considérer que le rapport d'un consultant indiquant que la compagnie ne possède pas les ressources adéquates, en ce qui concerne le poste de gestionnaire financier principal, étaye les déclarations faites par le gestionnaire financier principal en fonction.

[18]          Une lettre datée du 4 août 1992 et envoyée à A-P par la banque de cette dernière fournit une indication supplémentaire de la situation financière douteuse de A-P. La lettre commence ainsi :

                                [TRADUCTION]

Nous avons récemment terminé un examen de vos facilités bancaires fondé sur vos états financiers de fin d'année du 31 décembre 1991 et sur les données financières actuelles, dont les prévisions pour 1992. Les profits déclarés moindres, ainsi que le démarrage de Ashton-Potter America Inc., la fusion avec Westport Press Limited et les niveaux de stock, qui ont augmenté plutôt que diminué par rapport aux ventes, ont réduit l'efficience commerciale de la compagnie relativement au fonds de roulement à tel point que la situation nous préoccupe. Bien que le problème relatif au fonds de roulement soit dans une certaine mesure compréhensible et que nous croyions encore que les résultats d'exploitation s'amélioreront, la compagnie a besoin d'un investissement en capital et doit trouver des manières de réduire ses niveaux de stock afin d'augmenter ses liquidités et s'assurer un accroissement de ses activités.

[...]

En mars dernier, de même qu'au début de juillet, il nous a été nécessaire de retourner des chèques présentés pour paiement sur votre compte. Ces événements, ainsi que les retards continus dans la livraison mensuelle de l'état financier, sont pour nous une source d'inquiétude et compromettent notre capacité à vous aider.

Bien qu'il ne soit pas clair que l'appelant ait vu cette lettre, les problèmes signalés par la banque n'ont pu lui échapper.

[19]          La défense de diligence raisonnable a été soulevée dans un très grand nombre de causes ayant trait à l'application de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu et à un certain nombre de causes ayant trait à l'application de l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise. L'avocat de l'appelant a soutenu que, compte tenu d'une différence entre la politique sociale sous-tendant l'article 227.1 et ce qu'il prétend constituer une politique sociale moins importante sous-tendant l'article 323, les causes concernant la défense de diligence raisonnable prévue par la Loi de l'impôt sur le revenu ne sont pas, ou sont très peu, utiles au regard de l'application de l'article 323. Je n'accepte pas cet argument. Le libellé des deux dispositions est presque identique, tout comme l'est leur objet, qui est d'inciter les administrateurs à agir en faisant preuve de diligence raisonnable afin de s'assurer que les fonds publics détenus par la société soient remis conformément aux conditions prescrites par la loi. Je ne doute pas que le législateur ait voulu que la même norme s'applique aux deux lois. Rien, dans le contexte législatif, ne suggère autre chose.

[20]          Dans l'affaire Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124 ([1997] 3 C.T.C. 242), la Cour d'appel fédérale a tenté de résumer la jurisprudence portant sur cette question. Le juge Robertson, à la page 155 (C.T.C. : à la page 262), a examiné la norme de prudence selon le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il a déclaré ceci :

[...] Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la « compétence » et l'idée de « circonstances comparables » . Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme « objective subjective » .

[21]          À la page 156 (C.T.C. : à la page 263), le juge Robertson a souligné la distinction entre la position des administrateurs internes et celle des administrateurs externes :

[...] je ne donne pas à entendre que la responsabilité est simplement fonction du fait qu'une personne est considérée comme un administrateur interne par opposition à un administrateur externe. Cette qualification constitue plutôt simplement le point de départ de mon analyse. Mais cependant, il est difficile de nier que les administrateurs internes, c'est-à-dire ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable. Pour ces personnes, ce sera une opération ardue de soutenir avec conviction que, malgré leur participation quotidienne à la gestion de l'entreprise, elles n'avaient aucun sens des affaires, au point que ce facteur devrait l'emporter sur la présomption qu'elles étaient au courant des exigences de versement et d'un problème à cet égard, ou auraient dû l'être. Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l'élément subjectif de la norme de prudence devrait primer l'aspect objectif de la norme.

[22]          Lorsque l'on examine les éléments subjectifs de la norme de prudence, il est évident que l'appelant avait presque idéalement toutes les qualités requises pour prévenir les omissions qui se sont produites. Je fais référence à sa formation et à son expérience en tant qu'employé, cadre et administrateur de A-P. Rien, selon le profil de sa personnalité, ne l'empêchait de comprendre précisément ce qui se passait. L'appelant était manifestement une personne décrite par le juge Robertson comme un administrateur interne.

[23]          À mon avis, un examen minutieux de la preuve peu convaincante concernant l'assurance donnée par M. Silverman étaye la conclusion selon laquelle les administrateurs, en posant des questions à M. Silverman, ne cherchaient pas à savoir si les remises de TPS étaient effectuées conformément à la loi. Cette question n'a jamais été posée, du moins en la présence d'Alexander Smith. Les administrateurs souhaitaient plutôt savoir s'ils engageaient leur responsabilité personnelle. Il me semble probable que l'assurance donnée par M. Silverman découlait du fait qu'il croyait que A-P finirait par surmonter le remous financier et respecter ses engagements. À mon avis, l'appelant avait le devoir positif d'agir de façon à prévenir les omissions. Il ne s'agit pas en l'espèce d'une affaire où une catastrophe soudaine a mené à une omission ne pouvant raisonnablement être prévue et empêchée. Il s'agit plutôt d'une affaire où l'appelant a omis de réagir malgré les nombreux éléments indiquant clairement l'existence d'une crise financière. Cette crise peut avoir empiré au cours de la période pertinente, mais il n'y a aucun doute qu'elle a existé tout au long de cette période. Il est frappant de constater l'inaction continue de l'appelant en dépit des problèmes ayant amené la banque de A-P à obtenir deux rapports distincts de consultants financiers. La crise était d'une telle gravité que, si l'appelant ne savait pas que la TPS n'était pas remise, c'était parce qu'il n'avait pas abordé la question. Dans l'un ou l'autre cas, l'appelant violait la norme législative de prudence.

[24]          Dans l'affaire Ann Drover c. Canada, C.A.F., no A-331-97, 13 mai 1998 (98 DTC 6378), le juge d'appel Robertson a décrit les circonstances dans lesquelles un administrateur peut être tenu d'entreprendre des démarches positives afin d'empêcher une omission. À la page 6 (DTC: à la page 6380), le juge déclarait ceci :

[...] La norme de prudence « objective subjective » définie plus haut est centrée sur la question de savoir si les circonstances permettent d'affirmer que, compte tenu de sa compétence et de son expérience dans le domaine des affaires, l'administrateur en question était expressément tenu de s'assurer que la compagnie effectuait bien le versement des retenues d'impôt, comme elle avait l'obligation de le faire. Il est clair qu'une telle obligation existe si l'administrateur sait ou devrait savoir qu'il existe un problème au niveau de ce versement et il manque à cette obligation s'il ne prend aucune mesure pour se conformer aux dispositions de la loi.

(Je souligne.)

[25]          L'appel sera rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de janvier 2001.

« M. J. Bonner »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 11e jour de juin 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-2401(GST)G

ENTRE :

HUGH W. ASHTON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu les 30 et 31 octobre et les 1er et 2 novembre 2000 à Toronto (Ontario) par

l'honorable juge Michael J. Bonner

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me Eric Peterson

Avocat de l'intimée :                            Me Arnold H. Bornstein

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 28 novembre 1996 et porte le numéro 06573, est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de janvier 2001.

« M. J. Bonner »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de juin 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1] Voir les articles 228 et 238 de la Loi sur la taxe d'accise.

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