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Date: 20001219

Dossier: 98-9401-IT-I

ENTRE :

SAMUEL ZAMECK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une cotisation établie en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) et datée du 31 octobre 1996. Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a fixé un montant de 14 472,41 $ en ce qui concerne des transferts de biens faits à M. Zameck par Micropath Business Systems Inc. ( « Micropath » )[1]. Le ministre a supposé que Micropath avait payé à M. Zameck un dividende de 17 000 $ pendant l'année d'imposition se terminant le 30 septembre 1991 et un dividende de 11 300 $ pendant l'année d'imposition se terminant le 30 septembre 1992 ( « les années d'imposition pertinentes » ). Pour ces deux années d'imposition, Micropath avait des dettes fiscales non réglées totalisant 14 472,41 $. En établissant une cotisation à l'égard de M. Zameck, le ministre a supposé que, au moment du paiement des dividendes, Micropath et M. Zameck avaient un lien de dépendance. L'unique question soulevée par les parties est celle de savoir s'il existait à l'époque une relation avec lien de dépendance.

FAITS

[2]            Micropath a été constituée en personne morale le 7 novembre 1978 et, pendant les années d'imposition pertinentes, elle a exploité une entreprise de services informatiques. À l'origine, il y avait trois actionnaires détenant chacun le tiers des actions de Micropath. Une année plus tard, un des actionnaires a vendu ses actions au prorata aux deux autres actionnaires, à savoir M. Zameck et M. Seymour Ruby.

[3]            MM. Zameck et Ruby ne sont pas liés au sens de la Loi. Ils se sont rencontrés pour la première fois alors qu'ils travaillaient pour le même employeur, avant la constitution de Micropath, et sont devenus amis. Pendant les premières années d'exploitation de Micropath, MM. Zameck et Ruby devaient continuer à travailler pour d'autres employeurs parce que Micropath ne pouvait les embaucher à plein temps. Elle ne l'a fait qu'en 1988, époque à laquelle elle est devenue plus rentable.

[4]            Peu de temps avant le départ de M. Zameck, en avril 1992, Micropath a décidé d'acquérir un intérêt de 20 p. 100 dans Megadata Inc. ( « Megadata » ). Le bilan de Micropath, pour l'année d'imposition se terminant le 30 septembre 1991, fait état d'un prêt en cours de 13 333 $ qui avait été consenti à Megadata. Au bilan de l'année d'imposition suivante, ce chiffre est passé à 20 405 $; y figuraient en outre des créances de 11 770 $ se rapportant apparemment à Megadata.

[5]            À la suite de l'acquisition de l'intérêt de 20 p. 100 dans Megadata, la relation entre MM. Ruby et Zameck a mal tourné : M. Zameck croyait qu'il ne faisait plus partie du processus décisionnel de Micropath et de Megadata. Le 30 avril 1992, M. Zameck a vendu ses actions à M. Ruby pour un montant de 6 000 $. Par résolution « exécutoire le 30 avril 1992 » , on a approuvé le transfert des actions à M. Ruby. Par lettre datée du 30 avril 1992, M. Zameck a démissionné de son poste d'administrateur et de secrétaire-trésorier de Micropath.

[6]            Durant l'année d'imposition 1991 et une partie de l'année d'imposition 1992, Micropath n'avait que deux employés, M. Zameck et M. Ruby. Ils effectuaient essentiellement le même genre de travail, mais n'étaient pas rémunérés pour leurs services. Ils ont plutôt reçu des avances de Micropath tous les mois, bien que pas nécessairement en paiements égaux parce que les montants dépendaient des liquidités de Micropath. L'objet de ces avances était de leur permettre de subvenir à leurs besoins. Les deux administrateurs de Micropath, MM. Zameck et Ruby, ont adopté une résolution « exécutoire le 30 septembre 1991 » par laquelle on déclarait un dividende de 34 000 $, soit vraisemblablement l'équivalent des avances reçues pendant l'année d'imposition 1991 de Micropath. Un autre dividende de 22 600 $ a été déclaré aux termes d'une résolution « exécutoire le 1er mai 1992 » et était payable à l' « unique actionnaire inscrit » . En outre, cette résolution a été signée par M. Ruby en sa qualité d' « unique administrateur de Micropath » .

[7]            Bien que cette résolution de mai 1992 indique que le dividende n'est payable qu'à l'unique actionnaire inscrit, un feuillet T5 envoyé par Micropath à M. Zameck montre un dividende de 11 300 $ pour l'année civile 1992. Le montant de ce dividende a été inclus dans la déclaration de revenus de 1992 de M. Zameck[2].

[8]            Les déclarations de revenus de Micropath des années d'imposition 1991 et 1992 n'ont été produites auprès du ministre que le 15 juillet 1994. Le 31 octobre 1996, le ministre a établi une cotisation conformément au paragraphe 160(1) de la Loi.

Position de l'intimée

[9]            L'intimée prétend que Micropath et M. Zameck avaient un lien de dépendance au moment du paiement des dividendes en 1991 et en 1992. Au soutien de sa position, l'intimée invoque deux décisions rendues par mon collègue le juge Dussault : Fournier c. M.R.N., C.C.I., no 88-1169(IT), 15 janvier 1991 (91 DTC 746), et Gosselin c. Canada, [1996] A.C.I. no 206 (QuickLaw).

[10]          Dans l'affaire Fournier, le juge Dussault a conclu qu'un actionnaire qui détenait 45 p. 100 des actions d'une compagnie avait un lien de dépendance avec cette compagnie parce que cet actionnaire, qui était également administrateur, avait agi de concert avec l'autre actionnaire et administrateur principal pour déclarer et verser des dividendes. Le juge Dussault décrit la situation de la manière suivante à la page 5 (DTC : à la page 748) :

Nous sommes ici en présence des deux actionnaires principaux d'une compagnie et à toutes fins pratiques des deux seuls actionnaires et administrateurs véritables qui décident ensemble, selon les conseils du comptable de la compagnie, de retirer les bénéfices réalisés par la corporation sous forme de dividendes à être déclarés en fin d'année.

[11]          Et voici la conclusion à laquelle il est arrivé à la page 6 (DTC : à la page 748) :

Je ne puis trouver de situation plus appropriée à l'application du concept de lien de dépendance entre personnes non liées en ce que les deux principaux administrateurs et actionnaires de la corporation ont de toute évidence agi de concert et avec un intérêt économique commun pour décider de la façon dont ils retireraient, pour leurs fins personnelles, les bénéfices réalisés par la corporation. Agissant à la fois et en même temps en leur qualité d'administrateurs de la corporation et d'actionnaires de celle-ci, ils se trouvent dans une situation à l'égard de laquelle on ne pourrait mieux appliquer le concept de lien de dépendance dans les faits tel qu'établi par nos tribunaux. En ce sens, j'estime donc que la corporation Les Évaluateurs Fra-Mic Inc. avait un lien de dépendance avec l'appelant au moment du transfert de biens effectué au cours de son année d'imposition 1983 et qu'ainsi l'intimé était à bon droit d'invoquer le paragraphe 160(1) de la Loi à l'égard de cette transaction.

Analyse

[12]          La principale question à trancher est celle de savoir si M. Zameck avait un lien de dépendance avec Micropath au moment du paiement des dividendes de 1991 et de 1992. Le concept de lien de dépendance est ainsi défini à l'article 251 de la Loi :

251. Lien de dépendance

(1) Pour l'application de la présente loi :

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

b) la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

[13]          Lorsque nous analysons le concept de lien de dépendance tel qu'il figure dans la Loi, il est clair que des personnes qui sont liées par le sang constituent des personnes liées pour l'application de la Loi et sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Ce n'est pas la situation en l'espèce, puisque nous sommes en présence de deux étrangers, bien qu'ils soient amis, qui possèdent chacun 50 p. 100 des actions de Micropath. Selon la Loi, sont assimilées à des « personnes liées » une société et une personne qui contrôle la société, c'est-à-dire une personne détenant plus de 50 p. 100 des actions avec droit de vote de la société. Ce n'est pas la situation en l'espèce, puisque M. Zameck ne détenait que 50 p. 100 des actions de Micropath et ne pouvait choisir la majorité des administrateurs du conseil d'administration. En outre, il n'était pas membre d'un groupe lié qui contrôlait la société, puisqu'il n'était pas lié à M. Ruby, avec qui il contrôlait Micropath. Par conséquent, il n'était pas lié à Micropath.

[14]          Ce qui est surprenant, dans la décision Gosselin, précitée, c'est qu'on a estimé que deux actionnaires détenant chacun 50 p. 100 d'une compagnie et non liés l'un à l'autre avaient un lien avec cette compagnie. Cette décision équivaut en effet à considérer qu'un membre d'un groupe non lié est lié à une société et que, par conséquent, il a un lien de dépendance avec la société, contrairement à ce que prévoit le sous-alinéa 251(2)b)(ii), qui ne s'applique qu'à une personne membre d'un « groupe lié » . Si le législateur avait eu l'intention d'inclure les membres d'un groupe non lié, il l'aurait certainement indiqué. Au contraire, il a évité d'en faire mention, ce qui révèle bien son intention.

[15]          Toutefois, le législateur, dans sa sagesse, a jugé approprié de reconnaître que des parties peuvent avoir entre elles un lien de dépendance au cours d'une opération, même si elles ne sont pas liées. Par exemple, il est concevable qu'un actionnaire puisse de fait avoir le contrôle d'une société sans détenir plus de 50 p. 100 des actions avec droit de vote. Tel était le cas dans l'affaire Peter Cundill & Associates Limited c. Canada, C.A.F., no A-58-91, 3 octobre 1991 (91 DTC 5543). Suivant les circonstances de cette affaire, M. Cundill se trouvait à négocier non seulement au nom de la société qu'il contrôlait légalement, mais également au nom de la société qu'il ne contrôlait pas légalement.

[16]          On a conclu qu'une relation sans lien de dépendance existe lorsqu'un seul cerveau dirige les négociations pour les deux parties à une opération, lorsque les parties à une opération agissent de concert et sans intérêts distincts et lorsqu'il y a un contrôle de fait. En l'espèce, il est important de se rappeler que nous tentons de déterminer s'il existe une relation sans lien de dépendance entre M. Zameck et Micropath, qui sont les parties pertinentes aux fins de l'application du critère susmentionné.

[17]          L'opération en cause ne vise pas l'acquisition d'un bien et ne découle d'aucun genre de contrat synallagmatique. En l'espèce, nous avons une société qui a déclaré un dividende à être versé à ses actionnaires. Voilà l'opération en litige. En tant qu'actionnaire, M. Zameck n'avait rien à faire, si ce n'est choisir les administrateurs du conseil d'administration. Comme il ne détenait que 50 p. 100 des actions de Micropath, il ne pouvait de lui-même choisir la majorité des administrateurs. Il est clair que M. Zameck n'avait pas le contrôle de fait de Micropath et qu'il ne pouvait à lui seul exercer une influence et ordonner à Micropath de déclarer et de verser le dividende.

[18]          La décision de déclarer et de verser un dividende appartenait aux administrateurs de la société. C'est à titre d'administrateur que M. Zameck pouvait exercer une influence sur Micropath. Toutefois, M. Zameck n'était pas le seul administrateur de la société lorsque le dividende de 1991 a été déclaré : son coactionnaire, M. Ruby, était également administrateur. Par conséquent, il ne pouvait de lui-même influencer la société et décider seul si cette dernière déclarerait ou non les dividendes. Pour ce qui est du dividende de 1992, M. Zameck n'était même pas l'un des administrateurs qui l'ont déclaré. En fait, il n'était même pas actionnaire à cette époque.

[19]          L'avocate de l'intimée prétend que M. Zameck a agi de concert avec M. Ruby et qu'il n'avait pas d'intérêt distinct. Je n'accepte pas cet argument. Il est vrai que MM. Zameck et Ruby ont agi de concert pour déclarer le dividende de 1991. Comme ils étaient les deux seuls administrateurs de Micropath, ils devaient s'entendre pour que Micropath déclare et verse le dividende. Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement qu'ils agissaient de concert sans intérêts distincts.

[20]          Tout d'abord, on doit se rappeler que les administrateurs d'une société ont l'obligation d'agir au mieux des intérêts de la société, et non de ceux des actionnaires. Ensuite, il faudrait établir l'existence de circonstances spéciales et démontrer que les deux actionnaires et administrateurs agissaient sans intérêts distincts. Rien dans la preuve n'indique l'existence de telles circonstances en l'espèce. Pour une explication plus approfondie de mon raisonnement sous-tendant cette conclusion et de la raison pour laquelle l'approche adoptée dans les affaires Fournier et Gosselin ne devrait pas être suivie, un renvoi devrait être effectué aux motifs de l'affaire Gestion Yvan Drouin Inc., 1999-1856 (IT)G, qui ont été prononcés en même temps que les présents motifs.

[21]          Pour ces motifs, l'appel de M. Zameck est admis, et la cotisation est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de décembre 2000.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 9e jour de juillet 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

98-9401(IT)I

ENTRE :

SAMUEL ZAMECK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 8 mars 2000, à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Pierre Archambault

Comparutions

Pour l'appelant :                                            l'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                                    Me Suzanne Morin

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation numéro 09055 établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu est admis, et la cotisation est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de décembre 2000.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de juillet 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1] Il est à noter que deux nouvelles cotisations ont par la suite été établies, soit le 22 janvier 1997 et le 15 avril 1997, ce qui a eu pour effet de réduire le montant fixé de 14 472,41 $ à 4 917,48 $. Ces nouvelles cotisations ont tenu compte de paiements faits par M. Seymour Ruby au ministre ainsi que des réductions des dettes fiscales de Micropath résultant du report des pertes des années d'imposition 1993, 1994 et 1995.

[2] Ni l'une ni l'autre partie n'a soulevé la question de savoir s'il était correct d'indiquer le dividende de 11 300 $ dans le revenu de M. Zameck, étant donné qu'il n'était plus actionnaire de Micropath au moment où le dividende a été déclaré. Si ce montant a été reçu à titre de salaire plutôt que de dividende, l'article 160, selon toute probabilité, ne s'appliquerait pas parce que l'argent aurait été transféré pour une contrepartie, c'est-à-dire qu'on aurait versé un salaire à M. Zameck pour les services qu'il avait rendus. Étant donné la conclusion à laquelle je suis parvenu, il n'est pas nécessaire de traiter davantage de cette question.

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