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Date: 20010510

Dossier: 2000-1269-GST-I

ENTRE :

KENNETH GORDON ALBERTAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

FAITS

[1]            Le présent appel est interjeté sous le régime de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (la " Loi ") relativement à la taxe sur les produits et services. Dans l'avis de cotisation à un tiers portant le numéro 24760, daté du 17 février 1998, le ministre du Revenu national (le " ministre ") a réclamé à l'appelant le montant de 36 732,60 $, calculé comme suit conformément au paragraphe 323(1) de la Loi :

Période se               Taxe                                                                                         Solde pour la

terminant le           nette                        Intérêt                     Pénalité période

                31-03-1992              15 838,49 $              9 876,96 $                10 880,15 $              36 595,60 $

                Honoraires                  137         0                 0              137

                d'avocat

15 975,49 $              9 876,96 $                10 880,15 $              36 732,60 $

[2]            À l'encontre de cette cotisation, l'appelant a déposé à la Cour un appel dans lequel il a déclaré en partie ce qui suit :

                                [TRADUCTION]

1.          L'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'" ADRC ") a réclamé la TPS en vertu du paragraphe 323(4) de la Loi sur la taxe d'accise plus de deux ans après que j'ai cessé d'être un administrateur d'Albertan Homes Ltd. Le paragraphe 323(5) de la Loi sur la taxe d'accise interdit donc l'établissement d'une cotisation pour motif de prescription.

2.          L'ADRC, qui soutient que je suis encore administrateur d'Albertan Homes Ltd., s'est fondée sur des renseignements insuffisants et inexacts pour établir la cotisation, à savoir un imprimé d'ordinateur inexact, un rapport de description de l'entreprise, fourni par le ministère de la Consommation et du Commerce de l'Ontario.

[...]

B.                    Énoncé des faits pertinents à l'appui de l'appel

1.                     Le 1er janvier 1995, j'ai vendu [donné] la totalité de mes actions d'Albertan Homes Ltd. à un certain Joe Bastos, un avocat d'ici. J'ai cessé d'être administrateur d'Albertan Homes Ltd. le 1er janvier 1995, date à laquelle j'ai remis ma démission à titre d'administrateur de la société en toute conformité avec les lois pertinentes. Ma démission a été dûment consignée dans les procès-verbaux de la société. Je joins à la présente (voir la pièce A) une lettre de Joe Bastos, datée du 12 janvier 2000, à laquelle ce dernier a joint une copie de ma démission qui a été consignée au livre des procès-verbaux de la société. Cette démission est clairement datée du 1er janvier 1995. [...]

[3]            En établissant la cotisation en question à l'égard de l'appelant, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes. L'appelant a accepté les hypothèses énoncées aux alinéas a), b), d), h), i), j), k), l) et m) et il a nié celles qui ont été énoncées aux alinéas e), f), g), n), o) et p) :

                                [TRADUCTION]

a)                    Albertan Homes Ltd. (la société) est constituée sous le régime de la partie IX de la Loi depuis le 1er janvier 1991 et inscrite sous le numéro 124049271;

b)                    le 25 mai 1995, la Direction des compagnies du ministère de la Consommation et du Commerce de l'Ontario a annulé l'acte constitutif de la société;

c)                    l'appelant n'a pas cessé d'être un administrateur de la société lors de l'annulation de l'acte constitutif dont il est fait mention à l'alinéa précédent;

d)                    la société a été reconstituée le 13 mai 1997;

e)                    au 30 novembre 1999, l'appelant figurait encore dans la liste des administrateurs de la société;

f)                     l'appelant n'a jamais remis sa démission à titre d'administrateur de la société;

g)                    à l'époque pertinente, l'appelant était un administrateur de la société;

h)                    au cours de toutes les périodes pertinentes, la société était tenue de produire des déclarations de TPS tous les trois mois; l'exercice de la société prenait fin le 31 décembre aux fins de la TPS;

i)                      au cours de toutes les périodes pertinentes, la société était tenue de percevoir et de verser la TPS conformément au paragraphe 225(1) de la Loi;

j)                      conformément au paragraphe 222(1) de la Loi, les montants perçus au titre de la TPS nette sont réputés détenus en fiducie pour Sa Majesté jusqu'à ce qu'ils soient remis au receveur général;

k)                    la taxe nette de la société, au sens du paragraphe 225(1) de la Loi, pour les périodes de déclaration du 1er avril 1991 au 31 mars 1992 est de 15 975,49 $;

l)                      un certificat précisant la somme dont la société est redevable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l'article 316 de la Loi et il y a eu défaut d'exécution totale ou partielle à l'égard de cette somme;

m)                   la société a omis de verser le montant de 15 975,49 $ mentionné à l'alinéa f), contrairement à la Loi;

n)                    à titre d'administrateur de la société, l'appelant n'a pas pris les mesures nécessaires pour que les versements de TPS soient effectués en temps voulu;

o)                    à titre d'administrateur de la société, l'appelant n'a pas empêché la société d'utiliser à d'autres fins ces montants détenus en fiducie;

p)                    l'appelant, en sa qualité d'administrateur de la société, n'a pas agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement de la société de verser les montants en question que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

QUESTION EN LITIGE

[4]            Il s'agit de déterminer si, étant donné le manquement de la société, l'appelant est tenu, en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi, de verser au receveur général un montant de taxe nette, déterminé en application du paragraphe 225(1) de la Loi, ainsi que la pénalité et l'intérêt y afférents.

LES COTISATIONS

[5]            La société a fait l'objet d'une cotisation le 6 juillet 1995.

[6]            Une nouvelle cotisation a été établie à l'égard de la société le 14 janvier 1996. L'appel interjeté à la Cour canadienne de l'impôt à l'encontre de cette cotisation a été rejeté le 28 septembre 1998. L'appelant a fait l'objet d'une cotisation à titre d'administrateur par suite de la cotisation établie à l'égard de la société le 17 février 1998.

ÉLÉMENTS IMPORTANTS

DILIGENCE RAISONNABLE

[7]            Pour ce qui est de l'observation de la TPS, l'appelant a témoigné brièvement et sans donner de détails. Il a déclaré qu'il était menuisier et non comptable.

[8]            Il a indiqué aussi qu'il aurait dû percevoir la TPS pour le compte de la société, mais qu'il ne l'a pas fait. Il a indiqué avoir pris des mesures, dont l'embauche de personnel supplémentaire, pour se conformer à ses obligations en matière de TPS. Il n'a fait la preuve d'aucune autre mesure de surveillance ni d'aucun autre effort dans le but de se conformer à ses obligations en matière de TPS.

LA DÉMISSION

[9]            La société a été constituée le 24 octobre 1990. L'appelant était administrateur lors de la constitution.

[10]          La preuve relative à la prétendue démission de l'appelant à titre d'administrateur a été superficielle et contradictoire. L'appelant a affirmé avoir remis sa démission à titre d'administrateur le 1er janvier 1995. Cette lettre de démission a été déposée à la Cour avec l'avis d'appel et produite avec la pièce A-1. En voici le texte :

                                [TRADUCTION]

Objet : Albertan Homes Ltd.

Je, soussigné, Kenneth Gordon Albertan, remets par les présentes ma démission à titre de dirigeant et administrateur de la société.

Fait à Kingston le 1er janvier 1995.

                                                " Kenneth Gordon Albertan "

                                                Kenneth Gordon Albertan

À cette époque-là, la société était insolvable. L'appelant a déclaré qu'il avait fait parvenir sa démission et ses 10 actions avec le livre des procès-verbaux au cabinet d'un certain Me Bastos. Il a déclaré avoir remis ces documents à Me Bastos à titre gratuit. En contre-interrogatoire, l'appelant n'a pu se rappeler la date à laquelle il avait apporté les documents de la société à Me Bastos, si ce n'est que c'était au début de 1995. Il n'a pu se rappeler s'il avait consigné la démission dans le livre des procès-verbaux de la société. Bien que, selon ses déclarations, il ait coupé les liens avec la société après le printemps de 1995, il a continué à agir pour le compte d'Albertan Homes Ltd. pour ce qui est de la cotisation de TPS de la société; en fait, il a comparu à titre de représentant de la société devant la Cour canadienne de l'impôt le 28 septembre 1998. Dans le jugement que la Cour canadienne de l'impôt a rendu, on peut lire que "Le représentant de l'appelante [l'appelant en l'espèce] a informé la Cour oralement que l'appelante [la société] retirait son appel en l'espèce ".

[11]          Dans son avis d'opposition (pièce R-3 de la procédure en l'espèce), l'appelant a déclaré : " J'ai cessé d'être administrateur le 20 mai 1998. "[1]

[12]          La pièce A-3, une lettre que l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'" ADRC ") a adressée à l'appelant le 9 février 2000, renferme un rapport sur l'opposition dans lequel l'ADRC déclare ceci : " Le représentant de M. Albertan soutient que ce dernier a cessé d'être un administrateur de la société le 20 mai 1995 [...] Le représentant de M. Albertan déclare que ce dernier a vendu l'entreprise en mai 1995. "

[13]          En contre-interrogatoire également, on a montré à l'appelant la pièce R-1, une lettre datée du 3 décembre 1999 qu'il avait adressée à Norma Jean Wooley, de la section des Appels de TPS, et dans laquelle on peut lire : " Vous trouverez ci-joint copie de la lettre de démission. " La lettre est faite sur le papier à en-tête d'Albertan Homes et datée du 1er janvier 1995. Elle est libellée dans les termes suivants :

                               

[TRADUCTION]

Par les présentes, je remets ma démission en tant qu'administrateur d'Albertan Homes Ltd. à compter du 1er janvier 1995.

Signé      

                                                                " Ken Albertan "

                                                                Ken Albertan

                                                                1er janvier 1995

                                                                Date

[14]          L'appelant a déclaré qu'il avait lui-même rédigé et signé cette lettre en 1999 en réponse à la demande de l'ADRC qui voulait obtenir une preuve de la démission.

[15]          La date d'entrée en vigueur de la prétendue démission est également rendue incertaine par plusieurs rapports sur le profil de la société de l'Ontario. La pièce A-2 indique que " Tina Marie Bastos " est devenue administratrice le " 01/01/1995 " (le profil a été préparé le " 30/11/1999 "). La pièce R-2 indique que " Tina Marie Bastos " est devenue administratrice le " 20/05/1995 " (le profil a été préparé le 30/11/1999 "). La pièce R-2 indique également que " Kenneth Gordon Albertan " est devenu administrateur le " 24/10/1990 " (le profil a été préparé le 30/11/1999 ").

[16]          La pièce A-4, qui est une formule 1 prise en application de la Loi sur les sociétés par actions de l'Ontario et qui ne renferme ni signature ni date, ajoute encore à la confusion. On peut y lire en effet que " Tina Marie Bastos " a été élue administratrice le 20/05/1995 et que " Albertan Kenneth Gordon " n'est plus administrateur ni dirigeant. Cette formule ainsi que l'annexe qui y est jointe devaient être attestées par un dirigeant ou un administrateur de la société, ce qui n'a pas été fait.

CONCLUSION

[17]          L'appelant a la charge de prouver que la prétendue démission a été remise, qu'elle était valide et qu'elle est entrée en vigueur à une date précise. Il ne s'est pas acquitté de cette charge. L'incompatibilité entre les dates (la lettre de démission du 1er janvier 1995 et l'avis d'opposition du 20 mai 1995) n'a pas été expliquée. Le fait que l'appelant a rédigé et produit une copie de la lettre de démission différente par sa présentation et son libellé sur du papier à en-tête d'Albertan Homes signé (pièce R-1) et antidaté, sans apporter d'explication, me rend à première vue perplexe. En outre, le rapport sur le profil de la société (pièce R-2) qui indique que Kenneth Gordon Albertan était encore, au 30 novembre 1999, administrateur de la société n'a pas été parfaitement clarifié ou expliqué. De plus, le fait que, longtemps après sa prétendue démission et sa prétendue séparation de la société, l'appelant a représenté officiellement la société auprès du gouvernement et de la Cour relativement à la cotisation établie à l'égard de celle-ci sème la confusion et demeure sans explication. En fait, ces actions de l'appelant m'amènent à inférer que, s'il n'était pas administrateur, il agissait comme administrateur réputé ou administrateur de fait.

[18]          L'appelant aurait pu sommer à témoigner l'acquéreur déclaré de la société, Me Bastos, qui aurait peut-être pu donner quelques précisions sur la prétendue démission de l'appelant et sur le fait que ce dernier a continué de représenter la société auprès du gouvernement et devant la Cour. L'appelant aurait pu également sommer à témoigner Tina Marie Bastos, dont le nom figure dans les rapports sur le profil de la société à titre d'administratrice. Malheureusement, ni l'un ni l'autre n'ont témoigné.

[19]          Je conclus que nombre des hypothèses clés du ministre n'ont pas été réfutées. Je conclus en outre, plus particulièrement, que l'hypothèse selon laquelle, pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelant était administrateur de la société n'a pas été réfutée.

[20]          En tant qu'administrateur, l'appelant n'a pris aucune mesure pour que les versements de TPS soient dûment effectués. L'appelant, en sa qualité d'administrateur de la société, n'a pas agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement de la société de verser le montant en question que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[21]          L'appelant soutient subsidiairement que la condition préalable à l'application de l'alinéa 323(2)b)[2] de la Loi empêche le ministre d'établir une cotisation à son égard en vertu du paragraphe 323(1) puisque la société a été dissoute en application du paragraphe 241(4) de la Loi sur les sociétés par actions de l'Ontario[3] (la " LSA "). Cependant, le 13 mai 1997, la société a été reconstituée au sens du paragraphe 241(5) de la LSA, qui prévoit que la société reprend tous ses droits et obligations, comme si la dissolution n'avait pas eu lieu. L'appelant a fait l'objet d'une cotisation à titre personnel, en tant qu'administrateur, le 17 février 1998, suivant la reconstitution de la société. En outre, dans l'affaire Alton Renaissance I et al. v. Talamanca Management Ltd. et al.[4], le juge Sheard a souligné que la " dissolution " au sens du paragraphe 241(4) de la LSA de l'Ontario n'avait pas le " caractère final que le terme laisse entendre " et que la société n'était pas dissoute, mais plutôt que son existence était " suspendue temporairement ".

[22]          L'appelant ne peut donc invoquer comme moyen de défense l'alinéa 323(2)b) de la Loi, selon lequel la société doit avoir entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution. De telles procédures n'ont pas été entreprises dans l'appel en l'instance, et aucun liquidateur auprès duquel le ministre aurait pu prouver l'existence de sa réclamation n'a été désigné [5]. Puisque le délai de prescription prévu à l'alinéa 323(2)b) ne s'applique pas aux faits de la présente affaire, l'appelant n'a de toute évidence acquis aucun droit postérieur à la dissolution du fait de cette prétendue dissolution. La cotisation établie à l'égard de l'appelant respectait le délai de prescription applicable.

DÉCISION

[23]          L'appelant ne s'est pas acquitté de la charge qui lui incombait. L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de mai 2001.

" D. Hamlyn "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 11e jour de janvier 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-1269(GST)I

ENTRE :

KENNETH GORDON ALBERTAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 30 avril 2001 à Kingston (Ontario), par

l'honorable juge D. Hamlyn

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me Wayne R. J. Headrick

Avocat de l'intimée :                            Me Peter Kremer

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 17 février 1998 et porte le numéro 24760, est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de mai 2001.

" D. Hamlyn "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de janvier 2002.

Mario Lagacé, réviseur




[1]               L'intimé a admis que " 1998" était une déclaration erronée et qu'on aurait dû lire " 1995 ".

[2]               L'administrateur n'encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

                [...]

                b) la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l'objet d'une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution; [...]

[3]               L.R.O. 1990, ch. B-16.

[4]                (1993), 99 D.L.R. (4th) 707.

[5]                Kennedy c. M.R.N., C.C.I., no 91-152(IT), 17 juin 1991 (91 DTC 1037).

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